Émotions, relations et dialogues : la question du coeurLiminaire[Notice]

  • Marie-Michèle Blondin et
  • Pascale Devette

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  • Marie-Michèle Blondin
    Département de philosophie, Collège Montmorency, Laval

  • Pascale Devette
    Département de science politique, Université de Montréal

Les enjeux entourant les émotions ont été longuement abordés ces dernières années en philosophie politique. Pensons par exemple aux effets du capitalisme cognitif et aux différents usages marchands qui sont faits de certaines émotions. Ainsi, l’apprentissage de la maîtrise, de l’évaluation et de l’usage des émotions intègre graduellement la notion d’intelligence émotionnelle, laquelle contribue, dans la même optique que le quotient intellectuel, à compartimenter, rationaliser et classifier les individus en fonction de standards déterminés par les besoins des entreprises. Dans une perspective semblable, les travaux d’Eva Illouz sur la culture populaire et sur le « moi » en tant que forme institutionnalisée analysent la portée sociale et les effets subjectifs des récits thérapeutiques, que l’on qualifie souvent de self-help. Les récits thérapeutiques exposent publiquement des émotions « privées » en les intégrant dans une trame narrative dont la souffrance est à la fois l’élément organisationnel et ce que le sujet cherche à dépasser par un certain usage de soi, par différentes habitudes et manières d’entrer en contact avec autrui. Qu’il s’agisse de talk-shows télévisés, de documentaires, d’autobiographies, de groupes d’entraide, de coachs en entreprise, de conférenciers ou de blogueurs sur les réseaux sociaux, Illouz observe maints espaces d’interaction visant la représentation d’un sujet construit par la blessure et appelé à devoir apprendre à se réaliser au-delà du pâtir. Celui ou celle qui ne travaille pas sa vie émotionnelle d’une manière semblable à celles proposées socialement, et qui ne s’oriente pas vers la recherche d’une santé émotionnelle est, a priori, considéré comme malade et a besoin d’être soutenu. Le rôle de plus en plus important que jouent les émotions dans la standardisation des conduites et dans l’uniformisation des comportements a suscité chez nous le désir de réfléchir à la portée des émotions, aux types de relations qu’elles permettent et aux formes de dialogues qu’elles suscitent. À l’opposé d’une vision marchande des émotions, ce dossier thématique porte attention à ce qui demeure encore, par moments, un lieu d’« intimité ». Contre une vision rationaliste et abstraite, l’aspect moral des émotions a également été fortement mobilisé dans la construction d’un savoir situé et contextualisé, tout comme il s’est avéré central à maintes approches, notamment celles des éthiques du « care ». Les émotions ne sauraient être évoquées sans notre rapport au monde extérieur et à l’autre, dans une circulation et une reprise qui, parfois, en transforme la portée comme le contenu. C’est bien parce qu’il y a relation entre notre vie intime et celle des autres — autant en leur absence qu’en leur présence — qu’une vie affective existe et qu’elle peut affecter l’autre en retour. Si certaines relations sont mortifères, enferment le sujet en lui-même ou anesthésient sa sensibilité en entravant les ponts avec l’extériorité, d’autres sont le lieu d’échanges dont les échos contribuent à la qualité du tissu social. Ces échanges ou partages impliquent le dialogue, en soi, pour soi, pour l’autre, mais toujours « avec » un autre (réel ou imaginé). Ainsi, le dialogue est indissociable de certaines formes vivifiantes de relations, voire même d’un désir de vie. Comme le soulignait Raphaël Gély : « La parole est plus originairement et chaque fois un acte vivant, une épreuve de la vie, l’expression d’un désir de vie ». Le dialogue est donc aussi porteur de maintes émotions, certaines plus faciles à communiquer que d’autres, notamment parce qu’elles sont plus valorisées et mieux reconnues socialement ou, encore, parce qu’elles sont plus couramment vécues. Dans ce dossier thématique, nous proposons donc de réfléchir à l’écologie de la triade émotions, relations et dialogues en cherchant à cerner l’équilibre précaire, toujours contextuel et …

Parties annexes