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Problématique

En Belgique francophone, comme dans d’autres pays, la formation initiale des enseignants (FIE) s’inscrit dans une perspective d’alternance intégrative (Pentecouteau, 2012) organisant la formation autour de moments tant à la haute école pédagogique (HEP) que sur le terrain. Ainsi, les stages pédagogiques sont-ils des occasions d’inciter l’étudiant à articuler les apports des différents pans de sa formation (Balslev, Perréard Vité et Tominska, 2017 ; Tominska, Dobrowolska et Balslev, 2017). Ils sont répartis sur l’ensemble des trois années d’études[1] et participent à la construction des compétences professionnelles définies par le législateur. Dans ce cadre, les prescrits (CFB, 2000) mentionnent que les étudiants doivent être accompagnés par un maitre de stage[2] issu du terrain d’accueil et par au moins un superviseur[3] (Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018) de la HEP. Ce dernier peut occuper, au sein de celle-ci, la fonction de psychopédagogue, de didacticien ou de maitre de formation pratique[4].

Au-delà de cette obligation, les tâches et fonctions attendues de ces acteurs ne sont pas précisées, ce qui conduit les instituts de formation à avancer dans l’accompagnement des futurs enseignants avec peu de balises communes et spécifiques (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2017). Pour préciser cette mission d’accompagnement, quelques recherches s’attachent, depuis peu, à décrire les fonctions ainsi que les modes d’intervention des superviseurs (Gouin et Hamel, 2015 ; Spallanzani, Vandercleyen, Beaudouin et Desbiens, 2017).

En effet, puisque les superviseurs sont avant tout engagés pour enseigner et pour partager avec les étudiants l’expertise relative à leur formation disciplinaire, ils ne sont pas formés à l’accompagnement des stages, facette de leur métier dans laquelle ils s’estiment démunis et peu outillés (Van Nieuwenhoven, Picron et Colognesi, 2016), particulièrement lorsqu’ils doivent passer d’une posture d’accompagnateur à une posture d’évaluateur (Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018). La tension entre ces deux postures nous a poussés à nous interroger sur la construction du jugement évaluatif (Bélair, 2011 ; Leroux et Bélair, 2015) tout au long du processus de supervision d’un stage.

L’objectif de cette contribution est ainsi de s’interroger sur la construction du jugement évaluatif durant le temps de la coévaluation (Allal, 1999, 2006 ; Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2017 ; Minder, 1999). Les questions au centre de cette recherche sont les suivantes : Le jugement évaluatif construit par le superviseur respecte-t-il les caractéristiques du jugement professionnel en évaluation (Allal et Mottier Lopez, 2009 ; Lafortune, 2008) ? Dans quelle mesure la singularité de la situation, élément constituant un jugement professionnel en évaluation, influence-t-elle le jugement évaluatif du superviseur ?

Nous abordons successivement : les concepts convoqués dans le cadre de cette recherche ; la méthodologie mise en oeuvre tant pour collecter les données que pour les analyser ; la présentation des principaux résultats ainsi que la discussion et la mise en perspective de ceux-ci.

Cadre conceptuel

Trois concepts sont déployés ici : 1) le concept de superviseur et les rôles joués par celui-ci ; 2) la notion de coévaluation et la place qu’elle occupe dans le dispositif de la supervision ; 3) le concept de jugement évaluatif mis en relation avec celui de jugement professionnel en évaluation.

Le superviseur

Le superviseur est le référent institutionnel qui accompagne l’étudiant durant la période de stage. Correa Molina (2008) explique que, pour assumer ses responsabilités en tant que représentant de l’institut de formation, le superviseur est amené à assumer plusieurs rôles. Ainsi, il est à la fois accompagnateur du stagiaire, médiateur entre les divers acteurs et les institutions ainsi que personne-ressource auprès du maitre de stage (Enz, Freeman et Wallin, 1996). Dans cette contribution, l’accent est mis sur le rôle d’accompagnateur : le superviseur observe le stagiaire lors d’une activité, offre de la rétroaction à la fin de celle-ci, soutient, encourage, mais aussi évalue l’étudiant après le stage par le biais d’une coévaluation.

La coévaluation

La coévaluation est définie par Jorro et Van Nieuwenhoven (2019) comme « une évaluation conjointe entre un étudiant et le(s) formateur(s) en vue d’engager un dialogue entre eux sur les écarts d’appréciation par rapport à une production particulière ou à un bilan plus global, sur la base ou non d’un référentiel externe » (p. 37).

Allal (1999), dans une perspective de régulation, souligne que la coévaluation est le moment « où l’apprenant confronte son autoévaluation à l’évaluation réalisée par le formateur » (p. 41), ce qui permet de formaliser une synthèse des différents regards en fonction des critères communs (Minder, 1999).

Dans le contexte plus spécifique de la supervision de stage en formation initiale des enseignants, Colognesi et Van Nieuwenhoven (2017) mentionnent que la coévaluation se réalise après le stage, et rassemble les superviseurs et l’étudiant dans l’optique de réaliser un bilan global du stage, qu’il soit à visée certificative ou formative :

  • en donnant du sens à l’évaluation ;

  • en installant une logique de dialogue entre ces différents acteurs, en veillant à maintenir l’étudiant au centre de la démarche par son rôle actif (Allal, 2006) ;

  • en développant la réflexivité des étudiants ;

  • en favorisant tant une autoévaluation qu’une autoformation de l’étudiant (Przesmycki, 1991).

Dans une perspective formative (Allal, 2006), ce temps amène les deux superviseurs et l’étudiant à identifier les forces de ce dernier ainsi que les défis qu’il lui reste à surmonter. Toutefois, dans ce contexte de coévaluation de stage en formation initiale des enseignants, Colognesi et Van Nieuwenhoven (2017) relèvent un manque de clarté à la frontière entre les volets formatif et certificatif. Effectivement, même si, dans les actions pédagogiques, la dimension formative est présente, dans les faits, le dispositif aboutit souvent à l’attribution d’une appréciation ou d’une note. C’est justement la construction du jugement évaluatif conduisant à cette attribution qui est au centre de cet article.

Du jugement évaluatif au jugement professionnel en évaluation

Leroux et Bélair (2015) présentent l’évaluation comme un processus de nature fort complexe nécessitant de la part du superviseur de stage de faire preuve de professionnalisme. En se référant aux travaux de Cardinet (1975), ces auteures expliquent que l’évaluation des apprentissages renvoie à une démarche évaluative comprenant quatre étapes consécutives : 1) l’intention, 2) la mesure, 3) le jugement et 4) la décision. Leroux (2016) souligne que le jugement occupe, dans ce cadre, une place centrale, à la suite de l’interprétation des informations collectées et avant la prise de décision. Pour Hadji (1989), le produit de l’évaluation est toujours exprimé sous forme de jugement. Il consiste à donner un avis sur la progression – ou non – de l’étudiant ou sur l’état de réalisation des apprentissages, en regard, dans ce cas-ci, des compétences professionnelles visées par la formation initiale. La visée évaluative du stage, qu’elle soit formative ou certificative, influence la décision prise. Une évaluation formative vise la régulation de l’activité de l’étudiant afin de favoriser sa progression vers les objectifs de la formation (Allal, 2007), tandis qu’une évaluation certificative met l’accent sur le bilan certifiant les connaissances et les compétences acquises par l’étudiant.

Notre étude tente, au travers d’un dispositif de coévaluation (voir la section Méthodologie), de caractériser le jugement évaluatif posé par le superviseur afin d’observer si ce jugement s’inscrit dans une démarche évaluative à l’intérieur de laquelle les étapes se succèdent de façon linéaire, comme le présente Cardinet (1975), ou s’il est plutôt de l’ordre du jugement professionnel en évaluation qui, selon Mottier Lopez et Allal (2008), suppose un renversement de perspective en élargissant les processus de jugement à toutes les étapes de l’évaluation des apprentissages et à l’ensemble des activités d’enseignement, ce qui ajoute une dimension itérative (représentée par une spirale ; voir Figure 1) à la démarche évaluative. Leroux et Bélair (2015) mettent en évidence que, dans un contexte d’évaluation de compétences dans l’enseignement supérieur, la notion de jugement est omniprésente puisque l’enseignant est amené à interpréter les traces recueillies lors de la réalisation de tâches complexes.

La figure 1 présente notre modélisation du jugement professionnel en contexte de stage. Quatre caractéristiques y sont déployées : 1) prendre les informations, 2) interpréter ces informations, 3) anticiper et apprécier les conséquences et 4) prendre une décision.

Le concept de jugement professionnel en évaluation est envisagé comme un processus menant à une prise de décision s’appuyant sur l’expertise professionnelle : il nécessite rigueur, cohérence et transparence (Lafortune, 2008). Celui-ci est, d’après Baribeau (2015), de nature complexe et vise à soutenir l’étudiant à l’aide d’une complémentarité des évaluations. Il s’opère sur l’ensemble des démarches de l’évaluation (Serry et Tessaro, 2016).

Figure 1

Modélisation du concept de jugement professionnel en évaluation

Modélisation du concept de jugement professionnel en évaluation
Sources : D’après Allal et Mottier Lopez, 2009, 2010 ; Baribeau, 2015 ; Facione, Facione et Giancarlo, 1997 ; Hameline, 1997 ; Lafortune, 2008 ; Laveault, 2005, 2008 ; Leroux et Bélair, 2015 ; Mottier Lopez, 2008 ; Serry et Tessaro, 2016

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Prendre les informations

D’après Allal et Mottier Lopez (2009), ce processus nécessite donc de recueillir les informations disponibles à propos du stagiaire, lesquelles sont issues de la mise en relation de plusieurs sources (observation directe de l’étudiant, échanges avec le maitre de stage, documents de l’étudiant, etc.). Pour Laveault (2008), qui s’appuie sur les travaux de Harlen (2005), le jugement professionnel s’exerce en s’appuyant sur toutes les informations à la disposition du superviseur.

Interpréter ces informations

Ces informations sont ensuite interprétées au regard de différents référentiels (Mottier Lopez et Allal, 2010) visant à appuyer les jugements pratiques et diagnostiques du professionnel ainsi qu’à ajouter un niveau de contrôle et de complexité dans la prise de décision (Laveault, 2008), tout en prenant en compte la singularité de la situation (Allal et Mottier Lopez, 2008 ; Mottier Lopez et Allal, 2010). Comme mise en avant par Allal et Mottier Lopez (2008), cette interprétation peut également faire l’objet d’une interaction avec la collectivité professionnelle.

Anticiper et apprécier les conséquences

Après cette interprétation, le superviseur peut anticiper et apprécier également les conséquences pratiques et morales des actions prises afin d’arriver à la décision, ce qui correspond à l’éthique des responsabilités.

Prendre une décision

La collecte des informations provenant de sources diverses et l’interprétation de celles-ci permettent au superviseur de prendre une décision juste et éclairée ayant fait l’objet d’une réflexion afin d’anticiper et d’apprécier les conséquences de celle-ci.

Méthodologie

La présente contribution s’appuie sur une recherche menée en 2017 et s’insère dans le cadre des travaux du Groupe de recherche sur l’accompagnement des pratiques professionnelles enseignantes (GRAPPE). Ce dernier comprend plusieurs équipes de recherche collaborative, dont le Groupe collaboratif 3 (GC3), qui s’est donné comme objet de recherche le superviseur de l’institut de formation (HEP ou université) dans un contexte de stage en formation initiale des enseignants. Cette équipe est composée de 10 superviseurs issus de trois HEP, de 3 chercheurs et de 2 étudiants-chercheurs. Dans une perspective de prise de recul critique, ces praticiens et experts s’intéressent au point de vue des superviseurs et, plus particulièrement dans cette étude, au sens qu’ils donnent à la construction de leur jugement évaluatif ainsi qu’à leur perception de la situation (Bogdan et Bilken, 1992 ; Denzin et Lincoln, 1994). Dans le cadre particulier de cette étude, les données ont été récoltées par un étudiant-chercheur extérieur à l’équipe du GRAPPE en veillant à respecter, auprès des participants, les principes éthiques tels que le respect de l’anonymat. Nous avons réalisé le traitement de l’ensemble des données, tout en étant soutenus par les membres du GC3, dont nous faisons partie.

Ce travail s’inscrit dans une approche qualitative à visée compréhensive (Van der Maren, 1996) et interprétative (Savoie-Zajc, 2011), et vient alimenter la réflexion menée par les différents membres du GC3 sur la coévaluation.

Participants

Cette étude s’appuie sur un échantillon non probabiliste constitué par un réseau composé de huit superviseurs issus d’une même HEP. Ils supervisent de futurs instituteurs primaires dans le cadre du premier stage de leur deuxième année de formation. Il s’agit d’un stage à visée formative de 15 jours précédant un second stage. Les superviseurs regroupent quatre didacticiennes de différentes disciplines (psychomotricité, français, histoire et mathématique) ainsi que quatre psychopédagogues. Leurs caractéristiques sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1

Détail des participants à l’étude

Détail des participants à l’étude

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Dispositif de coévaluation

Le dispositif de coévaluation au centre de cette recherche, décrit par Colognesi et Van Nieuwenhoven (2017), a lieu à la HEP, une semaine après le stage, en présence de l’étudiant et des deux superviseurs (l’un psychopédagogue et l’autre didacticien) l’ayant visité durant le stage. En amont, l’étudiant reçoit de l’institution une série de consignes afin de préparer son entretien ainsi qu’un document précisant les balises structurant ce dernier (voir Tableau 2). La rencontre permet d’envisager, dans un délai de 45 à 60 minutes, l’ensemble du stage sur la base des documents et des rapports des différents accompagnateurs et de l’étudiant. Les balises prévoient de permettre à l’étudiant de donner son avis sur le stage et d’analyser au moins une de ses préparations. Au terme de cet entretien, l’étudiant reçoit de son superviseur un relevé avec les objectifs prioritaires à viser pour le prochain stage ainsi qu’une appréciation non certificative de sa prestation. (Trois choix s’offrent au superviseur : bon, faible et insuffisant.)

Tableau 2

Balises prescrites par l’institut de formation – Document distribué aux étudiants

Balises prescrites par l’institut de formation – Document distribué aux étudiants

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Outil de collecte de données

La collecte des données pour répondre à nos questions de recherche a été réalisée par entretiens semi-directifs (Albarello, 2012) tenus en HEP. Chacun des huit superviseurs interrogés a été amené, pendant environ une heure, à décrire comment il réalise une coévaluation en détaillant les étapes et en explicitant les actions qu’il pose pour construire son jugement évaluatif. Afin de se rapprocher le plus possible de l’activité réelle du superviseur, une partie de l’entretien a été menée sous la forme d’une instruction au sosie (Clot, 1999 ; Oddone, Rey et Briante, 1981). Par le biais de cette technique, un instructeur (le superviseur) explique au sosie (le chercheur) une activité vécue (la coévaluation) de façon suffisamment précise pour permettre au sosie de la réaliser. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits.

Outil d’analyse des données

Nous avons procédé à une analyse de contenu à l’aide de la version 11.4 du logiciel NVivo (QSR International, 2017) en respectant les six étapes de L’Écuyer (1987, 1990). Nous avons fait le choix d’une catégorisation mixte se basant sur quatre catégories préétablies correspondant aux quatre caractéristiques du jugement professionnel en évaluation (voir Figure 1), tout en laissant de la place aux catégories émergentes.

Pour cette étape de la catégorisation, nous avons respecté les sous-étapes proposées par L’Écuyer (1990), à savoir : le regroupement des différents énoncés dans les catégories préexistantes ainsi que dans de nouvelles catégories préliminaires ; la réduction par élimination des catégories redondantes à des catégories distinctives ; l’identification définitive et la définition des catégories afin de constituer la grille d’analyse finale ; et, enfin, la classification finale des énoncés à partir de cette grille.

Les sous-étapes de la réduction des catégories et de l’identification définitive de ces dernières ont fait l’objet d’une attention toute particulière. En effet, afin de réaliser celles-ci, nous avons procédé, dans un premier temps, à un double codage ayant permis de réduire le nombre de catégories en ciblant les catégories perméables et redondantes. Ensuite, dans un second temps, nous avons stabilisé ces catégories de façon définitive, avec les membres de l’équipe collaborative du GC3, en codant de façon collégiale une série d’énoncés. Au terme de ce travail de construction des catégories et de la grille d’analyse finale, nous avons procédé à un nouvel exercice d’accord interjuges afin de valider le codage. Un chercheur a ainsi codé en parallèle un des huit verbatims. Nous avons obtenu un kappa de Cohen de 0,6378, ce qui correspond, d’après Landis et Koch (1977), à un accord fort entre les deux codeurs.

Résultats

La présentation des résultats est structurée autour des deux questions de recherche. Afin d’illustrer nos propos, des extraits emblématiques sont présentés. Mentionnons comme préalable que l’analyse réalisée n’a pas mis en exergue de différence de positionnement entre les propos des psychopédagogues et des didacticiennes. Le choix a donc été fait de garder le terme générique de « superviseurs », sans distinction spécifique.

Le jugement évaluatif du superviseur respecte-t-il les caractéristiques du jugement professionnel en évaluation ?

En plus des quatre catégories préexistantes présentées ci-dessus, une cinquième est apparue : fixer et gérer le cadre de la coévaluation. C’est par celle-là que nous commençons, eu égard à la hiérarchie des étapes d’une coévaluation.

Fixer et gérer le cadre de la coévaluation

Cette catégorie semble être un préalable à la coévaluation et, donc, à la construction du jugement évaluatif par le superviseur. Trois sous-catégories (voir Tableau 3) liées à cette installation du cadre ainsi qu’à son maintien la composent. Elles ont été classées par ordre décroissant d’apparition dans le discours des superviseurs.

Tableau 3

Sous-catégories relatives à la catégorie Fixer et gérer le cadre de la coévaluation

Sous-catégories relatives à la catégorie Fixer et gérer le cadre de la coévaluation

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Le rappel du cadre et du déroulement de la coévaluation préoccupe sept des huit superviseurs interrogés. Trois superviseurs mettent en avant l’intérêt de s’appuyer sur les balises institutionnelles existantes afin de mener l’entretien :

« On reçoit un guide. En fait, un document, qui reprend le déroulement type d’une coévaluation, et ça en fait notre balise. »

E8

Deux autres répondants insistent également sur l’importance de rappeler ce cadre à l’étudiant :

« Quand l’étudiant entre, on lui explique – je lui explique – toujours comment ça va se dérouler. »

E1

Pour les deux derniers répondants, le cadre est connu par le stagiaire :

« Oui, mais, en général, ils sont au courant, les étudiants. Donc, on leur laisse assez vite la parole. »

E2

La deuxième sous-catégorie, relative à la création et au maintien d’un climat de bienveillance à l’égard de l’étudiant, ressort dans les propos de six des participants :

« Mais j’accueille toujours le stagiaire avec bienveillance, avec sourire. C’est un moment qui va se passer dans la convivialité. »

E1

Cela peut débuter par la préparation du local dans lequel la coévaluation se déroule :

« Quand tu sais qu’il y aura des coévaluations, tu choisis ton local et tu l’aménages pour essayer que l’étudiant soit le plus… Je vais dire un contrexemple : qu’il soit le moins possible dans une posture de jugement. Qu’il soit à l’aise. »

E4

Ensuite, c’est la gestion et le maintien de ce climat qui émergent dans les entretiens :

« Il y a tout l’affectif aussi qui entre en jeu du côté de celui qui est évalué, qui a mis beaucoup d’énergie, qui doit pouvoir entendre. [...] Donc, de diminuer au maximum l’asymétrie de la relation, d’être au maximum à égalité et, puisque ce sont de futurs collègues [...], de ne pas être celui qui sait et qui impose, mais plutôt celui qui guide et qui va faire avancer, qui va tirer de toutes ses forces et amener, par le questionnement et la réflexion, l’étudiant à aller voir plus loin, à se mettre en réflexion. »

E1

Enfin, deux superviseurs soulignent la nécessité d’équilibrer les interactions entre les différents acteurs en présence en fonction du temps :

« Non, tu lui diras déjà à l’avance : “Tu prends la parole quand tu le veux.” Si tu demandes quelque chose à l’étudiant, tu lui demandes s’il est d’accord avec ça, s’il voit autre chose, s’il a envie de poser une question. [...] Tu essaies vraiment de l’inviter à ce qu’il prenne sa place. Et tu feras attention de ne pas prendre trop de place. »

E4

Prendre des informations

Nous avons identifié six sources d’information différentes pour cette catégorie, qui comprend six sous-catégories répertoriées (voir Tableau 4) :

Les interactions avec l’étudiant poursuivant plusieurs objectifs (partager le ressenti, faire clarifier certains aspects du stage, le pousser davantage dans une démarche réflexive) sont présentes dans le discours des huit superviseurs interrogés :

« Oui, voilà… Donc, on passe en revue les différents aspects, on prend toujours le temps de bien écouter ce que l’étudiant a à dire par rapport à son stage. Donc, son ressenti. [...] J’essaie chaque fois de l’amener à analyser le pourquoi de ce ressenti. »

E2

Tableau 4

Sous-catégories relatives à la catégorie Prendre des informations

Sous-catégories relatives à la catégorie Prendre des informations

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La prise de connaissance des différents rapports (rapports de visite du superviseur et du visiteur de la HEP ; rapport final rédigé par le maitre de stage) ainsi que du dossier d’autoévaluation rédigé par l’étudiant est également relevée par l’ensemble des participants comme une source d’information importante :

« Le rapport du maitre de stage, nos rapports respectifs qui sont [...] laissés après la visite. »

E6

Une autre source d’information qui est mise en évidence par tous est la farde de stage, plus particulièrement les préparations de leçons. Et si le retour dans une ou plusieurs préparations est évoqué par les huit superviseurs, des nuances dans les modalités de travail sont visibles : le choix de la préparation par l’étudiant ou par le superviseur et son collègue ; une activité coup de coeur ou, au contraire, une activité ayant posé problème durant le stage ; une activité analysée dans le détail ou un survol du dossier de stage.

« On prend vraiment la leçon et on la passe en revue. De nouveau, cela dépend avec qui je travaille. Si je travaille par exemple avec la prof de français, c’est tout à fait clair qu’elle va un petit peu piocher et regarder l’analyse de matière, alors que moi, je vais regarder plus la méthodo. »

E7

Le maitre de stage absent lors de la coévaluation peut être contacté durant celle-ci afin de clarifier une situation. Cette source d’information est évoquée par six des huit personnes interrogées. Cette modalité est utilisée dans le cas où l’étudiant semble étonné, voire en désaccord avec les éléments du rapport du maitre de stage ou quand des questions spécifiques se posent, par exemple sur les progrès qu’a pu faire l’étudiant et qui n’ont pas été constatés par les superviseurs au moment de leur passage dans la classe de stage :

« Moi, il m’est arrivé d’appeler des maitres de stage pour justement clarifier des choses. »

E6

Quatre superviseurs disent se remémorer leur visite de stage afin de récupérer des informations. Pour cela, ils relisent les traces de leur visite (rapports, etc.) ou font appel à leurs souvenirs :

« Donc, en général, je regarde, avant la coévaluation, ce que j’ai noté lors de la visite, etc. »

E2

Deux superviseurs présentent le collègue présent lors de la coévaluation comme une source d’information permettant de construire son jugement évaluatif. Ce répondant a également visité l’étudiant durant son stage :

« Et puis, une fois que tu as terminé, tu demanderas à l’étudiant : “Est-ce que tu as pu dire tout ce que tu voulais dire ? Est-ce qu’il y a des choses importantes dont tu n’as pas su parler ?” Alors là, tu lui donnes la parole, s’il dit oui. C’est la même chose pour ton collègue… et puis, voilà, avec cela, tu boucles. »

E4

Interpréter les informations

Le tableau 5 présente les quatre sous-catégories en lien avec l’interprétation des informations récoltées.

Tableau 5

Sous-catégories relatives à la catégorie Interpréter les informations récoltées

Sous-catégories relatives à la catégorie Interpréter les informations récoltées

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La première sous-catégorie relève de l’importance de s’appuyer sur la collectivité professionnelle afin de construire son jugement évaluatif. Cet aspect est mentionné par tous les participants, même si ce recours à la collectivité professionnelle peut se limiter à interagir avec le collègue présent lors de la coévaluation :

« [L’étudiant] sort pour que les deux professeurs superviseurs puissent discuter entre eux, faire un bilan sans l’étudiant, et regarder plus attentivement les rapports. Et ça dure cinq minutes. On ne fait pas attendre l’étudiant, qui a déjà bien assez de sources de stress. (rires) »

E8

Le superviseur peut également s’élargir à d’autres collègues, par exemple des didacticiens spécialistes d’une discipline :

« Et si l’étudiant est vraiment en difficulté et qu’on ne sait pas bien se mettre d’accord sur… Voilà… parce que c’est compliqué de mettre en échec, etc. Donc, on garde la farde de stage et on va demander l’avis plus pointu des didacticiens plus spécialisés, quoi. »

E2

Tous les superviseurs interrogés disent également s’appuyer sur les prescrits et sur les référentiels communs pour interpréter les informations en leur possession. Ils évoquent le document institutionnel de synthèse, qui permet de baliser et de structurer ce travail d’interprétation :

« En effet, la feuille ici va baliser l’avancement et les discussions. »

E1

Six des huit superviseurs font référence à la prise en compte du contexte du stage et de la singularité de la situation. Nous ne développons pas davantage cette sous-catégorie ici, car elle fait l’objet d’une analyse plus approfondie dans le cadre du partage des résultats permettant d’éclairer notre deuxième question de recherche.

La dernière sous-catégorie faisant référence à l’interprétation des informations est celle relative à l’utilisation de sa propre expertise professionnelle pour construire son jugement. Celle-ci est évoquée par cinq superviseurs :

« Moi, je suis professeur de français, donc je sais que l’orthographe, pour moi, est extrêmement importante. Un étudiant qui a une mauvaise orthographe n’a pas de chance de tomber sur moi parce que je ne lui fais pas de cadeaux à ce niveau-là. Mais je sais qu’il y en a d’autres pour qui l’orthographe, c’est moins… directement. »

E8

Anticiper et analyser les conséquences

La catégorie suivante fait référence à une autre caractéristique du jugement professionnel en évaluation, à savoir l’anticipation et l’analyse des conséquences qu’aura la décision prise sur l’étudiant. Elle comporte deux sous-catégories (voir Tableau 6).

Tableau 6

Sous-catégories relatives à la catégorie Anticiper et analyser les conséquences

Sous-catégories relatives à la catégorie Anticiper et analyser les conséquences

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L’idée de chercher à transmettre un message de qualité à l’étudiant en visant la transparence est mentionnée par six superviseurs :

« En général, moi, je suis assez clair. Bon, je suis aussi psychologue par ailleurs et je pense que les étudiants, ils ont besoin de la vérité. C’est un peu comme quand on diagnostique un cancer : il ne faut pas aller les leurrer. »

E3

Toujours lié à cette catégorie, le fait de s’interroger sur son jugement évaluatif et de le remettre en question est présent dans le discours de la moitié des superviseurs interrogés :

« Moi, je trouve que c’est quelque chose de très très déstabilisant pour moi et très très inconfortable parce que j’ai toujours peur de mal juger l’étudiant, tellement j’ai l’impression qu’une vision d’un stage, actuellement, une visite d’une heure, ce n’est vraiment pas du tout assez. »

E5

Enfin, deux superviseurs se questionnent sur le fait de savoir si l’étudiant est prêt à recevoir le message :

« Est-ce que l’évaluation peut être formative ? Est-ce qu’il peut entendre, à ce moment-là ? Je pense que si c’est fait avec… oui, avec bienveillance, respect. D’être dans cette optique-là, je pense que ça peut l’être. »

E1

Prendre une décision

Finalement, la dernière catégorie venant ponctuer l’aboutissement du jugement professionnel est déclinée en quatre sous-catégories (voir Tableau 7) :

Pour rappel, le contexte du stage ayant servi à la collecte des données est un stage à visée formative. La première sous-catégorie, partagée par l’ensemble de l’échantillon, fait référence à l’identification des défis pour le stage suivant et à la négociation de pistes de régulation :

« C’est qu’on relit les défis que l’étudiant doit réaliser pour le prochain stage. Il est marqué “mon défi majeur” pour mettre en tout cas une priorité. On met vraiment le point prioritaire sur lequel il faut qu’il accorde son attention. »

E3

Tableau 7

Sous-catégories relatives à la catégorie Prendre une décision

Sous-catégories relatives à la catégorie Prendre une décision

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Un autre aspect de la prise de décision, souligné par sept superviseurs, est la formulation, au terme de la coévaluation, d’une appréciation qui n’a pas d’enjeu certificatif :

« Et pourtant, je suis quelqu’un de fort exigeant, et donc on arrive vraiment, sur la base de tous les éléments dont on dispose, à fixer une lettre qui correspond bien. »

E2

Cinq des huit participants mettent en évidence l’importance d’également identifier les forces de l’étudiant et de pouvoir lui transmettre de la rétroaction positive :

« Il y a toujours des forces chez l’étudiant, donc on les souligne bien et alors, après, on lui dit : “Bien, voilà, il y a un effort à faire à tel et tel niveau”. »

E2

Quatre superviseurs dépassent le cadre de la rencontre de coévaluation et assurent le suivi de cette dernière en contribuant à la mise en projet de l’étudiant :

« On demande à l’étudiant de remplir ce document : “Ce que je retiens de la coévaluation”. C’est vraiment un travail supplémentaire où on lui demande de refaire le point et de se mettre en projet déjà personnellement pour le stage deux. »

E6

Après avoir analysé les résultats afin de voir si le jugement évaluatif construit par les superviseurs respecte les caractéristiques du jugement professionnel en évaluation, nous portons désormais notre attention sur l’influence de la singularité de la situation sur le jugement évaluatif.

Dans quelle mesure la singularité de la situation influence-t-elle le jugement évaluatif ?

Comme nous l’avons évoqué plus avant, six des huit superviseurs font explicitement référence à la singularité de la situation. Dans les données analysées, c’est le contexte de stage qui est principalement pris en compte. Nous n’avons pas identifié d’extraits faisant directement référence à la singularité de l’étudiant supervisé.

D’une part, c’est le contexte qui a pu être observé par le superviseur lors de sa visite et qui lui permet de nuancer :

« On essaie de justement rétablir l’objectivité au mieux. On est allés sur place, donc on a pu voir. »

E1

D’autre part, c’est le contexte relaté par l’étudiant lors des interactions générées durant la coévaluation :

« J’aime mieux l’idée de transférer qu’appliquer parce que transférer, tu dois quand même tenir compte du contexte. Tu vois, si tu vois l’étudiant stagiaire qui dit : “Je n’ai pas su travailler en groupe” alors qu’en principe, on leur demande de travailler en groupe, tu peux dire : “Bien oui, je comprends bien ton contexte” et, comme cela, il est en adaptation, quoi. »

E4

D’autres extraits évoquent la prise en compte de ce contexte, de cette singularité, dans la construction du jugement professionnel. Le superviseur peut nuancer son jugement en fonction de la dimension complexe ou facilitante de celui-ci :

« Tout à fait. Je trouve que ça, c’est une des difficultés. Enfin, moi, c’est vraiment une des difficultés que moi, je vis personnellement. C’est de se dire en fin de compte : son contexte était ou tellement facilitant, ou tellement complexe. »

E6

Les deux extraits suivants mettent en évidence la relation avec le maitre de stage comme élément de contexte pouvant être pris en compte par le superviseur lors de la construction de son jugement évaluatif :

«  Et parfois, ça nous arrive aussi de dire que le maitre de stage a parfois été trop sévère. Ça nous est déjà arrivé l’une ou l’autre fois. Voilà… Il y a parfois des circonstances atténuantes… donc, je suis fort dans l’analyse ! »

E2

« Donc, tu dois vraiment faire attention à cela. [...] Parce que tu vas saisir le contexte dans lequel le maitre de stage a rédigé cela et, donc, tu auras parfois des pistes pour nuancer positivement ou [...]. »

E4

Discussion

Cette discussion se structure autour des deux questions de recherche visées par cette étude.

Respect des caractéristiques du jugement professionnel en évaluation

Tout d’abord, la première question interroge la construction du jugement évaluatif par le superviseur dans un contexte de stage et cherche plus particulièrement à identifier si celui-ci respecte les caractéristiques du jugement professionnel en évaluation. Est-ce le cas pour un superviseur dans un contexte de stage ?

Nous pouvons répondre de façon positive pour six des huit participants, qui évoquent, lorsqu’ils parlent de leur activité, les quatre caractéristiques mises en avant dans notre essai de modélisation : 1) la prise d’informations ; 2) l’interprétation de celles-ci ; 3) l’anticipation et l’appréciation des conséquences liées à la décision ; et, enfin, 4) la prise de décision par le superviseur. Deux participants ne font pas référence, lorsqu’ils s’expriment à propos de leur activité de superviseur, à l’étape de l’anticipation et de l’appréciation des conséquences.

Il est intéressant d’observer que tous passent par une phase de prise d’informations. Les informations recueillies, comme le souligne Lafortune (2008), sont de natures diverses (interactions avec les différents acteurs, traces objectivées, etc.). Cela conduit les superviseurs à mettre ces différents indices en relation et à les interpréter au regard de différents référentiels (Allal et Mottier Lopez, 2009) qui sont communs à l’ensemble des superviseurs, par exemple le document reprenant les balises institutionnelles qui guide l’entretien. Comme le souligne Laveault (2008), il est dans l’intérêt aussi bien des étudiants que des superviseurs d’appuyer le jugement professionnel sur des références communes afin de limiter les marges d’interprétation. Au-delà des référentiels, le fait de recourir à la collectivité professionnelle pour assurer la validité des résultats permet également d’objectiver le jugement (Laveault, 2005). Le fait d’interagir avec l’étudiant, dont l’évaluation constitue un enjeu prioritaire, contribue également, toujours selon cet auteur, à l’exercice du jugement professionnel. D’après Leroux (2016), l’autoévaluation préalable et la coévaluation facilitent un engagement actif de l’étudiant, et tendent à améliorer ses apprentissages et la réalisation des tâches complexes, par exemple un stage.

Allal et Mottier Lopez (2009) présentent l’anticipation et l’appréciation des conséquences comme une des caractéristiques constitutives du jugement professionnel. Ce qui renvoie, pour ces auteures, les superviseurs à l’éthique de la responsabilité, selon laquelle ils envisagent les conséquences à la fois morales et pratiques des actions posées pour arrêter leur décision. Ainsi, sept superviseurs évoquent des zones d’inconfort (Leroux et Bélair, 2015) liées à la façon de transmettre le message ou bien encore à la remise en question de leur jugement. Pour Laveault (2005), en référence à Hameline (1997), le jugement professionnel n’est pas un exercice simple et il peut parfois conduire le superviseur à des dilemmes moraux l’amenant à se poser les questions suivantes : Que faut-il dire ? Que faut-il faire ? Ce qui le conduit à concilier loyauté, bienveillance et transparence. Cela rejoint les devoirs présentés par Laveault (2005) et inspirés, pour certains, des recommandations de Hadji (1997) qui incombent à l’évaluateur : devoir de bienveillance, d’efficacité, de transparence, d’honnêteté, de loyauté et de modestie.

La prise de décision, dans le cadre de ce stage à visée formative, est plus axée vers la définition des défis à relever lors du stage suivant afin de dépasser les obstacles rencontrés, ce qui permet à l’étudiant engagé dans cette formation de progresser (Leroux et Bélair, 2015). Cela s’inscrit dans la démarche de régulation évoquée par Lafortune (2008) dans sa définition du jugement professionnel en évaluation. Il est intéressant d’observer également que cinq des huit superviseurs insistent sur l’importance de donner de la rétroaction positive à l’étudiant en s’appuyant sur ses forces. La formulation de l’appréciation, malgré l’enjeu formatif de cette coévaluation, est négociée entre le superviseur et son collègue, souvent en l’absence de l’étudiant, invité à quitter le local à ce moment-là.

Avant d’aller plus avant dans la discussion des résultats, il nous semble pertinent de revenir sur la catégorie ayant émergé de notre analyse et présente dans les propos de sept des huit membres de notre échantillon, à savoir le fait de fixer et de gérer le cadre de la coévaluation. Il semble s’agir d’un préalable au bon déroulement de la coévaluation et à la construction du jugement évaluatif. Le devoir de bienveillance (Laveault, 2005), déjà évoqué ci-dessus, est également présent dans les propos de six participants à l’étude.

Prise en compte du contexte et de la singularité de la situation

Ensuite, la seconde question à laquelle cet article tente d’apporter des éléments de réponse est en lien avec la prise en compte du contexte et de la singularité de la situation dans la construction du jugement évaluatif. D’après Allal et Mottier Lopez (2008), le jugement professionnel s’appuie sur des procédures que le superviseur élabore et applique à l’ensemble des étudiants qu’il supervise, sur la base de référentiels communs. Toutefois, une fonction essentielle de ce jugement est de permettre une adaptation de ces procédures aux situations singulières rencontrées.

Six superviseurs mentionnent cette singularité. Certains l’évoquent simplement, alors que d’autres s’appuient sur elle afin de construire ou de nuancer leur jugement professionnel. Mottier Lopez (2008), en lien avec les travaux d’Hadji (1997), fait référence à une subjectivité, qui, sur son versant positif, est constitutive de l’interprétation comme composante indispensable de l’évaluation et de la régulation des processus d’apprentissage. Cette subjectivité est mise en avant par l’auteure afin d’éviter des procédures mécaniques de prise de décision qui ne permettent justement pas de prendre en compte la multidimensionnalité des apprentissages réalisés par les étudiants ainsi que la singularité des situations lorsque celle-ci se présente. La singularité prise en compte par les superviseurs interrogés trouve prioritairement son origine dans la relation parfois difficile entre l’étudiant et son maitre de stage. Plusieurs pistes sont évoquées dans les verbatims : manque d’accompagnement, cadre rigide laissant peu de liberté pédagogique, relation trop sévère. Cela amène les superviseurs à en tenir compte lors de la construction de leur jugement.

Conclusion

Pour conclure, nous tenons à souligner l’utilité de documenter l’activité du superviseur afin d’enrichir, d’une part, la recension des écrits s’intéressant à l’accompagnement et, plus spécifiquement, à celui des pratiques enseignantes en formation initiale et, d’autre part, la réflexion sur le nouveau curriculum de formation des enseignants en Belgique francophone.

Un autre élément que nous souhaitons mettre en évidence est l’intérêt d’approfondir le concept de jugement professionnel en évaluation dans un contexte dans lequel il a peu été étudié, à savoir l’enseignement supérieur professionnalisant, plus particulièrement celui des stages en formation initiale des enseignants.

Limites et perspectives

Une limite de cette étude se rapporte à son contexte spécifique. En effet, il s’agit de huit superviseurs issus d’une même HEP dans le cadre d’une coévaluation d’un stage à visée formative. Nous souhaitons, dans une prochaine étude, utiliser nos catégories et sous-catégories avec un échantillon de superviseurs provenant d’une autre HEP en ciblant cette fois un contexte de stage à visée certificative pour analyser les modifications qui apparaitraient ou non au sein des catégories.

Une autre limite que nous voyons à notre étude est liée au fait que la collecte des données a été réalisée sur la base d’entretiens semi-directifs. Les informations ainsi récoltées sont de l’ordre de l’activité relatée. Notre ambition est alors de comparer ce discours à l’activité réelle du superviseur en analysant, dans une étude de cas, les traces objectivées d’entretiens de coévaluation à la lumière des catégories stabilisées dans cette étude.

Une autre perspective qui nous parait pertinente d’examiner vise l’ensemble du dispositif de supervision. Une étude ciblant chacune des étapes du processus (rencontre avant stage, visite de stage, rétroaction à chaud, entretien réflexif et coévaluation) est planifiée. La collecte des données a débuté au cours de l’année scolaire 2017-2018.

Ces futurs travaux continueront à s’intégrer aux autres recherches (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2017 ; Maes, Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2018) portées par la dynamique collaborative du GRAPPE et alimenteront sa réflexion sur la mise en place d’un module de formation pour les superviseurs portant sur la construction du jugement évaluatif dans un contexte de stage. Les nouvelles connaissances issues de ces explorations nous permettront ainsi de faire évoluer les modules de formation contribuant au développement professionnel des superviseurs issus des HEP.