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Ce livre est le fruit d’une journée d’étude organisée par Jean-François Laniel et Jean-Philippe Perreault, tenue les 21 et 22 novembre 2019 à l’Université Laval. Les contributions avaient l’objectif de mettre en relief une religiosité qui tend souvent à être une forme impensée des débats sur la laïcité. Sur les treize communications de l’événement, huit figurent dans le présent collectif.
Jean-François Laniel et Jean-Philippe Perreault sont les directeurs de l’ouvrage. Laniel est professeur adjoint à la Faculté de sociologie de l’Université Laval. Il se spécialise dans les liens entre la tradition et la modernité et entre l’Église et l’État au Québec, au Canada français et au sein des petites nations. Perreault est titulaire de la Chaire de leadership en enseignement - Jeunes et religions, et professeur agrégé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Il se spécialise sur la jeunesse et les recompositions religieuses contemporaines.
Les articles sont répartis en trois parties. La première s’intitule « La laïcité québécoise : analyses qualitatives et quantitatives » et est composée de deux chapitres. La deuxième section, « La laïcité québécoise : analyses sociohistoriques et comparées », présente en trois contributions différents aspects sociohistoriques de la laïcité québécoise et basque. La troisième partie, « La laïcité québécoise : médiations et transactions socioreligieuses », regroupe trois contributions qui examinent, par des études de cas, l’oeuvre concrète de la laïcité dans différents milieux. Le livre se termine par un épilogue de Raymond Lemieux.
Le premier texte de l’ouvrage est signé par Stéphanie Tremblay, professeure à l’UQAM et aborde les liens entre la place du catholicisme au sein de trajectoires biographiques et la compréhension de la laïcité. C’est par l’analyse préliminaire de 41 entretiens semi-dirigés que Tremblay parvient à percevoir des échelles de valeurs qui traduisent l’appréhension du religieux autant dans la vie intime que collective. É.-Marin Meunier, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire Québec, francophonie canadienne et mutations culturelles, et Jacob Legault-Leclair, étudiant au doctorat en sociologie à l’Université de Waterloo, traitent, dans leur article, de l’appui des Québécois aux mesures de la loi 21. Ils ont l’objectif de mettre en lumière les liens complexes entre religion et politique ainsi qu’entre catholicisme et laïcité. Leur analyse soulève quatre fractures — la langue, le lieu de résidence, l’appartenance au catholicisme et l’âge — qui apparaissent au sein de la société vis-à-vis de l’adhésion à la loi 21.
Martin Roy, chercheur indépendant, débute la deuxième partie de l’ouvrage avec un texte portant sur les rapports entre le néo-intégralisme des catholiques de gauche de la revue Maintenant durant les années 1964-1968 et le modèle de laïcité qu’ils ont pu défendre dans la seconde moitié des années 1960. L’auteur montre comment ces intellectuels catholiques ont pu amorcer du changement dans la continuité, ce qui, chemin faisant, a permis de transformer la conscience catholique sans, toutefois, renier complètement leur christianité. Jean-François Laniel, explore le rapport des Québécois francophones au catholicisme et à la religion et, du même coup, à la laïcité qui les encadre. Dans son approche sociologique, il aborde la particularité et la complexité du cas québécois qui se forme de paradoxes et d’ambiguïtés. Le Québec est marqué par la religiosité catholique tout en nourrissant le désir de s’en écarter. Laniel sous-tend que le parcours québécois de sécularisation pousse à réfléchir sur une sociologie de la sécularisation qui s’extirpe du carcan linéaire, univoque et universel en étant, plutôt, ouverte, pluridirectionnelle et éventuelle. De son côté, Xabier Itçaina, directeur de recherche au CNRS et chercheur associé à l’Université du Pays basque, propose une approche comparative entre la laïcité québécoise et basque. Dans son article, l’auteur aborde les changements contemporains dans les registres d’intervention de l’Église catholique dans la sphère publique en Pays basque. Il en ressort des médiations catholiques discrètes qui sont le résultat de la sécularisation et qui réinventent la religion culturelle au prisme de l’engagement social.
Guy Jobin, professeur de théologie morale et d’éthique de l’Université Laval, entame la troisième partie de l’ouvrage avec un article portant sur la spiritualité dans les établissements de soins de santé au Québec. Dans un milieu largement mené par la biomédecine, les questions de sens n’ont pas été évacuées et surgissent de manière continue dans les relations de soins. David Koussens, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche Droit, religion et laïcité, et Loïc Bizeul, candidat au doctorat au Centre d’études du religieux contemporain de l’Université de Sherbrooke, signent le texte suivant sur la paroisse Saint-Pierre-Apôtre, une paroisse ayant une grande visibilité au sein de la communauté LGBT. S’appuyant sur des entrevues semi-directives menées sur une période de 13 ans, l’article met en lumière les tensions soulevées par une laïcité qui se veut inclusive, notamment au niveau de la diversité ethnoculturelle, mais qui vient confronter l’inclusivité identitaire de la paroisse. Céline Philippe analyse, dans sa contribution, la représentation du religieux dans les oeuvres Maria Chapdelaine, de Louis Hémon, Menaud, maître-draveur, de Félix-Antoine Savard, et L’amélanchier, de Jacques Ferron. Elle en ressort une trame commune qui soulève des liens entre le catholicisme, la famille et la nation. Le catholicisme s’y présente comme l’élément qui permet de comprendre comment les Canadiens français ont envisagé leur destin dans la durée.
Raymond Lemieux signe l’épilogue de cet ouvrage. Il y expose une réflexion sur ce qu’il nomme la « loi de la quête », un concept dans lequel s’explique la recherche de sens des humains. Si religions et religiosités ne sont en réalité qu’une réponse, pour l’humain, de chercher un mieux-être en dépassant ses conditions actuelles d’existence, c’est cette « loi de la quête » qui les met en action. À l’aide de ce concept, Lemieux démontre que le religieux et le séculier se rejoignent, et ce, même si ces formes tentent parfois de s’ignorer.
La valeur de l’ouvrage dirigé par Laniel et Perreault réside dans son questionnement sur la manière dont la religiosité configure la compréhension de la laïcité. Cette exploration des liens entre religiosité et laïcité permet d’entrevoir de nombreuses relations complexes et, parfois, opposées. De fait, les différentes contributions permettent de tracer les contours d’une laïcité qui se construit d’après la perception qu’en ont les individus, perception se trouvant être teintée par la religiosité de ceux-ci. En outre, l’ouvrage pose un regard sur les différents débats soulevés par la laïcité au Québec, et ce, même s’il se concentre plus sur la religiosité des catholiques québécois que sur la religiosité des Québécois. Néanmoins, il ouvre la porte à des travaux futurs portant sur cette question et qui permettrait, à terme, d’esquisser un portrait global des relations entre les différentes religiosités québécoises et la laïcité.
