Recensions

Tzvetan Todorov, Insoumis. Paris, Éditions Robert Laffont, Éditions Versilio, 2015, 279 p.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Université d’Ottawa

La disparition de l’historien et philosophe Tzvetan Todorov (1939-2017) nous prive d’un chercheur polyvalent et prolifique ayant publié plus d’une quarantaine de livres en français durant cinq décennies, depuis ses premiers écrits proches du structuralisme — pensons à son livre Poétique de la prose, véritable synthèse sur les théories littéraires en France et dans les Pays de l’Est. À cette production déjà considérable il faudrait ajouter une multitude d’articles savants et plusieurs ouvrages collectifs sous sa supervision en tant que directeur de recherches au CNRS. Todorov pouvait aussi bien écrire sur Jean-Jacques Rousseau ou encore sur les questions d’identité nationale. Le philosophe André Comte-Sponville fit un bel hommage posthume de Todorov, le présentant comme « […] un savant modeste, un chercheur encyclopédiste et pédagogue (un “passeur”, disait-il), un humaniste sans illusions, un citoyen du monde, modéré et exigeant. C’est pourquoi il importe tant de le lire : cela rend plus intelligent, plus modeste, plus nuancé, plus juste — plus conscient de la complexité du monde et du tragique de notre condition ». Après un bref « Avertissement » (p. 11-12), Insoumis débute par un exposé autobiographique qui rappelle en quelques étapes la jeunesse de Todorov : le contexte de l’après-guerre en Bulgarie, l’imposition du régime communiste durant lequel « Staline avait été adoré comme un demi-dieu » (p. 14), ses études universitaires en philologie à l’Université Saint-Clément-d’Ohrid de Sofia, le contexte de la Guerre froide, puis l’exil vers la France au tournant des années 1960. Certains éléments autobiographiques étaient d’ailleurs présents dans d’autres livres de l’auteur, notamment au début de La signature humaine, paru en 2009. Le Laval théologique et philosophique avait d’ailleurs fait écho à La signature humaine après sa parution. En outre, un autre ouvrage rétrospectif plus récent, paru posthumément, propose un retour exhaustif sur le parcours intellectuel de Todorov : Lire et vivre. D’une manière réflexive, Tzvetan Todorov explique que les thèmes principaux abordés dans le livre Insoumis correspondaient dans son esprit à sa réflexion antérieure sur « la morale en politique » (p. 13). Dans une première partie (intitulée « Motivations »), certains passages plus personnels sont particulièrement touchants, par exemple lorsque l’exilé bulgare raconte le choc culturel — positif — qu’il a éprouvé lors de son arrivée dans la France des années 1960 : « […] la surveillance de tous par tous avait disparu » (p. 18). Sur la question de la liberté religieuse, Todorov compare avantageusement la France en opposition avec son souvenir perplexe de sa Bulgarie natale : « Le sacré n’avait pas déserté ce monde, mais il n’était plus le même pour tous, chacun pouvait choisir son sacré selon son propre jugement » (p. 19). Les réflexions contrastées de Todorov à propos de sa découverte enthousiasmante de la liberté — c’est-à-dire de sa propre liberté — lors de son arrivée en France en 1963 sont certainement les plus fortes de son livre (p. 13-32). Les conceptualisations proposées par Todorov d’un livre à l’autre sont toujours intéressantes et rigoureuses, car il articule habilement les concepts, les définit, les délimite et les distingue ; ainsi, il oppose la morale et la politique à partir du contraste perçu entre ces deux valeurs selon que l’on soit en France ou dans les anciens pays du Bloc de l’Est : C’est précisément cette attitude opposant la politique à la morale qui guide l’élaboration des chapitres du présent ouvrage. Parmi les « insoumis » dont Tzvetan Todorov fera ici le portrait, retenons Etty Hillesum, l’ethnologue française Germaine Tillion, les écrivains russes Boris Pasternak et Alexandre Soljenitsyne, des militants politiques comme Nelson Mandela et Malcolm X. …

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