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Né en 469/470 près de Chalon-sur-Saône et décédé le 27 août 542[1] à Arles, Césaire, le futur évêque de la métropole provençale, a vu le jour dans une famille d’origine gallo-romaine et catholique, c’est-à-dire nicéenne, à une époque où l’arianisme occupait une place sinon prépondérante, du moins très importante, dans une région qui, avant de passer aux Francs, fut sous la domination des Wisigoths et des Burgondes[2]. Après avoir été brièvement au service de l’évêque de Chalon, Césaire passera une dizaine d’années à Lérins, avant de se retrouver à Arles, vers la fin du ve siècle, et d’en devenir l’évêque en 502. À ce titre, il déploiera une intense activité de pasteur et de prédicateur, comme aussi de promoteur et de régulateur de la vie monastique, notamment féminine. Il interviendra également dans la vie ecclésiale comme le montre sa présence à plusieurs conciles dont certains furent convoqués ou présidés par lui (Adge en 506, Arles en 524, Carpentras en 527, Orange et Vaison en 529, Marseille en 533)[3]. Par ailleurs, Césaire n’a pas manqué d’être mêlé aux controverses doctrinales de son temps. C’est ainsi qu’il est intervenu dans la lutte contre ce qu’on appelle le « semi-pélagianisme », au sujet des rapports entre le libre arbitre et la grâce. Les canons du concile d’Orange II, de 529, consacrés entièrement à cette question et qui reprenaient l’essentiel de la doctrine augustinienne, seront ratifiés par le pape Boniface II et auront une grande importance pour l’histoire du dogme. La « vie et la conduite » (vita et conversatio) de Césaire nous sont connues grâce à un document de première valeur, même si, obéissant aux lois du genre, il relève autant de l’hagiographie que de la biographie, la Vita Caesarii, rédigée peu de temps après la mort de l’évêque par des proches, trois évêques, un prêtre et un diacre. Cette Vita en deux livres constitue tout autant un témoignage unique sur l’époque à laquelle a vécu Césaire[4].

Césaire d’Arles occupe une place non négligeable dans le panthéon littéraire de l’Antiquité chrétienne[5]. Un grand nombre de ses sermons ont été transmis dans diverses collections anciennes avec une fortune variable en ce qui concerne l’attribution des pièces à leur véritable auteur. Il appartiendra au savant bénédictin de l’abbaye de Maredsous (Belgique), Dom Germain Morin (1861-1946), prenant la relève des Mauristes, de restituer à Césaire, au prix d’une laborieuse enquête sur les manuscrits, l’essentiel de sa production écrite. Dom Morin a publié, en 1939, l’œuvre homilétique de Césaire totalisant 238 sermons, répartis en cinq classes : les sermons de diversis ou monitions (1-80), les sermons sur l’Écriture (81-186), les sermons de tempore, de Noël à la fin du temps pascal (187-213), les sermons sur les saints (214-232) et ceux adressés aux moines (233-238)[6]. Dans cette masse, Dom Morin retenait 153 sermons comme originaux ou authentiques et 85 qui reflétaient à des degrés divers la personnalité de Césaire. En 1942, il faisait paraître, dans un volume d’Opera varia, les autres écrits de Césaire : les règles des moines (Regula monachorum) et des moniales (Statuta sanctarum virginum), deux lettres adressées à des moniales, deux opuscules théologiques, sur la grâce et la Trinité, un Breviarium adversus haereticos, une « interprétation » (Expositio) de l’Apocalypse, auquel il ajoutait le testament de Césaire et la Vita mentionnée ci-dessus. L’édition de Dom Morin[7] a été en quelque sorte victime de la fatalité, puisqu’à peine sortie de presse, elle disparut presque entièrement dans un incendie. La première partie, en deux volumes, a été rééditée[8], ce qui ne fut pas le cas de la seconde partie dont quelques exemplaires seulement ont subsisté. Plusieurs œuvres ont heureusement paru dans la collection « Sources Chrétiennes », accompagnées d’une traduction française : les sermons 1-80 (M.-J. Delage, SC 175, 243, 330), les écrits monastiques : aux moniales (A. De Vogüé, J. Courreau, SC 345, avec le Testament de Césaire) et aux moines (J. Courreau, A. De Vogüé, SC 398), un premier volume de sermons sur l’Écriture (J. Courreau, SC 447), auxquels on joindra la Vie, déjà signalée. Une traduction anglaise de la totalité des sermons a également été publiée[9], ainsi qu’une nouvelle édition critique de l’Expositio sur l’Apocalypse[10].

On comprend qu’en raison du rôle qu’il a joué dans l’Église de la première moitié du sixième siècle et de son legs littéraire, Césaire d’Arles n’ait jamais cessé de susciter de l’intérêt et qu’il soit considéré comme une des gloires de la Provence qui l’a vu naître et où il a exercé son ministère épiscopal à une époque charnière marquée par la succession rapide des allégeances politiques. On comprend aussi que l’on veuille faire rayonner davantage l’homme et l’œuvre. C’est justement l’un des buts que poursuit l’association « Aux Sources de la Provence », qui, depuis 2010, cherche à faire découvrir et mieux connaître l’Antiquité tardive (ive-viie siècles) en Provence et dans le Bassin méditerranéen, ainsi que l’œuvre de Césaire d’Arles. Cette association a organisé un bon nombre d’activités publiques et scientifiques, dont des conférences et des visites de sites archéologiques, et elle s’est impliquée dans la mise en valeur de « l’Enclos Césaire d’Arles », où on retrouve des vestiges d’édifices datant pour certains de l’époque de Césaire ou qui sont mentionnés dans la Vita[11]. Sous l’égide de l’association ont paru les ouvrages intitulés L’Antiquité tardive en Provence, ive-vie siècle : naissance d’une chrétienté, sous la direction de Jean Guyon, et Aux sources de l’Église de Provence, signé par Bernard Lorenzato et Olivier Pety, Arles, 2013 et 2014.

D’autres publications ont suivi, que nous signalons dans cette notice. Mentionnons tout d’abord le tome premier des Cahiers de Césaire d’Arles, paru en 2020, et tout entier consacré aux œuvres conciliaires. Après un liminaire de Guy-Jean Abel, président de l’association « Aux Sources de la Provence » et une préface de Mgr Christophe Dufour, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles, on y trouve une traduction nouvelle des actes et canons des « conciles de saint Césaire », due à Yves Lefauconnier, à laquelle est jointe celle des Statuta Ecclesiae antiqua (CPL 1776), un recueil de canons compilés entre 476 et 485 par Gennade de Marseille. Suivent quatre contributions à propos de l’activité conciliaire de Césaire : « Commentaires sur le Concile et les Actes d’Orange II, juillet 529 » (Joël Courreau) ; « Apports et réformes de Césaire d’Arles à l’Église universelle » (Dominique Le Tourneau) ; « Césaire d’Arles et le “post-pélagianisme” gaulois » (Jérémy Delmulle) ; « Les suffragants de Césaire d’Arles (502-542). Un jeu de chaises épiscopal » (Marc Heijmans).

L’association « Aux Sources de la Provence » a également entrepris la publication d’une série bilingue, en français et en anglais, intitulée Césaire et les cinq continents/Caesarius and the Five Continents. Il s’agit d’une formule éditoriale hybride, à la fois promotionnelle et scientifique, qui a pour but de présenter diverses facettes de l’œuvre de Césaire d’Arles et de valoriser le patrimoine tardoantique littéraire et archéologique de la Provence. La mention des « cinq continents » évoque le déploiement international de la recherche consacrée à Césaire d’Arles depuis le milieu du xxe siècle et la parution des éditions de Dom Morin. Chacun des quatre fascicules publiés à ce jour, qui constituent autant de volumes du tome I de la série, est préfacé par des représentants du monde civil et ecclésiastique, mais l’essentiel est constitué de contributions d’universitaires et de spécialistes reconnus des Pères de l’Église ou de Césaire d’Arles. De la vingtaine d’articles du volume I (2017), mentionnons les titres suivants : « Saint Césaire dans son temps » (Marie-José Delage) ; « Le culte de saint Césaire en Europe » (Bruno Dumézil) ; « Le Testament de Césaire d’Arles » (William E. Klingshirn) ; « Introduction au traité sur la Trinité » (Dominique Bertrand) ; « Attribuer le Quicumque à Césaire d’Arles » (D. Bertrand) ; « Les ouailles et la société : à qui prêchait Césaire d’Arles ? » (Igor S. Filippov) ; « Pratiques païennes en Arles » (Pierre Audin) ; « Un latin entre “classicisme” et innovations » (Marie-Dominique Joffre) ; « Un innovateur de la vie monastique » (Joseph Grzywaczewski) ; « L’enclos Saint-Césaire d’Arles : une fouille en évolution » (Marc Heijmans).

Le volume II de Césaire et les cinq continents/Caesarius and the Five Continents (2018) s’ouvre par un intéressant rappel historiographique, la réimpression d’un article de Dom Morin, paru en 1938 et intitulé « Comment j’ai fait mon édition de saint Césaire d’Arles ». Parmi les contributions qui suivent, signalons entre autres titres : « Le séjour de Césaire d’Arles en Italie (512-513) » (M.-J. Delage) ; « Introduction au Petit traité de la Grâce » (D. Bertrand) ; « Comment Césaire d’Arles a-t-il compris et vécu la Fraternité ? » (Michel Dujarier) ; « Césaire d’Arles, interprète de Tyconius » (Francesco Tedeschi) ; « Les conciles de Césaire d’Arles » (Luce Pietri) ; « Unum Deum in Trinitate, “Dieu un dans la Trinité”. À propos de la théologie trinitaire dans les Sermons de Césaire d’Arles » (Harald Tripp) ; « La Vita, premier témoin de l’implantation du paludisme en Provence » (Éric Faure) ; « Césaire et “l’île sainte” de Lérins » (Yann Codou).

Le volume III de la même série (2020) est le seul à porter un sous-titre : Hérésie et miracle dans l’œuvre de Césaire d’Arles, et, à l’instar du deuxième, il s’ouvre par la reprise d’un texte de Dom Morin, paru en 1940 : « L’influence de Césaire d’Arles sur la civilisation chrétienne en Europe », que l’on a accompagné d’un article d’Othmar Perler : « Un homme d’exception : Dom Germain Morin (1861-1946) ». De ce qui suit, retenons : « La malice, la magie et la divination dans l’Église d’Arles » (Guillaume Konda) ; « Introduction au Bréviaire contre les hérétiques » (D. Bertrand) ; « Le thaumaturge » (Daniel Vigne) ; « L’Église et les hérésies dans l’Exposé sur l’Apocalypse » (Michel Fédou) ; « Césaire face à la persistance des rites païens » (Bertrand Lançon) ; « Regard sur les notions de miracle et d’exorcisme à l’époque de la Vita Caesarii » (Dominique Le Tourneau) ; « Latin d’évêque et latin de pêcheur : entre régulation et adaptation » (Michel Banniard) ; « La justice de Dieu contre Satan, commentaire du Sermon au peuple XI » (Józef Pochwat) ; « Trésor des reliques de Césaire d’Arles » (Anastasia Ozoline).

Le tome IV, intégralement bilingue (français-anglais), paru en 2021, est consacré aux « influences de saint Augustin ». Après une double préface, l’ouvrage se déploie en cinq sections, dont voici un aperçu du contenu. La première, intitulée « Influences de saint Augustin dans les sermons de Césaire d’Arles », rassemble cinq articles. À la suite de la reprise d’extraits d’une communication de Dom Germain Morin, de 1893, on lira : « À la recherche des motifs augustiniens dans la prédication de Césaire d’Arles » (Pawel Sambor) ; « Césaire, lecteur d’Augustin » (Jérôme Lagouanère) ; « Césaire d’Arles et la doctrine augustinienne de la grâce : lecture du Sermon 59 de Césaire d’Arles » (Pierre Descotes) ; « Dans l’atelier du prédicateur : du Sermon 85 d’Augustin au Sermon 153 de Césaire » (Marie Paulat). La deuxième section, « Influence concernant les règles monastiques[12] », compte deux contributions : « Augustin et Césaire d’Arles, témoins de la tradition monastique » (Sœur Lazare de Seilhac) ; « D’Augustin à Césaire : un fil d’or » (Sœur Maria Kiely). La troisième section, « Grâce divine et libre arbitre humain ; de l’amour », porte sur les débats et controverses théologiques auxquels Césaire fut mêlé : « Césaire d’Arles et le “post-pélagianisme” gaulois » (Jérémy Delmulle) ; « La prédestination, de saint Augustin à Césaire d’Arles. Note additionnelle » (Paul Mattei) ; « L’honneur d’un anathème contre la prédestination au mal. La conclusion des canons d’Orange II (529) » (D. Bertrand) ; « Le concept d’amour, de saint Augustin à Césaire d’Arles » (Francesco Tedeschi) ; « Postface. “Articulation entre amour et grâce” » (Mgr Paul Desfarges). La quatrième section, « Une archéologie témoin de son temps », consiste en une seule contribution : « Saint Augustin d’Hippone. Réalité de la documentation archéologique » (Xavier Delestre). Une cinquième section annonce, entre autres informations, le tome V, qui portera sur les influences des Pères de l’Église dans l’œuvre de Césaire.

Ces quatre volumes de Césaire et les cinq continents/Caesarius and the Five Continents sont un bel exemple d’une publication scientifique qui vise à rejoindre un vaste public. Les articles sont variés et de dimension raisonnable. L’iconographie et la mise en page sont très soignées[13]. Il ne fait pas de doute, et c’est le but et le vœu de l’association « Aux Sources de la Provence », qu’ils contribueront au rayonnement de Césaire d’Arles et de son œuvre au-delà des cercles des érudits et des universitaires. En outre, l’association a accompagné ces publications par une bande dessinée qui met en images les épisodes les plus marquants de la Vita Caesarii[14]. Une initiative qu’on ne peut que saluer !