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Revues.org est né en 1999, à l’Université d’Avignon. Il a été fondé par Marin Dacos, alors doctorant en histoire contemporaine, qui souhaitait doter deux revues de sites Internet. Très vite, la nécessité de publier les articles en ligne s’est fait ressentir : un simple site certes donnait de la visibilité aux revues, mais ne donnait pas accès à leur contenu, c’est-à-dire aux articles. Ce n’est pas un hasard si Revues.org est créé dans une université excentrée, pourvue d’une bibliothèque de taille modeste : l’inégalité dans l’accès aux documents et aux sources scientifiques s’y ressentait de manière aiguë, notamment pour les étudiants. C’est la volonté de faciliter l’accès à la littérature scientifique à tous, étudiants, enseignants, chercheurs, mais aussi public non spécialiste, qui a présidé à la naissance du portail et continue de guider son développement.

Les conditions de cette fondation expliquent que Revues.org obéisse d’abord à une logique purement web. Il n’est pas l’émanation de maisons d’édition, d’institutions de recherche publique ou d’acteurs de la documentation scientifique. Il est né dans la communauté scientifique, ou plutôt en marge de celle-ci, et a trouvé ses premiers alliés et soutiens parmi des équipes de revues prêtes à diffuser leurs numéros sur Internet. En ce sens, il se distingue des autres portails scientifiques dans sa conception des motifs de l’édition électronique scientifique, d’abord radicalement, puis dans une logique de mise en complémentarité des compétences et des services.

Libre accès à la littérature, appropriation par la communauté scientifique, logique de diffusion et de référencement web : tels sont les principes fondateurs de Revues.org, qui demeurent le fil conducteur de son travail et éclairent son histoire souvent chaotique.

Un projet porté par la communauté scientifique

Revues.org est un projet né de la communauté des chercheurs et enseignants-chercheurs, dont les évolutions ont été motivées par les besoins qu’ils ont exprimés, comme utilisateurs du portail ou comme acteurs de ses revues. Si Revues.org a tardé avant d’être reconnu et soutenu par les grandes institutions de recherche françaises, il n’en a pas moins, dès le début, été porté et accompagné par la communauté scientifique, qui a non seulement amené ses revues à l’édition en ligne, mais qui a aussi participé activement à la réflexion et à la définition de l’orientation du portail.

Dès 2002, la structure, encore largement fondée à ce moment sur le bénévolat, s’est dotée d’un comité de rédaction rassemblant plusieurs chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs de recherche et d’étude appartenant à différentes disciplines et institutions. Ce comité a été mis en place dans le but d’accomplir deux tâches qui sont encore ses missions principales. D’une part, il est chargé de mener une réflexion collective sur les orientations du Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo) et de discuter de la politique générale de Revues.org : nouveaux projets, partenariats, etc.

D’autre part, il doit examiner le dossier de candidature des revues souhaitant être mises en ligne sur Revues.org, comme un comité de rédaction de revues donne un avis sur la publication d’articles. Il a choisi de remplir ce travail difficile – juger sérieusement du caractère scientifique d’une revue – de façon collégiale, en recourant en outre systématiquement à l’avis d’au moins un expert spécialiste du domaine de la revue, et en prenant le temps de discuter des cas particuliers, en allers et retours avec les rédactions. L’examen des dossiers de candidatures suit une procédure désormais bien rodée. À l’exception des cas pour lesquels la qualité scientifique est hors de tout doute (le critère le plus sûr étant le soutien financier accordé par le CNRS), le comité a recours au jugement d’un expert extérieur. L’expertise prend la forme de réponses à un questionnaire détaillé portant sur le rayonnement, la qualité scientifique et la qualité éditoriale de la revue, suivi d’un avis argumenté. Outre le rapport d’expertise, le comité se détermine également sur la politique d’édition électronique envisagée. Les créations de revues font l’objet d’un examen plus approfondi, visant à s’assurer de la pérennité des projets. L’acceptation peut être assortie de recommandations concernant les pratiques éditoriales. La définition d’un éventuel délai de restriction avant la diffusion en texte intégral fait souvent l’objet de discussions avec les revues.

Partie d’un noyau restreint, la composition du comité s’est progressivement élargie à des universitaires et chercheurs représentant un large éventail de disciplines des sciences humaines et sociales et reconnus dans leur domaine, en laissant toujours une place importante aux spécialistes de la documentation et de l’édition électronique. Au fil des années, grâce à l’expérience acquise, il a été possible de formaliser les règles d’acceptation des revues en élaborant des critères de sélection « objectifs ». Mais, quand cela s’est avéré nécessaire, la discussion autour de cas particuliers de candidature a abouti à la création de catégories ad hoc répondant à des objets singuliers : ainsi sont déjà nés, à côté des revues, les « cahiers » et les « bulletins ». Tout en acceptant la nécessité de discussions au cas par cas, le conseil scientifique s’en tient à son objectif général : accueillir des revues scientifiques relevant des sciences humaines et sociales et qui souhaitent participer à la diffusion des savoirs.

L’efficacité du comité de rédaction tient à la circulation entre les aspects techniques et scientifiques, reflétée par sa composition mêlant scientifiques spécialistes de l’édition électronique et familiarisés avec les questions techniques. Son bon fonctionnement permet les désignations d’experts et l’examen des candidatures sous forme de débat, puis de vote électronique. Les réunions physiques trimestrielles peuvent ainsi se consacrer principalement à la discussion de nouveaux projets éditoriaux, des orientations à long terme et du développement des outils mis à la disposition des revues. La stabilisation de la situation et la pérennité du Cléo ont grandement contribué, au fil des ans, à cette professionnalisation du comité de rédaction[1].

Le comité de rédaction de Revues.org est devenu le « Conseil scientifique du Cléo » en septembre 2009, à la faveur de l’évolution du Cléo en unité mixte de service, désormais affilié à l’ensemble des institutions qui l’ont soutenu depuis la création de Revues.org : le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’Université de Provence et l’Université d’Avignon et des pays de Vaucluse. Ses membres sont désormais reconnus collectivement dans leur rôle d’orientation politique du laboratoire.

Une édition électronique qui n’est pas de l’édition papier

Concilier vitesse de publication numérique et masse de documents ne requiert pas l’industrialisation d’un processus centralisé par le portail, qui tend à uniformiser le rendu, mais passe par la diffusion des compétences aux acteurs des revues de sciences humaines et sociales. L’édition électronique n’est alors pas le pendant ou le prolongement numérique de l’édition papier, mais un métier à inventer : mettre à la disposition des équipes des revues les outils et moyens offerts par le numérique, développer ces outils en réponse aux besoins des chercheurs, provoquer de nouveaux usages qui participent à une réinvention de l’écriture en sciences humaines et sociales.

Des revues autonomes, qui s’approprient leur édition électronique

Revues.org propose un modèle fondé sur la notion d’appropriation. Il s’agit de donner aux rédactions les compétences qui leur permettront de mener à bien l’édition électronique de leur projet intellectuel. Les revues ont une identité que leur version électronique doit pouvoir refléter. Donner aux périodiques la possibilité d’assumer eux-mêmes leur mise en ligne, c’est les rendre maîtres de leur destin et de leur calendrier, indépendants des soubresauts et des caprices de financement. C’est favoriser le développement d’une édition libre et de moindre coût, capable de se renouveler par la naissance de nouveaux titres en marge des institutions établies et des disciplines installées. C’est enfin leur offrir l’occasion de participer à l’invention des nouvelles modalités d’écriture et de lecture liées à l’adoption du support électronique.

Le Cléo administre des solutions logicielles, des outils et des serveurs qui simplifient considérablement ce travail. Revues.org forme les rédactions, les soutient et les assiste. Mais la mise en ligne n’est pas neutre; c’est un acte de publication qui relève de la seule responsabilité des revues.

D’un point de vue technologique, ce choix de l’appropriation se traduit par la création et le développement d’un logiciel libre, Lodel, logiciel d’édition électronique. Développé en réponse aux besoins concrets de la mise en ligne des premières revues de Revues.org, Lodel est fondé sur l’idée d’une conversion simple depuis un document bureautique ou de logiciel d’édition papier en une page html structurée. L’appropriation se fait ici sur deux plans : celui des membres des revues, qui peuvent après deux jours de formation mettre en ligne les articles sur le site de leur revue, et celui des utilisateurs du logiciel, qui participent à son amélioration et à son développement comme pour tout logiciel libre. Des revues, laboratoires ou institutions hors Revues.org ont ainsi adopté Lodel pour leurs publications ou leurs sites et contribuent à l’amélioration du logiciel.

Le choix de formats et logiciels non propriétaires, développés en coopération avec leurs utilisateurs que sont les chercheurs et les revues, est plus qu’un choix politique. Il s’agit d’un choix éditorial nécessaire si l’on ne veut se couper ni du public, ni des grands mouvements de définition des formats amenés à s’imposer dans le secteur de l’édition électronique. Revues.org a ainsi décidé de s’impliquer concrètement dans la réflexion et le développement de logiciels et formats qui ne peuvent être laissés à des acteurs dominant le marché, anglophone souvent, et rarement en contact direct avec les communautés utilisatrices sur d’autres continents. Il s’est allié par exemple avec Public Knowledge Service, un programme de l’Université Simon Fraser de Vancouver (Canada) pour l’amélioration ergonomique et le développement en langue française du logiciel Open Journal System (OJS), outil de gestion de worflow éditorial. Il participe à l’animation d’un blogue francophone dédié à Zotero, permettant de déceler des bogues et de faire émerger des améliorations pour ce logiciel de gestion des références bibliographiques. Il a également décidé de participer à la réflexion sur le format ePub, format développé pour les livres électroniques en passe de s’imposer comme un standard.

L’édition électronique, un métier qui s’invente

Depuis 2008, des conditions générales d’utilisation unissent Revues.org à chaque revue : elles définissent les responsabilités éditoriales, juridiques et techniques des deux parties. La rédaction de ces conditions générales d’utilisation a été l’occasion d’une consolidation de la définition du métier de Revues.org en tant qu’éditeur électronique. Cette définition, non achevée, s’est élaborée au fur et à mesure du développement du portail, des décisions éditoriales et techniques qu’il a fallu prendre dans un secteur en perpétuelle invention.

Les métiers de l’édition électronique ne se définissent ni comme ceux des éditeurs papiers transposés dans le numérique, ni comme un ensemble de compétences techniques contribuant à une spécialisation accrue. Ils sont tout cela, parfois, mais aussi et surtout une manière de faire circuler, entre ces métiers et avec leurs premiers usagers, des savoirs qui relèvent aussi de la veille, de la capacité à anticiper des évolutions et d’opérer des choix techniques. Si le noyau central reste le chargé d’édition, qui aide les revues à concrétiser leur projet d’édition en ligne et les accompagne à chaque étape de la vie de ce projet, le portail ne pourrait mener entièrement ses missions à bien sans un secteur informatique fort et un pôle d’information scientifique chargé de la diffusion des contenus. La formation et l’observation des évolutions des usages de la communauté scientifique constituent enfin le volet indispensable à la survie du modèle d’appropriation, qui doit tout à la fois transmettre des compétences et détecter des usages émergents.

Cette réflexion sur les métiers de l’édition électronique au sein de Revues.org peut se lire en regard des profils des recrutements. D’abord orientés vers l’édition et l’informatique, ils se sont peu à peu affinés et élargis pour intégrer des profils plus spécialisés, à la croisée de plusieurs métiers, ou plus hétérodoxes. Mais le métier de chaque membre de l’équipe se définit également au fur et à mesure de ses missions et des besoins du laboratoire. Cette souplesse induit à la fois une réorganisation permanente de l’équipe, mais aussi une réflexion interne sur les professions et compétences de chacun.

L’animation des communautés utilisatrices, enjeu de l’appropriation

Dans l’actuel mouvement de l’édition électronique, le risque est grand d’introduire une forme de domination, technique plus que financière, qui verrait se creuser un fossé entre ceux qui maîtrisent les innovations technologiques et ont les moyens de les suivre et ceux dont la publicisation du travail serait soumise à des choix techniques extérieurs et non maîtrisés. L’équilibre ne peut exister et subsister que si l’équipe de Revues.org observe les usages de la communauté scientifique, reste à l’écoute de leurs transformations et transmet ses compétences techniques.

Les formations dispensées par les membres de l’équipe sont à cet égard fondamentales : elles visent à transmettre des compétences, bien sûr, mais aussi à fournir des clés de compréhension aux questions posées par l’édition électronique. Elles restituent les outils tout comme les projets éditoriaux portés par les stagiaires dans un mouvement plus large.

La constitution de communautés d’utilisateurs des services de Revues.org ajoute à l’appropriation de ses outils et à la construction conjointe de leur évolution. Les revues sont ainsi réunies annuellement en Assemblée des revues, où sont présentés et discutés les choix opérés par le Cléo en matière technologique, éditoriale mais aussi politique. La communauté des revues va se voir renforcée par l’ouverture d’une « Maison des revues », à la fois forum, espace de transmission des compétences de l’équipe du Cléo mais surtout entre revues, wiki où sont déposés les trucs et astuces de stylages, etc. De même, les carnetiers d’Hypothèses disposent d’une liste de discussion où ils exposent tout à la fois les problèmes techniques rencontrés et leurs demandes fonctionnelles et éditoriales à l’équipe d’Hypothèses. Cette liste est animée sur le mode du community management de manière à favoriser une réflexion partagée sur les évolutions de la plateforme et de ses usages.

L’animation des communautés d’utilisateurs prend une part de plus en plus importante au sein du modèle d’appropriation du Cléo. Elle vise à dé-verticaliser la transmission de savoir-faire, à favoriser une circulation horizontale des usages des plateformes de manière à favoriser la constitution d’une communauté d’utilisateurs qui, en s’emparant des questions techniques, s’empare également des enjeux de l’édition électronique pour les sciences humaines et sociales. Il s’agit de faire se rejoindre les porteurs de services à la recherche et les chercheurs ou éditeurs scientifiques autour de questionnements sur l’écriture scientifique et sa diffusion.

Une lente stabilisation institutionnelle

Doté d’un premier financement public en 2001 – Actions concertées incitatives (ACI) du ministère de la Recherche –, puis d’un premier soutien financier de l’EHESS en 2005, Revues.org a longtemps vivoté et jonglé entre des ressources financières instables, ne garantissant pas la pérennité du projet à horizon même d’une année. Comme Revues.org est né en marge des grandes institutions de recherche et d’enseignement, il a fallu plusieurs années pour que celles-ci embrayent le pas de leurs chercheurs et revues et intègrent le portail à leur architecture institutionnelle. Il aura également fallu l’adoption par le CNRS d’une ligne d’orientation favorable à la publication en ligne et en libre accès, c’est-à-dire l’affirmation forte d’une politique de mise à la disposition du public de la recherche publique.

Le Département des sciences humaines et sociales du CNRS a tenté en 2004 d’impulser une politique d’édition électronique par le haut en fondant le Centre d’édition numérique scientifique (CENS), concurrent de Revues.org. Il s’agissait de donner une visibilité internationale, via le web, aux revues soutenues financièrement par le CNRS. En 2006, seules 14 revues avaient rejoint le CENS, qui est alors dissous; le CNRS prend acte de l’échec d’une stratégie d’imposition politique et technique par le haut dans le domaine de l’édition électronique scientifique. De fait, en transférant les revues déjà diffusées par le CENS à Revues.org, il reconnaît la réussite du portail à fédérer des projets éditoriaux diversifiés.

Dans la poursuite de ce mouvement, 2007 constitue une année charnière pour Revues.org : après plusieurs années de flou institutionnel, le Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo) est créé en tant qu’unité propre de service du CNRS. Le Cléo reçoit pour mission de développer Revues.org et Calenda, et de participer à la formation en matière d’édition électronique ouverte. Marin Dacos, fondateur de Revues.org, est nommé directeur du Cléo, confortant ainsi la relative autonomie institutionnelle de la structure.

Avec cette création, une politique de consolidation des postes est engagée. Lente, elle se traduit par la création et l’affectation de postes fixes d’ingénieurs d’étude au Cléo dans un contexte général difficile en matière de création de postes. Le personnel en situation « précaire » – contrats à durée déterminée, vacataire – reste néanmoins majoritaire compte tenu de la croissance continue de l’équipe.

En 2007, le Cléo est intégré au Très grand équipement (TGE) ADONIS du Département des sciences humaines et sociales du CNRS, qui devient alors son principal financeur en termes de budget. La logique du CNRS face à l’édition électronique est alors renversée : le TGE ADONIS a pour mission de construire une infrastructure dédiée aux documents numériques en SHS à partir de projets numériques existants, ou en facilitant l’émergence de projets portés par des équipes. Il s’agit de recenser les différents projets portés par des chercheurs, ingénieurs et techniciens et de construire des passerelles entre eux. L’édition électronique est alors intégrée à un ensemble plus vaste, celui de la documentation numérique, qui va de l’édition de sources au calendrier d’événements scientifiques, en passant par la constitution de bases de données et le développement de moteurs de recherche.

Une plateforme d’édition électronique complète

Cette reconnaissance institutionnelle a permis à l’équipe de renforcer le mouvement d’élargissement de son offre destinée aux acteurs de l’édition en sciences humaines et sociales. Autour du portail Revues.org et de Calenda, qui demeurent le coeur de son activité, le Cléo développe de nouveaux outils qui accompagnent le processus de la recherche et de son édition, depuis l’écriture de carnets de recherche jusqu’à l’annonce de colloques, en passant par la gestion de manuscrits pour les revues.

Calenda, le calendrier des sciences sociales

Calenda [2] a été crée en 2000. Premier calendrier francophone scientifique, il a été conçu pour permettre à tous d’accéder à l’actualité des événements en sciences humaines et sociales : colloques, séminaires, mais aussi appels à contribution, etc. Dans la même optique que Revues.org, Calenda visait à démocratiser l’accès à l’information scientifique de manière gratuite et sans barrière géographique ou technique. Des informations éparses, diffusées au sein de réseaux plus ou moins larges et ouverts, se retrouvent alors sur un seul site et bénéficient ainsi de la même visibilité.

Calenda a également inauguré la couverture de l’ensemble des sciences humaines et sociales par le portail : en ne se limitant pas à une discipline en particulier, il a pu s’extraire plus aisément des traditions académiques qui règnent sur la transmission de l’information. En même temps, Calenda a permis de conférer une portée pluridisciplinaire au portail Revues.org et d’enclencher l’accueil de revues autres qu’historiques ou sociologiques. Fondé également sur le principe de l’appropriation – chaque annonce étant soumise par l’organisateur de l’événement – Calenda dispose d’un comité de rédaction, constitué de chercheurs et d’universitaires. Ce comité se prononce sur l’opportunité de publier les annonces, définit les orientations de Calenda et est amené à réfléchir, à partir de cas concrets d’annonces, sur l’évolution des frontières disciplinaires et des pratiques des chercheurs en sciences humaines et sociales.

Hypothèses, plateforme de carnets de sciences humaines et sociales

Hypothèses [3] est une plateforme de carnets de recherche ouverte à toute la communauté académique dans toutes les disciplines des sciences humaines et sociales.

Plusieurs équipes de recherche en SHS utilisent déjà le blogue comme moyen de communication scientifique directe, mais sur des plateformes généralistes non adaptées aux spécificités de leur pratique. Beaucoup d’autres ont des besoins de communication bien identifiés, mais n’ont pas accès à des dispositifs simples et légers de communication web.

Hypothèses répond à ce besoin : offrir un espace identifié, commun et adapté aux carnets de recherche en SHS. Il s’agit d’offrir tout à la fois une visibilité, une aide et des fonctionnalités adaptées aux besoins des équipes de recherche.

Le carnet de recherche est un mode de publication rapide et léger permettant de rendre compte régulièrement de recherches en cours. Il prend souvent la forme d’un journal de bord permettant au « carnetier » de dialoguer avec ses lecteurs par le biais des commentaires. Il repose sur l’utilisation d’un outil simple ne nécessitant pas de connaissance informatique particulière. Un carnet de recherche peut répondre à des démarches très différentes : carnet de séminaire, carnet de bord d’une recherche collective en cours de type ANR, carnet de terrain ou d’enquêtes, carnet de fouilles archéologiques, blogue de revues, de vulgarisation ou de débat, carnet de projets de recherche, de livre, carnet de chercheur, photoblogues etc. Ils sont sélectionnés par le comité scientifique de la plateforme, qui examine les candidatures sur la base d’une double ligne éditoriale : les porteurs de projet doivent avoir un ancrage institutionnel et leur carnet doit porter sur un sujet de recherche précis.

Les Manuscrits de Revues.org

Au début de l’année 2009, le Cléo a ouvert une plateforme de gestion électronique des manuscrits pour les comités de rédaction des revues[4]. Grâce à une interface en ligne, le suivi des manuscrits est facilité et assuré dans un cadre unifié, de la soumission de l’article au bon à tirer, en passant par l’ensemble des étapes d’expertise et de correction des textes. L’outil de gestion des manuscrits permet, en particulier, la constitution d’un espace en ligne indépendant de la localisation géographique des personnes participant à l’animation scientifique de la revue.

Ce service fonctionne grâce à un outil dit de workflow éditorial, Open Journal System [5], qui permet l’établissement de véritables comités de rédaction en ligne. Il a pour avantage de s’adapter au processus d’évaluation de la revue, de permettre la constitution d’archives et de respecter la confidentialité de la procédure tout en autorisant une large transparence des procédures internes et externes.

Avec les Manuscrits, le Cléo complète sa plateforme d’édition électronique en opérant au début du processus de publication.

L’ensemble de ces outils – carnets, revues, livres, manuscrits, calendriers – reflète le cycle de l’écriture scientifique : communication orale, jets d’hypothèses, conversation avec les pairs, écriture d’articles, évaluation et correction, publication. L’édition électronique est alors loin du modèle de son aînée papier : elle accompagne l’écriture tout au long d’un processus qui n’est jamais achevé.

Le modèle économique des revues

Si Revues.org développe de nombreux services gratuits aux revues et prône la diffusion en libre accès de la littérature scientifique – ce qui le distingue de nombre de portails d’importance, que ce soit en sciences humaines et sociales ou en sciences dites « dures » –, il a très vite cherché à inventer les moyens de préserver l’équilibre économique des revues. Il ne s’agissait en effet pas d’opposer lecteurs et revues, mais de concilier accès aux écrits scientifiques – envisagés comme un bien public – et vie scientifique et éditoriale de revues considérées comme partenaires du portail.

La « barrière mobile » – ou « délai de restriction » – a d’abord été conçue comme un délai permettant de préserver une période d’exclusivité en faveur du papier. Les derniers numéros d’une revue, ceux situés à l’intérieur de la barrière mobile définie en accord avec la revue et le conseil scientifique du Cléo, ne sont alors pas disponibles en libre accès et en texte intégral sur le site de la revue. Par extension, cette barrière mobile peut s’appliquer aux revues exclusivement électroniques qui choisissent par ailleurs un système de commercialisation en ligne.

Le premier système de commercialisation en ligne proposé aux revues, inauguré en 2007, est un développement interne au portail, dit « accès restreint ». Il permet aux particuliers ou aux établissements ayant acquitté un abonnement électronique auprès de la revue d’avoir accès aux documents qui sont soumis au délai de restriction, c’est-à-dire qui ne sont pas encore publiés en libre accès sur le site de la revue.

Le partenariat avec Cairn, une mise en complémentarité des métiers

Le deuxième système de diffusion commerciale en ligne est proposé en partenariat avec le portail Cairn[6].

À l’initiative du TGE ADONIS[7], une collaboration entre Revues.org et Cairn a en effet été engagée en 2008. Elle se traduit dès 2009 par la commercialisation sur Cairn des derniers numéros d’une douzaine de revues adhérentes à Revues.org, numéros soumis au délai de restriction. Cet accord est prolongé en 2010 pour trois ans et étendu à une dizaine d’autres revues. Parallèlement, Revues.org accueille certaines revues du portail Cairn sous la forme de sites dits « compagnons » des numéros diffusés sur Cairn : reflet de son projet éditorial, il permet de personnaliser l’édition web de la revue et d’y publier l’actualité rédactionnelle et scientifique la concernant. Les moteurs de recherche des deux portails indexent le contenu des revues concernées par l’accord et permettent de constituer des passerelles entre les deux portails.

Ce rapprochement entre des acteurs considérés comme concurrents en matière d’édition électronique francophone engage une reconnaissance et une consolidation de ce qui fait la spécificité de chacun : la construction de sites de revues personnalisés et appropriés pour Revues.org, la diffusion commerciale électronique auprès d’institution d’enseignement supérieur et de recherche pour Cairn. Car les publics, ou plutôt les modes d’accession aux ressources proposées, sont également différents et complémentaires : si Revues.org est traditionnellement proche des lecteurs et des revues, Cairn entretient des relations fortes avec les éditeurs et les bibliothèques d’enseignement et de recherche.

Cet accord vise également à donner à chacun un poids et une assise lui permettant de faire face à une ouverture à l’échelle européenne. La structuration du secteur de l’édition électronique scientifique tend vers la coexistence d’acteurs d’envergure internationale. Qu’il s’agisse du nombre de revues et de documents publiés, des langues de publication, du lectorat comme des pays d’édition, l’ouverture internationale, évidente pour la communauté scientifique, s’impose également aux portails d’édition électronique. Les portails francophones ne peuvent plus se contenter de l’être, ni de se limiter à un pays, quand bien même la France compte à elle seule plusieurs centaines de revues de sciences humaines et sociales, car l’enjeu est aussi celui de la visibilité des contenus, c’est-à-dire de la diffusion internationale de la recherche produite en France.

Le modèle économique du Cléo

Revues.org est né sous une forme associative, dans l’esprit des communautés développant des logiciels libres. Il s’est donc dès l’origine construit sur un modèle non privé, non orienté vers l’obtention d’un gain économique tiré de son activité principale. En se portant candidat sur de grands programmes publics de soutien à la recherche tels que les Actions concertées incitatives (ACI) du ministère de la Recherche – premier financement public obtenu par Revues.org en 2001 –, puis en sollicitant un soutien financier et en personnel auprès de ses tutelles actuelles, Revues.org a choisi d’intégrer le service public de la recherche.

Depuis, les projets du Cléo sont toujours soumis au contrôle de la communauté scientifique et tentent de répondre au mieux à ses attentes. Le laboratoire a pour ligne d’action, depuis ses débuts, l’attachement aux principes de libre accès, en aval (accès libre aux savoirs pour le plus grand nombre d’utilisateurs possibles, sans barrières financières ni techniques) comme en amont (mise en ligne de toute revue ou de tout carnet accepté sur un critère scientifique, sans critère financier ni demande de fortes compétences techniques). En revanche, comme tout projet « libre » qui réussit, le Cléo doit choisir un « modèle économique », c’est-à-dire un mode de financement viable et pérenne du libre accès.

La structure qui développe tous ces projets – Revues.org, Lodel, Calenda, Hypothèses – est en effet bien différente de celle de 1999 ou même de 2003. L’ambiance générale de cette décennie aurait pu conduire à adopter un modèle économique de type start-up, vendant ses services au CNRS ou aux universités. Tel n’a pas été le choix. Un modèle de service public, avec la pérennisation tant des moyens techniques (locaux, serveurs) que du personnel dans le cadre de financements publics, a semblé s’imposer pour pouvoir rester fidèle aux principes fondateurs de Revues.org.

Grâce à l’appui de ses partenaires, tous publics, le Cléo a obtenu plusieurs postes permanents, qui ne couvrent pour autant pas la totalité des besoins effectifs en matière de personnel. D’abord parce qu’une fois une revue entrée sur le portail, le travail que fait pour elle son chargé d’édition ne diminue pas; ensuite parce que l’édition électronique est condamnée à innover pour s’adapter aux nouvelles possibilités techniques : pour cela sont nécessaires des développeurs, des spécialistes de l’information scientifique, etc. Par ailleurs, s’adaptant aux nouveaux modes de financement de la recherche, les institutions qui aident le laboratoire le poussent aussi à diversifier ses financements.

Le Conseil scientifique du Cléo a ainsi adopté en 2009 l’idée d’instaurer un système de cotisation, notamment à destination des revues adhérentes, à condition que celle-ci soit volontaire : certaines revues ou maisons d’édition, certains laboratoires peuvent ainsi signifier leur soutien aux projets de Revues.org et leur attachement à la pérennité de ses services. En échange, les projets d’édition cotisants bénéficient, pendant un temps et de façon exclusive, de certaines fonctionnalités nouvelles mises en place par le Cléo. Pour autant, aucun service n’est enlevé aux autres revues ni ôté des fonctionnalités proposées aux revues qui souhaitent rejoindre le portail. Le principe de libre accès en amont demeure ainsi le fondement du travail du Cléo : toute revue de sciences humaines et sociales acceptée selon les critères du Conseil scientifique pourra toujours être mise en ligne gratuitement.

Ce modèle correspond à celui de la barrière mobile déjà appliqué aux revues : il s’agissait d’adapter le principe de libre accès au texte intégral des revues pour ne pas menacer leur survie économique. La barrière mobile peut d’ailleurs se doubler d’un système d’accès réservé aux abonnés ou de diffusion commerciale sur Cairn, pour s’adapter à chaque cas. Dans la même logique, les services offerts aux publications cotisantes seront mis à la disposition de l’ensemble des revues adhérentes après un délai de quelques années.

L’invention de ce modèle économique nouveau pour le Cléo, destiné à assurer la pérennité des plateformes qu’il développe, est profondément liée à deux mouvements : celui des transformations des modes de financement de la recherche et celui de l’adaptation d’un secteur nouveau aux modèles économiques inventés par les services gratuits sur Internet. Il tente de répondre aux besoins de ses premiers partenaires, les revues et les chercheurs, tout en maintenant le cap du libre accès à la littérature scientifique. L’enjeu est grand, parce qu’il est aussi celui de la conciliation de l’idéal d’une diffusion libre et large de la recherche publique avec la survie d’un métier en pleine invention.