Recensions

Sebastian Schütze, dir., Friedrich Nietzsche et les artistes du nouveau Weimar. Milan, 5 Continents éditions s.r.l. ; Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, 2019, 119 p.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Université du Québec à Montréal

Ce beau livre paru en coédition italo-canadienne prolonge la magnifique exposition que le Musée des beaux-arts d’Ottawa a consacrée à l’image posthume de Friedrich Nietzsche (1844-1900), du 18 avril au 25 août 2019. L’instigateur et l’auteur principal de ce projet original est le Professeur Dr. Sebastian Schütze, de l’Université de Vienne. Le propos de Friedrich Nietzsche et les artistes du nouveau Weimar porte essentiellement sur la postérité du philosophe, qui a connu une sorte de culte profane après son « effondrement » du 3 janvier 1889 et surtout à la suite de son décès à Weimar, après dix années de mutisme, le 25 août 1900. Cette admiration collective s’est développée progressivement et de diverses manières : bien sûr par les écrits eux-mêmes et leurs rééditions, par la création des archives Nietzsche à Weimar sous la mainmise maladroite de sa sœur Elisabeth Förster-Nietzsche, mais aussi par le travail d’artistes admiratifs comme le Norvégien Edward Munch, qui a réalisé plusieurs dessins et des toiles à l’effigie de Nietzsche au début du xxe siècle (p. 33, 109, 111, 113). Beaucoup de ces portraits — parfois énigmatiques — montrant le philosophe retraité ont ensuite servi de couvertures aux rééditions posthumes de ses livres ; pensons à la traduction française de Ecce Homo. Comment on devient ce que l’on est. La ville de Weimar est alors devenue un lieu de convergence et de « pèlerinages culturels » au début du xxe siècle : non seulement pour des philosophes en herbe et autres penseurs voulant consulter des archives et côtoyer des émules et disciples de l’auteur du Crépuscule des idoles, mais également pour des artistes qui voulaient s’inspirer de sa pensée pour créer une iconographie nietzschéenne, basée sur son image et sa vision dionysiaque du monde. Identifiant un moment-charnière dans l’élaboration de cette postérité, Sebastian Schütze distingue deux phases dans la représentation que les artistes contemporains en ont faite, passant vers 1895 d’un portrait compatissant d’un vieillard affaibli à celui d’un être triomphant : « […] du philosophe malade au héros prophétique de la modernité » (p. 25). Les dizaines de reproductions contenues ici pourraient se ranger selon l’une ou l’autre de ces deux catégories. Les projets non réalisés autour de la mémoire de Nietzsche sont tout autant révélateurs du degré de vénération et des fabulations démesurées de certains membres du premier cercle des Nietzschéens, dans les premières années du xxe siècle. Voici un des exemples donnés par Sebastian Schütze : « [Henry] Van de Velde conçoit une succession d’avant-projets, tous plus ambitieux les uns que les autres, qui aboutissent à un vaste ensemble monumental constitué d’un temple et d’un stade pouvant accueillir plus de 50 000 disciples nietzschéens » (p. 35). Cependant, ce projet pharaonique de stade ne sera jamais amorcé. L’autre chapitre de Friedrich Nietzsche et les artistes du nouveau Weimar est consacré à la réception de quelques écrits de Nietzsche aux États-Unis, chez des intellectuels du xxe siècle comme Walter Kaufmann et Allan Bloom, mais aussi dans une frange alternative (presque underground) de la culture de masse américaine (p. 47). Avant d’identifier quelques penseurs nord-américains ayant été influencés par les œuvres de Nietzsche, Jennifer Ratner-Rosenhagen (de l’Université du Wisconsin) rappelle pertinemment le mouvement inverse à partir d’un exemple bien connu. Préconisant une comparaison qui pourrait s’apparenter aux Études atlantiques, on revient sur l’intérêt du jeune Nietzsche pour certains écrits du philosophe américain Ralph Waldo Emerson (1803-1882), auteur d’un essai sur La conduite de la vie ; mais le propos de ce chapitre dont l’intitulé évoque très largement « le Nouveau monde » se concentre en fait …

Parties annexes