La petite maison : un concept architectural au service d’une sociabilité nouvelle[Notice]

  • Claire Ollagnier

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  • Claire Ollagnier
    Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Dans la première moitié du xviiie siècle, l’idée d’un lieu situé à l’abri de tous les regards où le libertin pourrait s’adonner à ses activités licencieuses s’est répandue à travers la littérature romanesque et théâtrale. Peu à peu, les rapports de police et les chroniques scandaleuses regorgent d’anecdotes piquantes : ainsi naît le mythe de la petite maison. Celle-ci est définie dans le Cours d’architecture de Jacques-François Blondel. Le théoricien l’intègre dans une typologie plus générale de l’habitat domestique et lui associe alors une suite de caractères propres et différenciables, en d’autres termes un programme. Tout d’abord la petite maison se situe en périphérie urbaine. Dans un monde où la vie de l’homme de qualité s’organise entre son hôtel urbain et son château en campagne, l’espace situé en marge du centre de la capitale permet à l’imaginaire de s’exprimer comme nulle part ailleurs et offre au propriétaire un moyen de déroger quelque peu aux exigences de la bienséance. Par ailleurs, aucun statut particulier ne semble nécessaire à son acquisition : seuls les moyens financiers, le bon goût du propriétaire et son intérêt pour la retraite (quelles qu’en soient les motivations) peuvent conduire à investir dans cette zone encore peu bâtie. Ainsi la commande émane-t-elle de personnalités issues d’une élite parisienne, cultivée et cosmopolite, nourrissant de prime abord un intérêt particulier pour les jardins, l’architecture et les arts en général. Tous les quartiers périphériques de la capitale se couvrent alors peu à peu d’édifices aux allures diverses mais répondant à ces mêmes critères. Des sommes extravagantes sont employées à bâtir les demeures les plus novatrices. Les artistes trouvent dans ce programme la liberté nécessaire au véritable épanouissement de leur art, expérimentant des techniques et des procédés architecturaux inédits. Du point de vue des usages, ces demeures se distinguent par des pratiques particulières : ainsi la petite maison est-elle souvent associée à un certain nombre d’activités libertines ; mais qu’en est-il vraiment ? Les témoignages contemporains dressent un portrait plus contrasté des pratiques sociales qui se jouent en périphérie urbaine : aristocrates, financiers, grands bourgeois, et leur suite de femmes entretenues et d’artistes à la mode y partagent leur quête de divertissements physiques mais également intellectuels. Ce sont ces pratiques sociales que nous allons exposer ici. Pratiques qui, si elles ne concernent qu’une élite parisienne de haute volée, n’en demeurent pas moins révélatrices d’une pensée progressiste qui tend à s’exprimer. Ainsi peut-on percevoir, derrière l’apparente quête de légèreté que suscite l’attrait du divertissement, l’émergence d’une conscience accrue de l’individu et la maturation d’une révolution sociale, dont l’architecture est un témoin non négligeable. Comme l’expose Blondel dans sa définition, la petite maison constitue avant tout une retraite occasionnelle consacrée au délassement, « au plaisir et à la liberté ». Pour la bonne société capable de s’offrir de telles demeures, il s’agit avant tout d’échapper à l’ennui que provoque l’oisiveté. Or, ainsi que l’a montré Antoine Lilti : « le monde où l’on s’ennuie et le monde où l’on s’amuse sont les deux faces d’un même phénomène ». Dans les témoignages contemporains, les références aux parties de débauche se déroulant dans la petite maison ne manquent pas : petits soupers enivrés où les femmes s’essaient et s’échangent sans aucune gêne, représentations théâtrales privées mettant en scène les plus grandes comédiennes parisiennes dans leur plus simple appareil. La licence prétendue des échanges qui se nouent dans la petite maison fait les « choux gras » des mémorialistes et des journalistes. La littérature érotique aime également à placer ses personnages autour d’une belle table qui invite autant aux plaisirs charnels qu’un boudoir ou un …

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