Résumés
Résumé
Au début des années 1960, certains intellectuels indépendantistes du Québec articulent leur discours autour de l’anticolonialisme britannique, prenant à partie les symboles du pouvoir. Ils nourrissent leur option politique des concepts d’historiens néonationalistes. Inversement, ces derniers font une lecture de l’événement qui est au service de ce projet politique. Comme le souligne Pierre Vadeboncoeur dans La ligne du risque, trois dates servent à expliquer la situation québécoise : 1763[1], 1837-1838 et 1867. Cet article s’attarde au fondement de la rupture identitaire : la Conquête. Nous aborderons la question à partir des textes d’auteurs, tels Jacques Ferron, Pierre Vadeboncoeur et Jean Bouthillette, ainsi que de la revue Parti pris. Nous chercherons à comprendre quels historiens les influencent et ce qu’ils retiennent des faits à 200 ans de distance.
Abstract
In the early 1960s, some of Quebec’s independence-minded intellectuals articulated their discourse around British anti-colonialism, taking the symbols of power to task. They nourished their political option with the concepts of neo-nationalist historians. Conversely, neo-nationalist historians offer a reading of the event that serves this political project. As Pierre Vadeboncoeur points out in La ligne du risque, three dates are used to explain the Quebec situation: 1763, 1837-1838 and 1867. This article focuses on the foundation of the break with identity: the Conquest. We approach the question through the texts of authors such as Jacques Ferron, Pierre Vadeboncoeur and Jean Bouthillette, as well as the magazine Parti pris. We will seek to understand which historians influenced them and what they retain of the facts 200 years later.
Corps de l’article
La tête du général : premier acte
Tôt le matin du 29 mars 1963, à un jet de pierre de la prison de Québec, un grand fracas se fait entendre sur les plaines d’Abraham. La Gendarmerie royale du Canada et la Sûreté municipale de Québec, appelées sur les lieux, constatent que le monument érigé à la mémoire de James Wolfe, élevé en 1913 pour remplacer trois monuments antérieurs, s’est brisé sur le sol. Haute d’une trentaine de pieds, la colonne a été tirée par une corde attachée à une voiture. Le casque et l’épée qui la surmontaient, don de l’armée britannique en 1849, sont très abîmés.
Une plaque commémorative, sur laquelle on pouvait lire « Here died Wolfe victorious september XIII – MDCCLIX », a aussi été arrachée du monument. Elle avait été apposée par le gouverneur Aylmer en 1832, une année particulièrement mouvementée au Bas-Canada. Daniel Tracey, du Vindicator, et Ludger Duvernay, de La Minerve, avaient été arrêtés et emprisonnés à Québec pour diffamation à la suite de la publication d’un article demandant l’abolition du Conseil législatif. Le 21 mai, l’élection dans Montréal-Ouest donne lieu à une échauffourée entre les partisans du même Daniel Tracey, qui se présente du côté patriote, et ceux de Stanley Bagg, du côté bureaucrate. Des soldats tirent sur la foule, faisant trois morts et quelques blessés. La répression et l’inscription commémorative sont deux expressions extrêmes du pouvoir impérial. Si la première fait couler beaucoup d’encre dans les journaux, cela ne semble pas être le cas pour l’érection du monument.
Plus de 100 ans plus tard, dans le contexte de la Révolution tranquille qui s’engage, le monument Wolfe dérange pourtant fortement, jusqu’à entraîner son déboulonnage. Dès le début de la période, les intellectuels portés par l’idée d’indépendance articulent leur discours autour de l’anticolonialisme canadien et britannique. Les symboles du pouvoir britannique sont pris à partie, dont le monument dédié à James Wolfe.
On pointe du doigt des membres du RIN, des séparatistes, des nationalistes ou encore des Fils de la Liberté. Dans le documentaire Les événements d’octobre 1970 (1974), Robin Spry attribue l’acte au Front de libération du Québec (FLQ). Cela n’est peut-être pas étranger au fait que Georges Schoeters[2], l’un des fondateurs du FLQ, s’était réjoui de la nouvelle dans une lettre rédigée de la prison de Québec, le 3 septembre 1963 : « Quel bonheur de savoir que Wolfe ne souffre plus de solitude puisqu’il vient d’être rejoint par la reine Victoria[3]. » Quelques mois auparavant, le graffiti « 1763-1963. Québec libre » avait été inscrit sur le socle du monument Wolfe. Même si à l’époque, le graffiti est un moyen d’action que le RIN laisse à l’initiative de ses membres, la responsabilité de ces actes ne sera jamais éclaircie[4].
La Conquête comme argumentaire
Au début des années 1960, dans le contexte de la montée d’un esprit indépendantiste et révolutionnaire, l’histoire a une utilité pédagogique. Afin que les Québécois puissent se diriger vers leur libération comme peuple, il s’agit, pour les intellectuels indépendantistes, de comprendre l’origine de leur colonisation passée pour la reconnaître dans le présent. En ce sens, la Conquête apparaît comme un moment-clé. Nous faisons l’hypothèse qu’ils construisent leur discours de la Conquête en s’appuyant à la fois sur les théories de la décolonisation et la nouvelle doctrine développée par l’École historique de Montréal.
Les intellectuels indépendantistes ont fait l’objet de plusieurs travaux[5]. En premier lieu se trouve l’ouvrage en deux tomes, dirigés par Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière, qui porte sur la période de 1834 à 2010. Mathieu Lapointe a, quant à lui, analysé la figure de Raoul Roy et le début de l’indépendantisme socialiste ; Ivan Carel[6] s’est attardé aux revues intellectuelles, dont Parti pris, ou aux textes du militant Charles Gagnon ; enfin, Jean-Philippe Carlos s’est intéressé à La Revue socialiste[7]. Jean-Christian Pleau scrute la question nationale et la façon dont elle se posait dans les années 1960, particulièrement pour les deux figures littéraires québécoises que sont Gaston Miron et Hubert Aquin[8].
La décolonisation a été l’objet de nombreuses études. Alexis Lachaine a analysé l’influence de la décolonisation et du nationalisme révolutionnaire sur quatre intellectuels (Hubert Aquin, Gaston Miron, Jacques Ferron et Pierre Vallières) et Mathieu Lavigne, le discours de la décolonisation au moment où le Québec est en quête identitaire, tandis que Sean Mills montre que Montréal est le théâtre d’un vaste mouvement de contestation fondé sur les théories de la décolonisation durant les années 1960. É.-Martin Meunier s’arrête enfin aux influences de la décolonisation sur le nationalisme québécois[9].
Pour les intellectuels indépendantistes de cette période, trois dates servent à expliquer la situation politique, économique et sociale du Québec : 1760, 1837-1838 et 1867. Marilyn Randall met en lumière, dans un article fort intéressant, « la récupération du Patriote de 1837-38 au service du projet d’indépendance[10] », alors que Michel Bock[11] étudie l’évolution de la place de la Confédération de 1867 au sein du nationalisme québécois au xxe siècle. En général, on a accordé peu d’attention à la première date de cette trilogie dans l’historiographie. Alexis Lachaine est l’un des rares à s’être intéressé au discours de la Conquête dans les années 1960, mais son analyse porte sur le rapport des intellectuels aux théories de la décolonisation. Celles développées par les historiens de l’Université de Montréal ne sont que très brièvement mentionnées[12]. C’est précisément ce qui nous intéresse dans le présent article. Mentionnons que c’est en tant que spécialiste de la guerre de la Conquête que nous observons le discours des intellectuels indépendantistes des années 1960 autour de cet événement survenu au xviiie siècle. Nous jetons de ce fait un autre regard sur sa construction discursive.
Comme le souligne l’historien François-Olivier Dorais, « l’argumentaire indépendantiste se nourrit d’un nouvel appel à l’histoire, qui séduit une proportion grandissante de jeunes[13] ». L’interprétation développée par les historiens de l’Université de Montréal les interpelle particulièrement. La Conquête est perçue comme la source ultime de l’oppression des Québécois, ce peuple conquis depuis 1760. « Conquérant », « vaincus », « abandon », « défaite », un lexique lié à la décolonisation est en plus développé autour de cet événement.
Nous tirerons un fil rouge, pour reprendre la couleur de l’uniforme du conquérant britannique, celui de 1760. Dans un premier temps, nous allons d’abord observer les théories de la décolonisation et des historiens de Montréal. Puis, nous chercherons à comprendre ce qu’André d’Allemagne, Hubert Aquin, Jacques Ferron, les membres de la revue Parti pris, Pierre Vadeboncoeur et Jean Bouthillette[14] retiennent des faits à 200 ans de distance et s’ils les expliquent à la lumière du discours de l’École historique de Montréal.
Ces intellectuels jouent, grâce à leurs écrits, un rôle dans le développement du nationalisme québécois au début de la Révolution tranquille. Si Pierre Vallières, déjà analysé par Alexis Lachaine, utilise les concepts de décolonisation pour expliquer la situation économique des Québécois, pour lui, le Québec est subordonné aux intérêts impérialistes des classes dominantes depuis les premiers temps de la Nouvelle-France, donc de la France, puis de l’Angleterre et, enfin, des capitalistes américains. La Conquête joue un rôle mineur dans cette exploitation[15], contrairement à ce que pensent les historiens de Montréal pour qui elle est une véritable catastrophe. C’est pour cette raison que nous ne l’incluons pas dans la présente étude.
Le Québec à l’heure de la décolonisation
Les puissances européennes ressortent affaiblies de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette foulée, certains peuples, notamment au Vietnam, en Algérie et au Congo belge, réclament leur indépendance alors que leurs intellectuels réfléchissent à la décolonisation. Parmi eux figurent les Antillais Aimé Césaire (Discours sur le colonialisme, 1950) et Frantz Fanon (Les damnés de la terre, 1961), le Tunisien Albert Memmi (Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur, 1957) ou l’Algérien Jacques Berque (Dépossession du monde, 1964). Leurs thèses trouvent écho auprès d’intellectuels occidentaux, notamment auprès du philosophe Jean-Paul Sartre.
Au Québec, plusieurs se reconnaissent dans ce discours et croient percevoir des traces de colonialisme autour d’eux, tel que Memmi l’a décrit : bilinguisme colonial, alliance de l’Église avec le colonialiste, « le colonisé ne gouverne pas », il est éloigné du pouvoir jusqu’à en perdre le goût, il est placé « hors de l’histoire[16] ». C’est le cas d’André d’Allemagne et de Pierre Vallières. Comme le souligne Gaston Miron, « [o]n pensait que c’était une infériorité économique due à une situation historique[17] ».
Interpellé par les idées de la décolonisation, Hubert Aquin entre en contact avec Memmi. Ce dernier devient rapidement la figure cardinale pour les intellectuels de gauche québécois. C’est donc sans surprise que Memmi fera ensuite connaissance avec André d’Allemagne, puis avec « les jeunes gens en colère de Montréal[18] », c’est-à-dire les intellectuels gravitant autour de Parti pris. Tous le sensibilisent à la réalité québécoise. Il vient même au Québec, où il constate que les Canadiens français sont effectivement dominés par les Canadiens anglais, qui ont la mainmise sur l’économie et le marché du travail, même si leur qualité de vie est supérieure à bien d’autres populations[19], tandis que l’anglais est exigé dans les entreprises, surtout dans les postes supérieurs. En 1972, L’Étincelle republie le livre de Memmi avec, en annexe, un texte inédit de l’auteur : Les Canadiens français sont-ils des colonisés ?[20].
Pour plusieurs intellectuels et militants de la Révolution tranquille, qui critiquent le nationalisme traditionnel, les idées développées par la littérature anticoloniale et les luttes pour l’indépendance ailleurs dans le monde alimentent leur réflexion. Cette effervescence des idées donne une véritable impulsion à la littérature essayistique québécoise. En plus de s’engager politiquement, de nombreux intellectuels se penchent sur la question dans des essais et des articles. L’heure est à la parole et aux actes.
Les penseurs indépendantistes s’appuient sur les concepts de Fanon ou de Memmi pour expliquer la situation québécoise. Pour eux, le colonialisme tire ses origines de la Conquête, une thèse que partagent également les historiens de l’École de Montréal.
L’École de Montréal et la catastrophe de la Conquête
Les intellectuels peuvent en effet alimenter leur réflexion en s’inspirant du courant néonationaliste porté par les historiens de l’École de Montréal (Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet[21]) depuis la fin des années 1950. Jusque-là, le champ intellectuel québécois était dominé par les milieux traditionalistes réunis autour de la figure de Lionel Groulx[22]. À ceux qui croyaient que, à cause de la Conquête, la colonie avait évité les affres de la Révolution française et qu’elle avait pu progresser grâce à la bienveillance des Britanniques, Groulx répondait que s’il y avait bien eu progrès – ce qu’il appelait la « courbe ascendante » – seuls les Canadiens français en étaient responsables.
La nouvelle génération d’historiens, du moins ceux de gauche, est bien sûr composée de diverses tendances. Comme l’abbé Groulx, ils estiment que la Conquête est un événement historique majeur qui a entraîné de multiples retards au Québec[23]. Les Québécois doivent ultimement se sortir de leur situation impossible par l’indépendance ou la révolution. Les historiens montréalais, qualifiés de « pères fondateurs de la pensée souverainiste des années 1960[24] », comme le mentionne Dorais, s’inscrivent dans cette mouvance. Pour eux, la Conquête est une catastrophe qui explique l’infériorité économique des Canadiens français au sein de la Confédération. Cet événement a freiné le développement normal de la société canadienne-française en la privant de sa bourgeoisie d’affaires, qui a été « décapitée » en 1760.
Dans La guerre de la Conquête, le professeur Guy Frégault explique que la Conquête
constitue le fait le plus important de notre histoire. Lorsqu’elle avait éclaté, deux Amériques étaient en présence, l’une française et l’autre britannique. Quand elle prit fin, la première avait disparu en conséquence de la défaite du Canada. […] Il s’ensuivit, d’une part, un cataclysme dont on n’a pas, semble-t-il, mesuré toute la signification et, de l’autre, une renaissance dont on ne peut considérer qu’avec saisissement les formidables répercussions[25].
Maurice Séguin prolonge cette logique dans ses cours et dans une série de conférences publiées dans L’idée d’indépendance au Québec : genèse et historique. À son avis, à partir de 1760, « [l]e Canada français ne sera plus seul. Sur le même territoire… une autre colonisation, anglaise […] qui s’imposera dès le début par sa suprématie politique et économique et qui, finalement, consolidera par le nombre cette suprématie en devenant majorité[26] ». Avec ses « Normes », Séguin rappelle l’« agir par soi » promu par Memmi dans ses travaux. L’indépendance apparaît comme la seule solution à l’aliénation des Québécois.
De son côté, Michel Brunet, directeur de l’Institut d’histoire de l’Université de Montréal de 1959 à 1967, prend activement part aux débats publics. Travaillant sur un ouvrage pour souligner le bicentenaire de la capitulation de Montréal, il écrit à Lionel Groulx : « [J]’attends de pied ferme les imbéciles qui tenteront de dire en 1960 que la Conquête a été un bienfait[27] ». Il pense sans doute aux historiens de l’Université Laval à Québec, Marcel Trudel, Fernand Ouellet et Jean Hamelin, qui ne voient pas l’événement comme une catastrophe[28].
Pour les historiens de l’École de Montréal, une société coloniale, qui a des fins commerciales par essence puisqu’elle constitue un maillon du système mercantile, multiplie les relations avec sa métropole avant de vouloir s’en émanciper une fois qu’elle a développé sa personnalité propre[29]. « Un peuple conquis perd le privilège de se développer normalement[30] », martèle Brunet. Il explique par ailleurs la société du xviiie siècle en fonction des classes, diffusant de ce fait, dans le champ historique, l’idéologie de la décolonisation et du nationalisme socialiste.
Les historiens montréalais jugent que le Canada a été coupé trop tôt de la France. Michel Brunet, s’appuyant probablement sur l’article 17[31] de la capitulation de Montréal, avance que la Nouvelle-France a été « décapitée » par le départ de ses élites[32]. En trente ans, les Canadiens sont éliminés du grand commerce et remplacés par une bourgeoisie anglaise. Ils n’ont d’autre choix que de se réfugier dans l’agriculture. En déclin dès 1760, les nobles sont devenus « les thuriféraires » d’un conquérant qui sait distribuer ses faveurs. L’élite n’hérite que de quelques postes de subalternes dans l’administration. Domestiquée, elle a perdu son ascendant sur la population. « Sans fortune et chargée de familles nombreuses, elle sombra dans la médiocrité », soutient Brunet. Le clergé n’a cherché de son côté qu’à gagner la confiance du nouveau maître par une « soumission empressée[33] ».
À tout cela s’ajoute une conquête morale, dont Brunet trouve encore des traces chez ses contemporains. Ce sont les « trois dominantes de la pensée canadienne-française » que sont l’agriculturisme, le messianisme et l’antiétatisme, des valeurs refuges décrites par Albert Memmi.
« Le vainqueur avait devant lui un vaincu prostré[34] ». Brunet explique l’empressement des Canadiens à se soumettre à l’autorité britannique dès les premiers mois de la Conquête par l’attitude des officiers français et des autorités métropolitaines ainsi que par la bienveillance du conquérant, qui a tôt fait d’apaiser une population qui « accepta assez facilement la conquête[35] ». Du reste, les Canadiens se rassuraient en comptant sur leur poids démographique dans cette nouvelle colonie britannique et se confortèrent dans une « résistance passive », un concept que développera Pierre Vadeboncoeur. Or, pour Brunet, l’intégration de la province de Québec à l’intérieur du Canada en 1867 vient consommer « l’annexion définitive des Canadiens français à une autre nation devenue majoritaire qui poursuit ses propres objectifs[36] ».
Pour remédier à la catastrophe originelle, l’indépendance constitue pour les historiens montréalais une suite historique logique[37]. Dès 1961, Brunet affirme que « les Canadiens français sont prêts à fonder un État distinct si la Confédération ne répond plus à leurs aspirations et à leurs besoins[38] ». Trois ans plus tard, il se prononce lui-même en faveur de l’indépendance.
Si cette nouvelle interprétation est ramenée à un « nationalisme pessimiste[39] » par le politologue Léon Dion, qui reprend les mots mêmes de Maurice Séguin, certains militants et intellectuels indépendantistes, inspirés par les textes de Frantz Fanon, y voient plutôt un appel à mettre un terme au colonialisme issu de la Conquête. Ils ancrent leur discours dans les thèses décoloniales et néonationalistes.
Le Rassemblement pour l’indépendance nationale : l’importance des symboles
Les années 1959, 1960, 1963 coïncident avec des événements importants de la guerre de la Conquête, survenus 200 ans plus tôt. En 1959, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec propose de commémorer le bicentenaire de la bataille des plaines d’Abraham. Son président, Gabriel Pelletier, et le directeur de la Canadian Tourist Association, John Fisher, formulent l’idée d’en faire une « fête nationale que l’on célébrerait partout avec éclat[40] ». Pour Pelletier, qui fait sienne l’interprétation bonne-ententiste qui a cours depuis le début du xixe siècle, « [i]l n’est pas question de défaite ou de bataille, mais d’un fait historique à partir duquel les deux grandes races ont collaboré – non sans heurts, il va sans dire – et offrent aujourd’hui un exemple au reste du monde[41] ». Le président de la St. Andrew’s Society, Gordon Ross, trouve même que le 13 septembre est une date tellement importante dans l’histoire du Canada qu’elle devrait devenir le jour du Souvenir.
André d’Allemagne est l’un des premiers à réagir dans un article. S’appuyant notamment sur les plus récents travaux de Guy Frégault (La guerre de la Conquête, 1955) et de Michel Brunet (La présence anglaise et les Canadiens, 1958), il affirme : « N’ayant guère de victoires à célébrer, on a décidé de célébrer celles des autres, sans se laisser troubler par l’idée qu’elles sont en même temps nos défaites[42]. » Il fait remonter cette attitude défaitiste à la Conquête même, qui a signé « l’arrêt de mort » de la société canadienne selon Frégault, et à la trahison des élites qui ont alors composé avec les Britanniques.
C’est sans surprise qu’André d’Allemagne, membre fondateur et premier président du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), choisit avec ses confrères et consoeurs une date symbolique pour sa fondation : « [L]e 10 septembre 1960, 200 ans jour pour jour après la conquête de Montréal par Amherst ». D’Allemagne rapporte qu’elle « devait avoir lieu le 13 septembre, date de la bataille des plaines d’Abraham, mais comme il fallait une fin de semaine, on choisit la plus rapprochée, celle du 10[43] ». N’en déplaise à ce dernier, la capitulation générale a plutôt eu lieu le 8 septembre 1760, mais cette date avait aussi l’inconvénient de tomber un jeudi en 1960.
Quoi qu’il en soit, l’histoire est au coeur du discours du RIN. Les patriotes retiennent particulièrement son attention. Le RIN organise plusieurs manifestations afin de commémorer leur mémoire, notamment en octobre 1960 et en novembre 1964, devant l’ancienne prison du Pied-du-Courant, là où des patriotes ont été pendus en 1838[44]. Sur les pancartes des manifestants, nous pouvons lire des slogans, tels que « 1837 Rébellion/1967 Révolution » ou « Honneur au Chénier du 20e siècle ».
Lors de la première assemblée du RIN, en octobre 1960, le manifeste plante l’argumentaire en ce qui concerne 1760 :
Conquise par la force des armes, isolée de sa mère patrie, soumise à des tentatives d’assimilation nombreuses et prolongées, la nation canadienne-française a toujours manifesté une indomptable volonté de survivre, et de s’épanouir librement en conformité avec ses origines et son génie particulier. La Confédération, issue de la Conquête et de l’impérialisme britannique, a placé et maintenu le peuple du Québec dans une situation anormale de faiblesse et d’infériorité collectives[45].
Que ce soit dans les discours de Pierre Bourgault selon lequel le RIN « s’oppose à la formule Favreau-Fulton et refuse, pour le Québec, une troisième capitulation comme celles de 1760 et 1867[46] », ou dans L’Indépendance (1962-1968) où l’on déclare : « aux vaincus que nous sommes par les conquérants de 1760 », « une population conditionnée au défaitisme[47] », les conséquences de la Conquête sont claires, c’est le début de l’aliénation. Dans « Un peuple sans histoire[48] », le RIN détaille sa pensée :
Le tout a commencé en 1760. Par un matin de septembre, le sort des armes décidait que la colonie de la Nouvelle-France avait vécu. […] L’élite française reprenait la mer et 60 mille Québécois demeuraient au pays, un pays qui n’était plus le leur. Le premier souci de l’occupant fut de remplacer le Québécois à tous les postes de commande de la société. On créa une nouvelle classe commerciale, qui fut britannique. On s’assura que le pouvoir politique demeure bien dans les mains des [B]ritanniques. L’Histoire du Québec se faisait, mais pendant ce temps la population québécoise demeurait en dehors du processus politique.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est le choix de la date parmi tous les événements de la guerre de la Conquête : 1760. Le RIN la résume ainsi : « Les armées françaises sont battues sur les plaines d’Abraham. Le Québec devient une colonie de l’Angleterre ». Dans les faits, les armées françaises sont plutôt battues le 13 septembre 1759, tandis que le Québec, comme entité politique, n’existe pas encore et que la colonie canadienne n’est cédée par la France à l’Angleterre qu’en 1763 par le traité de Paris.
Le RIN use de pédagogie pour expliquer la situation du Québec des années 1960 et met sur pied une école de formation politique à cette fin. Les 21 et 28 octobre et le 4 novembre 1963, le professeur Maurice Séguin est invité à donner le cours Genèse et historique de l’idée séparatiste au Canada français[49]. Comme André d’Allemagne l’affirme, le RIN adhère aux « thèses des historiens Guy Frégault, Michel Brunet et Maurice Séguin, selon lesquelles le Canada est composé de deux nations dont l’une a son gouvernement et son État à Ottawa, l’autre à Québec[50] ».
La pédagogie est aussi de mise dans L’Indépendance, où certains ouvrages sont suggérés aux lecteurs dont Dépossession du monde de Jacques Berque, Les damnés de la terre de Frantz Fanon, les textes de Parti pris et La guerre de la Conquête de Guy Frégault[51]. André d’Allemagne prononce une conférence devant la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste en janvier 1965. Pour lui,
[l]a conquête de 1760 avait entraîné l’occupation militaire et l’imposition du système du conquérant, de ses institutions. De nos structures, on nous avait permis de conserver ce qu’elles avaient de féodal, car cela servait les intérêts de l’occupant. […] La Confédération, qui perpétuait la situation née de la Conquête, en nous assujettissant à un pouvoir étranger, déplacé à Ottawa, en nous reléguant une fois pour toutes au rang de minorité. La conquête nous avait enlevé la force économique, industrielle et financière[52].
D’Allemagne croit qu’il s’agit là du début du colonialisme pour la population francophone. La Confédération a créé un système dont les Québécois auront plus de difficulté à se « libérer que d’une simple occupation militaire ».
Hubert Aquin : « l’être-pour-la-défaite »
Hubert Aquin, ancien réalisateur à Radio-Canada et à l’ONF, militant pour le RIN et directeur de Liberté au début des années 1960, réfléchit aussi aux conséquences que la Conquête a eu à long terme sur la société québécoise. En 1962, il répond à l’article de Pierre Elliott Trudeau, « La trahison des clercs », paru en avril dans Cité libre. Dans « La fatigue culturelle du Canada français[53] », Aquin affirme que la Confédération est une conséquence directe de la défaite des plaines d’Abraham. Dès lors, les Canadiens français se sont trouvés en situation de conquis et de minoritaires, fatigués à la perspective d’exister à l’extérieur du système[54].
S’il ne s’arrête qu’à la Rébellion de 1837-1838 dans « L’art de la défaite : considérations stylistiques », il reprend des thèmes phares sur sa compréhension de l’identité québécoise, qui seront importants pour la suite de l’analyse : « passivité du vaincu », « qui ne s’étonnera jamais de perdre, mais sera désemparé de gagner », « leur aventure ratée avec insistance véhicule, de génération en génération, l’image du héros vaincu : certains peuples vénèrent un soldat inconnu, nous, nous n’avons pas le choix : c’est un soldat défait et célèbre que nous vénérons », « leur être-pour-la-défaite[55] ».
Dans le roman Prochain épisode, publié en 1965, les allusions à la Conquête sont nombreuses : « cette promenade aux flambeaux allait mettre feu à la nuit coloniale, emplir d’aube la grande vallée de la conquête où nous avons vu le jour » ; « Ce livre innommé est indécis comme je le suis depuis la guerre de Sept Ans, anarchique aussi comme il faut accepter de l’être à l’aube d’une révolution » ; le protagoniste remarque « au-dessus de la commode, une reproduction gravée, très rare, de “La mort du général Wolfe” par Benjamin West » et « s’étend sur la page abrahame[56] ».
Jacques Ferron : chacun ses souvenirs
Il est aussi question de la Conquête dans l’oeuvre du médecin-écrivain Jacques Ferron, notamment dans La tête du roi. Il y met en scène un fils aîné qui cherche à pousser son père, procureur de la Couronne, à prendre parti sur le plan politique en décapitant la statue d’Édouard VII avec des amis de Saint-Eustache, descendants des patriotes du xixe siècle.
Le théâtre rejoint ici la réalité de manière fulgurante[57], car c’est presque au même moment que le monument Wolfe est renversé à Québec. Ferron s’inspire vraisemblablement de Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur, d’Albert Memmi, qui affirmait : « Les quelques statues qui jalonnent la ville figurent, avec un incroyable mépris pour le colonisé qui les côtoie chaque jour, les hauts faits de la colonisation[58]. » Abattre les monuments à la gloire de l’Empire ne symbolise-t-il pas la fin de son oppression ? Au début de la révolution américaine, en juillet 1776, une statue de George III avait été détruite à New York et les armes de la Couronne britannique avaient été effacées dans plusieurs villes. Au Bas-Canada, en 1834, une tête de roi avait réellement été retrouvée dans un puits sur la rue Notre-Dame à Montréal. Elle coiffait à l’origine le buste de George III, installé en 1773 sur la place d’Armes[59].
Pour Ferron, la Confédération, où Londres a été remplacé par Ottawa, n’a fait que prolonger le lien colonial. Il fait dire à son personnage Simon, le fils aîné, en parlant des Canadiens anglais : « Vous jouissez dans le Québec d’être une minorité et de ne point sentir le poids de la majorité. Ce privilège, vous ne l’avez pas acquis par savoir-faire et industrie : il est inscrit dans la constitution coloniale qui régit encore notre pays ; il nous a été imposé de force[60]. »
Ferron revient sur le vandalisme du monument Wolfe, en cours de restauration, dans « Tout n’est pas perdu » :
L’année s’est achevée et Wolfe ne s’est pas relevé. Comme tout général dont la plus belle conquête reste le grade, c’était un homme avisé. Il attend sans doute que le vieux ressentiment laissé par le saccagement de fermes et de villages sans défense, dans le bas du fleuve, se soit éteint, pour remonter à la sauvette sur son beau monument des plaines d’Abraham. […] Mais il préféra Québec avec le résultat qu’il est par terre, dans une position toujours inconfortable pour un soldat, même vainqueur [61] ?
Pour le narrateur, cela montre la « précarité de la victoire » du général anglais James Wolfe. Le sort n’en est pas encore jeté. Ferron reprend ici une anecdote que Frank Scott, commissaire de la commission Laurendeau-Dunton qui se déroule dans les années 1960, a racontée au cours des réunions publiques au Québec. Il y a alors affirmé que ses ancêtres auraient déposé des objets – un pot de marmelade, un poème et six penny – à la base du monument Wolfe qui était en restauration au début du xxe siècle[62], métaphore du droit des Anglais de vivre au Québec et d’y transmettre leur héritage.
Ferron est sans appel : « [T]ous ces objets importants miraculeusement sauvés, par l’intervention de saint Georges, sans doute, nous autorisent à penser que tout n’est pas perdu du souvenir anglais et qu’on lui gardera, avec un sourire amusé, à défaut d’autre place, une petite niche dans le coeur québécois[63]. »
Cela illustre, de l’avis de Ferron, le dialogue de sourds qui se poursuit entre les deux nations. D’un côté, les Canadiens anglais cherchent à préserver le souvenir de la Conquête et leur domination politique et économique au Québec alors que de l’autre, les Canadiens français sont loin d’avoir oublié les « fermes et villages sans défense » incendiés et ravagés par ordre de celui à qui on a élevé ce « beau » monument[64]. Quant à la France, « [e]lle l’abandonna en 1763, puis en 1774. Et comme le coq chante trois fois, il faut s’attendre à un troisième abandon[65] ». Comme le rappelle à juste titre l’historien Jean-François Nadeau[66], Ferron présente un point de vue nuancé de la question et se montre critique à l’égard des théories des historiens de Montréal en vogue chez les littéraires du temps :
La prise du Canada par l’Angleterre, contrairement aux prétentions de l’École de Montréal, n’a guère été ressentie par les Canadiens français. Elle a cependant modifié leur comportement. Ils se sont adaptés aux institutions anglaises et servis d’elles pour continuer de progresser. Les municipalités, les conseils de comtés, le parlement leur ont permis d’étendre leur conscience pour en arriver, au siècle dernier, à se concevoir comme peuple, puis à opposer cette idée à la situation coloniale où ils se trouvaient, […] pour se rendre compte enfin que le changement de capitale, Ottawa pour Londres, ne mettait pas fin au colonialisme[67].
Dans la réalité, le monument des plaines d’Abraham est reconstruit presque à l’identique en 1965. Cette fois, compte tenu du contexte sociopolitique, le mot « victorieux » est supprimé de la nouvelle plaque. La Commission des champs de bataille nationaux, responsable des lieux, pousse même la prudence jusqu’à faire rédiger le texte en anglais et en français, alors qu’auparavant il figurait uniquement en anglais, la langue impériale. Malgré tout, le monument continuera à être visé par certains indépendantistes. Le 12 avril 1971, il est endommagé avec une masse ou un marteau et les pierres du terre-plein sont aspergées de peinture bleu pâle[68].
Parti pris : le début de l’aliénation économique et politique
Fondée par Pierre Maheu, Jean-Marc Piotte, André Major, André Brochu et Paul Chamberland, de jeunes universitaires montréalais[69], Parti pris paraît de 1963 à 1968. La revue fait son entrée dans le monde des idées 200 ans après la signature du traité de Paris de 1763. Année symbolique donc, 1963 est riche en événements politiques : le casque surmontant la colonne dédiée à Wolfe roule sur le sol des plaines d’Abraham, la commission Laurendeau-Dunton est mise sur pied, les procès des premiers felquistes ont lieu, le Parti libéral du « Maîtres chez nous » de Jean Lesage officialise la nationalisation de l’électricité, une étape déterminante vers l’élimination du colonialisme économique du Québec, et le RIN devient un parti politique.
Revendiquant « un État libre, laïque et socialiste », les partipristes se donnent pour objectif de « démystifier la situation coloniale québécoise » afin de montrer que l’accession à la souveraineté politique est le seul avenir souhaitable. Influencés par l’existentialisme, le marxisme et la décolonisation (dont les auteurs Albert Memmi, Frantz Fanon et Jacques Berque), ils analysent la situation coloniale québécoise à travers ces prismes. De même, les historiens de l’École de Montréal apportent à la revue un cadre de référence pour appréhender l’histoire du Québec. Or, comme l’historien Ivan Carel l’a montré, « tout en brandissant l’objectivité de la discipline, les intellectuels en font un usage essentiellement subjectif et idéologique. Leur usage de l’histoire est ainsi bien plus un révélateur de leur vision du monde[70] ».
La Conquête se trouve au coeur de leur explication. Le problème est posé par Jean-Marc Piotte dès le premier numéro[71], où on remarque en exergue un extrait de La tête du roi, de Jacques Ferron, et, dans les notes, les ouvrages de Michel Brunet et d’Albert Memmi :
La Conquête de 1760 plaça le peuple dans un état d’infériorité et de servitude. Appuyés par une métropole, les Anglais s’installèrent au pays et le contrôlèrent. Les seigneurs et les riches de descendance française quittèrent le Canada : leur nouvelle situation ne leur permettait plus de réaliser des profits par le commerce. Les quelques commerçants canadiens qui s’obstinèrent à demeurer au pays furent bientôt réduits à des rôles subalternes. Bref la conquête entraîna, pour les Canadiens, la perte du contrôle politique et économique du pays. Les faits les obligèrent de se restreindre à la religion et à la culture.
De plus, Piotte mentionne que l’ancienne élite a été remplacée par d’autres, qui entretiennent la soumission à l’égard de l’occupant depuis la Conquête : l’Église[72] et la petite bourgeoisie. Celles-ci sont responsables, par le biais d’une série de mythes et d’idéologies, de l’intériorisation même de cette soumission. Le Québécois, ce colonisé, s’est replié dans un passé magnifié et en est venu à oublier son histoire et à dénaturer sa culture jusqu’à l’aliénation[73]. Enfin, le gouvernement fédéral, dominé par une majorité anglo-saxonne, est perçu par les partipristes comme « descendant des conquérants[74] ». C’est cette interprétation de la Conquête, qui repose sur les travaux des historiens montréalais, que l’on retrouve disséminée dans les pages de Parti pris.
Les collaborateurs de la revue critiquent ouvertement les autres interprétations historiques. C’est le cas de Gilles Bourque et de Luc Racine, qui déconstruisent l’ouvrage Histoire économique et sociale du Québec, 1760-1850 (1966) et son auteur, un « historien colonisé », Fernand Ouellet[75]. Pour ce dernier, la Conquête « ne provoque aucune brisure fondamentale ». Les causes de la faiblesse économique des Canadiens français sont plutôt à chercher dans leur mentalité.
Parallèlement à la revue, les éditions Parti pris sont fondées en 1964. Gérald Godin dirige la maison de 1965 à 1977. Il en explique l’essence : « Berque a écrit : “il n’y a pas de société colonisée, il n’y a que des sociétés sous-analysées”. Nous avons publié, en proportion, plus de textes pour analyser le Québec que tout autre éditeur d’ici. Exposer aux Québécois leur aliénation, leur montrer la culture réelle, celle des patenteux […][76]. »
Dans le catalogue de la maison d’édition, deux livres retiennent notre attention. Avec Classes sociales et question nationale au Québec, 1760-1840, le sociologue Gilles Bourque présente, à l’aide d’une grille marxiste, les bouleversements économiques et structuraux provoqués par la Conquête, qui, à son avis, ont conduit au colonialisme[77].
Puis, dans Capitalisme et Confédération, traduit par André d’Allemagne, Stanley Bréhault Ryerson pense que « [d]eux siècles après la Conquête anglaise, […] la nation québécoise se trouve toujours dans une situation de colonisée. Le double poids d’une oppression, politico-militaire d’une part, socio-économique de l’autre, pèse sur la collectivité : héritage étouffant d’une conquête qui n’en finit plus[78] ». Ces deux titres développent la même interprétation de la Conquête que celle diffusée dans la revue.
Pierre Vadeboncoeur : un peuple « qui a admis sa défaite »
Au début des années 1960, Pierre Vadeboncoeur est conseiller syndical pour la CSN et signe des articles dans Cité libre. En 1963, année qui marque le 200e anniversaire de la signature du traité de Paris, il publie le court essai La ligne du risque[79]. C’est aussi à ce moment qu’il passe à la revue Parti pris. Âgé de 43 ans, il fait ses « Salutations d’usage » à la génération qui le suit dans le premier numéro[80]. Le jeune journaliste, Gérald Godin, dira de lui : « Il est unique dans sa propre génération et il est le seul de nos aînés que nous puissions à la fois reconnaître comme un des nôtres et un de nos maîtres à penser[81]. »
Dans La ligne du risque, Vadeboncoeur écrit :
C’est à la Conquête qu’il faut attribuer notre situation précaire, mais c’est à l’échec de la Rébellion qu’il faut faire remonter notre étrange carrière d’impuissance politique acceptée et de démission de l’esprit de liberté. […] La Conquête ne s’achèverait vraiment qu’un siècle après le Traité de Paris, quand enfin la défaite par les armes composerait avec l’assujettissement de l’esprit par nos dirigeants, en particulier le clergé[82].
Pour Vadeboncoeur, la Conquête marque le début des problèmes pour les Canadiens, un peuple « vaincu », passif (un concept également développé par l’historien Michel Brunet), « qui a admis sa défaite », « qui n’entreprend plus de révolution[83] ». À son avis, le clergé est en grande partie responsable de cet état collectif.
L’ouvrage n’échappe pas à Paul Chamberland[84], qui cherche justement à montrer « qu’à notre aliénation politique et économique correspondent [sic] notre aliénation culturelle et religieuse », dans son article « L’intellectuel québécois, intellectuel colonisé ». Après Fanon, il y cite Vadeboncoeur pour appuyer sa théorie. Dans La ligne du risque, Vadeboncoeur écrit ainsi : « [S]i notre nationalisme peut avoir un sens, c’est seulement dans la perspective d’une révolution de l’esprit et à la condition qu’elle s’accomplisse[85]. »
Avec L’autorité du peuple[86], Vadeboncoeur revient sur le thème de la passivité des Canadiens français : ce ne sont pas eux qui ont été vaincus en 1760, mais bien la France ; plus tard, ils n’ont pas choisi les institutions parlementaires, « la démocratie nous est venue d’ailleurs, toute faite », et sur leur apathie : « c’est à peine » s’ils ont « voulu » la Confédération[87]. Il poursuit en affirmant : « Peuple investi au moins deux fois par le même conquérant et pour qui, faute de force, la sagesse consistait à ne pas chercher à conquérir à son tour […]. Entreprendre n’est pas son fort ; parier non plus[88]. » La « Défaite » est, quant à elle, peu comprise par ses contemporains. « C’est à croire qu’il n’y aurait pas eu de Conquête », s’exclame-t-il. Pour preuve de cette méconnaissance, il souligne le fait que certaines personnes ont voulu « célébrer 1760 en tant qu’événement historique[89]. »
Enfin, dans le livre La dernière heure et la première[90], paru peu de temps avant les élections québécoises de 1970, Vadeboncoeur affirme que, pour lui, c’est la fin de la « permanence tranquille » et le début de l’indépendance[91]. L’essai connaît un grand succès en librairie et obtient d’excellentes critiques, dont celle de Jacques Ferron, qui qualifie l’oeuvre d’« implacable[92] ». Vadeboncoeur y revient sur des thèmes chers aux intellectuels indépendantistes qui tentent de donner un sens à l’histoire. Pour lui, la défaite a été oubliée, le conquérant s’est emparé du pouvoir économique, le pays est « gouverné par d’autres », les curés ont été « gagnés à soutenir l’empire du conquérant » et « la modération relative du vainqueur et l’habileté de son impérialisme » ont maintenu la population dans la confiance[93].
Grâce à la possession du pays et de la culture, Vadeboncoeur affirme : « Nous existâmes comme peuple […]. Nous devions être un des rares peuples conquis à garder une existence aussi bien déterminée et distincte par le seul fait d’être posé d’une certaine manière en un temps et en un lieu miraculeusement propice au calme politique[94]. »
Jean Bouthillette : « le malheur initial »
Alors que le Québec est encore ébranlé par la crise d’Octobre et ses suites, Jean Bouthillette[95] publie à l’Hexagone, en 1972, Le Canadien français et son double, son seul essai en carrière. Il s’agit du fruit d’une longue réflexion de la part de ce journaliste, menée de 1961 à 1971, une décennie chargée politiquement et socialement.
Pour son éditeur, Gaston Miron, l’auteur « identifie clairement, ici et maintenant, la relation intime du colonisateur et du colonisé, […] laquelle conduit à la mise à [sic] jour des grands agents de notre inconscient collectif : le mirage d’identité, la dépersonnalisation, la culpabilité dans le processus historique déterminé par la Conquête et toujours actuel[96] ».
Jean Bouthillette voit la Conquête comme la cassure, le « malheur initial qui s’est figé dans l’âme commune en une durée qui nous ravit le présent[97] », « l’origine de cette dérive intérieure ». À l’instar de ce que théorise Maurice Séguin (« Le Canada français ne sera plus seul »), la Conquête a amené la « présence anglaise », à qui profite le système qu’elle a conçu au pays, dans le « Nous » canadien-français. En permettant à « l’Anglais de s’insinuer en nous comme une ombre », la Conquête a fini par « nous déloger de nous-mêmes ». « S’assimiler, au Québec, pense Bouthillette, c’est se perdre de vue », « nous avons perdu notre image ». Pour lui,
[u]n Canadien français, au premier temps d’un mal psychique, c’est Montcalm mortellement blessé sur les plaines d’Abraham. Mais comme nous avons survécu, c’est, au deuxième temps, Lévis qui, après la victoire de Sainte-Foy, fixe son regard vers l’embouchure du grand fleuve dans l’attente d’un bateau français. Nous attendons toujours quelque chose dans notre long hiver intérieur[98].
Il en résulte une dépersonnalisation et une aliénation de la liberté des Canadiens français, jumelées à des sentiments ambivalents d’amour et de haine envers la France, la mère « qui nous a abandonnés » « à nous-mêmes », en même temps qu’un refus inconscient de l’Anglais et une haine « oubliée » envers lui.
La Confédération est venue consommer l’état de servitude qui perdurait depuis 1760. L’occupation est toutefois plus subtile, en se maintenant grâce à une présence anglaise qui « n’est plus étrangère[99] ». Bouthillette affirme qu’« il y a donc une permanence de la Conquête qui nous maintient dans sa durée psychologique ».
Bouthillette emprunte cette phrase à Memmi : « [L]a libération du colonisé doit s’effectuer par la reconquête de soi et d’une dignité autonome[100] », pour conclure que, comme il y a deux peuples dans le même pays, seule la « reconquête » de soi permettrait une réconciliation : « La Conquête avait engendré en nous le terrible dialogue de la liberté et de la mort. C’est dans le dialogue de la liberté et de la vie que se fera notre reconquête. […] Mais ce que doit d’abord vaincre notre peuple, c’est sa grande fatigue, cette sournoise tentation de la mort[101]. »
Comme chez Vadeboncoeur, la liberté et la décolonisation mentale sont convoquées. Cette parenté intellectuelle n’échappe pas au principal intéressé. À la fin de 1972, Pierre Vadeboncoeur envoie une lettre au Devoir, au sujet de l’essai de Bouthillette, dans laquelle il affirme : « L’auteur regarde fixement notre aliénation et nos avatars, par l’intérieur, en s’aidant d’un très petit nombre de points de repère historiques, qu’il nomme à peine, d’ailleurs, comme une tragédie classique nomme le destin[102]. » S’il juge que l’ouvrage a été « trop peu remarqué par la critique », Vadeboncoeur le fait entrer, par son imprimatur, dans le panthéon intellectuel québécois de façon pérenne.
Permanence du discours pour une collectivité déterminée par la permanence
Cette interprétation entourant la guerre de la Conquête a bénéficié d’une large diffusion auprès du grand public dans les années 1960 et 1970 et a été thématisée dans plusieurs oeuvres. Les artistes ont été nombreux à montrer l’éveil collectif et à y participer, car, comme l’a écrit Albert Memmi, « [l]e colonisé semble condamné à perdre progressivement la mémoire[103] ». D’où l’importance de garder la culture vivante.
Au cinéma, il en est question dans Le révolutionnaire (1965), de Jean-Pierre Lefebvre, un film sur le doute identitaire de la société québécoise et sur l’idée de révolution. La fable satirique met en scène des combattants qui s’entraînent pour faire la révolution. Les recrues ont droit à un cours d’histoire du Québec où ils apprennent que
[l]es méchants Anglais s’établissent […]. Puis c’est la déportation des Acadiens. Le major Charles Lawrence se rend responsable de la mort de 14 000 colons. La déportation dure trois ans. Puis Montcalm défait les Anglais à Carillon. Mais peu après le général James Wolfe gagne la bataille des plaines d’Abraham et le Canada passe définitivement à l’Angleterre.
Dans l’image suivante, on voit un homme, un Anglais, tenant un sac rempli d’argent[104].
Au théâtre, Jacques Ferron multiplie les références à la Conquête dans la pièce Les grands soleils (publiée en 1958 et jouée au TNM en 1968), dont l’intrigue se déroule en 1837. Le curé dit à Jean-Olivier Chénier : « [T]on père a vu l’arrivée des Anglais et tu peux déjà, toi, Jean-Olivier, fils d’un vaincu, tenir tête au vainqueur[105]. »
En poésie, même si Michel Brunet pensait que la conduite des Canadiens, marquée au coin par la docilité « au moment de la conquête, n’a jamais inspiré et n’inspirera jamais les poètes à la recherche d’actes d’héroïsme collectif[106] », Gérald Godin tourne ces vers dans Cantouques : « [C]omment pourrais-je vivre oser respirer encore / l’air pollué de mon pays vaincu / l’avenir bouché de mon pays anglichié / supporter la brûlure des Plaines l’incendie des drapeaux / le bris des épées l’exil de trente-sept[107]. »
En musique, dans Les Patriotes (1964), Claude Léveillée chante « Déportation, grand-mère, n’avez-vous rien dit ». Parmi les spectacles marquants de cette période figure Poèmes et chants de la résistance II, présenté par le Comité de défense des prisonniers politiques au Gesù, à Montréal, les 24 et 25 janvier 1971. Avant l’entrée en scène des poètes et des chanteurs[108], Hélène Loiselle y récite :
Québec 1760, territoire occupé. L’armée anglaise dévaste le pays, le conquérant s’installe, l’ordre anglais est instauré. Les Canayens se voient désarmés par leurs curés de village. La résistance qui suivra ne sera pas faite les armes à la main. Ce sera le repli silencieux dans la campagne québécoise, repli humiliant devant l’occupation commerciale des bourgeois anglais rapaces, McGill, McTavish, Patterson et compagnie. Ce sera le repli dans les terres devant la mainmise anglaise sur le Saint-Laurent, devant l’expropriation anglaise de la forêt québécoise, ce sera l’arrestation et la détention du peuple québécois entre le fleuve et la forêt occupés[109].
C’est Léandre Bergeron qui signe les textes « Québec, territoire occupé ». Ce collaborateur de Parti pris est également l’auteur de deux ouvrages très remarqués à l’époque, fortement inspirés des théories de la décolonisation : Petit manuel d’histoire du Québec (1970) et Pourquoi une révolution au Québec (1972).
Écrits pour faire réagir, les textes « Québec, territoire occupé » empruntent un ton militant. Ils sacrifient quelque peu les faits pour créer un effet de toge. Par exemple, faisant allusion à la responsabilité de l’Église dans l’état de soumission de la population, le texte ne dit pas que plusieurs presbytères du gouvernement de Québec ont été endommagés par les militaires à l’été 1759, que certaines églises, dont la cathédrale de Québec, ont été presque détruites par les bombardements, que des curés se sont réfugiés avec leurs paroissiens dans une paroisse voisine, où ils ont vécu pendant des mois, alors que de leur côté, les Augustines ont accueilli plus de blessés que leur établissement le permettait. De plus, si Mgr de Pontbriand prône la soumission et la conciliation à l’égard de l’armée britannique dans une lettre datée du 5 juin 1759, des curés choisissent de passer outre et de se placer à la tête de leurs paroissiens dans la défense de leur localité. C’est le cas des curés Chaumont de Baie-Saint-Paul, Charles Youville-Dufrost de Pointe-Lévy, Joseph-Basile Parent de L’Ange-Gardien et Philippe-René Robineau de Saint-Joachim[110]. Comme le mentionne l’historien Jacques Mathieu, « [l]’évêque prescrit ; le curé obéit ou… n’obéit pas ». Dans un contexte de profonde remise en question du référent religieux au cours de la Révolution tranquille, ces exemples ne sont pas mis en évidence, car ils n’appuient pas la thèse originelle.
Enfin, l’ancien chef riniste, Pierre Bourgault, écrit Ent’ deux joints[111] en 1973. Il fait entonner à Robert Charlebois : « Tout ça a commencé sur les plaines d’Abraham / La chicane a pogné t’as mangé ta volée. » Dans Bozo-les-culottes (1967), Raymond Lévesque revient lui aussi sur la trahison de l’élite et du clergé.
Ce discours entourant la Conquête est en outre présent à l’Assemblée nationale du Québec, où les références sont également multiples. Marcel Masse, ministre unioniste, affirme en 1969[112] : « Cette tradition du rôle de l’État s’est perdue avec 1760 quand un nouvel État métropolitain entreprit un travail de colonisation tourné vers les intérêts supérieurs de l’Empire britannique. De là date l’antiétatisme de notre population dont a souvent parlé l’historien Michel Brunet ». Rappelons que l’historien Denis Vaugeois, ancien élève de Maurice Séguin[113], est alors directeur de cabinet du ministre Masse.
Devenus députés et ministres du Parti québécois, Denis Vaugeois et Gérald Godin continuent de diffuser l’interprétation de l’École de Montréal. C’est aussi le cas de Camille Laurin. Dans un discours entourant l’adoption de la Charte de la langue française en 1977, il affirme que le Québec a été « [a]mputé de ses élites en 1763 » et qu’« il est vrai que, dès ce moment, il abandonne au conquérant britannique une hégémonie économique et commerciale qui ne fera que s’amplifier[114] ». Le livre blanc sur le projet de souveraineté-association est aussi empreint de l’esprit des travaux de Séguin, de Brunet et de Frégault : en 1760, il y avait au Canada une société qui aurait un jour acquis son indépendance, mais à la suite d’une défaite militaire, elle a plutôt été placée sous la tutelle britannique. Dès lors, sans ses dirigeants, dont plusieurs sont rentrés en France, tenus à l’écart des charges publiques, du commerce et de l’industrie, les francophones ont choisi la fidélité aux nouveaux maîtres et le repli sur le territoire[115].
Cette interprétation de la Conquête se retrouve dans de nombreuses oeuvres au fil des ans, tant en littérature, par exemple, dans l’essai de Marcel Dubé, La tragédie est un acte de foi (1973) ou dans la pièce de théâtre de Félix Leclerc, Qui est le père ? (1977), qu’à la télévision dans la télésérie de Denys Arcand, Duplessis (1978), ou au cinéma dans le film de Gilles Carle, Les Plouffe (1981) ou, encore, dans le documentaire de Jacques Godbout, Le sort de l’Amérique (1996).
Conclusion : le récit de la défaite
Au cours de notre analyse, nous avons compris que les intellectuels indépendantistes construisent un récit autour de la Conquête envisagé uniquement du point de vue de la défaite. Pour Pierre Bourgault : « Nous avons toujours été battus : nous sommes écoeurés d’être battus… » ; pour André d’Allemagne : « Pendant longtemps, trop longtemps, le peuple canadien-français a vécu dans l’obsession de son passé, un passé marqué non seulement par la défaite, mais par l’esprit de défaite, par des luttes symboliques et humiliantes, par des préoccupations de simple survie… Nous vivions en marge de l’histoire » ; pour Gérald Godin : « à la conquête on a perdu / le cheval dit qu’il en a marre / de s’entendre toujours parler / à la conquête on a perdu » ; pour Jean Bouthillette : « une image de Wolfe qui nous a saisis dans notre enfance et qui reste, à notre insu, comme l’image-témoin de notre défaite et de notre humiliation » et pour Pierre Vadeboncoeur, les Québécois forment un peuple qui « a admis sa défaite[116] ». Enfin, dans son livre L’esprit révolutionnaire dans l’art québécois, Robert-Lionel Séguin ne reproduit que deux moments de la guerre de la Conquête : la déportation des Acadiens en 1755, qui compte une dizaine de planches, et Lévis qui fait brûler les drapeaux à Montréal en 1760, une planche seulement.
Ces auteurs ne soulignent aucune victoire, si ce n’est que pour montrer son caractère éphémère puisque les dés sont joués d’avance. Ils rappellent en particulier deux défaites : la bataille des plaines d’Abraham en 1759 et, surtout, la capitulation générale en 1760. La victoire française à Sainte-Foy, en avril 1760, n’est pratiquement jamais évoquée. En fait, ils empruntent la périodisation établie par Frégault et Séguin pour qui la date phare est le 8 septembre 1760. Brunet met lui aussi l’accent sur la défaite : « C’est un passé où les héros et les actions d’éclat furent très rares […]. Un passé où les échecs ont été plus nombreux que les succès. Un passé sans grandeur et sans panache dont nous sommes les modestes héritiers[117]. »
La Nouvelle-France est, quant à elle, majoritairement occultée par les intellectuels indépendantistes, étant sans doute trop associée au nationalisme de survivance, où elle était perçue comme un âge d’or. Tout commence et tout se termine en 1760, même si la guerre n’est pas finie et qu’il reste un dernier acte à jouer. Dans les faits, ce n’est qu’avec les préliminaires de paix, signés à Fontainebleau en novembre 1762, et avec le traité de Paris de 1763 que la colonie est cédée à la Grande-Bretagne.
Le vocabulaire utilisé ne vient que renforcer l’esprit de défaite : « conquis », « vaincus », « abandonnés ». Il est d’ailleurs encore fortement marqué par la Seconde Guerre mondiale (collaborateur, occupant, « holocauste de l’honneur[118] »), ce qui apparaît aujourd’hui anachronique pour parler d’une guerre qui se déroule au xviiie siècle.
En s’appuyant sur les auteurs de la décolonisation et en puisant dans les travaux des historiens de l’École de Montréal, les intellectuels indépendantistes font une certaine lecture de la guerre en n’abordant que 1760, la Défaite avec un « d » majuscule, pour expliquer l’aliénation des Québécois. Tous n’adhèrent pas à cette interprétation. Jacques Ferron affirme ainsi :
On ne peut percevoir cette évolution dans la régression que l’École de Montréal a cru trouver dans notre histoire à la suite de la Conquête. Cette théorie s’explique toutefois : elle a vu le jour au moment où nous commencions à comprendre que la souveraineté nous était nécessaire. On a projeté une aspiration contemporaine sur le passé. On s’est trompé de temps. Cela arrive souvent aux historiens[119].
La chercheuse Alexandra Guité-Verret[120] a également remarqué dans ses travaux « un sentiment de défaite qui plane » dans les textes d’intellectuels phares de la Révolution tranquille, comme Pierre Vadeboncoeur et Hubert Aquin, qui cherchent à cerner les lacunes du Québec. Elle appelle cette mouvance le « grand récit défaitiste ». Cela n’a pas non plus échappé à Pierre Nepveu : « Rien de plus étonnant, à lire les textes littéraires des années soixante, que de constater à quel point une époque si affirmative, valorisant l’action, la parole, la réalisation de soi, a pu nourrir une telle abondance de discours sur l’exil, la folie, l’ennui, l’irréel, la mort[121]. » Marilyn Randall avance, dans le cas des Rébellions de 1837-1838, que le modèle proposé par des intellectuels comme Aquin est celui de l’échec et du fatalisme. Pour eux, l’histoire permet d’expliquer l’origine de l’oppression et de comprendre les mécanismes de colonisation, ce qui devrait amener les Québécois des années 1960 à prendre conscience de leur situation pour s’en libérer.
Les théories de la décolonisation et de l’École de Montréal, sur lesquelles les intellectuels indépendantistes se sont appuyés, s’inscrivent dans un kairos particulier, celui de la Révolution tranquille. Elles étaient en adéquation avec une certaine vision du destin québécois. Pour l’historien Michel Brunet, en 1760, les Canadiens étaient des vaincus prostrés qui ont accepté la Conquête sans grande difficulté et qui se sont ensuite confortés dans une forme de résistance passive. L’essayiste Pierre Vadeboncoeur partage aussi cette vision d’un peuple vaincu, passif et « qui a admis sa défaite ». Historiens et intellectuels ont proposé un discours de la Conquête qui venait appuyer leurs thèses concernant l’aliénation économique et politique des Québécois des années 1960[122]. Conséquemment, ils ont structuré une image identitaire dont les Québécois étaient appelés à se libérer par eux-mêmes. Y sont-ils parvenus ? Si nous ne donnons pas de réponse ici, Ferron serait contraint de constater que Wolfe est bel et bien remonté sur son beau monument des plaines d’Abraham, où il trône toujours.
Parties annexes
Notes
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[1]
Nous retenons plutôt 1760 aux fins de cet article, car c’est la date la plus souvent mentionnée par les auteurs à l’époque.
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[2]
À la suite du décès du gardien de nuit, Wilfrid O’Neil, le Belge Georges Schoeters est condamné à 10 ans de prison. Jos.-L. Hardy, « Le monument Wolfe renversé par des vandales », Le Soleil, 29 mars 1963, p. 10 ; « Un coup trop bien monté. C’est l’oeuvre de nationalistes qui ne jouent pas », Le Soleil, 29 mars 1963, p. 16 ; « Le mot “victorieux” n’apparaît plus sur le monument de Wolfe », Le Soleil, 12 mai 1966, p. 48 et Dave Noël, « Six autres statues déboulonnées ou abîmées au Québec », Le Devoir, 1er septembre 2020, [En ligne], [https://www.ledevoir.com/societe/585145/le-statuaire-decapite] (consulté le 7 janvier 2022).
-
[3]
La statue de la reine Victoria, située dans un parc à Québec, avait été dynamitée en juillet (« Document Lettre de Georges Schoeters », Parti pris, no 2, novembre 1963, p. 5).
-
[4]
Paul Chamberland, « 1837-1963 », Liberté, vol. 7, nos 1-2 (janvier-avril 1965), p. 50-63 ; André d’Allemagne, Le RIN et les débuts du mouvement indépendantiste québécois, Montréal, Éditions L’Étincelle, 1974, p. 71, 142-143.
-
[5]
Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière (dir.), Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, 2 tomes, Montréal, VLB éditeur, 2011 et 2012 ; Mathieu Lapointe, « Entre nationalisme et socialisme : Raoul Roy (1914-1996) et les origines d’un premier indépendantisme socialiste au Québec, 1935-1965 », Mens : revue d’histoire intellectuelle et culturelle, vol. 8, no 2 (printemps 2008), p. 281-322 ; Catherine Bouchard, Les nations québécoises dans l’Action nationale : de la décolonisation à la mondialisation, Québec, Presses de l’Université Laval, 2002.
-
[6]
Ivan Carel, Les revues intellectuelles entre empêchement et émancipation : 1950-1968, vol. II, thèse de doctorat (histoire), Montréal, Université du Québec à Montréal, 2006 ; Ivan Carel, « “La gauche n’a pas de tradition” : l’histoire à gauche vue par Charles Gagnon », Bulletin d’histoire politique, vol. 19, no 2 (hiver 2011), p. 38-52.
-
[7]
Jean-Philippe Carlos, « Les intellectuels québécois à l’heure de la décolonisation : le cas de La Revue socialiste (1959-1965) », Revue d’histoire de l’Université de Sherbrooke, vol. 7, no 2 (2014), [En ligne], [https://rhus.historiamati.ca/volume7/les-intellectuels-quebecois-a-lheure-de-la-decolonisation-le-cas-de-la-revue-socialiste-1959-1965/] (consulté le 8 septembre 2023).
-
[8]
Jean-Christian Pleau, La Révolution québécoise : Hubert Aquin et Gaston Miron au tournant des années soixante, Montréal, Éditions Fides, 2002.
-
[9]
Mathieu Lavigne, L’idée de décolonisation québécoise : le discours tiers-mondiste au Québec et sa quête identitaire (1963-1968), mémoire de maîtrise (histoire), Montréal, Université de Montréal, 2007 ; Alexis Lachaine, Black and Blue: French Canadian Writers, Decolonization and Revolutionnary Nationalism in Quebec, 1960-1969, thèse de doctorat (histoire), Toronto, Université York, 2007 ; Sean Mills, Contester l’empire : pensée postcoloniale et militantisme politique à Montréal, 1963-1972, Montréal, Hurtubise HMH, 2011 ; É.-Martin Meunier, « Nationalisme québécois et décolonisation au temps du FLQ : influences, transferts et traductions », dans Olivier Dard et Daniel Lefeuvre (dir.), L’Europe face à son passé colonial, Paris, Riveneuve Éditions, 2009. Voir aussi Papa Dramé et Magali Deleuze, « Les idées phares du processus de décolonisation et le Québec », Bulletin d’histoire politique, vol. 15, n° 1 (automne 2006), p. 109-129 ; Serge Granger, « L’Inde et la décolonisation au Canada français », Mens : revue d’histoire intellectuelle et culturelle, vol. 13, n° 1 (automne 2012), p. 55-79.
-
[10]
Marilyn Randall, « Fils déchus ou frères dans la défaite ? Le Patriote de 1837-1838 à l’heure de la décolonisation », Globe, vol. 2, no 1 (1999), p. 11 ; 9-33.
-
[11]
Michel Bock, « De l’anti-impérialisme à la décolonisation : la transformation paradigmatique du nationalisme québécois et la valeur symbolique de la Confédération canadienne (1917-1967) », Histoire, économie et société, no 4 (2017) p. 28-53.
-
[12]
Alexis Lachaine, « A Nightmare to Awaken From: The Conquest in the Thinking of Québécois Nationalists of the 1960s and After », dans Philip Buckner et John G. Reid (dir.), Remembering 1759: The Conquest of Canada in Historical Memory, Toronto, University of Toronto Press, 2012, p. 211-225.
-
[13]
François-Olivier Dorais, L’École historique de Québec : une histoire intellectuelle, Montréal, Éditions du Boréal, 2022, p. 236.
-
[14]
Nous sommes consciente que notre corpus est entièrement masculin. Une analyse plus poussée serait à faire pour voir si le genre influence ou non l’argumentaire indépendantiste de cette période. Par ailleurs, nous nous arrêtons aux textes publiés durant les années 1960 et 1970.
-
[15]
Lachaine, « A Nightmare to Awaken From », p. 219 ; Simon Couillard, « Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières : un anticolonialisme colonisé », Bulletin d’histoire politique, vol. 27, no 1 (automne 2018), p. 135-156.
-
[16]
Memmi, Portrait du colonisé, p. 111, 114.
-
[17]
Yvan Lamonde, « Rapailler l’homme québécois : Miron et la catharsis du temps (1945-1970) », Les Cahiers des Dix, no 64, 2010, p. 71.
-
[18]
Albert Memmi, Portrait du colonisé, suivi de Les Canadiens français sont-ils des colonisés ?, Montréal, Éditions L’Étincelle, 1972, p. 138.
-
[19]
Bock, « De l’anti-impérialisme à la décolonisation », p. 29.
-
[20]
Fondée en 1970 par Robert Davies, le nom de la maison L’Étincelle s’inspire du journal révolutionnaire marxiste russe Iskra, dirigé entre autres par Lénine.
-
[21]
Michel Brunet, Canadians et Canadiens : études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, Montréal, Éditions Fides, 1954 ; Michel Brunet, La présence anglaise et les Canadiens : études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, Montréal, Éditions Beauchemin, 1958.
-
[22]
Au début des années 1960, le milieu traditionaliste continue d’avoir une voix grâce à des figures comme François-Albert Angers et L’Action nationale. Jean-Philippe Carlos, Le rebelle traditionaliste : une biographie intellectuelle de François-Albert Angers (1909-2003), thèse de doctorat (histoire), Sherbrooke, Université de Sherbrooke, 2020 ; Xavier Gélinas, La droite intellectuelle et la Révolution tranquille, Québec, Presses de l’Université Laval, 2007.
-
[23]
René Durocher et Paul-André Linteau (dir.), Le « retard » du Québec et l’infériorité économique des Canadiens français, Trois-Rivières, Boréal express, 1971.
-
[24]
Entrevue de François-Olivier Dorais, Désautels le dimanche, sur le site ICI Radio-Canada, 6 novembre 2022, [https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/desautels-le-dimanche/segments/entrevue/421333/livre-ecole-historique-quebec-histoire-intellectuelle-francois-olivier-dorais] (consulté le 13 août 2023).
-
[25]
Guy Frégault, La guerre de la Conquête, 1754-1760, Montréal, Éditions Fides, 1955, p. 7.
-
[26]
Nous verrons que Jean Bouthillette reprendra cette réflexion. Maurice Séguin, L’idée d’indépendance au Québec : genèse et historique, Trois-Rivières, Boréal express, 1968, p. 12-13. L’avant-propos est signé par son ancien étudiant, Denis Vaugeois. Éric Bédard signe la préface de la nouvelle édition parue en 2022 aux Éditions du Boréal.
-
[27]
Jean Lamarre, Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet, 1944-1969, Sillery, Éditions du Septentrion, 1993, p. 469 ; Serge Miville, L’historien dans la cité : l’oeuvre intellectuelle de Donald Creighton et de Michel Brunet (1949-1980), thèse de doctorat (histoire), Toronto, Université York, 2016.
-
[28]
Ils attribuent à la Conquête des conséquences économiques, matérielles et institutionnelles plutôt qu’identitaires (Dorais, L’École historique de Québec).
-
[29]
Pour Frégault, la Conquête est un conflit entre deux entreprises de colonisation adverses. Pour gagner, la métropole française aurait dû y consacrer tous ses efforts un siècle plus tôt.
-
[30]
Michel Brunet, « Premières réactions des vaincus de 1760 devant leurs vainqueurs », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 6, no 4 (mars 1953), p. 507.
-
[31]
Articles de la capitulation de Montréal, 1760, sur le site de la CEFAN, [En ligne], [https://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/Montreal-capitulation-1760.htm] (consulté le 5 janvier 2022) ; Brunet, La présence anglaise, p. 71.
-
[32]
Les historiens des années 1950-1960 s’intéressaient presque uniquement à la carrière des membres masculins, délaissant les femmes nobles, pourtant nombreuses à être demeurées dans la colonie. Donald Fyson, « The Canadiens and the Conquest of Quebec: Interpretations, Realities, Ambiguities », dans Rudy Jarrett et al. (dir.), Quebec Questions : Quebec Studies for the Twenty-First Century, Toronto, Oxford University Press, 2010, p. 18-33 ; François-Joseph Ruggiu, « Le destin de la noblesse du Canada, de l’Empire français à l’Empire britannique », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 66, no 1 (été 2012), p. 37-63 ; Lorraine Gadoury, La noblesse de Nouvelle-France : familles et alliances, Ville LaSalle, Hurtubise HMH, 1991.
-
[33]
Michel Brunet, « La Conquête anglaise et la déchéance de la bourgeoisie canadienne (1760-1793) », Amérique française, vol. XIII, no 2 (juin 1955), p. 71 et 76.
-
[34]
Brunet utilise des sources qui ne se suivent pas chronologiquement. Sur la même page (512), il passe de novembre 1759 à février 1962, puis au 5 juin 1759 et au 4 février 1762. Or le contexte est différent entre juin 1759, alors que les Britanniques viennent de s’installer devant Québec, que les bombardements n’ont pas commencé, que les batailles de la Montmorency et des plaines d’Abraham n’ont pas eu lieu et que Montcalm est encore en vie, et février 1762, alors que cela fait un an et demi que la capitulation de Montréal a été signée et que la colonie est administrée par les militaires en attendant des nouvelles de la paix en Europe (Brunet, « Premières réactions des vaincus », p. 508).
-
[35]
Ibid., p. 514.
-
[36]
Ibid., p. 506-516.
-
[37]
François-Olivier Dorais, Un combat d’école ? Le champ historiographique vu de Québec, 1945-1965, thèse de doctorat (histoire), Montréal, Université de Montréal, 2018 ; Jean Lamarre, « La Conquête et l’école de Montréal », Cap-aux-Diamants, no 99 (2009), p. 42-47.
-
[38]
Alexander Farrell, « Si la Confédération ne répond plus à ses besoins, le Canada français est prêt à former un État indépendant, affirme M. Michel Brunet », Le Soleil, 21 juillet 1961, p. 14.
-
[39]
Séguin, L’idée d’indépendance au Québec, p. 64 ; Yvan Lamonde, « La constellation de la défaite : histoire d’un objet non identifié », @nalyses, vol. 7, no 3 (2012), p. 181.
-
[40]
John Fisher, « Le 13 septembre devrait devenir fête nationale », La Presse, 18 juin 1959, p. 33 ; Nicole Neatby, « Remembering the Conquest: Mission Impossible ? », dans Phillip Buckner et John G. Reid (dir.), Remembering 1759 : The Conquest of Canada in Historical Memory, Toronto, University of Toronto Press, 2012, p. 252.
-
[41]
Fisher, « Le 13 septembre devrait devenir fête nationale », p. 33.
-
[42]
Maurice Séguin a été son professeur d’histoire. André d’Allemagne, « Le complexe de la défaite », Nation nouvelle, vol. 1, no 4 (août 1959), p. 277-284. Ce texte est reproduit dans André d’Allemagne, Une idée qui somnolait : écrits sur la souveraineté du Québec depuis les origines du RIN (1958-2000), Montréal, Lux Éditeur, 2000, p. 47. Nous avons utilisé cette édition.
-
[43]
« Le R.I.N. troisième anniversaire », L’Indépendance (septembre-octobre 1963), p. 3 et D’Allemagne, Le RIN, p. 61.
-
[44]
« Je me souviens… », L’Indépendance (novembre 1964), p. 8 et Jonathan Livernois, « En quête d’un socle épistémologique commun : prodromes d’une histoire sociale des idées au Québec, 1965-1980 », dans Claude Couture, Srilata Ravi et François Pageau (dir.), Autour de l’oeuvre d’Yvan Lamonde : colonialisme et modernité au Québec depuis 1867, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019, p. 26.
-
[45]
D’Allemagne, Le RIN, p. 139.
-
[46]
« Le RIN : la formule Favreau-Fulton est en tout point une capitulation », Le Devoir, 31 mars 1965, p. 10.
-
[47]
L’Indépendance (février 1963), p. 9 et (février 1968), p. 8.
-
[48]
« Un peuple sans histoire », L’Indépendance (mai 1967), p. 3.
-
[49]
« École de formation politique », L’Indépendance (novembre 1963), p. 2.
-
[50]
D’Allemagne, Le RIN, p. 36.
-
[51]
L’Indépendance (septembre 1964).
-
[52]
André d’Allemagne, « Le Québec, pays colonisé », coll. « Partis politiques », Assemblée nationale du Québec, no 11869. Il étaye son propos dans Le colonialisme au Québec en 1966.
-
[53]
Hubert Aquin, « La fatigue culturelle du Canada français », Liberté, vol. 4, no 23 (1962), p. 299-325 ; « Problèmes politiques du séparatisme », Secrétariat général du RIN, février 1962, coll. « Partis politiques », Assemblée nationale du Québec, no 11873.
-
[54]
Stéphan Larouche, « La pensée politique d’Hubert Aquin, 40 ans après sa mort », Le Devoir, 14 mars 2017, [En ligne], [https://www.ledevoir.com/opinion/ idees/493859/la-pensee-politique-d-hubert-aquin-40-ans-apres-sa-mort] (consulté le 14 novembre 2021).
-
[55]
Hubert Aquin, « L’art de la défaite : considérations stylistiques », Liberté, vol. 7, nos 1-2 (janvier-avril 1965), p. 38. Aquin appuie sa compréhension de la petite guerre sur des concepts comme la guérilla, développés par Frantz Fanon, Mao Tsé-Toung ou Vladimir Dedijer. Pratiquée activement jusqu’à la Conquête, la tactique du parti de guerre ne l’est plus depuis plus de 70 ans à l’époque des patriotes. Voir Lamonde, « La constellation », p. 180-181 ; Sandrine Picaud-Monnerat, La petite guerre au xviiie siècle, Paris, Institut de stratégie comparée et Économica, 2010.
-
[56]
Hubert Aquin, Prochain épisode, Ottawa, Cercle du Livre de France, 1965, p. 74, 95, 128, 167. L’Anglo-Américain Benjamin West termine The Death of General Wolfe en 1770. D’abord mal reçu, car l’artiste a représenté les personnages avec des vêtements contemporains, alors que les conventions de la peinture d’histoire de l’époque préconisaient des vêtements à l’antique, ce tableau va devenir l’une des toiles les plus connues de l’artiste. Contrairement à ce qu’écrit Aquin, l’oeuvre est loin d’être très rare et est reproduite en plusieurs centaines d’exemplaires (Douglas Fordham, British Art and the Seven Years’ War: Allegiance and Autonomy, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2010, p. 218-238).
-
[57]
Le monument à Édouard VII est inauguré au square Phillips à Montréal en 1914. Il est l’oeuvre de Louis-Philippe Hébert. Jacques Ferron, « La tête du roi (dialogue de théâtre) », Les Cahiers de l’AGEUM, no 10 (1963) ; Jacques Ferron à Jean Marcel, 18 avril 1967, cité dans Susan Margaret Murphy, Le Canada anglais de Jacques Ferron : formes, fonctions et représentations, 1960-1970, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, p. 99-100 ; Donald Smith, « Un théâtre mythique : Les grands soleils et La tête du roi », Études françaises, vol. 12, nos 3-4 (octobre 1976), p. 319.
-
[58]
Albert Memmi, Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur, Paris, Gallimard, 1985 [1957], p. 122.
-
[59]
Joan Coutu, « Philanthropy and Propaganda: The Bust of George III in Montréal », RACAR : revue d’art canadienne = Canadian Art Review, vol. 19, no 1-2 (1992), p. 59-67 ; Mark R. Anderson, « King George III’s Montreal Bust in a Pattern of Iconoclasm », sur le site Journal of the American Revolution, 3 mars 2022, [https://allthingsliberty.com/2022/03/king-george-iiis-montreal-bust-in-a-pattern-of-iconoclasm/] (consulté le 2 mars 2023).
-
[60]
Ce serait André Major qui aurait proposé de publier ce texte de Ferron dans Les Cahiers de l’AGEUM, dirigés par Brochu et Maheu, en juin 1962. Major dira de Ferron : « Il cherche à donner conscience de notre aliénation collective, du drame auquel nous tentons trop souvent d’échapper ». Jacques Ferron, La tête du roi, p. 84 ; André Major, « Jacques Ferron ou la recherche du pays », Liberté, vol. 5 no 2 (mars-avril 1963), p. 96.
-
[61]
Jacques Ferron, Historiettes, Montréal, Éditions du Jour, 1969, p. 104.
-
[62]
Sandra Djwa, F. R. Scott : une vie, Montréal, Éditions du Boréal, 2001, p. 580-581, citée dans Susan Margaret Murphy, Le Canada anglais de Jacques Ferron ; Valérie Lapointe-Gagnon, Panser le Canada : une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, Montréal, Éditions du Boréal, 2018.
-
[63]
Ferron, Historiettes, p. 106.
-
[64]
Ibid., p. 104.
-
[65]
Ibid., p. 122.
-
[66]
Jean-François Nadeau, Sale temps : chroniques du nouveau monde, Montréal, Lux Éditeur, 2022, p. 90. Voir aussi Alexis Lachaine, « Jacques Ferron, the Third World, and Decolonization in 1960s Quebec », dans Ray Ellenwood et Betty Bednarski (dir.), Jacques Ferron hors Québec – Jacques Ferron Outside Quebec, Toronto, Éditions du GREF, 2010, p. 211-246.
-
[67]
Ferron, Historiettes, p. 122, 126-127.
-
[68]
Jos.-L. Hardy, « Le monument Wolfe a été détérioré une autre fois », Le Soleil, 12 avril 1971, p. 21.
-
[69]
La majorité des fondateurs de Parti pris ont étudié à l’Université de Montréal, où enseignent Brunet, Séguin et Frégault. C’est le cas de Pierre Maheu (lettres), Paul Chamberland et Jean-Marc Piotte (philosophie), André Brochu (ès arts). Rappelons que Ferron publie « La tête du roi » dans Les Cahiers de l’AGEUM, qui est l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal.
-
[70]
Ivan Carel, Les revues intellectuelles entre empêchement et émancipation : 1950-1968, vol. II, thèse de doctorat (histoire), Montréal, Université du Québec à Montréal, 2006, p. 462.
-
[71]
Paul Chamberland, « L’intellectuel québécois, intellectuel colonisé », Liberté, vol. 5, no 2 (26) (mars-avril 1963), p. 119-130 et Parti pris, nos 9-10-11 (été 1964).
-
[72]
Voir janvier 1964, nos 9 à 11 ; été 1964, vol. 2, no 8 ; avril 1965, vol. 4, no 3 ; novembre-décembre 1966, vol. 4, nos 5-6 ; janvier-février 1967, vol. 5, no 7 ; avril 1968, vol. 5, no 8.
-
[73]
André-J. Bélanger, Ruptures et constantes. Quatre idéologies du Québec en éclatement : La Relève, la JEC, Cité libre, Parti Pris, Montréal, Hurtubise HMH, 1977, chapitre 3.
-
[74]
Parti pris, vol. 3, nos 1-2 (août-septembre 1965), p. 5.
-
[75]
Gilles Bourque et Luc Racine, « Histoire et idéologie », Parti pris, vol. 4, nos 5-6 (janvier-février 1967), p. 33-50. Les auteurs dédient leur article à Maurice Séguin.
-
[76]
Jean Blouin, « Octobre 63. Des jeunes turcs lancent un FLQ intellectuel », La Presse, 7 octobre 1978, p. 14-19.
-
[77]
Gilles Bourque, Classes sociales et question nationale au Québec, 1760-1840, Montréal, Éditions Parti pris, 1970, p. 37.
-
[78]
Stanley Bréhaut Ryerson, Capitalisme et Confédération, Montréal, Éditions Parti pris, 1972, p. 317.
-
[79]
Pierre Vadeboncoeur, La ligne du risque, Montréal, Situations, 4e année, no 1, 1962.
-
[80]
Pierre Vadeboncoeur, « Salutations d’usage », Parti pris, no 1 (octobre 1963), p. 50-52.
-
[81]
Gérald Godin, « Comme un curé de gauche », Parti pris, no 7 (février 1966), p. 56.
-
[82]
Vadeboncoeur, La ligne du risque, p. 35.
-
[83]
Ibid., p. 37.
-
[84]
Chamberland, « L’intellectuel québécois », p. 125.
-
[85]
Vadeboncoeur, La ligne du risque, p. 30.
-
[86]
Pierre Vadeboncoeur, L’autorité du peuple, Montréal, Éditions de l’Arc, 1965.
-
[87]
Ibid., p. 127.
-
[88]
Ibid., p. 128.
-
[89]
André d’Allemagne remarque aussi cet « esprit de vaincus » en 1959 dans les pourparlers entourant la commémoration du 200e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham.
-
[90]
Pierre Vadeboncoeur, La dernière heure et la première, Montréal, Éditions du Boréal, 2018 [1970].
-
[91]
Ibid., p. 9.
-
[92]
Jacques Ferron, « Alain Grandbois, les écrivains crétins et le zigoteau », Magazine Maclean (octobre 1970), p. 62, cité dans Jonathan Livernois, Un moderne à rebours : biographie intellectuelle et artistique de Pierre Vadeboncoeur, Québec, Presses de l’Université Laval, 2012, p. 179.
-
[93]
Vadeboncoeur, La dernière heure, p. 12-13, 16, 26, et 66.
-
[94]
Ibid., p. 65.
-
[95]
Bouthillette fréquente aussi l’Université de Montréal, où il suit des cours du soir en sciences sociales, en littérature et en philosophie. Dans ses mémoires, l’historienne Micheline Dumont se rappelle par ailleurs qu’au moment de la crise d’Octobre, les professeurs d’histoire en général ont été soupçonnés par plusieurs « de susciter l’agitation politique » (Micheline Dumont, De si longues racines : l’histoire d’une historienne, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, p. 235).
-
[96]
Pierre Demers, « Le Canadien français et son double », Progrès-dimanche, 31 décembre 1972, p. 45.
-
[97]
Jean Bouthillette, Le Canadien français et son double, Montréal, Éditions du Boréal, 2018 [1972], p. 17-18.
-
[98]
Ibid., p. 50.
-
[99]
Ibid., p. 48.
-
[100]
Memmi, Portrait du colonisé, p. 143.
-
[101]
Ibid., p. 94-95.
-
[102]
Pierre Vadeboncoeur, [Lettre], Le Devoir, 13 décembre 1972, p. 5.
-
[103]
Memmi, Portrait du colonisé, p. 121.
-
[104]
Le narrateur aurait plutôt dû dire que Lawrence se rend responsable de la déportation de 14 000 Acadiens. La déportation a commencé le 28 juillet 1755 et a duré huit ans (et non trois) au terme de laquelle entre 10 000 et 13 000 Acadiens ont été déportés, notamment vers les colonies américaines.
-
[105]
Le narrateur dit aussi : « Soixante mille Canadiens, femmes et enfants compris, dispersés dans un grand pays. En 1760, l’arrivée des Anglais ne les a guère dérangés, trop peu nombreux pour former un peuple. Faute de peuple, pas de défaite » (Jacques Ferron, Théâtre I, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1990, p. 385 et 453).
-
[106]
Brunet, « Premières réactions », p. 506.
-
[107]
Gérald Godin, Cantouques & Cie, Montréal, Typo, 2001 [1991], p. 79.
-
[108]
Fernand Doutre, « “Poèmes et chants de la résistance II”, 50 ans plus tard », Le Devoir, 26 janvier 2021, [En ligne], [https://www.ledevoir.com/opinion/idees/594001/poemes-et-chants-de-la-resistance-ii-50-ans-plus-tard] (consulté le 4 janvier 2022). Notons aussi le texte d’Yvon Deschamps, Les Anglais, où il ironise sur Montcalm et Wolfe.
-
[109]
Les années 1774, 1789, 1807, 1837, 1916, 1960, 1970 et 1971 sont également évoquées.
-
[110]
Jacques Mathieu et Sophie Imbeault, La guerre des Canadiens, 1756-1763, Québec, Éditions du Septentrion, 2013, p. 41 et 76.
-
[111]
Jean-François Nadeau, Bourgault, Montréal, Lux Éditeur, 2007, p. 367.
-
[112]
Marcel Masse, Journal des débats, Assemblée nationale, 18 novembre 1969.
-
[113]
Denis Vaugeois écrit : « Je suis de ceux qui le considèrent comme le maître d’un néonationalisme fondé sur l’histoire », dans Robert Comeau et Josiane Lavallée (dir.), L’historien Maurice Séguin : théoricien de l’indépendance et penseur de la modernité québécoise, Québec, Éditions du Septentrion, 2006, p. 9.
-
[114]
Camille Laurin, Journal des débats, Assemblée nationale, 19 juillet 1977.
-
[115]
La nouvelle entente Québec-Canada. Proposition du gouvernement du Québec pour une entente d’égal à égal : la souveraineté-association, Québec, Gouvernement du Québec, Conseil exécutif, 1979, p. 3-4. Selon Jonathan Livernois, la direction du document avait été confiée à l’ancien partipriste Pierre Maheu et des textes avaient été commandés à Camille Laurin, à Gérald Godin et à Denis Vaugeois. Après le décès accidentel de Maheu en septembre 1979, le ministre des Affaires culturelles Vaugeois en reprend l’essentiel.
-
[116]
Nadeau, Bourgault, p. 179 ; D’Allemagne, Le Québec, pays colonisé, p. 1 ; Godin, Cantouques, p. 58 ; Bouthillette, Le Canadien français, p. 68 ; Vadeboncoeur, La ligne du risque, p. 37.
-
[117]
Denis Vaugeois a créé la collection 17/60 aux Éditions du Boréal pour y publier les principaux textes de Maurice Séguin. Brunet, Canadians et Canadiens, p. 45.
-
[118]
Robert-Lionel Séguin, L’esprit révolutionnaire dans l’art québécois : de la déportation des Acadiens au premier conflit mondial, Montréal, Éditions Parti pris, 1972, p. 42-43.
-
[119]
Ferron, Historiettes, p. 126-127.
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[120]
Alexandra Guité-Verret, Lire la défaite dans le récit de prison québécois : l’enfermement chez Joseph-Guillaume Barthe, Pierre Vallières et Gérald Godin, mémoire de maîtrise (littératures de langue française), Montréal, Université de Montréal, 2018.
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[121]
Pierre Nepveu, L’écologie du réel : mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine, Montréal, Éditions du Boréal, 1999 [1988], p. 59. Voir Jocelyn Létourneau, « Mythistoires de losers : introduction au roman historial des Québécois d’héritage canadien-français », Histoire sociale = Social History, vol. 39, no 77 (mai 2006), p. 157-180.
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[122]
Alain Deneault remet en question l’interprétation « des intellectuels de l’émancipation » en montrant qu’ils ont négligé une figure centrale, le colon, ainsi que les Autochtones, dans Bande de colons : une mauvaise conscience de classe, Montréal, Lux Éditeur, 2020.