Le secret exposé selon Arlequin poli par l’amour (1720)[Notice]

  • Servanne Woodward

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  • Servanne Woodward
    University of Western Ontario

Une fée qui est à la veille d’épouser Merlin l’enchanteur enlève un « beau brun » et l’ayant enfermé dans son château, elle cherche à le séduire. Cette opération reste sans succès. Elle se rend compte que du côté d’Arlequin, il existe un obstacle. Pour s’en saisir elle utilise son anneau qui la rend invisible, ce qui lui permet de découvrir l’existence de Silvia, la bergère qui monopolise son affection. Sous menace expresse de la fée de tuer Arlequin si Silvia ne le chasse, la bergère prend rendez-vous pour persuader le jeune homme de la quitter. La question est de savoir si la fée est présente à cette rencontre sous le sceau de l’invisibilité, comme elle l’a promis à Silvia, ou absente, comme elle l’a promis à Arlequin. Sans aller jusqu’au panoptique de Foucault, la possibilité permanente de cette surveillance, combinée à l’amour qu’Arlequin ressent pour la première fois, lui a donné de l’esprit, donc des capacités de dissimulation de son cru. Le conte de fée « Le parfait amour » (1698) de Mme de Murat peut avoir inspiré cette pièce. Après avoir tué son frère, la fée Danamo a pris possession de son très jeune neveu, Parcin Parcinet, qu’elle élève avec le projet de lui faire épouser sa fille (laide et méchante, comme sa mère). Quand vient le temps du mariage, le jeune homme a un mouvement de déplaisir qu’il apprend immédiatement à dissimuler : « [il] compri[t] l’imprudence de ce qu’il venoit de faire, appela son esprit au secours de son coeur » ; « Parcin Parsinet […] avoit enfin pris la résolution de se contraindre pour ne pas rendre inutile ses desseins […] ». Il est amoureux d’Irolite, une autre de ses cousines, qui vit emprisonnée et isolée au bout du jardin, derrière un lac, et à laquelle il rend visite à l’insu de Danamo. La surveillance permanente et imperceptible est un thème de ce conte : « Allez prince, lui dit-elle ; que savons-nous si la fée n’a point ici quelqu’un prêt à lui rendre compte de ce qui s’y passe ? ». Il existe un anneau magique qui fait disparaître son possesseur lorsqu’il le souhaite, mais c’est Parcin qui l’a reçu d’une fée qui lui est favorable, et son effet est limité à quatre souhaits. Il s’avère inutile à l’élargissement des deux prisonniers dont la fuite échoue. Parcinet et Irodite sont libérés et s’épousent par un enchaînement de circonstances improbables impliquant le sentiment d’amour. L’étude qui suit tend moins à chercher si Marivaux aurait puisé dans la vogue des contes de fée du siècle précédent, et donc à faire une étude comparative de Murat et Marivaux, que d’éclairer quelques aspects du secret comme archétype, ce dernier ayant pour contrepartie la surveillance, et donc sans doute un ethos du comportement de l’être en ce qu’il règle la liberté intime par rapport au contrat social « naturel », c’est-à-dire « universellement » reconnu, quel que soit le régime particulier considéré. Le merveilleux serait donc ici un lieu plus ou moins abstrait, parallèle au monde véritable, et permettant sinon une fiction des origines, la possibilité de cerner la question du secret et de ses développements connexes. Arlequin serait un ingénu du secret, nous en livrant les rouages à découvert. Comme Silvia cherche à quoi reconnaître l’amour, nous sommes à même de reconnaître ce qui éveille la surveillance toujours plus ou moins clandestine. Avec cette pièce, nous en sommes presque à identifier les droits inaliénables des sujets qui ne peuvent être emprisonnés sans raison justifiable — une des compréhensions de l’Habeas corpus. Dans les deux cas, le …

Parties annexes