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LA REVUE JUIVE. Par la qualité de ses collaborateurs et la valeur des oeuvres de tempérament juif qu’elle révèle, par le souci d’accueillir les expressions diverses de l’esprit juif, par l’attention qu’elle apporte à l’étude des problèmes que pose l’existence d’Israël parmi les nations, par le tableau valable de l’activité israélite dans les domaines de la pensée et de l’action qu’elle présente. LA REVUE JUIVE est l’organe de la renaissance juive. 

On trouve cet encart publicitaire dans le numéro 2 de la revue, daté du 15 mars 1925. Or la publication ne survivra pas à sa première année : elle n’aura que six numéros et fermera boutique de manière un peu énigmatique après avoir rassemblé de très grandes signatures. Incapacité de se créer un lectorat? Incohérence du projet éditorial? Problèmes administratifs ou financiers? Il est difficile de trancher mais La Revue juive constitue incontestablement un moment important dans la carrière littéraire d’Albert Cohen, alors écrivain en formation (son premier roman ne paraîtra que cinq ans plus tard). La tentative d’« écrire ensemble » qu’elle révèle, même si elle aboutit rapidement à un échec, est assez révélatrice, me semble-t-il, à la fois d’un moment de l’histoire des mentalités et de la constitution d’une esthétique personnelle. Dans les études sur Albert Cohen, on y consacre très peu de pages, que ce soit dans les biographies de Jean Blot[1] ou de Gérard Valbert[2]. Deux articles seulement portent sur La Revue juive : un article ancien d’Antoine Coppolani « Albert Cohen et La Revue juive[3] »  et un article plus récent, et beaucoup plus complet, de Philippe Zard, « Les têtes à queue de l’histoire. Fiction et diction sionistes chez Albert Cohen[4] ». Une réflexion sur l’écriture collective dans les revues françaises et francophones est l’occasion de se pencher à nouveau sur le sujet.

Petit rappel sur l’Histoire de La Revue juive

Albert Cohen, Juif d’origine corfiote, a 30 ans en 1925. Il est avocat depuis 1919, a épousé une protestante, Elisabeth Brocher, à Genève avec laquelle il a eu une fille. En 1921, il fait paraître à Genève chez Crès, un recueil de poèmes intitulé Paroles juives où il chante la grandeur de sa religion et tente de l’expliquer à ses frères chrétiens. La même année, il publie dans La Revue de Genève un texte intitulé « Vue d’ensemble sur la question juive et le sionisme »; et en 1922, dans la NRF, un texte intitulé « Projections ou après-minuit à Genève ». Ce texte, remarqué également par Jean-Richard Bloch, avait beaucoup plu à Jacques Rivière, qui, après l’avoir publié, offrit un contrat chez Gallimard à Albert Cohen pour son prochain roman. En 1923, le jeune écrivain publie dans La Revue de Genève une chronique intitulée « Le Juif et les romanciers français », portant sur des romans des frères Tharaud et sur le Silbermann de Jacques de Lacretelle. Cohen y développe l’idée, en prenant les exemples de Montaigne et de Proust, que le judaïsme peut apporter un ferment au roman français et le renouveler à la fois en termes de contenu (en créant des personnages nouveaux, tourmentés, scindés entre deux cultures) et sur le plan stylistique (la phrase proustienne y est rapprochée des discussions talmudiques). La même année, il publie « Mort de Charlot » dans la NRF, texte qui sera repris dans le grand monologue de Solal dans Belle du Seigneur. À la demande de Chaïm Weizmann, rencontré en 1920, il commence à travailler à la création de La Revue juive, dès 1923. Elle verra le jour en 1925, publiée par la NRF. La revue publie six numéros, avec des contributeurs prestigieux mais, à la fin de l’année, « des difficultés administratives mettent fin à l’existence de La Revue juive. Le sixième et dernier numéro paraît en novembre[5] ». Cohen finit l’année en composant avec Darius Milhaud un Hymne de Sion dédié à Chaïm Weizmann. En 1926 Cohen, recommandé par Jacques Rivière à Albert Thomas, le directeur du Bureau international du travail (BIT) à Genève, trouve à s’employer dans cette organisation (il occupe un poste à la Division diplomatique). Il écrit son unique pièce de théâtre Ezéchiel en 1927 (elle sera représentée à la Comédie-Française en 1933). Son premier roman, Solal, ne paraîtra quant à lui qu’en 1930.

La Revue juive : six numéros pour un projet éthique, politique et esthétique

Un petit rappel historique est nécessaire car la situation est particulièrement complexe en Palestine à cette époque (le territoire est sous mandat britannique de 1921 à 1947). L’État juif de Herzl a été publié en 1896; en 1903, le sixième congrès sioniste a accepté le principe d’une installation des Juifs en Palestine; le premier kibboutz remonte à 1909; l’Agence juive est fondée en 1922… Cinq ans plus tôt, la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 avait indiqué que

[l]e gouvernement de sa Majesté envisag[eait] favorablement la création d’un Foyer national pour le peuple juif et emploier[ait] tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civils religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et aux statuts politiques dont les juifs jouissent dans tout le pays.

Plusieurs vagues d’immigration (alyas) s’étaient succédées en Palestine depuis 1881. La quatrième vague, qui a lieu entre 1924 et 1928, concerne 80 000 personnes (des Polonais en particulier). En 1925, il y a donc un pic d’immigration (la population juive de Palestine a été multipliée par deux entre 1918 et 1930 pour s’élever à environ 160 000 personnes). Des affrontements violents entre Juifs et Arabes se sont déroulés dès 1920, et des émeutes ont eu lieu en 1929 avec des massacres à Hébron et Safed. Albert Cohen, qui est en contact avec les milieux sionistes depuis 1914, souhaite sensibiliser le public français à cette question.

La création de La Revue Juive par Albert Cohen se situe par ailleurs dans un contexte européen tendu, entre l’accession au pouvoir de Mussolini en 1922 et celle d’Hitler en 1933, et en France, entre la réhabilitation complète de Dreyfus (1906) et une nouvelle montée de l’antisémitisme qui culminera dans la France des années 1930. Le sentiment d’une occasion d’intervenir dans le débat politique à un moment crucial est sans doute à l’origine de la création de la revue[6]. Il faut ajouter que la question de la « renaissance juive » était à la mode, et qu’un de ses principaux promoteurs était André Spire qu’Albert Cohen connaît depuis 1914[7]. L’équipe éditoriale est prestigieuse? Outre Albert Cohen, fort peu connu à l’époque (rappelons qu’il n’a encore publié aucun roman), le comité éditorial est composé de Georges Brandès, Albert Einstein, Sigmund Freud, Charles Gide (l’économiste, oncle d’André, dont il est question dans Si le grain ne meurt), Chaïm Weizmann (futur président de l’État d’Israël) et le Docteur Léon Zadoc-Kahn, fervent sioniste. On trouve dans les six numéros parus les signatures de Max Jacob, André Spire, Pierre Benoit, Jacques de Lacretelle, Armand Lunel, Léon Brunschvicg, Élie Faure, Martin Buber et même Marcel Proust (pour des publications de correspondances posthumes). Des collaborateurs réguliers comme le philosophe Georges Cattaui ou Jean de Menasce prennent en charge de nombreux comptes rendus.

Les objectifs de la revue sont fixés dans la Déclaration liminaire, qui est un texte programmatique : « La Revue juive est fondée par des hommes qui ont conscience d’appartenir à une race vivante dont l’oeuvre spirituelle n’est pas encore achevée, qui a une tâche à remplir et qui doit travailler à la reconnaître[8] . » Le directeur, qui s’exprime à la première personne du pluriel, affirme avoir « la force d’affirmer sans la faiblesse d’exclure » :

Dans cette maison que nous voulons de tous les Juifs, nous ferons entendre des voix diverses, veillant à ce qu’elles aient un son commun de sincérité. C’est ainsi que nous inviterons à venir dire ici leur voeu et leur amour ceux de nos frères, ivres de disparaître dans le courant unitaire des nations qui les ont adoptés et qu’ils veulent aimer sans partage. 

Et il ajoute, en prenant très nettement parti : « Pour nous qui ne voulons pas du suicide et ne craignons pas de soumettre notre esprit aux lois infaillibles du sang, nous dirons aussi souvent qu’il le faudra les raisons de notre fidélité. » Albert Cohen, animé par ce qu’il appelle une « foi », se range donc ainsi dans le camp de ceux qui ne veulent pas de l’assimilation. La revue souhaite pourtant rendre compte « de la pensée totale d’Israël dispersé » et cherche à « inventer au grand jour une nouvelle et vivante unité israélite » pour rendre compte d’une « interrogation juive pressante ». Le directeur de La Revue juive se déclare même prêt, dans ce texte au ton prophétique, à examiner « sans partialité le problème juif et les raisons des théoriciens de l’antisémitisme ».

La suite de la Déclaration peut surprendre le lecteur d’aujourd’hui. Cohen y emploie à plusieurs reprises le terme de « race » :

Pour les hommes de notre race, La Revue juive sera l’occasion d’une reprise de conscience; pour tous les esprits libres, la possibilité de voir enfin l’âme d’Israël. Nous penserons notre race. […] Nous essaierons de décrire ce que nos pères nous ont transmis en schèmes, en élans, en sensibilité profonde. 

La revue sera par surcroît une revue littéraire : « Nous aurons une esthétique puisque nous sommes une race. Une race est une idée faite chair. »[9] La Déclaration est une profession de foi esthétique qui répudie l’art pour l’art et annonce la survenue d’ « un vrai romantisme jaillissant d’oeuvre de tempérament juif, épiques et morales ». Elle refuse de « séparer la pensée de l’action » et veut faire de la revue un « organe de l’activité juive », mais aussi de la « renaissance d’Israël ». La revue suivra avec « attention » et « sympathie » les actions du mouvement sioniste : « Elle estime en effet que c’est par la création d’une résidence nationale juive que pourra être résolu le problème juif dans le monde entier; et, sinon prendre fin, du moins diminuer, l’antisémitisme. » Elle annonce l’ouverture « dans deux mois, jour pour jour » de l’Université hébraïque de Jérusalem qui fera figure de « trait d’union entre les civilisations occidentale et orientale[10] ». Cohen insiste sur la dimension internationale qu’il veut donner à sa revue : « revue internationale parce qu’elle sera l’organe de liaison des juifs de tous pays; parce qu’elle enseignera les Juifs aux Juifs. » La vocation universelle de la revue se manifeste à travers la « destinée de voyageurs en humanité » qui est celle des Juifs, et son intérêt pour tous les « événements humains ». Les lecteurs attendus sont non seulement la communauté juive mais tous les « hommes de bonne foi ».

La revue est composée de cinq ou six articles de tête qui ouvrent le numéro, d’une rubrique intitulée « Commentaires » — composée de comptes rendus rédigés par des écrivains — puis de « Chroniques » à caractère historique, et éventuellement d’ « Entrevues », suivies de notes sur des ouvrages ayant d’une manière ou d’une autre un rapport avec la « question juive ». Enfin, la rubrique « Documents », très fournie, est une rubrique d’actualités internationales sous forme de brèves ou d’articles plus développés (I Informations; II Le mouvement sioniste; III Les livres; IV Les revues; V La presse.). Les rubriques varient un peu suivant les numéros (dans le n° 2 une rubrique « Messages » est introduite, suite à l’inauguration de l’Université hébraïque; dans le n° 3 une rubrique « Digressions » qui se perpétuera; dans le n° 4 une rubrique « Regards » qui survivra elle aussi, pour désigner des comptes rendus par Henri Hertz). À partir du n° 3 apparaît un mémento bibliographique très bien fourni. Il apporte un complément aux informations qui précèdent et signale des ouvrages qui n’ont pas été recensés. Les « Chroniques » tendent à se subdiviser elles aussi, suivant le contenu du numéro : en « Lettres françaises » et « Lettres allemandes », pour le n° 6, ou « Le sionisme », « Idées et mouvements », pour le n° 5. Par delà ces variations de surface, on peut constater que la revue est essentiellement composée de trois ou quatre catégories de textes : des informations à caractère d’actualité qui sont traitées de manière complète et internationale (informations classées par pays, vie du mouvement sioniste, etc.), des comptes rendus de livres et d’articles de presse répartis dans diverses rubriques, des articles d’auteurs connus à qui on donne carte blanche — un texte de Freud sur les résistances à la psychanalyse (n° 2), un texte d’Einstein intitulé « Géométrie non euclidienne et physique » (n° 3) — et, pour finir, des textes littéraires de création[11].

De l’échec collectif au succès individuel

Les raisons de l’échec de la revue restent énigmatiques car nous n’avons pas accès aux lettres écrites par Cohen à cette époque. Nous allons toutefois essayer dans ce dernier temps de les dégager en proposant quelques hypothèses.

Dans le deuxième numéro de la revue, on trouve cet encart :

À NOS ABONNÉS. LA REVUE JUIVE a rencontré un accueil qui a dépassé nos prévisions les plus optimistes. Le numéro 1 de notre publication, tiré à plus de 5000 exemplaires, a été épuisé quelques jours après sa mise en vente.

Nous demandons aux nombreux abonnés qui ont souscrit à partir du 15 janvier et auxquels il ne nous a pas été possible, à notre grand regret, d’envoyer le premier numéro de la REVUE JUIVE, de bien vouloir nous excuser. Nous espérons pouvoir leur envoyer, dès que nous en serons réapprovisionnés, ce premier numéro. Au cas contraire, leur abonnement ne se terminerait qu’avec le numéro de janvier 1926 et non avec celui de novembre 1925. De toutes façons (sic), ils recevront le nombre de numéros auxquels ils ont droit. 

Or cette promesse ne pourra pas être tenue parce qu’en janvier 1926, la revue n’existera plus. L’appel aux abonnés est suivi d’un appel « À NOS LECTEURS » ainsi libellé :

Nous sommes persuadés que ceux de nos lecteurs qui auront compris la valeur de notre effort voudront joindre leur adhésion à celles, si nombreuses, qui nous sont déjà parvenues. Ils ne pourront nous prouver leur sympathie DE MANIÈRE PLUS EFFICACE qu’en souscrivant un abonnement à notre publication. 

Le premier type de raisons de l’échec pourrait relever de certaines contingences : « difficultés administratives » (?), suppression du financement (assuré par le mouvement sioniste), rivalités personnelles, mort de Jacques Rivière, grand soutien d’Albert Cohen… Des contributeurs prestigieux, comme Einstein ou Freud, ont certes accepté d’écrire un article mais il était évidemment hors de question pour eux de devenir des collaborateurs réguliers. Ils ne se reconnaissent pas forcément dans ce type de publication même s’ils lui accordent leur sympathie. Freud évoque dans quelques lignes de la fin de son article la possibilité que les résistances à la psychanalyse puissent être liées à son origine juive, mais cette remarque est presque incidente; quant à Einstein, son « message » du premier numéro est résolument humaniste et universaliste. Il atténue sensiblement le ton de la « Déclaration » d’Albert Cohen qui précède : 

L’existence de nationalités diverses et, par conséquent, de nationalismes antagonistes, tant en Europe que hors d’Europe, me paraît devoir être considérée comme un malheur. […] Puisque la disparition de la nationalité juive paraît impossible, pour le moment du moins, les Israélites doivent en justifier, en rendre juste l’existence. 

Le sionisme, ajoute-t-il, rend aux juifs une fierté légitime : « Et c’est pourquoi je crois pourvoir affirmer que le sionisme, mouvement d’apparence nationaliste, a en fin de compte bien mérité de l’humanité[12]. »

Le deuxième type de raisons est la difficulté de fidéliser un lectorat pour ce type de publications dans la France de 1925 où beaucoup de Juifs veulent encore s’intégrer. Les contradictions du projet sont clairement établies par la succession de la Déclaration liminaire d’Albert Cohen et du message d’Einstein qui la suit (communautarisme ou universalisme? la question est loin d’être tranchée).

Le troisième type de raisons est sans doute qu’un projet collectif (l’entreprise sioniste) et un projet artistique individuel (celui d’Albert Cohen) convergent provisoirement avant de se dissocier. La revue constitue pour Cohen un champ d’expérimentation de la veine sioniste et collective à laquelle il va ensuite devoir renoncer, comme il renoncera avec les textes écrits pendant la Seconde Guerre mondiale à la littérature de propagande dont il loue l’efficacité en temps de guerre (voir son Churchill d’Angleterre, 1943) tout en en reconnaissant la médiocre valeur littéraire (voir Salut à la Russie, 1942). La Revue juive constitue pour lui un laboratoire de formes artistiques : essai ou texte de combat (« Déclaration »), poème (« Cher Orient », « Cantique de Sion »), théâtre (« La Farce juive »). Ces textes fragmentaires, le « Cantique de Sion » en particulier, texte de propagande sioniste, sont loin d’être les meilleurs d’Albert Cohen — qui s’accommode mal de la contrainte idéologique à laquelle il se soumet et jugera sévèrement, dans son tout dernier texte, la littérature engagée[13][14].

Le relatif insuccès de son entreprise pousse Albert Cohen vers le roman et le conduit à mettre en scène l’échec de la vocation sioniste de ses personnages dans ses fictions de l’entre-deux-guerres. D’abord par la séquence palestinienne de Solal (chapitre XXXII) : l’épisode de Kfar-Saltiel situé en 1924 où deux des Valeureux sont tués. Ensuite par l’invention, en 1934, d’un fantaisiste Ministère juif dans Mangeclous (1938), où le machiavélique Bey des Menteurs écrit à l’oncle Saltiel un faux télégramme du docteur Weizmann le chargeant de constituer un Ministère pour la république qui vient d’être créée en Palestine — et lui envoie pour finir ses « salutations sionistes politiques sincères[15] ». Dans l’univers de Cohen, qui n’a jamais mis les pieds en Israël — bien qu’on lui ait en 1957 proposé d’en devenir ambassadeur — le combat sioniste est difficilement représentable; de même que l’État d’Israël une fois créé ne parvient pas à trouver place dans la fiction. Les personnages de Cohen restent fondamentalement des Juifs de la diaspora, et ses romans ironiques ou satiriques, ne peuvent être aisément convertis en romans à thèse.

Albert Cohen s’est donc forgé donc un éthos d’écrivain à travers l’expérience de La Revue juive. Après avoir publié deux romans (Solal en 1930 et Mangeclous en 1938), ainsi qu’une pièce de théâtre très controversée (Ezéchiel, représentée en 1933 à la Comédie-Française), Albert Cohen publie de nouveau dans des revues pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans La France libre, il fait paraître des textes de combat ou des récits autobiographiques qui s’interrogent à nouveau sur le rapport entre la littérature et la défense des idées. L’idée d’« écrire ensemble » continue de l’habiter mais, dans ses romans, elle revient à sa forme originelle : celle du dialogue avec les textes sacrés, en particulier avec les prophètes dont il adopte parfois le ton et l’emphase.

La Revue juive n’a réussi que très provisoirement, en 1925, à rassembler les voix discordantes de la communauté juive. Le « nous » de la « Déclaration », déjà utilisé dans Paroles juives en 1921, a toutefois évolué dans la fiction chez Cohen pour désigner non seulement le peuple juif dans son ensemble, mais aussi toute l’humanité qu’il représente à travers la figure emblématique du Christ humilié, directement issue de Paroles juives[16]. Cohen romancier tire ainsi les enseignements de l’échec de La Revue juive.