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Note sur le Commentaire d’Ockham au Traité des prédicables de Porphyre[Notice]

  • Claude Panaccio

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  • Claude Panaccio
    Département de philosophie, Université du Québec à Montréal

Il y a beaucoup de choses intéressantes sur le plan philosophique dans le Commentaire d’Ockham au Traité des prédicables de Porphyre, mais la pièce de résistance en est certainement la discussion du problème des universaux menée aux paragraphes 2.1 à 2.17 de l’extrait édité et traduit ici par Claude Lafleur et Joanne Carrier. Ockham est connu pour son rejet radical du réalisme des universaux et ce passage est dans son oeuvre l’un des trois principaux qu’il consacre à cette question. Il vaut la peine de regarder d’un peu plus près la façon dont il organise là son argumentation. Il introduit d’abord les fameuses questions de Porphyre et souligne leur importance (§ 2.1-2.2). Il pose ensuite deux thèses au sujet des universaux (§ 2.3-2.4), qu’il défend et illustre dans les paragraphes suivants (§ 2.5-2.10 pour la première, § 2.11-2.13 pour la seconde), et présente enfin les réponses aux questions de Porphyre qui en découlent. Tout se joue donc dans les deux thèses. Les voici : T1 veut contrer à la fois l’idée qu’il existerait dans le monde des entités non singulières et l’idée que l’on doive recourir, comme le pensaient la plupart des médiévaux jusqu’alors, à quelque « principe d’individuation » pour rendre compte de la façon dont un universel s’individualise dans les singuliers : toute chose étant d’emblée singulière, on n’a jamais à expliquer comment elle le devient. T2 pour sa part exclut les universaux du monde des substances, tout en leur accordant un statut positif, celui d’une existence mentale ou langagière : comme toutes les autres choses, les universaux dans l’esprit ou dans le langage sont eux-mêmes des choses singulières ; ce qui en fait des « universaux » est qu’ils représentent ou signifient plusieurs autres individus à la fois (l’universel « cheval », par exemple, représente les chevaux singuliers). Le trait le plus remarquable de l’argumentation d’Ockham à l’appui de ces deux thèses dans le passage qui nous intéresse est que T1 y est défendue principalement par des arguments de raison (§ 2.5-2.9), alors que T2 ne repose dans ce texte que sur l’autorité d’Aristote (§ 2.11-2.12). L’explication à mon avis en est que T1 a pour cible principale Jean Duns Scot, dont les positions, tout à fait originales, ne trouvaient de réfutation directe ni chez Aristote ni chez Averroès, alors que le refus de substantialiser les universaux qui caractérise T2 peut être attribué à Aristote lui-même. Cela ne dispense pas le philosophe d’argumenter en faveur de T2 le cas échéant — Ockham s’y emploie lui-même dans la Somme de logique —, mais voulant s’en tenir à un exposé minimal dans son cours sur l’Isagogè de Porphyre, qui n’était après tout qu’une introduction à la logique, il expose certains de ses propres arguments contre Scot dans la discussion de T1 et se contente de s’appuyer sur l’exégèse d’Aristote pour ce qui est de T2. La question de toute façon, dit-il, est « traitée ailleurs plus en détail » (§ 2.2). Que les arguments à l’appui de T1 visent d’abord Duns Scot ressort en effet de leur contenu même. L’idée principale est que si l’universel n’est pas un singulier, alors il est numériquement distinct de n’importe quel singulier. C’est dire qu’il faut le compter pour une chose et le singulier pour une autre ; « et par conséquent », dit Ockham, « cette réalité universelle sera une numériquement et par conséquent singulière » (§ 2.6). L’unité numérique est ici tenue pour équivalente à la singularité, comme elle l’est pour Scot lui-même. Il s’agit à partir de là de montrer contre Scot que l’on ne peut admettre une « …

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