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Introduction

Cette recherche a été menée au cours des années 2014-2015 et explore les relations entre les pratiques professionnelles réfléchies et le bien-être pédagogique chez les enseignants du secondaire. Par cet article, nous souhaitons mettre en lumière l’apport de la méthode Q à l’analyse des réflexions des enseignants sur leurs pratiques professionnelles. Il s’agit des pratiques que les enseignants sont censés maîtriser, soit un ensemble de compétences et de comportements professionnels, par exemple favoriser la réussite éducative des élèves et considérer leur vécu, gérer des interactions habituelles et d’autres plus difficiles, et collaborer avec leurs collègues afin de réfléchir ensemble à des stratégies pédagogiques. En effet, l’efficacité des pratiques passe par la prise en compte des expériences professionnelles, de l’origine sociale et du contexte culturel dans lequel les élèves évoluent ainsi que par la capacité des enseignants à analyser leurs pratiques et à y réfléchir (Liakopoulou, 2012).

Problématique

Les pratiques professionnelles réfléchies

Déclenchées par des expériences concrètes, les réflexions sur la pratique portent sur sa transformation afin de mieux l’ajuster aux données fournies par les expériences vécues (Boutet, 2004). Les réflexions sur la pratique ne devraient pas se limiter aux expériences antérieures ni aux pratiques en cours ou associées à une situation problématique (Korthagen & Vasalos, 2005, 2009). Pour ce qui est des recherches sur les pratiques réfléchies, Collin (2010) les évalue comme étant confuses et manquant de consensus, des caractéristiques qu’il explique par la façon d’explorer et d’évaluer le processus de réflexion. Cela s’ajoute aux affirmations de Loughran (2002), qui parle d’une confusion entre la justification et la réflexion sur la pratique, qui est d’autant plus importante ici puisque le ministère de l’Éducation du Québec a exigé, dès 2001, et continue à requérir de chaque enseignant de « réfléchir sur sa pratique (analyse réflexive) et [de] réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action » (MEQ, 2001, p. 157, compétence 11). Ces problèmes scientifiques et pratiques indiquent, selon nous, l’intérêt de déterminer des moyens pertinents d’évaluation des réflexions et de leurs conséquences sur la pratique, comme le soulignent les recherches menées par Sumsion et Fleet (1996) et Jorro (2005).

C’est à partir de ces constats que nous proposons d’étudier le processus de réflexion en utilisant une méthode qui gagne de plus en plus de place dans la recherche sur les pratiques réfléchies des enseignants (Deignan, 2009 ; Ramlo, 2012) : la méthode Q. À notre connaissance, elle serait utilisée pour la première fois dans le but d’explorer les pratiques réfléchies des enseignants du secondaire. Dans cette perspective, la question de recherche est à savoir si la méthode Q peut s’avérer un outil pertinent dans l’étude des réflexions des enseignants du secondaire sur leurs pratiques professionnelles.

Cadre conceptuel

Dans cette section, nous présentons la méthode Q, une définition des pratiques réfléchies et les énoncés préparés à l’intention des enseignants. Tout en sachant qu’il est impossible d’analyser dans une recherche l’ensemble des pratiques professionnelles des enseignants dans toute sa complexité, nous avons retenu ces deux aspects névralgiques : les relations pédagogiques avec les élèves et les relations de travail avec les collègues.

Pour étayer notre choix, nous faisons appel aux affirmations de Preciado-Babb et Liljedahl (2012), qui soutiennent que l’élaboration collaborative des artefacts, leur mise en oeuvre et l’analyse des résultats auprès des élèves offrent aux enseignants un contexte pour réfléchir à leurs pratiques et pour améliorer leurs stratégies d’enseignement.

La méthode Q dans notre recherche 

Comme nous l’avons mentionné, pour explorer les réflexions des enseignants sur leurs pratiques, nous avons opté pour la méthode Q. Cette méthode a été utilisée pour la première fois en 1935 par Stephenson dans le but d’explorer des phénomènes sociaux à l’aide de méthodes mixtes à partir d’un nombre restreint de participants (Woods, 2011). Cette méthode nous a particulièrement intriguées parce qu’elle semble négligée et aussi, comme l’affirment Yang et Montgomery (2013), parce qu’il s’agit d’une méthodologie particulièrement conçue pour étudier la subjectivité humaine par l’intermédiaire du tri des idées ou d’une technique de collecte de données qui met l’accent sur la différenciation intra-individuelle et qui permet l’examen des perspectives individuelles ou idiosyncratiques. Elle renvoie à « l’évaluation subjective faite par un individu d’un ensemble d’énoncés permettant de caractériser son vécu d’une situation, son point de vue sur une idée, un objet, sa réaction à un problème » (Gauzente, 2013, p. 72). En outre, elle permet de saisir, de manière systématique, une synthèse de points de vue sur un sujet complexe, par exemple les réflexions sur la pratique (Shinebourne, 2009).

En soulignant les particularités de la méthode Q, Woods (2011) soutient qu’elle révèle la subjectivité inhérente à n’importe quelle situation (jugements esthétiques, interprétations poétiques, perceptions du rôle de l’environnement professionnel) telle qu’elle est perçue par le sujet. Par ailleurs, c’est aussi dans cette subjectivité que les faiblesses de la méthode sont relevées (Boudreault & Kalubi, 2007). D’une part, il y a la faiblesse imputable aux répondants, dont la subjectivité s’étend au-delà de l’appréciation du contenu de chaque carte ou énoncé, à la comparaison des uns par rapport aux autres et à l’occasion de leur classement. D’autre part, le chercheur apporte aussi sa part de subjectivité par la constitution du répertoire des énoncés : le choix, la formulation et l’organisation autour de thèmes prédéfinis inclinent en quelque sorte vers ses propres orientations.

Les pratiques réfléchies des enseignants

Le processus de réflexion peut être défini comme un processus mental de structuration ou de restructuration d’une expérience ou d’un savoir (Korthagen & Wubbels, 1995), comme une représentation qui comprend des dimensions cognitives, affectives et volitives (Bruno, Galuppo & Gilardi, 2011) ou encore comme une compétence de « second niveau » qui « agirait comme un levier de développement des autres compétences professionnelles » (Collin, 2010, p. 39).

Pour ce qui est des réflexions sur les pratiques professionnelles, Boud, Keogh et Walker (1985) les caractérisent comme des activités intellectuelles et affectives dans lesquelles les individus s’engagent afin d’explorer leurs expériences en vue d’atteindre une nouvelle compréhension et une meilleure adaptation. À leur tour, Watts et Lawson (2009) les définissent comme des activités critiques d’apprentissage, avec des composantes individuelles et sociales par lesquelles les praticiens construisent et reconstruisent des hypothèses implicites, qui sous-tendent leurs propres actions. Enfin, la pratique réfléchie peut être appréhendée comme « un outil d’autosupervision qui permet [à l’enseignant] de reconnaître en lui des attitudes et des pratiques qui ne sont pas spontanément conscientes » (Lison, 2013, p. 17).

C’est le modèle conçu par Korthagen et Vasalos en 2005 (voir Figure 1) que nous avons privilégié pour capter les réflexions des enseignants du secondaire sur leurs pratiques professionnelles. Appelé par ces chercheurs le modèle des niveaux de changement, il est centré sur des contenus de réflexion disposés selon six niveaux interreliés. Il s’agit d’un modèle validé grâce à plus d’une dizaine d’années de mise en pratique auprès des étudiants en sciences de l’éducation et au cours d’activités de développement continu des enseignants menées dans plusieurs pays (Leroux, 2010).

Figure 1

Modèle des niveaux de changement (adapté de Korthagen & Vasalos, 2005)

Modèle des niveaux de changement (adapté de Korthagen & Vasalos, 2005)

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Le choix de ce modèle a été inspiré par sa structure, qui met en relation le contexte de travail, c’est-à-dire le milieu et les conditions externes (relations avec les élèves, les collègues et la direction, ressources technologiques, etc.), et les forces de l’enseignant (compétences, gestion des émotions, estime de soi). Les questions associées à chaque niveau de réflexion montrent un processus qui évolue, passant de l’identification d’un problème issu du milieu de travail vers des questions liées à des « qualités essentielles » des enseignants, voire à l’identité et à la mission professionnelles. Les interactions entre les qualités essentielles et le monde extérieur de l’enseignant augmenteraient le niveau de sa motivation, de son enthousiasme et de son efficacité dans l’exercice de sa profession (Korthagen & Vasalos, 2009). Cette relation renvoie à l’approche sociocognitive de Bandura (1978). Cette théorie met en relation, dans une interaction triadique de type déterminisme réciproque, des facteurs personnels, comportementaux et environnementaux.

Pour comprendre comment les enseignants du secondaire envisagent leurs pratiques, nous avons conçu des énoncés qui reflètent des positions confortées par la recherche sur la réflexion. En même temps, ces énoncés sont suffisamment campés pour susciter une stimulation qui mène à une argumentation et à un choix rationnel. En accord avec Leroux (2010), qui conclut que les niveaux extérieurs du modèle sont plus représentés dans les réflexions des enseignants que les niveaux plus profonds, nous avons réparti trois énoncés dans chacun des trois premiers niveaux, deux énoncés pour chacun des deux niveaux suivants et un énoncé pour le dernier, celui du coeur du modèle. La prochaine section présente, pour chaque niveau de réflexion, les énoncés et les arguments sur lesquels repose cette sélection.

Le répertoire des énoncés de réflexion sur la pratique 

Sur l’environnement professionnel

Dans notre recherche, l’environnement professionnel des enseignants désigne leurs interactions avec les élèves et les adultes de l’école. C’est à partir de cette approche que les trois énoncés relatifs à l’environnement professionnel des enseignants abordent des facteurs qui peuvent influencer la qualité de ces interactions et leurs conséquences chez les élèves ainsi que leur satisfaction au travail.

Selon les écrits analysés, les interactions positives avec les enseignants et les pairs peuvent influencer la disponibilité cognitive et affective de l’élève à s’engager dans une activité d’apprentissage, contribuer significativement à son bien-être émotionnel (McLaughlin, 2008) et agir comme des facteurs de protection contre les émotions difficiles vécues par les adolescents (Charras et al., 2012). Quant à elles, les relations positives avec les élèves et les collègues semblent avoir un apport positif à la satisfaction au travail et diminueraient l’impact des expériences professionnelles difficiles chez les enseignants (Ertesvåg, 2014). C’est dans cette optique que nous avons amené les participants à réfléchir d’abord sur les facteurs qui pourraient influencer l’engagement des élèves dans une activité d’apprentissage, puis sur la satisfaction due à la qualité de l’environnement professionnel perçue à travers la qualité des interactions avec les collègues et, particulièrement, avec les élèves. Le tableau 1 présente les énoncés relatifs à l’environnement professionnel.

Tableau 1

Énoncés relatifs à l’environnement professionnel

Énoncés relatifs à l’environnement professionnel

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Sur les comportements professionnels

L’élaboration des énoncés relatifs au deuxième niveau de réflexion du modèle de Korthagen et Vasalos (2005), celui des comportements professionnels, a pour but de capter les réflexions des enseignants sur la façon dont leurs comportements professionnels favorisent l’apprentissage scolaire et les relations de travail avec les collègues. Les trois énoncés relatifs aux comportements professionnels retenus pour la recherche se retrouvent dans le tableau 2.

Tableau 2

Énoncés relatifs aux comportements professionnels

Énoncés relatifs aux comportements professionnels

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Notre approche est soutenue par Théorêt et Leroux (2014), qui mentionnent que, pédagogiquement, le rôle de l’enseignant demeure toujours celui d’influencer directement ou indirectement l’apprentissage de ses élèves. Étant donné la diversité des facteurs qui jouent sur l’apprentissage scolaire des adolescents, trois thèmes ont été retenus pour le répertoire des énoncés : 1) l’autoquestionnement des élèves sur les contenus à apprendre, 2) la motivation des élèves quant à leur apprentissage, et 3) la participation des enseignants aux réflexions de groupe. Parmi les stratégies relevées dans les écrits susceptibles de stimuler la motivation des élèves dans leur apprentissage, mentionnons : faire comprendre aux élèves l’importance des activités d’apprentissage et des consignes proposées (Viau & Louis, 1997 ; Anderman, Andrzejewski & Allen, 2011) ; favoriser des relations positives enseignant-élèves et élèves-élèves (Anderson, Hamilton & Hattie, 2004 ; Maulana, Opdenakker, den Brok & Bosker, 2011) ; et proposer aux élèves des projets significatifs (Chouinard, Bergeron, Vezeau & Janosz, 2010). Quant aux réflexions des enseignants sur le rôle de l’autoquestionnement dans l’apprentissage scolaire, elles sont liées au raisonnement, à la transmission des compétences et à la résolution des problèmes (Gillies & Khan, 2009), à la recherche des réponses et des ressources, à l’évaluation de celles-ci ainsi qu’à l’autorégulation des stratégies d’apprentissage (McNamara, 2011 ; Poitras & Lajoie, 2013). Nos énoncés relatifs à la participation des enseignants aux réflexions de groupe sont inspirés des résultats des recherches de Schoorman, Mayer et Davis (2007) et d’Ertesvåg (2014). Ces derniers soutiennent que, parmi les facteurs qui augmentent la probabilité que les relations de travail se consolident, se trouvent le thème de la réflexion, la perception de la disponibilité des collègues et la confiance dans la qualité des réflexions de ceux-ci.

Sur les compétences professionnelles

Trois énoncés permettent l’accès aux réflexions des participants sur leurs compétences professionnelles. Les deux premiers renvoient à la compétence 6 du référentiel québécois : « Planifier, organiser et superviser le mode de fonctionnement du groupe-classe en vue de favoriser l’apprentissage et la socialisation des élèves » (MEQ, 2001, p. 147). Le troisième énoncé renvoie à la compétence 10 : « Travailler de concert avec les membres de l’équipe pédagogique à la réalisation des tâches permettant le développement et l’évaluation des compétences visées dans le programme de formation, et ce, en fonction des élèves concernés » (MEQ, 2001, p. 155). Le tableau 3 présente les trois énoncés qui suscitent les réflexions des enseignants sur la gestion de classe.

Tableau 3

Énoncés relatifs aux compétences professionnelles

Énoncés relatifs aux compétences professionnelles

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L’importance accrue accordée aux réflexions entourant la compétence 6 du référentiel québécois s’appuie sur les résultats des recherches qui mettent en relief l’impact de la compétence de gestion de classe, surtout des comportements inappropriés des élèves, sur l’apprentissage scolaire et sur la santé mentale des enseignants. Par exemple, Poulou et Norwich (2000) mettent en relief des relations positives entre les stratégies efficaces de gestion de classe et la qualité de l’apprentissage scolaire. Clunies-Ross, Little et Kienhuis (2008) s’attardent aux stratégies et au temps investis dans la gestion des comportements inappropriés des élèves, qui peuvent user les enseignants. À leur tour, Abebe et Hailemariam (2007) ont montré que ce genre de comportement, surtout par sa fréquence, contribuerait fortement à la dépression psychologique chez les enseignants. L’énoncé sur la compétence 6 à travailler de concert avec les membres de l’équipe pédagogique tire son origine du référentiel du MEQ (2001), qui statue que les enseignants doivent être capables de contribuer de façon pertinente aux travaux de l’équipe enseignante. Rodgers et Raider-Roth (2006) ajoutent que les collaborations professionnelles favorisent une meilleure compréhension de la dynamique des actes d’enseignement-apprentissage chez les enseignants.

Sur les croyances professionnelles

« Encapsulées dans leurs expériences personnelles, au point qu’elles en sont indissociables », les croyances professionnelles des enseignants se manifestent au cours « de planification d’activités, d’interactions avec les élèves ou d’évaluation » (Crahay, Wanlin, Issaieva & Laduron, 2010, p. 87). Elles influencent l’interprétation des comportements et des situations problématiques qui se passent dans la classe ainsi que les interventions professionnelles (Lavigne, 2014). Les réflexions sur les croyances liées à la pratique que nous explorons ici font référence à la capacité d’adaptation à n’importe quel milieu scolaire, donc à la capacité de développer des relations professionnelles avec de nouveaux élèves et collègues, et au partage de l’influence sur la réussite scolaire des adolescents avec leurs pairs. Le tableau 4 présente les énoncés qui indiquent deux croyances professionnelles des enseignants.

Tableau 4

Énoncés relatifs aux croyances professionnelles

Énoncés relatifs aux croyances professionnelles

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Les réflexions sur la capacité d’adaptation reposent sur des savoirs et des conceptions concernant les processus d’enseignement et d’apprentissage, les particularités des apprenants et les contenus à enseigner (Crahay et al., 2010) ainsi que les émotions et les sentiments d’efficacité et de satisfaction issus des expériences antérieures (Bandura, 2003 ; Skaalvik & Skaalvik, 2015). En ce qui concerne les réflexions sur leur influence prépondérante sur la réussite scolaire des élèves, elles devraient révéler les croyances des enseignants interviewés sur leur rôle d’éducateurs qui prennent en considération l’apport de plusieurs facteurs, jusqu’à l’influence des pairs, sur la réussite scolaire de leurs élèves (Hartnett, 2007). Selon Lavigne (2014), les enseignants qui croient avoir un rôle déterminant dans l’apprentissage et dans la vie des élèves se considèrent, au moins partiellement, comme responsables de la réussite des élèves et sont plus susceptibles de faire des liens entre leurs comportements professionnels et les résultats des élèves.

Sur l’identité professionnelle

L’identité professionnelle des enseignants se construit à partir, d’une part, des expériences et des rôles personnels et sociaux joués et, d’autre part, des habiletés à adapter les valeurs personnelles aux milieux et à leur façon d’être et de faire, dans des circonstances données de la pratique (Day, Kington, Stobart & Sammons, 2006). Les deux énoncés relatifs aux réflexions des enseignants sur leur identité professionnelle, présentés dans le tableau 5, s’intéressent aux représentations que les enseignants se font de leur rôle de professionnels qui se préoccupent du bien-être des élèves et dont les réflexions sont respectées par les collègues.

Tableau 5

Énoncés relatifs à l’identité professionnelle

Énoncés relatifs à l’identité professionnelle

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Notre formulation de ces énoncés rejoint les positions d’Edling et Frelin (2013) ainsi que de Sachs (2001). Les premières sont d’avis que les enseignants devraient aborder le bien-être des élèves comme une responsabilité. Cela engagerait non seulement des attitudes et des comportements des enseignants, mais également la vigilance permanente sur ce qui se passe pendant les cours, en encourageant la contribution de tous les acteurs au bien-être de chacun. Sachs (2001), quant à elle, caractérise l’identité professionnelle des enseignants comme un construit riche et complexe qui se nourrit par la communication, par le respect et par la réciprocité. Pour leur part, Stieha et Raider-Roth (2012) ajoutent que la perception positive du respect de l’identité professionnelle des enseignants par les collègues semble influencer positivement les sentiments d’appartenance à la communauté ainsi que la qualité des relations de travail avec les adultes de l’école, y compris les collègues.

Sur la mission professionnelle

Enfin, quant au niveau le plus profond du modèle, celui de la mission professionnelle, il s’intéresse aux réflexions sur des questions concernant la visée d’une activité liée à l’exercice d’un métier et aux sources de son inspiration. Parmi les nombreuses missions associées à la profession enseignante se trouve celle de transmettre un savoir et des valeurs propres à favoriser le développement intellectuel, social et moral des élèves. Pour y arriver, les enseignants endossent plusieurs rôles, dont celui du professionnel qui planifie des contenus, suscite la participation des élèves, fournit de la rétroaction, joue le rôle de médiateur entre l’élève et le savoir. C’est dans ce sens que nous avons conçu l’énoncé qui fait référence à ce niveau de réflexion (voir Tableau 6).

Tableau 6

Énoncé relatif à la mission professionnelle

Énoncé relatif à la mission professionnelle

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Il rejoint la vision de Prytula, Hellsten et McIntyre (2010), qui affirment que planifier des séquences d’enseignement en prenant en considération la logique des contenus suppose des réflexions sur les particularités des élèves en relation avec les contenus à apprendre et leurs connaissances antérieures, sur les stratégies d’enseignement et d’apprentissage, sur les expériences professionnelles de l’enseignant, etc.

Méthodologie

La méthode Q dans notre recherche

Dans cette section, nous décrivons la démarche méthodologique mise en place afin de répondre à l’objectif, voire de vérifier la pertinence de la méthode Q pour l’exploration des réflexions des enseignants sur leurs pratiques professionnelles.

Sur le plan opérationnel, le déploiement de la méthode Q propose plusieurs étapes, que nous avons suivies : 1) la sélection des participants (l’échantillon P), 2) l’élaboration des énoncés et leur validation interjuges, c’est-à-dire la constitution du répertoire des énoncés (échantillon Q ou Q-sample), 3) la préparation du support d’arrangement (Q-sorting), 4) le traitement des arrangements (Q-sorts) recueillis ainsi que 5) l’analyse factorielle Q (Gauzente, 2013). Quant à cette dernière cinquième étape, elle combine les forces des études quantitatives, par l’analyse des facteurs comme méthode de calcul, et qualitatives, à la suite des interprétations descriptives faites pour chaque facteur de synthèse (Kufeld, 2006).

Le profil professionnel des participants

Notre groupe de participants est un échantillon non probabiliste composé de 15 enseignantes et enseignants (2 pour l’étude pilote et 13 pour l’étude principale) oeuvrant dans des écoles secondaires de la grande région de Montréal et qui se sont portés volontaires. Pour nous assurer que les participants ont accumulé une certaine expérience professionnelle dans une école secondaire et qu’ils sont « à l’aise dans toutes les dimensions de la tâche » (COFPE, 2002, p. 26), nous avons établi deux critères de sélection de ceux-ci : l’ordre d’enseignement et l’ancienneté dans la carrière. Ainsi, nos participants se caractérisaient par une expérience professionnelle minimale de trois ans dans une école secondaire au moment de la rencontre. Le tableau 7 présente la synthèse des profils professionnels des enseignants ayant participé à l’étude principale.

Tableau 7

Profil professionnel des enseignants ayant participé à l’étude

Profil professionnel des enseignants ayant participé à l’étude

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L’échantillon Q

Dans un premier temps, 35 énoncés faisant référence aux six niveaux de réflexion du modèle de Korthagen et Vasalos (2005) ont été élaborés et soumis à l’évaluation de deux enseignantes du secondaire. À partir de leurs observations, les énoncés ont été retravaillés pour qu’ils gagnent en clarté. Par la suite, 14 énoncés ont été retenus pour la recherche.

Pour que les participants soient capables de classer les énoncés selon une distribution symétrique (la structure imposée par la méthode Q), nos énoncés sont élaborés « de manière à être équilibrés, c’est-à-dire qu’ils peuvent être mis en tension entre eux, sans pour autant qu’un énoncé ne soit strictement la formulation négative d’un autre » (Kuhne, Abernot & Camus, 2008, p. 50). Par exemple, l’énoncé « Je dirais que mes élèves ont plus de contrôle que moi sur ce qui se passe dans la classe » par rapport à l’énoncé « Je me sens capable de mettre en pratique des stratégies efficaces pour contrer les comportements inappropriés de mes élèves ».

La collecte des données

Pour la collecte des données, nous avons tenu une rencontre d’environ 60 minutes, de type face-à-face, avec chaque participant.

À cette occasion, chaque enseignant recevait une feuille imprimée comportant les 14 énoncés numérotés, disposés de façon aléatoire, et la fiche de réponses. Les participants étaient invités à classer les énoncés sur la fiche de réponses en respectant les consignes reçues et à argumenter leur classement. En effet, ils étaient encouragés à réfléchir à voix haute à savoir en quoi un énoncé leur paraissait plus important qu’un autre. Cette articulation de leurs réflexions était enregistrée de manière audio. Ces réflexions ont représenté le sujet d’une analyse qualitative menée à l’aide du logiciel QDA Miner. Étant donné le caractère exploratoire et descriptif de notre recherche doctorale, nous avons opté pour l’examen discursif, qui nous a permis de relever les thèmes, les idées directrices et les termes pivots de la recherche (Van der Maren, 1996).

La structure de la fiche de réponses (voir Figure 2) impose à chaque participant de placer :

  • 2 énoncés dans la classe -2 (soit les énoncés avec lesquels il est le moins d’accord, qui décrivent des dimensions caractérisant le moins sa pratique en matière de signification, de fréquence ou d’expériences vécues) ;

  • 3 énoncés dans la classe -1 ;

  • 4 énoncés dans la classe 0  ;

  • 3 énoncés dans la classe +1 ;

  • 2 énoncés dans la classe +2 (soit les énoncés avec lesquels il est le plus d’accord, qui reflètent le mieux ses pratiques).

Remarquons la forme de cloche, qui est causée par la « distribution forcée des réponses », une « distribution qui s’approche sommairement de la distribution normale » (Kuhne et al., 2008, p. 47).

Figure 2

Fiche de réponses

Fiche de réponses

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Le choix de présenter aux répondants les énoncés sur un tableau accompagné d’une fiche de réponses a été suggéré par les participantes de l’étude pilote. Elles ont argumenté cette préférence par le besoin de relire les énoncés pour leur classement, une activité rendue plus facile quand les énoncés sont rangés dans un espace limité et groupés dans un tableau. Par ailleurs, tout au cours de la recherche, nous avons strictement respecté les règles d’éthique qui s’appliquent à une recherche mixte à dominance qualitative (Van der Maren, 1999).

L’analyse factorielle Q

Les données issues du Q-sorting ont été soumises à une analyse factorielle dont le but était de comparer les similitudes entre les classements des énoncés et de grouper les participants selon leur classement. Le logiciel PQMethod, qui est un logiciel libre inspiré des formules proposées par Brown (1980) et faisant partie du domaine public, a permis l’analyse des données. La première étape de l’analyse, qui met en évidence les résultats de la recherche, a pour résultat la constitution de la matrice des contributions des Q-sorts et des tris de synthèse. Elle est suivie par l’analyse factorielle en composantes principales, ce qui mène vers l’interprétation des résultats.

La matrice des contributions des Q-sorts aux facteurs

Pour commencer cette analyse, nous avons introduit les valeurs inscrites sur la fiche de réponses de chaque participant. Ensuite, par l’analyse en composantes principales, basée sur la variance spécifique des tris, nous avons extrait le nombre minimal de facteurs qui expliquent la plus grande variance spécifique ; ce sont les facteurs qui seront retenus pour l’analyse. Notre sélection des facteurs repose sur deux critères : 1) les valeurs propres supérieures à 1,00 et 2) la présence d’au moins deux tris représentatifs. Quatre facteurs remplissent ces deux critères ; ils expliquent ensemble 87 % de la variance totale, ce qui est satisfaisant.

Une fois prise la décision relative au nombre de facteurs, le logiciel réalise la matrice des contributions des Q-sorts aux facteurs (voir Tableau 8) : une matrice qui indique « les saturations (corrélations) de chaque tri pour chacun des facteurs retenus pour l’analyse […], la valeur propre du facteur et la part de la variance totale expliquée par les facteurs » (Kuhne et al., 2008, p. 49). Les valeurs de chaque tri pour les quatre facteurs, les tris représentatifs y compris, se trouvent dans le tableau 8.

Tableau 8

Matrice des contributions des Q-sorts aux facteurs

Matrice des contributions des Q-sorts aux facteurs

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Matrice des contributions des Q-sorts aux facteurs

Après l’identification des tris représentatifs par facteur vient l’identification des quatre facteurs et des tris de synthèse pour chaque facteur. Un tri de synthèse « représente le classement qu’aurait réalisé un sujet idéal présentant une saturation à 100 % sur un facteur » (Kuhne et al., 2008, p. 51). Par la suite, le logiciel cible les énoncés qui font consensus et ceux qui distinguent les facteurs. Les énoncés 12 et 10 (voir Tableau 9), les plus consensuels et non significatifs à p < 0,05, ne produisent aucune distinction entre les facteurs.

C’est à partir des énoncés distinctifs que les quatre facteurs ont été définis : pour chaque facteur, à l’exception du premier où il y en a deux, le logiciel a mis en évidence un énoncé qui le distingue des autres facteurs. Le petit nombre d’énoncés distinctifs rend immédiats le repérage des facteurs et leur association aux niveaux de réflexion du modèle de Korthagen et Vasalos (2005). Étant donné cette association, chacun des quatre facteurs sera décrit dans notre recherche par l’intermédiaire des mêmes énoncés que les niveaux de réflexion auxquels ils se rapportent. Le tableau 9 indique successivement l’ordre des énoncés sur la fiche de réponses, le rang de chaque énoncé selon le critère de consensus (1 = le plus consensuel, 14 = le moins consensuel), l’énoncé et les valeurs des tris de synthèse pour les facteurs retenus pour analyse.

Tableau 9

Tris de synthèse des énoncés par facteur

Tris de synthèse des énoncés par facteur

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L’analyse factorielle en composantes principales

Cette deuxième étape de l’analyse factorielle s’attarde à l’analyse des relations entre les tris de synthèse. C’est à cette étape que sont présentés et interprétés les résultats de notre recherche. Pour ce faire, nous prenons en compte les quatre facteurs retenus pour analyse, les valeurs des tris de synthèse par facteur et les réflexions formulées par les enseignants à voix haute.

Valeurs des tris pour le facteur 1 : comportements professionnels

Les trois énoncés (énoncés 3, 6 et 7) faisant référence au premier facteur de notre analyse, soit les comportements professionnels des enseignants, sont représentés par les tris représentatifs de deux enseignantes qui travaillent dans une école publique (cas 3 et 10) et d’une enseignante d’une école privée (cas 12).

L’énoncé le plus distinctif de ce facteur est l’énoncé 3, qui renvoie aux stratégies qui encouragent les élèves à se poser des questions sur les contenus à apprendre. À partir des valeurs relatives des tris de synthèse, nous pouvons penser que cet intérêt serait positivement influencé par les croyances des enseignants concernant leurs compétences professionnelles, par la qualité des interactions professionnelles avec les élèves et les collègues ainsi que par la façon de se représenter son identité professionnelle. Selon les réflexions de 9 enseignants, amener les élèves à se poser des questions sur les contenus à apprendre devrait influencer les habiletés intellectuelles et le degré d’autonomie des élèves. En réfléchissant à l’importance du questionnement sur la qualité de l’apprentissage, le cas 10 soutient qu’à la suite de cette activité, les élèves comprennent mieux ce qu’ils font, développent leur côté critique, deviennent plus capables de réagir, de poser des questions et d’avoir des réponses à leurs questions. Pour encourager le questionnement des élèves, les participants prévoient des séquences d’échanges de type questions-réponses, organisent des débats sur des contenus à apprendre ou déstabilisent les élèves par l’entremise de conflits cognitifs pour qu’ils deviennent plus réceptifs à de nouveaux contenus et pour qu’ils se posent des questions.

Les valeurs des tris de synthèse du deuxième énoncé distinctif du premier facteur (comportements professionnels), celui qui décrit le partage d’expériences professionnelles avec les collègues (énoncé 6), suggèrent que les enseignants évaluent positivement la qualité des interactions professionnelles à l’école, font du bien-être de leurs élèves une priorité et perçoivent que leurs réflexions sont respectées par les collègues. Ils n’évitent donc pas les réflexions collectives, surtout quand celles-ci ont pour objet les comportements inappropriés des élèves. Par ailleurs, selon les valeurs indiquées sur la fiche de réponses, soulignons qu’aucun des participants ne refuse de participer aux activités de réflexion collective. Quant à ces trois enseignantes, elles expriment leur ouverture face aux échanges de groupe et leur confiance quant à l’influence de ceux-ci sur les pratiques : « C’est important de collaborer avec les collègues, de profiter de leur expérience » (cas 3).

Afin de stimuler la motivation scolaire, les participants rapportent qu’ils mettent en oeuvre des stratégies personnalisées par rapport aux caractéristiques des élèves, aux contenus scientifiques (« Je veux absolument les motiver en rendant [les contenus] intéressants », cas 10) ou aux traits personnels de l’enseignant (« Motiver mes élèves, c’est dans la façon dont je suis comme personne », cas 3). Ainsi, les participants témoignent des activités conçues pour susciter la curiosité des élèves (projets qui touchent les intérêts des élèves, concours avec des questionnaires, jeux, etc.) et mettent en valeur leurs habiletés ou leur sens de l’humour. Pour enrichir le portrait de telles activités, ils utilisent des moyens diversifiés de renforcement positif : féliciter les élèves pour leurs efforts et tout travail bien fait, les encourager, les informer sur les finalités des activités d’apprentissage en matière d’acquisition des savoirs, de réussite scolaire, d’accès à un diplôme, etc.

Valeurs des tris pour le facteur 2 : environnement professionnel

Le deuxième facteur de l’analyse, l’environnement professionnel, est validé par trois tris, opérés par trois répondants qui travaillent dans des écoles publiques, tous ayant au moins 10 ans d’expérience professionnelle (cas 1, 2 et 7).

L’énoncé distinctif pour ce facteur est l’énoncé 1, celui qui fait référence à la mise à l’écart systématique des expériences qui excèdent la sphère scolaire. Cet énoncé est jugé négativement pour ce facteur et pour les facteurs 1 et 4, alors qu’il est neutre dans le facteur 3, ce qui pourrait suggérer que la prise en considération plus élargie des expériences des élèves suscite chez les enseignants des comportements centrés sur la réussite scolaire et stimule l’intérêt pour le bien-être des élèves et la collaboration avec les collègues (voir Tableau 9). La déclaration « J’essaie d’évacuer le reste » (cas 1) pourrait être interprétée comme l’expression des attitudes et des démarches visant à diminuer ou à éliminer l’effet des facteurs externes de la classe qui pourraient nuire à l’engagement des élèves dans l’apprentissage. Les conséquences de telles attitudes et démarches ont été mises en relief par Rolland (2012). Selon cette chercheuse, les attitudes positives et équitables de la part des enseignants encouragent la réussite scolaire des élèves, tandis que l’indifférence face à leurs problèmes favoriserait l’émergence ou le maintien de comportements agressifs.

Selon les valeurs des tris et les propos recueillis, il semble que le besoin de changements dans le milieu de travail, analysé ici dans la perspective des interactions avec les élèves et les collègues, ne s’explique pas uniquement par le manque de satisfaction. Ce besoin pourrait être plutôt lié à l’amélioration de la qualité de ces interactions. Voici une partie des réflexions qui ont accompagné le classement de cet énoncé par un répondant : « […] Tout le temps, il faut changer des choses : ça a fonctionné avec un groupe, alors que l’année suivante, ça ne marche plus, car les individus changent […] » (cas 7).

Valeurs des tris pour le facteur 3 : compétences professionnelles

Les tris significatifs relatifs aux compétences professionnelles des enseignants sont représentatifs chez deux participantes ayant respectivement 15 et 13 ans d’expérience au secondaire (cas 8 et 11), soit une orthopédagogue dans une école publique et une enseignante dans une école privée.

L’énoncé qui a permis l’identification du facteur est l’énoncé 4, évalué négativement dans tous les facteurs. Nous voyons ces valeurs comme l’expression de l’influence positive des trois facteurs sur la compétence de gestion de la classe ; une gestion dans laquelle l’enseignant représente l’autorité et conserve, de façon démocratique, le contrôle de ce qui se passe dans sa classe, y compris les comportements inappropriés des élèves. Tout comme l’énoncé 9, auquel il est fortement lié, il a fait ressortir une panoplie de stratégies mises en oeuvre par les participants dans le but de gérer les comportements des élèves. Selon l’argumentaire du cas 11, il s’agit d’interventions à la fois fermes et personnalisées par rapport aux particularités des élèves : « [Les élèves] vont influencer, c’est sûr, ma façon de faire les choses, ma façon de prendre des décisions, mais ce qui se passe dans la classe, c’est moi qui le contrôle quand même ».

Valeurs des tris pour le facteur 4 : identité professionnelle

Évalué par les énoncés 5 et 11, le dernier facteur de notre analyse, l’identité professionnelle, est représenté par les tris de deux enseignantes oeuvrant dans des écoles publiques (cas 5 et 9).

Faire confiance à ses compétences professionnelles, porter attention au vécu des élèves en intervenant pour régler les comportements qui pourraient dégrader l’atmosphère de la classe et pratiquer une écoute active semblent représenter une partie des attributs des enseignants qui font du bien-être de leurs élèves une priorité : « J’ai besoin de sentir […] qu’ils sont contents d’être dans mon cours et qu’ils vont sortir en ayant l’air d’avoir appris quelque chose. Donc, pour moi, c’est vraiment important » (cas 5). Les valeurs relatives des tris de synthèse caractéristiques à l’énoncé 11, soit l’énoncé distinctif du facteur, suggèrent que le respect de l’identité professionnelle passe par l’évaluation positive des compétences professionnelles. Le fait de voir leurs réflexions prises en compte par leurs collègues semble être interprété comme une forme de respect de leur façon d’être et d’agir en tant que professionnels, donc de l’identité professionnelle. Au contraire, le manque d’intérêt des collègues pourrait mener à l’isolement et au manque d’engagement dans des réflexions de groupe, comme ici : « Parfois, je me mets à l’écart ; je suis assez neutre » (cas 9).

Deux profils d’enseignants

À la fin de l’analyse, nous pouvons dégager de notre recherche deux profils sur les pratiques réfléchies des enseignants du secondaire, explorées ici par l’intermédiaire de la méthode Q. Le premier profil est celui des enseignants ayant 10 ans ou moins d’ancienneté dans une école secondaire : les enseignants en quête de reconnaissance professionnelle de la part des collègues. Le second profil comprend les enseignants ayant plus de 10 ans d’ancienneté ; leurs priorités professionnelles portent sur l’ensemble des facteurs qui peuvent influencer la disponibilité cognitive et affective des élèves à s’engager dans leur apprentissage et sur les compétences de gestion de classe. L’importance que les participants attribuent aux stratégies favorisant l’apprentissage scolaire suggère que ces dernières préoccupent tant les enseignants débutants que chevronnés. Les participants des écoles publiques et privées ont signalé des pratiques qui reposent sur des stratégies semblables quant aux interactions professionnelles avec les élèves et les collègues. Selon leurs réflexions, les différences entre les deux types d’école apparaîtraient sur le plan de la pression des parents et de la direction au sujet de la réussite scolaire des élèves.

Discussion

Selon les réflexions des participants, les pratiques professionnelles des enseignants du secondaire, analysées à partir des interactions avec les élèves et les collègues, seraient influencées par l’agencement des conditions et des contraintes inhérentes au milieu de travail avec la représentation de l’identité professionnelle, à travers leurs compétences et comportements professionnels. Cela rejoint le postulat de Wood et Bandura (1989) qui associe à l’individu une double posture : celle de produit et de producteur d’un milieu sur lequel il intervient. C’est une position qui rejoint aussi les résultats d’une recherche menée par Williams et Power (2010), qui ont fourni des indices empiriques appuyant le fait que des relations s’établissent entre la vision des enseignants sur leur identité professionnelle, et leurs compétences et comportements auprès des élèves et des collègues.

La cohérence des résultats obtenus nous incite à affirmer que la méthode Q offre une approche pertinente pour la recherche en éducation, particulièrement pour l’étude des pratiques réfléchies des enseignants. En comparant les énoncés préparés à leur intention, les participants ont exercé une réflexion élargie et comparative sur l’influence relative des facteurs environnementaux, professionnels et personnels sur leurs pratiques.

En combinant des procédures qualitatives et quantitatives, la méthode Q « offre une base théorique pour la compréhension de la diversité des points de vue » (Deignan, 2009, p. 22) et permet la mise en lumière des schémas d’attitudes à l’intérieur des groupes professionnels (Kuhne et al., 2008). Dans le cas de notre recherche, elle a permis la mise en évidence de l’influence du nombre d’années d’expérience dans une école secondaire sur les priorités professionnelles des enseignants, telles qu’elles ont été mises en évidence par l’argumentaire des participants. Ainsi, l’intérêt pour la découverte de l’identité professionnelle sera, au fil du temps, remplacé par le souci pour les interactions avec les élèves et collègues et leur gestion, et ce, sans jamais ignorer les stratégies à mettre en oeuvre afin de favoriser la réussite scolaire de leurs élèves.

Conclusion

En reconnaissant « la multiplicité des points de vue, la part incompressible de subjectivité qui guide les comportements et leur caractère possiblement instable » (Gauzente, 2013, p. 93), la méthode Q nous apparaît pouvoir enrichir le registre des méthodes utilisées pour explorer des attitudes et des comportements reliés à l’activité en classe et à l’école.

Notre recherche comporte évidemment certaines limites qui relativisent la portée des résultats obtenus. La principale limite est le nombre restreint d’énoncés présentés aux participants. Le fait de travailler avec un petit nombre d’énoncés accentue la subjectivité des chercheuses quant à la sélection des thèmes et pourrait avoir borné les réflexions des participants sur leurs pratiques et, par conséquent, l’accès aux réflexions des enseignants, ce qui vient circonscrire l’étendue de nos résultats de recherche.