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Peut-on parler de « philosophie chinoise » ? Existe-t-il dans l’histoire intellectuelle de la Chine un phénomène identifiable à de la philosophie ? Si oui, quelles en sont les spécificités ? Quels sont les textes et les auteurs susceptibles d’entrer dans cette catégorie ? Si non, quelles raisons avancer pour cette exclusion ? Comme le rappelle Anne Cheng, ce fut Victor Cousin (1792-1867) qui, lors de sa leçon du 24 avril 1828 en Sorbonne, souleva la question de savoir s’il y avait eu ou non de la philosophie en Orient[1]. Depuis lors, cette interrogation a souvent été reprise et reformulée. L’identité et la légitimité de ce qui est aujourd’hui désigné en chinois par le terme zhexue 哲學 (un néologisme calqué sur un mot créé au Japon et introduit en Chine à la fin du xixe siècle : tetsugaku, « étude de la sagesse ») ont alimenté de nombreuses discussions : de la relecture de l’histoire intellectuelle de leur pays par des intellectuels tels que Xie Wuliang 謝無量 (1884-1964), Hu Shi 胡適 (1891-1962) et Feng Youlan 馮友蘭 (1895-1990)[2], à l’élaboration de systèmes philosophiques s’efforçant d’intégrer les héritages des traditions chinoises et occidentales — telle est notamment l’ambition de Mou Zongsan 牟宗三 (1909-1995), figure de proue du néo-confucianisme contemporain[3] — jusqu’à la question du statut et de la reconnaissance des universitaires officiellement désignés comme des « philosophes » (zhexuejia 哲學家), la philosophie chinoise, de même que la philosophie en Chine, pose question[4].
Formulées comme telles, les questions « existe-t-il une philosophie chinoise ? » et « qu’est-ce que la philosophie chinoise ? » semblent déboucher sur une aporie, au sens qu’Aristote donne à cet état dans les Topiques, à savoir l’incapacité de trancher face à des raisonnements opposés, l’un et l’autre étant également puissants[5]. Aussi Joël Thoraval a-t-il bien indiqué que, face à ces questions, deux propositions contradictoires s’affrontent sur fond d’un certain sentiment d’évidence : « […] évidemment oui, il existe une philosophie chinoise ; évidemment non, il n’existe pas de philosophie chinoise[6] ».
Force est de reconnaître en effet que, d’une part, c’est en Grèce que la « philosophie » fut désignée comme telle, que cette activité ainsi que les spécificités de son discours et de ceux qui s’y adonnent (les philosophoi) furent pris comme objets de réflexions et de débats. Dans ce contexte, des auteurs tels que Platon, et Aristote après lui, s’efforcèrent d’établir et de circonscrire la pratique intellectuelle et discursive qui devait porter le nom de philosophie. Cette pratique fut ainsi esquissée en vis-à-vis, en partenariat ou en opposition à d’autres usages du discours, tels que la dialectique, la rhétorique, la sophistique, ou l’éristique[7]. À ce titre, bien que cette activité prit diverses formes, que la définition même de la philosophia put (et peut encore) considérablement varier, et compte tenu du fait que cette pratique se répandit bien au-delà de la Grèce, ce phénomène n’atteignit la Chine qu’à l’extrême fin du xixe siècle. Ainsi, les figures que sont traditionnellement les « maîtres » (zi 子, ou zhuzi 諸子), parmi lesquels Kongzi 孔子 (Confucius ; dates traditionnelles 551-479 aec), Laozi 老子 (figure légendaire supposément contemporaine de Confucius), ou encore Zhuangzi 莊子 (d.e. 370-300 aec), ne peuvent être simplement superposées à ce que furent les philosophoi. L’emploi du terme zhexue pour qualifier les textes et les idées dont ces maîtres sont dits être à l’origine revient à leur appliquer rétrospectivement une catégorie qui leur est étrangère[8]. Toutefois, d’autre part, force est aussi de constater que l’histoire intellectuelle chinoise ne manque pas de réflexions fondamentales originales et puissantes, dont bien des avatars n’ont rien à envier à la tradition philosophique occidentale. Ce faisant, nier la valeur de la tradition chinoise sur la scène de la philosophie pourrait bien signifier l’exclusion d’acteurs pourtant tout à fait qualifiés. Dans cette perspective, nombreux seraient les textes, les débats et les idées de la Chine ancienne et classique à pouvoir être, au moins dans un but heuristique, qualifiés de « philosophiques ».
À ce jour, le débat demeure ouvert. De surcroît, le caractère non résolu de la question semble aller de pair avec un certain enlisement de la discussion. Il règne aujourd’hui une forme de statu quo. D’une part, les professeurs d’universités en Chine, à Taiwan, ou ailleurs dans le monde sinophone, dispensent au sein des départements de philosophie (zhexue xi 哲學系) des cours sur Confucius, Mengzi 孟子 (d.e. 380-289 aec) ou Xunzi 荀子 (iiie siècle aec), sur le Daodejing 道德經 de Laozi, sur le courant dit de l’étude du mystère (xuanxue 玄學), qui fleurit entre le iiie et le vie siècle ec, ou encore sur Zhu Xi 朱熹 (1130-1200 ec) et le courant de l’« étude des principes » (lixue 理學). Paraissent aussi des livres, au demeurant parfois d’une grande qualité scientifique, portant par exemple sur la philosophie de Zhuangzi ou du Classique des changements (Yijing 易經)[9]. D’autre part, le monde académique et scientifique anglo-saxon se montre enclin à parler de « Chinese philosophy », incluant dans cette catégorie aussi bien les productions des penseurs chinois depuis la fin du xixe siècle, que les textes les plus anciens[10]. Il n’est alors pas rare de voir certains chercheurs témoigner, avec plus ou moins de nuances et de subtilité, d’une certaine largesse dans l’emploi des termes, des concepts et des catégories philosophiques[11]. D’autre part, encore, une certaine prudence et une réserve caractérisent plutôt les milieux universitaires européens, particulièrement francophones. L’étiquette « pensée chinoise » est alors souvent préférée à celle de « philosophie ». Ainsi l’embarras que peut susciter l’emploi de ce dernier mot est-il, au moins temporairement, neutralisé, sans pour autant que soit nié le fait que, comme le défend Anne Cheng, fut élaboré en Chine, dès l’Antiquité, « un langage qui […] constitue un superbe instrument, merveilleusement affûté, pénétrant tous les interstices de la réalité et épousant à merveille les subtilités de la pensée[12] ».
Face à cette relative inertie du débat (laquelle découle, à n’en pas douter, de la complexité de la question et de ses multiples ramifications), certains ont cherché à explorer d’autres voies. Geoffrey Lloyd, notamment, insiste sur le fait qu’il est possible de déplacer la problématique. Aussi, il soutient que la question de l’existence d’une philosophie chinoise doit être relayée au rang de question subsidiaire. Lloyd, dont les arguments sont en quelque sorte amplifiés par la présentation qu’en donne Anne Cheng, défend l’idée que, mise à l’avant-plan, cette question représente un obstacle épistémologique majeur pour quiconque entendrait interroger la valeur philosophique des textes et des réflexions des penseurs chinois : comme telle, cette question risque d’entraver la recherche avant même son commencement[13]. Faire passer la question de l’existence d’une philosophie chinoise à l’arrière-plan, telle est très concrètement la proposition de Lloyd : en établissant le fait que, mutatis mutandis, de nombreux domaines couverts par ce que les Grecs ont appelé philosophia (en ce compris l’éthique, la politique, le langage, la logique, l’épistémologie, l’ontologie et la cosmologie) sont bel et bien traités dans les sources chinoises anciennes et classiques, il devient possible de mettre l’accent sur les formes spécifiques que prirent en Chine des telles considérations[14]. La question ne serait donc plus de savoir s’il existe ou non quelque « équivalent chinois » à telle ou telle partie de la philosophie, ou même à la philosophie en général — à supposer qu’une idée suffisamment claire et unifiante de ce qui « compte comme de la philosophie » puisse être circonscrite[15]. En substance, ce que suggère Lloyd, c’est de considérer les textes, les débats, les idées qui y sont élaborées et défendues, mais aussi leur contexte de production et les enjeux qui les motivent, et ce afin de déterminer non pas s’il s’agit de « philosophie », mais plutôt quels peuvent être leur valeur et leur intérêt d’un point de vue philosophique[16]. Pour le dire autrement, c’est en considérant les textes chinois dans leur volume propre, pour reprendre une formule foucaldienne[17], qu’il s’agit de mener avec eux une réflexion philosophique.
Un tel déplacement de la question nous semble non seulement possible, mais de surcroît hautement souhaitable. Plutôt que de nous interroger quant à l’existence de la philosophie chinoise (y a-t-il une philosophie chinoise ?), question qui peut facilement être reprise sous le signe de la catégorie de l’être (qu’est-ce que la philosophie chinoise ?), ce numéro prend le parti d’un questionnement à l’aune de la catégorie du lieu : où se trouve la philosophie chinoise ? Quels sont les lieux où s’exprime la pensée dans la tradition intellectuelle chinoise ? Par « lieux », entendons ici les formes et les genres textuels, les figures rhétoriques ou littéraires, ainsi que les domaines de la pensée et les problèmes qu’il s’agit de réfléchir. Comme le souligne Lloyd, les penseurs et lettrés chinois produisirent en abondance des réflexions touchant à des domaines traditionnellement attachés à la philosophie. Toutefois, comme nous l’indiquions plus haut, ces réflexions ne furent pas rassemblées dans le champ d’une pratique discursive définie. Elles ne furent pas non plus exprimées au moyen de quelques genres littéraires jugés plus adéquats que d’autres. Le philosophe désireux d’étudier les textes chinois ne se trouve pas face à un corpus strictement délimité[18]. Aussi, « il n’y a pas en Chine un discours spécifique à la pensée », comme l’a suggéré Alain Arrault ; bien plutôt, « celle-ci est à cheval sur plusieurs discursivités[19] ».
C’est à l’exploration de certaines de ces discursivités et de leurs manières de produire du sens que sont consacrés les articles rassemblés ici. La contribution d’Andrea Bréard montre notamment que l’élaboration d’abstractions mathématiques (dont la Chine aurait soi-disant été incapable[20]) et les réflexions quant aux objets que manient les mathématiciens se logent dans les marges des ouvrages techniques et dans les diagrammes qui accompagnent les corpus mathématiques. De même, l’absence dans le corpus classique d’un organon bien défini ne doit pas faire passer la « fascination » de certains anciens penseurs chinois pour le langage et ses problèmes[21] pour un goût exacerbé des sophismes et des paradoxes. C’est ce que montre Monique Demarle-Casadebaig, en suivant les articulations d’une pensée logique rigoureuse et originale dans ce qu’il reste des dialogues de Gongsun Long 公孫龍 (d.e. 320-250 aec). Par ailleurs, si, comme l’avait suggéré Feng Youlan, au lecteur coutumier des classiques de la philosophie occidentale, les textes chinois apparaîtront désarticulés, voire inconsistants, ce jugement, précise encore Feng, ne peut être maintenu dès lors que l’on considère la concision et l’économie dont font preuve les maîtres chinois comme les vecteurs d’une force de suggestion et d’allusion où se loge précisément leur valeur philosophique[22]. Sans qu’il soit besoin d’adhérer à l’opinion de Feng — selon laquelle le caractère allusif des textes chinois serait la marque par excellence de leur « sinité », en même temps que ce caractère les rend virtuellement intraduisibles dans ce qu’ils ont de plus philosophique[23] —, il faudra chercher la force de persuasion et la cohérence du contenu des textes chinois ailleurs que dans la consistance des arguments, dans la rationalité des démonstrations, ou dans l’enchaînement rigoureux des propositions. En effet, la force et la cohérence de ces textes se logent aussi dans les figures de style et émergent de descriptions destinées à frapper l’imagination du lecteur, stimulant ainsi l’adhésion aux idées en recourant aux ressorts de la visualisation. Ce sont des mécanismes de ce type qu’Anna Ghiglione étudie dans le Mozi 墨子, un corpus aux multiples strates de composition qui rassemble les enseignements de Mo Di 墨翟 (ve-ive siècles aec) et de ses émules. Dans d’autres cas, c’est la structure même du texte qui est mise à contribution pour en élaborer la cohérence et véhiculer une partie de sa signification, celle-ci soutenant et renforçant celles-là. Les stratégies structurelles et « extra-logiques » par lesquelles les textes chinois produisent et déploient du sens sont depuis plusieurs décennies l’objet d’une attention soutenue de la part des sinologues[24]. C’est dans le prolongement de ces travaux que se situe l’étude que Flaminia Pischedda fait du Grand commentaire (Xici zhuan 繫辭傳, ou simplement Dazhuan 大傳) au Classique des changements. Plus haut, nous disions aussi que le corpus des textes chinois porteur d’un potentiel philosophique n’est pas clairement délimité. Ainsi, les réflexions chinoises sur le cosmos, sur la nature et sur la place que l’homme y occupe ne sont pas à chercher seulement dans les classiques (jing 經) ou dans le corpus traditionnellement attaché aux maîtres : elles peuvent tout aussi accompagner des considérations esthétiques ou techniques relatives à l’usage du pinceau. C’est ce qu’explore la contribution de Raphaël Van Daele, qui entend souligner la cohérence de la notion de ziran 自然 (terme sur lequel est construite l’expression moderne qui signifie « nature » : daziran 大自然) au travers de son emploi dans la littérature théorique sur l’art et chez Guo Xiang 郭象 († 312 ec), commentateur et éditeur du Zhuangzi. Enfin, adoptant une perspective d’anthropologue, Françoise Lauwaert aborde la question complexe des rites et de la ritualité. Son article souligne l’entrelacement de conceptions cosmologiques, politiques et morales dans les réflexions des anciens chinois quant au pouvoir et à la fonction des rites. Elle indique ainsi les tensions qui émergent de l’écart entre la théorisation du système rituel, supposé garantir un « ordre parfait », et sa mise en application.
D’autres champs de la réflexion et d’autres types de textes auraient pu servir de terrain à la présente exploration. Nous songeons notamment aux manuscrits mis au jour par les découvertes archéologiques qui, depuis bientôt un demi-siècle, contribuent à modifier profondément l’études de la pensée chinoise ancienne[25]. L’écriture poétique mériterait aussi sa place dans un panorama des formes de l’expression philosophique chinoise. La poésie, en effet, jouit en Chine, depuis l’Antiquité et encore aujourd’hui, d’une importante charge symbolique. Aussi est-elle un lieu privilégié de la pensée spéculative[26]. Enfin, pensons encore, par exemple, aux lettres que s’échangeaient les lettrés et dans lesquelles ils ne manquèrent pas de controverser sur nombre de questions dont les enjeux paraissent clairement philosophiques[27].
En multipliant les fenêtres sur la pensée chinoise et en invitant des spécialistes de divers aspects de cette civilisation à déployer la profondeur et la richesse spéculative de certaines de ses productions intellectuelles, ce numéro entend contribuer à une reprise du dossier de la place de la Chine dans la philosophie, tout en abordant cette question sous un angle différent. Au pluralisme des méthodes recommandé à juste titre par certains chercheurs désireux de faire de la philosophie avec les textes chinois[28] s’ajoutera ici un pluralisme des lieux d’exploration. Ce double pluralisme est sous-tendu par la volonté de n’amputer ni la rigueur sinologique, qui doit garantir que les textes soient effectivement abordés dans leur volume propre, ni la prudence exégétique qui devrait caractériser une démarche philosophique traitant avec des matériaux aussi divers. Aussi espérons-nous que le lecteur, qu’il soit philosophe ou sinologue (ou les deux à la fois), trouvera dans ces contributions autant d’invitations à (re)considérer la pertinence de la pensée chinoise pour la réflexion philosophique.
Parties annexes
Notes
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[1]
Anne Cheng, « “Y a-t-il une philosophie chinoise ?” : est-ce une bonne question ? », Extrême-Orient Extrême-Occident, 27 (2005), p. 5.
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[2]
Tous trois s’efforcèrent de relire leur tradition à l’aune des catégories philosophiques venues d’Occident et de construire, pour la Chine, une histoire de la philosophie comparable à ce qui se trouvait en Occident. Le Précis d’histoire de la philosophie chinoise (Zhongguo zhexue shi da gang 中國哲學史大綱) de Hu Shi et l’Histoire de la philosophie chinoise (Zhongguo zhexue shi 中國哲學史) de Feng Youlan furent particulièrement influents. L’Histoire de Feng, notamment, est régulièrement republiée. Cette oeuvre fut rendue accessible au lectorat occidental par la traduction anglaise de Derk Bodde, A History of Chinese Philosophy, Princeton, Princeton University Press, 1953, et par une version abrégée rédigée en anglais par Feng lui-même, A Short History of Chinese Philosophy, New York, The Free Press, 2017 (1re éd. 1947). L’abrégé fut aussi traduit en français : Guillaume Dunstheimer, Précis d’histoire de la philosophie chinoise, Aix en Provence, Éditions le Mail, 1985 (1re éd. 1952).
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[3]
À ce jour, peu d’oeuvres de Mou Zongsan sont accessibles au lectorat non sinisant. Cf. néanmoins Mou Zongsan, Nineteen Lectures on Chinese Philosophy, trad. angl. Esther C. Su, San Jose, Foundation for the Study of Chinese Philosophy and Culture, 2015 ; et Id., Spécificités de la philosophie chinoise, trad. fr. Ivan Kamenarovic, Jean-Claude Pastor, Paris, Cerf, 2003 (cf. aussi le compte rendu de cet ouvrage par Sébastien Billioud, dans Études chinoises, 23 [2004], p. 468-475).
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[4]
Sans prétendre à l’exhaustivité sur ces questions complexes, nous renvoyons le lecteur à Anne Cheng, « Les tribulations de la “philosophie chinoise” en Chine », dans La pensée en Chine aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2007, p. 159-184 ; Joël Thoraval, « Quelques remarques sur le philosophique et le non-philosophique vus par un anthropologue », Ebisu, 37 (2007), p. 47-70 ; Id., « De la philosophie en Chine à la “Chine” dans la philosophie : Existe-t-il une philosophie chinoise ? », Esprit, 201, 5 (1994), p. 5-38 ; Carine Defoort, « Is “Chinese Philosophy” a Proper Name ? », Philosophy East and West, 56, 4 (2006), p. 625-660. Cf. encore les articles rassemblés dans le no 27 de la revue Extrême-Orient Extrême-Occident, paru en 2005. Dirigé par Anne Cheng, ce numéro spécial compile certains des meilleurs travaux sur ces questions. Mentionnons encore l’article de Wu Xiao-ming, « Philosophy, Philosophia, and Zhe-Xue », Philosophy East and West, 48, 3 (1998), p. 406-452, qui soulève la question d’une évaluation critique des perspectives de Hegel, Husserl, Heidegger et Feng Youlan quant au devenir historique de la philosophie dans sa confrontation à son autre.
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[5]
Cf. Topiques, VI, 6, 145b16-20.
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[6]
J. Thoraval, « De la philosophie en Chine à la “Chine” dans la philosophie », p. 5. Un constat similaire est posé par Carine Defoort, « Existe-t-il une philosophie chinoise ? Typologie des arguments d’un débat largement implicite », Extrême-Orient Extrême-Occident, 27 (2005), p. 82, qui indique de surcroît que « la fixation sur cette argumentation et sa poursuite à l’infini ont pour conséquence fâcheuse de détourner l’attention de quelque chose de toute autre : la sensibilité qui entoure cette problématique et l’impuissance des arguments respectifs à emporter la décision ».
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[7]
L’introduction du livre de Sylvain Delcomminette, Geneviève Lachance, éd., L’Éristique. Définition, caractérisation et historicité, Bruxelles, Ousia, 2021, p. 7-21, souligne bien le fait que les frontières entre ces différentes pratiques du logos ont pu être poreuses et sujettes à débats aux ve-ive siècles aec.
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[8]
Cf. sur ce point la discussion toute en nuances dans C. Defoort, « Existe-t-il une philosophie chinoise ? ».
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[9]
Cf. par exemple Wang Bo 王博, Zhuangzi zhuexue 莊子哲學 (La philosophie de Zhuangzi), Pékin, Beijing daxue chubanshe, 2013 ; ou la somme de Zhu Bokun 朱伯崑, Yi xue zhexue shi 易學哲學史 (Histoire de la philosophie des études sur le Classique des changements), 4 vol., Pékin, Kunlun chubanshe, 2005 (1re éd. 1986).
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[10]
En cela, les Anglo-saxons suivent, consciemment ou non, le modèle prévalant en Chine continentale. Par l’effet de reconstruction porté par des figures telles que Hu Shi et Feng Youlan, c’est toute la tradition qui peut sans distinction être incluse dans la catégorie zhexue. Au Japon, au contraire, tetsugaku ne s’applique qu’à la tradition philosophique occidentale et à la philosophie japonaise développée à partir du xxe siècle, par suite de l’influence occidentale. La tradition antérieure à l’époque Meiji 明治 (1868-1912), ainsi que celle de la Chine classique, sont quant à elles désignées par le mot shisō 思想, « pensée », un mot qui pourtant a bien un cousin chinois : sixiang (écrit avec les mêmes caractères). Cf. à ce sujet J. Thoraval, « Quelques remarques sur le philosophique et le non-philosophique vus par un anthropologue », p. 52-54.
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[11]
Songeons par exemple au très ambitieux podcast de Peter Adamson, « History of Philosophy Without any Gaps », qui n’hésite pas à inclure l’Inde, l’Afrique et bientôt la Chine dans un vaste tableau de ce que la page d’accueil décrit comme « la tradition » philosophique. Plus spécifiquement, l’introduction de Paul R. Goldin, The Art of Chinese Philosophy, Princeton, Princeton University Press, 2020, expose remarquablement la nature et les conditions de l’étude de ce qu’il définit comme des « classical Chinese philosophical texts » (ibid., p. 1), sans pourtant questionner cette étiquette, ni faire référence au débat dont elle a pu faire l’objet. Cf. encore Bo Mou, « On Some Methodological Issues Concerning Chinese Philosophy : An Introduction », dans Routledge History of World Philosophies. Volume 3 : History of Chinese Philosophy, New York, Routledge, 2009, p. 2-3, qui, afin de justifier le titre de ce volume, en appelle à une caractérisation très générale de la philosophie.
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[12]
Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 33.
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[13]
Cf. Geoffrey E.R. Lloyd, « “Philosophy” : What Did the Greeks Invent and Is It Relevant to China ? », Extrême-Orient, Extrême-Occident, 27 (2005), p. 149-159 ; et Anne Cheng, « “Y a-t-il une philosophie chinoise ?” », p. 5-12.
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[14]
G.E.R. Lloyd, « “Philosophy” », p. 157. Cf. aussi son Adversaries and Authorities. Investigations into Ancient Greek and Chinese Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, chap. 1, en particulier p. 5-9.
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[15]
Lloyd plaide pour une perspective qui tiendrait compte du « pluralisme des traditions philosophiques ». En cela, il rappelle la variété des formes qu’a pu prendre la philosophie en Grèce et défend une approche historienne des phénomènes intellectuels. Cf. notamment Geoffrey E.R. Lloyd, The Delusions of Invulnerability. Wisdom and Morality in Ancient Greece, China and Today, Londres, Bloomsbury, 2005. À notre sens, la diversité des formes de la philosophie ne contredit en rien la mise en avant du fait que ce fut en Grèce que cette activité reçut son nom et fut, au prix d’efforts réflexifs et orientés vers une mise en débat, circonscrite.
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[16]
C’est également nous semble-t-il en ce sens que peut être comprise la proposition de J. Thoraval, « De la philosophie en Chine à la “Chine” dans la philosophie », p. 35. Cf. aussi les réflexions et propositions d’Anne Cheng dans sa leçon inaugurale au Collège de France : Anne Cheng, La Chine pense-t-elle ?, Paris, Collège de France, Fayard, 2008.
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[17]
Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 182.
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[18]
Cf. Michael Nylan, « Academic Silos, or “What I Wish Philosophers Knew about Early History in China” », dans Sor-hoon Tan, éd., The Bloomsbury Research Handbook of Chinese Philosophy Methodologies, Londres, Bloomsbury, p. 107, n. 6 ; A. Cheng, Histoire de la pensée chinoise, p. 32-33.
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[19]
Alain Arrault, Shao Yong (1012-1077) : poète et cosmologue, Paris, Collège de France, 2002, p. 43. Cf. également Dirk Meyer, « Truth Claim with no Claim to Truth : Text and Performance of the “Qiushui” Chapter of the Zhuangzi », dans Id., Joachim Gentz, éd., Literary Forms of Argument in Early China, Leiden, Brill, 2015, p. 298, n. 3, qui s’appuie sur les arguments de Lloyd pour souligner « le caractère polymorphe de l’activité philosophique en Chine ancienne » (the polymorphous nature of philosophizing in early China).
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[20]
Une idée soutenue notamment par Homer H. Dubs, « The Failure of Chinese to produce Philosophical Systems », T’oung Pao, 26, 1 (1929), p. 96-109. Pour une histoire et une déconstruction de l’idée selon laquelle la pensée abstraite serait étrangère à la tradition chinoise, cf. Anna Ghiglione, La pensée chinoise ancienne et l’abstraction, Paris, You-Feng, 2000.
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[21]
A. Cheng, Histoire de la pensée chinoise, p. 143.
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[22]
Cf. Feng Youlan, Précis d’histoire de la philosophie chinoise, p. 32-35 (p. 11-14 de l’original anglais). Cf. aussi l’article de Donald Holzman, « The Conversational Tradition in Chinese Philosophy », Philosophy East and West, 6, 3 (1956), p. 223-230, qui lie le caractère concis et allusif de certains textes chinois à la forme conversationnelle qu’a pu prendre la pensée chinoise et à la volonté des rédacteurs de ces textes de saisir, en dehors de toute systématisation, la vie des propos des maîtres.
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[23]
Wu Xiao-ming, « Philosophy, Philosophia, and Zhe-Xue », p. 434-436.
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[24]
Pour une perspective générale sur cette question, ainsi que des références en dehors de la sinologie, cf. l’introduction de Joachim Gentz et Dirk Meyer à Literary Forms of Argument in Early China. Pour des études portant spécifiquement sur des textes « philosophiques », cf. Benoît Vermander, Comment lire les classiques chinois ?, Paris, Les Belles Lettres, 2022, en particulier les chap. V et VI ; D. Meyer, « Truth Claim with no Claim to Truth », en particulier les analyses développées p. 319-326 ; et Id., Philosophy on Bamboo : Text and the Production of Meaning in Early China, Leiden, Brill, 2012 ; Rudolf G. Wagner, The Craft of a Chinese Commentator : Wang Bi on the Laozi, Albany, State University of New York Press, 2000, chap. 3 ; et Id., « Interlocking Parallel Style : Laozi and Wang Bi », Études Asiatiques, 34, 1 (1980), p. 18-58.
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[25]
Sur plusieurs de ces textes, cf. les études rassemblées dans Shirley Chan, éd., Dao Companion to the Excavated Guodian Bamboo Manuscripts, New York, Springer, 2019. Pour une perspective d’ensemble quant à l’impact de ces découvertes, cf. Edward Shaughnessy, Rewriting Early Chinese Texts, Albany, States University of New York Press, 2016. Cf. encore D. Meyer, Philosophy on Bamboo.
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[26]
C’est ce que faisait déjà remarquer A. Arrault, Shao Yong, p. 42-43. Dans une conférence intitulée « Faut-il déconstruire le corpus des classiques de la pensée chinoise ? », prononcée à l’Université Libre de Bruxelles le 18 octobre 2018, Nicolas Zufferey explore le potentiel philosophique de la poésie classique chinoise. Comme le souligne Martin Kern, « Early Chinese Literature, Beginnings Through Western Han », dans Kang-I Sun Chang, Stephen Owen, éd., The Cambridge History of Chinese Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 69, le rôle central de la poésie dans la littérature chinoise est en grande partie dû à Confucius. Stephen Owen, « Poetry in the Chinese Tradition », dans Paul S. Ropp, éd., Heritage of China. Contemporary Perspectives on Chinese Civilization, Berkeley, University of California Press, 1990, p. 294, fait encore la remarque suivante : « In Chinese civilization poetry has been and remains an important part of the way in which the Chinese have understood themselves and their past ».
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[27]
Sur ce point, on lira avec profit l’étude et la traduction de la correspondance entre Zhu Xi et Lu Jiuyuan 陸九淵 (1139-1193) : Une controverse lettrée. Correspondance philosophique sur le Taiji, trad. fr. Guillaume Dutournier, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
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[28]
Cf. Sor-hoon Tan, « Why Methodology Matters », dans The Bloomsbury Research Handbook of Chinese Philosophy Methodologies, p. 8-12.