Les limites de l’hospitalité et la géographie suisse : l’exemple de Julie ou La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau[Notice]

  • Antonio Viselli

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  • Antonio Viselli
    University of Toronto

Penser l’altérité est à la base du fondement de la socialisation et de la subjectivité moderne. Dans le cadre de l’intersubjectivité, l’autre, le tout Autre est à la fois celui contre qui le « je » se confronte et se définit, ainsi que celui qui dévoile l’autre qui est en soi. L’hospitalité s’inscrit dans ce discours philosophique qu’est l’altérité, cependant délimitant les frontières et le lieu d’accueil ou de transgression : le « chez soi », la propriété dite privée, l’extérieur de l’intérieur. Accueillir un invité, accommoder un passant, voyageur ou vagabond, accepter l’intrus : voici les circonstances de l’hospitalité et voici également les possibilités qui permettent d’interroger le processus de la socialisation des êtres selon les écrits de Rousseau. À la lumière de la théorie sur l’hospitalité selon Derrida, ce travail, prenant comme point de départ la « Lettre XXIII » dans Julie ou La Nouvelle Héloïse, se veut à la fois transtextuel, intertextuel et intratextuel, combinant le Don Quichotte de Cervantès revisité par Rousseau et la théorie du social dans d’autres textes de Rousseau. C’est par le truchement d’un dialogue synchronique entre les oeuvres mêmes de Rousseau, en particulier avec Les dialogues, et d’une conversation diachronique avec Derrida et la critique subséquente, que l’on analysera la manifestation de l’hospitalité dans la « Lettre XXIII » et l’intérêt de repenser la sociabilité de l’être selon ce paradigme. Dans sa forme la plus courante, l’hospitalité se définit encore au xviiie siècle comme l’action propre à recevoir chez soi un invité ou un inconnu, à le nourrir et à le loger gratuitement. Les conditions de l’hospitalité ont évolué depuis l’Antiquité, époque où elles représentaient le « [d]roit réciproque pour ceux qui voyageaient de trouver, selon des conventions établies entre des particuliers, des familles, des villes, gîte de protection les uns chez les autres ». Au Moyen-Âge et dans les romans de chevalerie, l’hospitalité respecte ces conventions où l’hôte, qui se bat au nom de Dieu et pour l’honneur d’un peuple, reçoit des habitants des lieux de passage l’hospitalité, ce qui leur permet de s’acquitter ainsi d’une obligation morale envers le chevalier. L’on pourrait même parler de loi de l’hospitalité. Cela expliquerait l’étonnement d’un Don Quichotte nourri des romans de la Table ronde, face à l’obligation de payer sa nuit dans une pension. Cette définition semble marquer de manière implicite que l’hospitalité est un pacte résultant de la manipulation de certains signes, une xenia telle que décrite par Derrida, où l’hôte propose les conditions de l’accueil, tout en gardant sa souveraineté de maître. L’ambigüité polysémique fait que le terme « hôte » peut faire référence à la fois à celui qui invite et à celui qui est invité ou reçu. Alors, il semblerait, d’un point de vue étymologique, qu’une altérité innée soit le fondement de l’hospitalité, où l’autre se confronte au soi, aussi bien qu’à l’autre de soi au sein du soi. Selon le mot de Peter Melville : « Accueillir l’autre sans préavis signifie, surtout, accueillir l’arrivée de l’autre au sein de soi-même, un autre qui permet au soi de voir au-delà de soi. » Être maître de soi et du chez-soi, accepter l’étranger ou l’inconnu sans préavis problématise la conception d’hospitalité chez Rousseau qui, rarement hôte lui-même, était souvent reçu par ses amis, les Montmorency, par exemple, comme le montrent ses confidences à Malesherbes ou même ses textes les plus acclamés tels que Julie ou La Nouvelle Héloïse, ou les plus contestés ou censurés comme Émile. Si le terme « hospitalité », loin d’être commenté par l’auteur, n’apparaît que dans trois textes de Rousseau, notamment …

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