Surnoms et écriture codée dans les lettres de Mme de Graffigny[Notice]

  • Diane Beelen Woody

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  • Diane Beelen Woody
    York University

Quinze volumes de la Correspondance de Mme de Graffigny ont maintenant été publiés, provenant de la période entre 1738 et 1758, année de son décès. Elle offre une chronique fascinante de ces deux décennies du règne de Louis XV, lorsque les termes « secret » et « surveillance » s’employaient fréquemment. Car durant ces années ont eu lieu des événements politiques et sociaux d’importance majeure tels la guerre de Succession d’Autriche, la crise de 1744 lorsque Louis XV est tombé gravement malade à Metz, les émeutes de 1750 à Paris, l’attentat de Damiens contre le roi en 1757 et les débuts de la guerre de Sept Ans. De tels remous et conflits offraient aux autorités les justifications d’une surveillance accrue pour des « raisons d’État ». En fait, on trouve chez plusieurs chroniqueurs (par exemple, Barbier et Luynes) des allusions à l’ouverture des lettres privées, au Secret de la Poste et à la création du Secret du Roi par Louis XV. À cet égard, l’ouvrage d’Eugène Vaillé fournit une discussion approfondie des activités du Cabinet noir et celui de Jay Caplan offre un examen détaillé de la « culture postale » en Europe avant 1800 et une analyse de l’enchevêtrement des domaines public et privé. On s’attend donc à trouver des reflets de cette réalité de surveillance dans les lettres de Mme de Graffigny, qui devait gérer stratégiquement ses relations avec ceux qu’elle appelait « les grands » pour obtenir une pension royale et pour protéger sa propre réputation d’auteure distinguée acquise à la suite de ses succès littéraires. Nous proposons d’examiner la situation de Mme de Graffigny, la surveillance à laquelle elle était sujette, ses inquiétudes, son recours à l’écriture codée et son utilisation de surnoms dans les lettres écrites à son correspondant principal, François-Antoine Devaux. Sans prétendre à une étude exhaustive, nous envisageons d’examiner les surnoms utilisés dans la Correspondance, d’identifier une typologie et de dégager quelques principes qui gouvernent leur création et les diverses motivations derrière leur emploi, dans le but de mieux comprendre la relation entre ces surnoms et l’écriture codée. Mme de Graffigny comptait parmi ses connaissances un grand nombre de personnalités éminentes de l’époque, y compris d’illustres représentants de différentes cours d’Europe. Elle connaissait bien les membres des familles lorraines Beauvau-Craon et La Galaizière. Elle écrivait de petites pièces pour les enfants de la cour de Vienne et a dédié sa dernière pièce à l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (voir 15 : 332, lettre 2492, fin octobre 1758). Pour Anne-Charlotte, princesse de Lorraine à la cour de Vienne, elle faisait des commissions, parmi lesquelles on compte celle de faire peindre le portrait de Mme de Pompadour (8 : 125, lettre 1073, 6 novembre 1746). La maîtresse du roi voulait aussi que Mme de Graffigny se charge de l’éducation de sa fille, Alexandrine Lenormant d’Étiolles (10 : 147, lettre 1437, 11 août 1749). Après le succès de son roman Lettres d’une Péruvienne et celui de sa pièce Cénie, Mme de Graffigny était devenue elle-même une « illustre » ; La Tour voulait faire son portrait (11 : 284, lettre 1639, 11 décembre 1750) et la margrave de Brandebourg-Bayreuth, Sophie-Frédérique-Wilhelmine, soeur de Frédéric II, voulait l’attirer à sa cour (11 : 110, lettre 1593, 26 août 1750). Dans le milieu politique et militaire, Mme de Graffigny entretenait des relations avec le comte de Clermont, le prince Charles-Alexandre de Lorraine et les membres de la famille d’Argenson. Notons que deux amis, l’ambassadeur Starhemberg et l’abbé de Bernis, avaient participé aux négociations en 1756 et 1757 du fameux « renversement des alliances », c’est-à-dire la révolution diplomatique qui …

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