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Introduction

Contexte

Le nombre d’ingénieurs en France augmente de 4 % en moyenne par an : alors qu’ils n’étaient que 680 000 en 2009, la France en compte plus d’un million en 2018 (IESF, 2018). En 2016, 33 500 diplômes ont été décernés, soit une progression de 20 % depuis 2009 (MESRI, 2018). Avec un taux net d’emploi de plus de 93 % 12 à 18 mois après l’obtention du diplôme, le marché de l’emploi leur est extrêmement favorable (CGE, 2016). Le niveau de chômage des ingénieurs est deux à trois fois moindre que le niveau moyen en France (APEC, 2017). Si, face à la crise, le fossé se creuse entre niveaux de diplômes, les ingénieurs, quelle que soit leur discipline, sont protégés de la dégradation économique (Barret, Ryk et Volle, 2014).

Il s’agit d’une profession recherchée : certains secteurs industriels comme l’électronique, l’informatique ou l’énergie ont parfois du mal à trouver tous les ingénieurs dont ils auraient besoin. Le spectre des parcours professionnels des ingénieurs est large et diversifié. Rares sont les diplômes offrant une telle gamme de métiers. La rémunération des ingénieurs est très satisfaisante (leur salaire médian dépasse de 16 % celui des cadres) et leurs perspectives d’évolution de carrière sont particulièrement attractives.

Du fait de l’autonomie dont elle dispose et de l’intérêt de ses missions, il s’agit d’une population professionnellement épanouie. Près de 90 % des ingénieurs ne craignent pas de perdre leur emploi (IESF, 2018). Les métiers d’ingénieurs couvrent, de la recherche fondamentale aux fonctions commerciales, un ensemble de disciplines aussi variées que la chimie, l’aéronautique, le génie civil, l’agriculture, l’électronique, les télécommunications, etc. Une économie et une industrie plus compétitives passent par le savoir-faire et par le sens de l’innovation des ingénieurs. De la révolution numérique à la transformation énergétique, ils sont au coeur des grandes mutations économiques, sociales et environnementales.

En France, comme dans d’autres pays européens, les études d’ingénieurs bénéficient d’un grand prestige (European Commission, 2006). Il s’agit d’une formation d’excellence parfois qualifiée d’élitiste. Les raisons pour lesquelles les étudiants intègrent une école d’ingénieurs sont diverses. Si certains reconnaissent un intérêt marqué depuis l’enfance pour les sciences et techniques, d’autres, en nombre significatif, ne désirent pas travailler plus tard dans un domaine lié à l’ingénierie. Nombreux sont ceux qui visent avant tout la sécurité de l’emploi, un bon salaire et un statut socialement reconnu. Au moment de décider d’intégrer une école d’ingénieurs, seulement la moitié des élèves déclarent être sûrs que l’ingénierie est le bon choix pour eux. Ils sont d’ailleurs plus de la moitié en France à déclarer qu’ils ne disposent pas de suffisamment d’information sur le métier d’ingénieur (CDEFI, 2009). Les études d’ingénieurs sont considérées comme la voie royale qui permet d’accéder à de nombreuses perspectives de carrières (European Commission, 2006).

Le niveau d’éducation des parents des élèves ingénieurs est remarquablement élevé en comparaison avec le niveau global de la population : près de la moitié des élèves ingénieurs sont enfants de cadres et de membres des professions intellectuelles supérieures, alors que cette catégorie représente environ 16 % des actifs en France en 2013 (Insee, 2013). Dans le choix des études d’ingénieurs, les parents sont particulièrement influents. Ils encouragent leurs enfants à choisir ces études qui sont perçues comme un bon choix, menant à une profession prestigieuse et débouchant sur de multiples perspectives (European Commission, 2006). Même si les effectifs féminins ont triplé en 25 ans, la population des écoles d’ingénieurs reste fortement masculine (71 % contre 29 % en 2015). Les filles sont minoritaires dans l’ensemble des filières, à l’exception de celle de l’agronomie et sciences de la vie, où elles sont présentes à hauteur d’environ 62 % (Eloy, 2008 ; IESF, 2018).

Compte tenu des éléments précités, il semble déterminant de s’interroger sur la nature véritable des ressorts motivationnels conduisant les étudiants à poursuivre des études d’ingénieurs. De l’intérêt pour l’ingénierie à la recherche de la sécurité de l’emploi, d’une pression sociale et familiale forte à la quête du prestige social, les motifs sont très diversifiés. Toutefois, les étudiants en ont rarement conscience au moment de leur intégration dans une école. Les enjeux d’une meilleure compréhension de cette motivation sont multiples.

Il s’agit par exemple de pouvoir diversifier les effectifs en attirant plus de filles et d’élèves issus de classes sociales plus modestes. La parité et l’ouverture sociale dans les écoles d’ingénieurs sont des préoccupations récurrentes qui traduisent la mise en oeuvre du principe d’égalité des chances dans l’accès aux études supérieures ainsi qu’aux fonctions économiques et sociales (Compeyron, Baillé et Fruchard, 2010). Plusieurs études montrent que les pays européens font face peu à peu à une pénurie de profils techniques (Sinclair, 2016). Là encore, comprendre la motivation aux études d’ingénieurs peut contribuer à prévenir un manque de diplômés, alors que ces derniers sont de plus en plus recherchés sur le marché de l’emploi. Du point de vue scolaire, la motivation est un concept central lorsqu’il s’agit de comprendre les objectifs poursuivis par les étudiants (Pintrich, 2003), d’expliquer leur persévérance, leur performance ou encore leur satisfaction et leur bien-être (Guay, Ratelle et Chanal, 2008).

Concepts

La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985, 2000) propose un modèle motivationnel fréquemment utilisé en éducation (Guay et al., 2008 ; Ryan et Deci, 2013). Elle distingue plusieurs types de motivation, de la motivation intrinsèque à l’amotivation, et les positionne sur un continuum en fonction de leur degré d’autodétermination.

La motivation intrinsèque

La motivation intrinsèque survient lorsqu’une personne s’engage dans une activité pour le plaisir et la satisfaction qu’elle en retire. Parce qu’elle effectue l’activité de façon volontaire et par intérêt, le degré d’autodétermination de la personne intrinsèquement motivée est élevé.

L’amotivation

L’amotivation se situe à l’autre extrémité du continuum. Un individu est amotivé lorsqu’il ne perçoit pas de relations entre ses actions et les conséquences qui y sont associées. Son niveau d’autodétermination est faible, il est dans l’incapacité de trouver un sens à ses actions, se demande pourquoi il les effectue et, éventuellement, abandonne leur pratique.

La motivation extrinsèque

Entre ces deux extrémités se trouve la motivation extrinsèque. Cette dernière regroupe un ensemble de comportements effectués pour des raisons instrumentales. L’individu extrinsèquement motivé s’engage dans une activité en vue du bénéfice qu’il pourra en retirer : obtenir quelque chose de plaisant ou éviter quelque chose de déplaisant. La motivation extrinsèque est elle-même subdivisée en quatre composantes qui diffèrent selon leur degré d’autodétermination. Par ordre croissant d’autodétermination sont distinguées les motivations extrinsèques par régulation externe, introjectée, identifiée et intégrée (Ryan et Deci, 2000a).

Par régularisation externe

La motivation par régulation externe induit des comportements contrôlés par des forces ou des circonstances externes. L’individu agit avant tout pour obtenir une récompense ou éviter une punition (matérielle, sociale) de son environnement.

Par régularisation introjectée

Dans le cas de la motivation par régularisation introjectée, l’individu est motivé sous l’effet de pressions plus ou moins conscientes et intériorisées. Ces pressions sont de natures très diverses : éviter d’éprouver de la culpabilité, des remords, de la honte, de l’anxiété ou encore renforcer l’ego, l’amour propre ou l’estime de soi. Une forme classique d’introjection impliquant l’ego est celle de l’individu motivé à prouver ses aptitudes afin de maintenir son sentiment de valeur.

Par régulation identifiée

La motivation par régulation identifiée est celle de l’individu qui accomplit une activité et s’y engage volontairement parce qu’il a consciemment identifié cette activité comme importante à ses yeux. Il s’engage non pas parce qu’ « il faut » le faire (régulation introjectée ou externe), mais parce qu’ « il veut » le faire, alors même que l’action n’est pas nécessairement plaisante (Blais, Brière, Lachance, Riddle et Vallerand, 1993).

Par régulation intégrée

Dans la motivation par régulation intégrée, l’individu accomplit une activité parce qu’il la considère comme cohérente avec son système de valeurs et ses besoins.

Dans la théorie de l’autodétermination, la distinction entre motivations intrinsèque et extrinsèque a peu à peu été remplacée par l’opposition entre motivation autonome (régulations intrinsèque, intégrée et identifiée) et motivation contrôlée (régulations introjectée et externe).

De nombreuses recherches montrent que, sur le continuum de l’autodétermination, plus la motivation tend vers la régulation intrinsèque, plus les conséquences sont positives, autant du point de vue émotionnel, cognitif que comportemental. À l’inverse, lorsque le niveau d’autodétermination diminue ou lorsque l’individu est amotivé, les conséquences sont généralement négatives (Guay et al., 2008 ; Ryan et Deci, 2013). Dans le domaine de l’éducation, les formes de motivation les plus autodéterminées sont associées à des performances plus élevées (Chédru, 2015 ; Fortier, Vallerand et Guay, 1995 ; Kaufman, Agars et Lopez-Wagner, 2008 ; Komarraju, Karau et Schmeck, 2009 ; Kusurkar, Ten Cate, Vos, Westers et Croiset, 2013), à de meilleures stratégies d’apprentissage, à une plus grande persévérance (Blanchard, Pelletier, Otis et Sharp, 2004 ; Ratelle, Guay, Vallerand, Larose et Senécal, 2007 ; Vallerand et Bissonnette, 1992 ; Vansteenkiste, Sierens, Soenens, Luyckx et Lens, 2009 ; Vansteenkiste, Simons, Lens, Sheldon et Deci, 2004) et à une satisfaction dans les études et un bien-être (émotions positives, estime de soi) accrus (Baker, 2004 ; Black et Deci, 2000 ; Litalien, Guay et Morin, 2015 ; Ryan et Deci, 2000b). À l’opposé, plus l’étudiant est motivé par régulation externe ou amotivé, plus il tend à se désengager et risque d’abandonner ses études (Hardre et Reeve, 2003 ; Litalien et al., 2015 ; Vallerand, Fortier et Guay, 1997) ; sa performance est moindre et il ressent plus fréquemment des émotions négatives (stress, anxiété ; Baker, 2004 ; Kaufman et al., 2008).

Outils d’évaluation

Dans les nombreuses études portant sur la théorie de l’autodétermination en contexte scolaire, deux échelles sont principalement utilisées (Guay et al., 2008) : l’Échelle de motivation en éducation (EME ; Vallerand, Blais, Brière et Pelletier, 1989) et l’Academic Self-Regulation Questionnaire (SRQ-A ; Ryan et Connell, 1989). La première échelle est généralement utilisée dans le contexte d’études secondaires ou supérieures, tandis que la seconde est utilisée au primaire.

Lorsque ces échelles ne permettent pas de prendre en compte certaines spécificités liées au contexte (p. ex., la nature des études poursuivies ou encore l’âge et la maturité des répondants), des auteurs ont fait le choix de proposer de nouveaux outils. Ainsi, l’Échelle de motivation aux études de doctorat (EMEPhD ; Litalien et al., 2015) et l’Échelle de motivation en formation des adultes (EMFA-24 ; Fenouillet, Heutte et Vallerand, 2015) ont été récemment conçues dans la perspective de la théorie de l’autodétermination.

À notre connaissance, aucune échelle de la motivation aux études d’ingénieurs en contexte francophone n’a à ce jour été proposée. En intégrant des éléments clés de leur motivation (p. ex., la participation au progrès scientifique et technologique, la quête de sécurité de l’emploi ou du prestige social), une mesure spécifique permettrait de mieux comprendre la diversité des processus qui régulent les comportements des élèves ingénieurs.

À partir de la théorie de l’autodétermination, le but de cet article vise donc l’élaboration et l’évaluation des propriétés psychométriques d’une échelle de motivation aux études d’ingénieurs en contexte francophone.

Méthodologie

Les étapes du développement de l’Échelle de motivation aux études d’ingénieurs s’inspirent des lignes directrices proposées par Churchill (1979), actualisées par Roussel (2005) et DeVellis (2017), à savoir : 1) la détermination de l’objet de mesure à la lumière d’une revue de littérature, 2) la génération des items, 3) la détermination du format de la mesure, 4) la vérification de la clarté des items, 5) le prétest des questions auprès d’un échantillon dont les caractéristiques s’apparentent à celles de la population cible, 6) l’analyse d’items et 7) la vérification de la validité de la structure factorielle du questionnaire auprès de la population cible.

Étapes 1 à 4 : Génération de l’échelle

En complément de la revue de la littérature, une phase qualitative exploratoire a été menée afin de générer l’échelle de mesure. Cette phase vise trois objectifs :

  1. Vérifier la pertinence de l’approche théorique choisie et sa compréhension implicite par les élèves ingénieurs ;

  2. Effectuer la formulation de questions les plus aisément compréhensibles par les répondants. Lorsque nécessaire, certains items issus des échelles existantes sont reformulés ;

  3. Faire émerger de nouveaux items spécifiques au contexte de l’étude.

À cette fin, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 12 élèves ingénieurs. Parmi eux se retrouvent 6 filles et 6 garçons, dont 6 de niveau Licence 1 (L1) et 6 de niveau Master 1 (M1). Trois spécialités sont représentées (alimentation-santé, géologie et agriculture), soit quatre étudiants par spécialité. La moyenne d’âge est de 19,5 ans (ET = 2,7).

Une première question abordait le thème de la motivation sur un plan très général. Il s’agissait, après avoir rappelé une définition simple de la motivation comme « une force qui pousse à agir » (Villers, 2015), de demander aux élèves ingénieurs les motifs qui les ont conduits à suivre ce type de cursus. Une série de questions permettait ensuite de balayer les différents concepts de la théorie de l’autodétermination. Pour la motivation extrinsèque, il s’agissait par exemple d’interroger les élèves sur les « comportements qu’ils adoptent sous l’effet d’une pression interne » (régulation introjectée) et sur la nature de cette pression. Concernant l’amotivation, la question était : « Ne pas être motivé, pour vous, comment cela se traduit-il ? »

Parce que la question de la motivation est susceptible de soulever des sujets très personnels chez les individus interrogés, des entretiens individuels semi-dirigés ont été préférés aux entretiens de groupe. Un climat de confiance a pu être instauré en rappelant le caractère strictement confidentiel des échanges et des données recueillies. Les entretiens ont duré en moyenne 1 h 30 et ont été intégralement retranscrits pour l’analyse (analyse catégorielle de contenu). Le nombre total d’entretiens (12) a été conditionné par la saturation sémantique des données. Un échantillon initial de 41 items (voir Annexe) à partir de la phase qualitative exploratoire et des recherches universitaires a été retenu. Une question générale invite les répondants à préciser les raisons qui les incitent à poursuivre des études d’ingénieurs en notant pour chaque item leur réponse sur une échelle de Likert en sept points, de 1 « fortement en désaccord » à 7 « fortement en accord », avec en point milieu 4 « ni en accord, ni en désaccord ».

Étapes 5 et 6 : Prétest des questions auprès d’un échantillon dont les caractéristiques s’apparentent à celles de la population cible et analyse d’items

L’étape de prétest s’est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, les réponses de 462 élèves ingénieurs issus de deux spécialités (alimentation-santé et géologie) ont été recueillies (voir Tableau 1, 1re collecte). Une série d’analyses factorielles exploratoires ont été effectuées afin d’éliminer les items présentant des qualités psychométriques peu satisfaisantes. La fiabilité de cohérence interne a été évaluée à l’aide du coefficient alpha de Cronbach (α). À l’issue de cette étape, 22 items ont été retenus et 7 dimensions ont été identifiées.

Afin de vérifier la stabilité factorielle de l’échelle précédemment obtenue et de purifier encore l’instrument de mesure si nécessaire, 545 élèves ingénieurs inscrits dans une spécialité en agriculture ont été interrogés dans un deuxième temps (voir Tableau 1, 2e collecte). Une analyse factorielle exploratoire a été menée et le coefficient alpha de Cronbach a été retenu comme mesure de la fiabilité de cohérence interne. Avec une structure factorielle identique à celle obtenue précédemment, les résultats indiquent que la structure à sept facteurs est stable, quel que soit le type de spécialité des élèves ingénieurs (alimentation-santé, géologie, agriculture). Entre les deux temps de mesure, un retour à l’étape de génération d’items est idéalement préconisé (Churchill, 1979 ; Roussel, 2005). Par manque de temps, cette préconisation n’a pu être suivie, avec pour conséquence un nombre d’items par dimension jugé insuffisant par certains auteurs (Brown, 2015). Ce point sera souligné dans les limites de l’étude.

Étape 7 : Vérification de la validité de la structure factorielle du questionnaire auprès de la population cible

Au cours de la troisième collecte de données, 864 élèves ingénieurs issus de trois spécialités (agriculture, alimentation-santé et géologie) ont été interrogés. Les sept dimensions mises à jour par les analyses factorielles exploratoires ont été validées par une analyse factorielle confirmatoire. La fiabilité de cohérence interne a été examinée à l’aide des coefficients alpha de Cronbach et rhô de Jöreskog (ρ ; Fornell et Larcker, 1981 ; Jöreskog, 1971). Une analyse de la validité de construit, décomposée en validité convergente et en validité discriminante (Campbell et Fiske, 1959), a également été effectuée en suivant l’approche de Fornell et Larcker (1981) complétée par Bagozzi et Yi (1989) et par Bagozzi, Yi et Phillips (1991). Cette approche, grâce au développement de l’analyse factorielle confirmatoire, facilite la mesure de ces deux validités par rapport à l’approche traditionnelle multitraits-multiméthodes (MTMM) de Campbell et Fiske (1959).

Le processus de purification de l’échelle se déroule ainsi en deux phases. Au cours de la première phase, les analyses factorielles exploratoires menées sur les deux premières collectes de données permettent de faire émerger la structure factorielle de la mesure. La seconde phase, réalisée à partir de la troisième collecte de données, correspond à l’analyse factorielle confirmatoire et à l’estimation de la fiabilité et de la validité de construit de la mesure. Elle a pour but de valider la structure factorielle obtenue.

La méthode d’extraction en facteurs communs (maximum de vraisemblance) avec rotation oblique (oblimin) a été retenue pour mener les analyses factorielles exploratoires. Cette méthode d’extraction est préférable à l’analyse en composantes principales lorsqu’il s’agit d’identifier des facteurs latents et de leur attribuer des items (Bourque, Poulin et Cleaver, 2006 ; Conway et Huffcutt, 2003). Le choix de la rotation oblique se justifie par les corrélations attendues entre les facteurs qui mesurent tous un même concept (Bourque et al., 2006). Pour chacune des trois collectes, les statistiques descriptives ont permis de constater que les indicateurs d’asymétrie (skewness) et d’aplatissement (kurtosis) sont respectivement inférieurs à 2 et à 3 en valeur absolue. Selon Kline (2016), aucun de ces indicateurs ne dépasse les seuils de non-normalité univariée qui peuvent être qualifiés de sévères. De plus, sur l’ensemble des trois collectes, 16 réponses comportant des valeurs extrêmes (outliers) ont été éliminées sur la base du calcul de la distance de Mahalanobis (Tabachnick et Fidell, 2007).

Tableau 1

Spécialités et données sociodémographiques des élèves ingénieurs composant les trois collectes de données

Spécialités et données sociodémographiques des élèves ingénieurs composant les trois collectes de données

Note. ET = écart-type ; L1 = Licence 1 ; M1 = Master 1.

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Selon les recommandations d’Anderson et Gerbing (1988), plusieurs analyses factorielles confirmatoires ont été réalisées afin d’évaluer si d’autres modèles, spécifiés à la lumière des bases théoriques, présentaient de meilleures statistiques d’ajustement. Quatre modèles ont ainsi été testés

Dans un premier temps, toutes les questions sont liées à un seul facteur nommé motivation (modèle 1). Le deuxième modèle distingue trois facteurs : la motivation autonome (régulations intrinsèque et identifiée), la motivation contrôlée (régulations introjectée et externe) et l’amotivation (modèle 2). Le troisième modèle comprend les sept sous-échelles de motivation reliées à un facteur de deuxième ordre (modèle 3). Enfin, le quatrième modèle représente les sept sous-échelles identifiées corrélées entre elles (modèle 4).

Plusieurs indices ont été utilisés afin d’estimer l’adéquation de la matrice théorique aux données empiriques : le khi carré et son ratio sur les degrés de liberté (χ2/ddl ; Jöreskog, 1969), l’indice de qualité d’ajustement (goodness of fit index ou GFI) et l’indice de qualité d’ajustement corrigé (adjusted goodness of fit index ou AGFI ; Jöreskog et Sörbom, 1984), l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (root mean square error of approximation ou RMSEA ; Steiger, 1990), la valeur moyenne quadratique pondérée (standardized root mean square residual ou SRMR ; Bentler, 1995), l’indice de Tucker-Lewis (Tucker-Lewis index ou TLI ; Tucker et Lewis, 1973), l’indice d’ajustement comparatif (comparative fit index ou CFI ; Bentler, 1990) et, enfin, le critère d’information d’Akaike (Akaike information criterion ou AIC ; Akaike, 1987).

Une valeur χ2/ddl inférieure à 5 reflète un bon ajustement des données au modèle (Jöreskog et Sörbom, 1993). Les modèles obtenant des valeurs des indices GFI, AGFI, TLI et CFI supérieures ou égales à 0,90 sont généralement considérés comme adéquats (Bentler et Bonett, 1980 ; Marcoulides et Schumacker, 1996), alors que ceux présentant des valeurs supérieures ou égales à 0,95 sont qualifiés d’appréciables (Hu et Bentler, 1999). Avec un indice RMSEA inférieur à 0,07 (Steiger, 2007) et un indice SRMR inférieur à 0,08 (Hu et Bentler, 1999), les modèles sont jugés comme adéquats. Quant au AIC, le modèle le plus approprié devrait être celui qui présente la valeur la plus faible (Bentler, 1995).

Résultats

Analyses factorielles exploratoires

Une première analyse factorielle exploratoire avec rotation oblimin a été effectuée sur les 41 items de l’échelle, à partir de la première collecte de données. L’adéquation des données à analyser avec ce type d’analyse a été vérifiée : le test de sphéricité de Bartlett est significatif et l’indice KMO est de 0,88. À ce stade, plusieurs items présentaient de faibles qualités de représentation (< 0,4). D’autres items avaient des contributions supérieures à 0,3 sur plusieurs facteurs et certains ne présentaient aucune contribution supérieure à 0,5 sur l’un ou l’autre des facteurs en présence. Ces items ont donc été retirés et ce sont finalement 22 items qui ont été retenus pour la suite de l’analyse.

Lorsque l’analyse factorielle exploratoire est conduite sur ces 22 items, le test de sphéricité de Bartlett est significatif et l’indice KMO est de 0,80. Le tableau 2 représente la structure factorielle obtenue après rotation. Les résultats indiquent qu’une structure factorielle à sept facteurs émerge, expliquant 68,31 % de variance. La qualité de représentation de l’item « mais cela ne m’intéresse pas » est relativement faible, mais, compte tenu de sa pertinence d’un point de vue théorique et afin de conserver un nombre minimal d’items par facteur, il est néanmoins conservé.

Facteur 1 : régulation introjectée – ego

Le premier facteur s’apparente à une dimension de la motivation extrinsèque par régulation introjectée. Il s’agit de se mettre en avant (montrer aux autres ses capacités, relever un défi personnel) et de réussir « quoi qu’il en coûte ». Les pressions à l’origine de cette motivation sont liées à la volonté d’augmenter son amour propre et de renforcer son ego.

Facteur 2 : régulation identifiée – altruisme

Le deuxième facteur correspond aux réponses qu’un ingénieur peut apporter pour « le bien de l’humanité » : développer de nouvelles solutions technologiques ou encore contribuer au développement durable, au progrès scientifique, technologique et intellectuel. Il s’agit d’une dimension de la motivation extrinsèque par régulation identifiée : le degré d’autodétermination de l’individu est élevé, car il s’engage dans une activité qu’il juge importante.

Facteur 3 : régulation externe – sécurité

Le troisième facteur représente une facette de la motivation extrinsèque par régulation externe, celle de la quête de sécurité : avoir la garantie d’un emploi en sortie d’école et un salaire satisfaisant.

Facteur 4 : amotivation

Le quatrième facteur traduit l’amotivation. La poursuite des études d’ingénieurs a lieu, malgré un manque d’intérêt et le sentiment de perdre son temps.

Tableau 2

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire (1re étape, n = 462, sans les valeurs inférieures à 0,30)

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire (1re étape, n = 462, sans les valeurs inférieures à 0,30)

Tableau 2 (suite)

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire (1re étape, n = 462, sans les valeurs inférieures à 0,30)

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Facteur 5 : régulation introjectée – conscience

Le cinquième facteur évoque à nouveau une dimension de la motivation extrinsèque par régulation introjectée, mais, cette fois, orientée sur la volonté de ne pas éprouver des sentiments désagréables. Entreprendre des études d’ingénieurs permet de ne pas avoir de regrets, de ne pas s’en vouloir ou de ne pas avoir mauvaise conscience si on ne le faisait pas.

Facteur 6 : régulation externe – prestige social

Le sixième facteur définit une dimension de la motivation extrinsèque par régulation externe. Une quête de reconnaissance sociale et de prestige est sous-jacente à l’ensemble des items composant ce facteur : viser un statut social reconnu, une position hiérarchique élevée, une évolution de carrière rapide.

Facteur 7 : motivation intrinsèque

Le septième facteur représente la motivation intrinsèque. La poursuite des études d’ingénieurs est une activité stimulante qui permet de satisfaire la curiosité intellectuelle.

Afin d’évaluer la cohérence interne des mesures, les coefficients alpha de Cronbach ont été calculés pour chacun des sept facteurs. Ils varient de 0,70 (motivation intrinsèque) à 0,86 (ego) (voir Tableau 2).

Une deuxième collecte de données auprès de 545 élèves ingénieurs en agriculture a été effectuée de façon à vérifier la stabilité de la structure factorielle identifiée. Une structure factorielle identique est obtenue après rotation (voir Tableau 3). Le test de sphéricité de Bartlett est significatif et l’indice KMO est de 0,82. Les sept facteurs expliquent 68,84 % de variance. Les coefficients de fiabilité varient de 0,72 (motivation intrinsèque) à 0,87 (ego).

Les résultats des analyses factorielles exploratoires indiquent que la structure à sept facteurs est stable quel que soit le type de spécialité des élèves ingénieurs (alimentation-santé, géologie, agriculture). Les analyses factorielles confirmatoires peuvent donc être menées sur les 22 items relatifs aux 7 dimensions de la motivation.

Évaluation de la structure factorielle de l’échelle

Afin de confirmer la structure factorielle obtenue, 864 élèves ingénieurs issus de trois spécialités (agriculture, alimentation-santé et géologie) ont rempli les questionnaires. Les analyses factorielles confirmatoires ont été réalisées à l’aide du logiciel AMOS, version 22.0 (Arbuckle, 2013). La méthode d’estimation est celle du maximum de vraisemblance. Les données manquantes sont peu nombreuses (moins de 1 % pour l’ensemble des données récoltées) ; elles ont été systématiquement remplacées par la moyenne de l’item concerné. Il est à noter que l’imputation par la moyenne pour traiter les données manquantes présente de nombreux inconvénients (pour plus de détails, voir p. ex. Hair, Anderson, Tatham et Black, 1998). Dans le cas de la présente étude, cette méthode a néanmoins été choisie pour sa simplicité et du fait qu’elle reste acceptable lorsque le pourcentage de valeurs manquantes est faible (Tabachnick et Fidell, 2007).

Tableau 3

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire (2e étape, n = 545, sans les valeurs inférieures à 0,30)

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire (2e étape, n = 545, sans les valeurs inférieures à 0,30)

Tableau 3 (suite)

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire (2e étape, n = 545, sans les valeurs inférieures à 0,30)

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Les contributions factorielles (λi) sont toutes significatives. Les données obtenues par le test de Student sont supérieures à 1,96 au seuil de signification de 5 % pour l’ensemble des items. Les corrélations multiples au carré (R2) ont toutes des valeurs proches ou supérieures au seuil de 0,5 (Fornell et Larcker, 1981 ; voir Tableau 4). Pour les trois items dont les valeurs de R2 sont plus distinctement en deçà du seuil requis (« pour satisfaire ma curiosité intellectuelle », « car je vise la sécurité de l’emploi » et « mais cela ne m’intéresse pas »), nous choisissons néanmoins de les conserver afin de ne pas fragiliser leur sous-échelle d’appartenance, qui ne contiendrait alors que deux items. Nous vérifions par ailleurs que chacun de ces trois items est bien cohérent avec sa sous-échelle d’appartenance, à savoir respectivement : la motivation intrinsèque, la quête de sécurité et l’amotivation.

Les quatre modèles factoriels ont été testés (voir Tableau 5), puis comparés quant à leur ajustement aux données. Les indices indiquent que, comparé aux trois autres modèles, le modèle à sept facteurs de premier ordre (modèle 4) correspondant aux sept types de motivation postulés s’ajuste le mieux aux données. Les indices d’ajustement de ce modèle sont satisfaisants.

La fiabilité de cohérence interne est examinée pour chacune des sept sous-échelles à partir des mesures de l’alpha de Cronbach et du coefficient rhô de Jöreskog (1971). Avec des valeurs comprises entre 0,72 et 0,87 pour l’alpha de Cronbach et entre 0,73 et 0,83 pour le rhô de Jöreskog (voir Tableau 4) et selon les recommandations de Nunnally (1967) et de Fornell et Larcker (1981) respectivement pour l’alpha de Cronbach et pour le coefficient rhô de Jöreskog, les résultats indiquent une bonne fiabilité de cohérence interne pour chacune des sous-échelles de la motivation.

Tableau 4

Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire sur l’Échelle de motivation aux études d’ingénieurs (n = 864)

Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire sur l’Échelle de motivation aux études d’ingénieurs (n = 864)

Note. λi = contribution factorielle ; R2 = corrélations multiples au carré.

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Tableau 5

Indices d’ajustement des différents modèles testés

Indices d’ajustement des différents modèles testés

Note.

Modèle 1 = 1 facteur : toutes les questions sont liées à un seul facteur nommé motivation.

Modèle 2 = 3 facteurs : la motivation autonome (intrinsèque et altruisme), la motivation contrôlée (ego, prestige, conscience, sécurité) et l’amotivation.

Modèle 3 = les 7 sous-échelles de motivation reliées à un facteur de deuxième ordre.

Modèle 4 = 7 facteurs de premier ordre : les 7 sous-échelles corrélées entre elles.

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D’après Campbell et Fiske (1959), la validité de construit cherche à s’assurer que l’échelle mesure parfaitement et uniquement le construit considéré. Elle se décompose en validité convergente et en validité discriminante. Une échelle présente une bonne validité convergente lorsque plusieurs mesures d’un même construit sont suffisamment fortement corrélées entre elles. Une échelle présente une bonne validité discriminante lorsque différentes mesures du construit ont des corrélations suffisamment faibles avec des construits distincts (Bagozzi et al., 1991). La validité convergente est évaluée à partir de deux critères (Fornell et Larcker, 1981) : le test t associé à chacune des contributions factorielles (λi) doit être significatif (> 1,96) et la variance moyenne extraite (rhô de validité convergente ou ρvc) supérieure à 0,5. Les deux conditions sont remplies (voir Tableau 6) pour chaque construit, à l’exception de la motivation intrinsèque, pour laquelle la variance moyenne extraite est proche, mais néanmoins légèrement inférieure au seuil requis (ρvc = 0,48). Pour de nouvelles échelles, une variance moyenne extraite est cependant considérée comme acceptable à partir d’une valeur de 0,45 (Netemeyer, Bearden et Sharma, 2003). En regard de ce seuil, nous pouvons donc admettre que le critère de validité convergente de la motivation intrinsèque est également acceptable.

Le principe du test de la validité discriminante est de vérifier que chaque construit partage davantage de variance avec ses mesures qu’avec les autres construits (Roussel, Durrieu, Campoy et El Akremi, 2002). Il est ainsi nécessaire de s’assurer que la racine carrée de ρvc de chaque construit est supérieure aux valeurs absolues des corrélations partagées entre ce construit et les autres construits (Hulland, 1999). Cette condition est vérifiée (voir Tableau 6).

L’analyse des corrélations entre les construits soutient partiellement la présence d’un continuum de l’autodétermination, comme l’ont postulé Deci et Ryan (1985). Un patron de corrélations de type « simplex » (Guttman, 1954) est obtenu lorsque les corrélations entre construits adjacents sont relativement élevées, alors que les corrélations entre les construits éloignés diminuent progressivement pour devenir négatives. Globalement, les résultats obtenus appuient la présence d’un continuum d’autodétermination (voir Tableau 6). Les corrélations les plus élevées s’observent entre les construits adjacents du continuum, par exemple la motivation intrinsèque et la motivation identifiée altruisme (r = 0,45 et p < 0,01). Inversement, les construits les plus éloignés obtiennent des coefficients moins élevés ou négatifs, par exemple la motivation intrinsèque et l’amotivation (r = -0,63 et p < 0,01). Des corrélations élevées sont également observées entre les deux construits de la motivation introjectée (ego et conscience, r = 0,62 et p < 0,01) et entre les deux construits de la motivation externe (sécurité et prestige social, r = 0,62 et p < 0,01).

Tableau 6

Évaluation de la validité discriminante de l’Échelle de motivation aux études d’ingénieurs et corrélations entre les construits

Évaluation de la validité discriminante de l’Échelle de motivation aux études d’ingénieurs et corrélations entre les construits

Note.

Les racines carrées de ρvc sont indiquées sur la diagonale, entre parenthèses.

* p < 0,05; ** p < 0,01.

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Le patron de corrélations révèle cependant plusieurs écarts. Par exemple, la corrélation obtenue entre la motivation introjectée ego et la motivation identifiée altruisme (r = 0,17 et p < 0,01) devrait être supérieure à celle obtenue entre la motivation introjectée ego et la motivation intrinsèque (r = 0,24 et p < 0,01). Plusieurs corrélations ne sont pas significatives, par exemple la motivation intrinsèque avec la motivation introjectée conscience ou encore avec la motivation externe sécurité. Les corrélations significatives soutiennent quant à elles majoritairement le continuum de l’autodétermination.

Les résultats indiquent que l’Échelle de motivation aux études d’ingénieurs est donc fiable et qu’elle réunit divers éléments prouvant sa validité.

Discussion

À partir de la théorie de l’autodétermination, l’objectif de cette étude était le développement d’un instrument de mesure de la motivation aux études d’ingénieurs. Le processus de création de l’échelle a suivi la démarche proposée par Churchill (1979), actualisée par les travaux de Roussel (2005) et de DeVellis (2017). Une revue de la littérature, des entretiens semi-directifs et trois vagues de collecte de données ont permis d’élaborer une échelle comprenant 22 items répartis en 7 dimensions : la motivation intrinsèque, les motivations extrinsèques par régulation identifiée (altruisme), introjectée (ego et conscience), externe (sécurité et prestige social) et, enfin, l’amotivation.

L’échelle satisfait aux critères de fiabilité communément admis. Sa validité de construit (décomposée en validité convergente et discriminante) est vérifiée. Les résultats indiquent que les relations entre les construits soutiennent partiellement le continuum d’autodétermination. D’autres preuves de validité sont réunies parmi celles définies par Downing (2003) et par Messick (1995), en particulier la validité apparente et de contenu (revue de la littérature complétée par une phase qualitative exploratoire).

Les dimensions de motivation intrinsèque et d’amotivation recouvrent des réalités comparables à celles présentes dans des échelles validées dans la littérature (Guay, Mageau et Vallerand, 2003 ; Vallerand et al., 1989). La motivation extrinsèque par régulation identifiée (altruisme) réfère aux contributions pour le « bien commun » qu’un ingénieur peut apporter à une société : participer au progrès scientifique et intellectuel, développer de nouvelles solutions technologiques, contribuer au développement durable. Cette dimension est spécifique au contexte de notre étude et n’a pas d’équivalent dans la littérature parmi les échelles issues de la théorie de l’autodétermination. Les deux dimensions de la motivation extrinsèque par régulation introjectée (ego et conscience) sont présentes sous des formes similaires dans la littérature (Guay et al., 2003 ; Vallerand et al., 1989), mais jamais de façon simultanée dans une seule et même échelle. La motivation extrinsèque par régulation externe (sécurité) n’a pas d’équivalent dans la littérature parmi les échelles issues de la théorie de l’autodétermination. Elle traduit la volonté de sécuriser son avenir et d’avoir la garantie des débouchés professionnels (ne pas se retrouver au chômage, gagner correctement sa vie). La motivation extrinsèque par régulation externe (prestige social) est présente dans les échelles de la littérature (Guay et al., 2003 ; Vallerand et al., 1989). Elle traduit des ambitions sociales fortes : un statut social reconnu, une position hiérarchique élevée ou une évolution de carrière rapide.

L’élaboration d’une échelle multidimensionnelle mesurant la motivation aux études d’ingénieurs comporte des implications théoriques et pratiques intéressantes. Sur le plan théorique, il devient possible de vérifier les hypothèses concernant les antécédents (p. ex., styles d’enseignement, climat motivationnel instauré par l’enseignant) et les conséquences (p. ex., performance, persévérance, satisfaction, bien-être) des différentes formes de motivation des élèves ingénieurs. L’échelle ouvre ainsi de nouvelles voies de recherche auprès de cette population sous-étudiée. Dans une perspective plus appliquée, une description fine et une meilleure compréhension des motivations sous-jacentes à la poursuite d’études d’ingénieurs permettront par exemple de guider les interventions et actions futures dans le but d’attirer plus de filles et d’étudiants aux origines sociales plus modestes dans ces parcours.

Limites

Diverses limites de la présente étude sont à mettre en lumière. Tout d’abord, l’échelle comporte majoritairement trois items par dimension ; idéalement, elle devrait en contenir un minimum de quatre (Brown, 2015). La stabilité temporelle de l’échelle n’a pas été évaluée. Bien que des éléments de preuve de validité soient obtenus, des analyses complémentaires devront être menées afin de compléter le concept de validation tel que le définissent par exemple Downing (2003) et Messick (1995). Ainsi, des preuves complémentaires de validité de structure interne, mais aussi de validité de processus de réponse, de relation avec d’autres variables et de conséquence devront-elles être apportées. Même si les relations entre les construits soutiennent globalement le continuum d’autodétermination, les corrélations qui ne correspondent pas à celles attendues ou qui ne sont pas significatives devront être scrutées dans le cadre de nouvelles études. L’échelle a été testée en interrogeant des étudiants issus de trois spécialités en lien avec les sciences de la terre, du vivant et de l’environnement, où les filles sont relativement nombreuses. Il conviendrait de répéter cette étude auprès d’étudiants provenant d’autres filières (p. ex., informatique et électronique) et, afin de procéder à une validation transculturelle de l’échelle, auprès d’étudiants issus d’autres cultures et nationalités. Les recherches futures pourront s’attarder à différencier la motivation des étudiants en fonction des données sociodémographiques recueillies et des filières d’appartenance.

En conclusion, même si l’échelle proposée représente un outil récent dont le processus de validation devra se poursuivre dans le cadre de nouvelles recherches, les résultats de la présente étude attestent la qualité de ses propriétés psychométriques. Ces caractéristiques ainsi que l’éventail en sept dimensions de la motivation devraient en faire un outil utile pour les recherches à mener en contexte francophone auprès des élèves ingénieurs.