Résumés
Résumé
Les années 1960 sont connues comme une période de contestations politiques, sociales et culturelles. Les penseurs et les mouvements sociaux associés à la Nouvelle Gauche formulent de nombreuses idées, dont celle de la décolonisation, et revendiquent de nouveaux droits. Plusieurs en viennent à concevoir une nouvelle forme de démocratie, la « démocratie de participation » ou « démocratie participative », dont les principes et les valeurs occupent alors une place importante dans les discours et les stratégies militantes des mouvements sociaux. Cet article ne s’intéresse pas aux discours de ces derniers ; il cherche plutôt à déterminer comment la notion de démocratie participative, qui circule dans l’espace public, est récupérée par les responsables politiques d’une société, en l’occurrence les élus de l’Assemblée législative du Québec. En analysant les discours des élus québécois entre 1960 et 1968 (gouvernements Lesage et Johnson), il étudie les premières allusions directes ou indirectes à la question de la « démocratie de participation » et cherche à comprendre les raisons qui sous-tendent l’utilisation de cette expression ou les revendications de ses principes. L’article montre que les élus québécois instrumentalisent les principes à la base de la « démocratie de participation », afin de justifier leurs points de vue et leurs orientations en matière d’éducation et de planification économique et régionale. Ils font de même pour promouvoir, de manière rhétorique ou concrète, une réforme de la gouvernance et de la démocratie parlementaire.
Abstract
The 1960s are known as a period of political, social and cultural protest. Thinkers and social movements associated with the New Left put forward many ideas, including decolonization, and demanded new rights. Many came to conceive of a new form of democracy, “participatory democracy,” whose principles and values played an important role in the discourse and activist strategies of social movements. This article is not concerned with the discourses of the latter; rather, it seeks to determine how the notion of participatory democracy, which circulates in the public arena, is recuperated by the political leaders of a society, in this case the elected representatives of the Quebec Legislative Assembly. By analyzing the speeches of Quebec elected officials between 1960 and 1968 (Lesage and Johnson governments), it studies the first direct or indirect allusions to the question of “participatory democracy” and seeks to understand the reasons behind the use of these terms or the claims of its principles. The article shows that Quebec elected officials use the principles behind “participatory democracy” to justify their views and orientations in education and economic and regional planning. They do the same to put forward—rhetorically or concretely—a reform of government.
Corps de l’article
Période de contestations politiques et de révolution culturelle[2], les Sixties sont le théâtre d’une remise en question de la démocratie libérale, que le chercheur Majid Behrouzi définit comme une « cultural-moral-political crisis » et une « crisis of representation[3] ». Les régimes démocratiques représentatifs, où les élus sont responsables de parler au nom des citoyens qu’ils représentent tout en recevant l’habilitation du pouvoir législatif et, pour certains, exécutif, essuient les critiques de nombreux intellectuels et militants des nouveaux mouvements sociaux[4] qui les jugent à la solde des intérêts des mieux nantis. Inspirés par l’univers idéologique de la Nouvelle Gauche, ces derniers considèrent que la démocratie a été détournée de sa signification première, en appelant à un retour aux sources pour concevoir une « démocratie participative » ou « démocratie de participation[5] ». Cette idée de réformer le système démocratique par le biais d’une plus grande participation des citoyens à des degrés divers se répand dans les sociétés nord-américaines et occidentales tout au long des années 1960. Elle devient l’un des principaux chevaux de bataille, avec entre autres la décolonisation et la lutte aux inégalités, d’une prise de parole citoyenne qui politise de nouveaux enjeux de société et bouleverse ainsi les cultures politiques[6]. À ce sujet, le Québec ne fait pas exception et la question de la participation et de la démocratie participative est aussi discutée et revendiquée[7].
L’objectif de cet article n’est pas d’analyser en profondeur les discours sur la participation et la démocratie participative des nouveaux mouvements sociaux et des groupes de pression qui en émergent. Il s’agit plutôt de se pencher sur les discours des élus québécois à l’égard de cette nouvelle forme de démocratie revendiquée. Le politologue canadien Crawford Brough Macpherson estime que dans les années 1960 et 1970, « l’idée que les citoyens devaient participer largement au processus décisionnel de l’État se répandit au point que les gouvernements de divers pays se mirent à brandir, tout au moins en parole, la bannière de la participation, certains allant jusqu’à mettre en oeuvre des programmes qui faisaient effectivement appel à une forte participation de la part des citoyens[8] ». Dans son analyse du phénomène de la trudeaumanie, l’historien Paul Litt souligne que le ministre libéral Pierre Elliott Trudeau récupère le concept de démocratie participative et en fait l’un de ses principaux chevaux de bataille lors de sa campagne à la chefferie du Parti libéral du Canada au début de l’année 1968[9].
Qu’en est-il à Québec ? Des recherches en science politique ont montré que l’idée de se tourner vers une plus grande démocratie participative a influencé des réformes parlementaires à l’Assemblée nationale[10], a favorisé des transformations de la culture politique dans certaines municipalités (dont la ville de Québec)[11], en plus d’avoir encouragé des changements de pratiques de « mobilisation collective » dans des organismes de coalition de groupes d’intérêt et de pression[12]. Ces recherches se concentrent néanmoins sur la période des années 1970 jusqu’à nos jours, laissant ainsi dans l’ombre les années 1960. Les travaux de Clinton Archibald se sont toutefois intéressés à l’idéologie de concertation et de participation qui a vu le jour pendant les années 1960. Archibald considère que les élus québécois et les membres des élites socioéconomiques délaissent le corporatisme social pour se tourner désormais vers un « nouveau corporatisme politique » qui se déploie avec force sous les initiatives du premier gouvernement péquiste de René Lévesque à partir de 1976[13]. Un aspect associé à ce néocorporatisme m’intéresse particulièrement : l’idéologie de participation.
Cette recherche poursuit les réflexions entamées par Archibald, mais en concentrant l’analyse sur la question de la participation en général et de la conception de la démocratie participative – et non le néocorporatisme – de manière spécifique. J’analyse ainsi les premières allusions directes ou indirectes à la question de la démocratie participative de la part des élus québécois, ce qui me permet d’étudier la manière dont ces derniers s’approprient cette idée et ses dérivés dans les années 1960. Ce faisant, je cherche à comprendre ce qu’ils entendent lorsqu’ils font usage des termes « démocratie participative » ou « démocratie de participation » et pour quelles raisons ils les utilisent. Quels sont les projets, les orientations ou les politiques qu’ils favorisent en s’appuyant sur le concept de démocratie de participation ? Existe-t-il des différences entre les élus qui se réclament de cette idée ?
Pour ce faire, une recherche par mots-clés (« démocratie participative », « démocratie de participation », « participation citoyenne », « démocratie directe », « démocratie » et « participative », « démocratie » et « participation », « démocratie » et « citoyenne ») a été réalisée dans les débats de l’Assemblée législative du Québec entre la première législature du gouvernement Lesage et la dernière du gouvernement Johnson, soit de 1960 à 1968. Je me suis aussi intéressé à des termes tels que « démocratique », « démocratisation » et « participation » qui, associés à d’autres mots, ont parfois une signification qui s’apparente au concept de démocratie participative. Les résultats obtenus ont formé un corpus de sources[14] composé de discours qui nous permettent de mieux comprendre l’origine de l’utilisation du concept de démocratie de participation à l’Assemblée législative du Québec et de dégager les principales thématiques qui y sont associées.
Nous verrons ainsi que les élus québécois instrumentalisent les principes qui sous-tendent la démocratie de participation afin de justifier leurs points de vue et de promouvoir, de manière rhétorique ou concrète, une réforme de la démocratie parlementaire. Notre analyse s’intéresse notamment à l’usage des principes associés à la démocratie participative dans les questions relatives à l’éducation, à la planification économique et régionale, à la gouvernance en général et à la réforme des institutions parlementaires en particulier. Avant d’analyser les discours des élus québécois sur la participation et la démocratie participative, en présentant les origines de ces notions (1960-1966) et le détournement de sens qu’on leur a fait subir (1966-1968), il convient de s’intéresser à la manière dont est conçue la démocratie participative par les intellectuels et les militants de la Nouvelle Gauche et de dire quelques mots sur la circulation de cette idée dans le contexte nord-américain et québécois. Cela permettra de mieux comprendre le processus de récupération politique qui s’opère et qui « dilue » le concept original.
La « démocratie participative » des nouveaux mouvements sociaux nord-américains et sa circulation dans le Québec des années 1960
Les racines de la démocratie participative sont nombreuses. Afin de mettre en contexte la position des élus québécois, je me contenterai ici de dire quelques mots sur l’émergence de cette idée dans le contexte américain et québécois des années 1960. Aux États-Unis, l’expression « démocratie participative » (« participatory democracy ») est employée pour l’une des premières fois en 1960 par Arnold Kaufman, alors conseiller de l’organisation Students for a Democratic Society (SDS)[15]. Cette association étudiante, fondée en 1959 et engagée dans la défense des droits civils et la dénonciation de la guerre du Vietnam, a rapidement revendiqué une plus grande démocratisation de la société américaine. En 1962 et 1964, son Port Huron Statement promeut d’ailleurs la « democracy of individual participation » comme « social system » et en fait le fer de lance de son militantisme associé à la Nouvelle Gauche[16].
Les partisans nord-américains de la démocratie participative militent donc en faveur d’une plus grande participation citoyenne non seulement aux affaires politiques de la Cité, mais aussi, et surtout, dans les différentes sphères d’activité de cette dernière et en particulier dans le domaine économique[17]. Cette nouvelle forme de démocratie est fondée sur un engagement communautaire et une éducation citoyenne qui visent à outiller les citoyens pour prendre la parole et participer pleinement aux processus de décision politique. Elle s’appuie ainsi sur des stratégies d’habilitation politique et citoyenne qui permettent aux personnes d’être responsables de leur devenir, sans nécessairement déléguer leurs responsabilités civiques à un représentant élu qui parle en leur nom[18]. Ce faisant, la vie politique d’une société doit s’appuyer sur certains principes, clairement formulés par le SDS dans le Port Huron Statement :
[T]hat decision-making of basic social consequence be carried on by public groupings;
that politics be seen positively, as the art of collectively creating an acceptable pattern of social relations;
that politics has the function of bringing people out of isolation and into community, thus being a necessary, though not sufficient, means of finding meaning in personal life;
that the political order should serve to clarify problems in a way instrumental to their solution; it should provide outlets for the expression of personal grievance and aspiration; opposing views should be organized so as to illuminate choices and facilitate the attainment of goals; channels should be commonly available to relate men to knowledge and to power so that private problemsØfrom bad recreation facilities to personal alienation—are formulated as general issues[19]
Dans le cas du Québec des années 1960, de nombreux travaux ont notamment montré que les idées politiques associées aux nouveaux mouvements sociaux américains, et ainsi à la Nouvelle Gauche, circulent dans les milieux intellectuels et militants de gauche alors en pleine ébullition[20]. Les idées participationnistes ne font pas exception. Dans le premier numéro de la revue Parti pris en 1963, Yvon Dionne en appelle à un « pouvoir du peuple » qui « ne se mesure pas au nombre de partis politiques, mais à la participation consciente des masses laborieuses à la vie économique, sociale, politique et culturelle de la nation. Cette participation nécessite une forte décentralisation de la vie politique, pour que le plus grand nombre possible de gens gère les affaires publiques, de même qu’un Front populaire assez large et suffisamment lié aux problèmes du peuple[21] ». Les idées participationnistes influencent ensuite les revendications étudiantes de cogestion[22], tout comme le déploiement d’un nouveau militantisme syndical, notamment celui de la CSN et de son « deuxième front »[23]. Elles sont également au coeur des idéaux défendus par les Comités d’action politique à Montréal et par le parti municipal montréalais du Front d’action politique des salariés[24]. « La démocratie, c’est d’abord, c’est essentiellement le peuple solidement organisé, le peuple organisé par lui-même, et qui envoie ses propres délégués à lui, et non pas pour le “gouverner” mais pour exécuter ce qu’il décide », affirme d’ailleurs Pierre Vadeboncoeur, lors du congrès de fondation du FRAP en août 1970[25].
On le voit, les principes de démocratie participative circulent dans les milieux de gauche au Québec dans les années 1960. Ils suscitent alors l’espoir d’un engagement de chaque citoyen dans les prises de décision touchant à la vie politique et économique de la Cité. Cette idée d’une plus grande participation citoyenne rejoint toutefois en partie les revendications de certains acteurs sociopolitiques qui, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, rejettent l’autoritarisme à la Duplessis et exigent des réformes étatiques basées sur une plus grande démocratisation de la société canadienne-française[26]. C’est dans ce contexte que les élus québécois évoquent, de près ou de loin, les idées de participation et les principes au fondement de la démocratie participative.
Les origines d’un usage, 1960-1966
Pendant ses deux mandats à la tête de l’État québécois, le gouvernement libéral de Jean Lesage entreprend de nombreuses réformes qui marquent la Révolution tranquille : intervention accrue de l’État québécois en matière d’éducation, de santé et de bien-être social, assainissement des moeurs politiques, « nationalisation » de l’électricité, création d’entreprises publiques dont la Société générale de financement (SGF) et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), professionnalisation de la fonction publique québécoise et émergence de la technocratie tournée vers le principe de planification, développement des relations internationales de l’État québécois, etc. Plusieurs de ces réformes peuvent être associées à deux objectifs généraux qui transcendent le programme politique du Parti libéral du Québec en 1960[27] et qui entrent en contraste avec la situation en vigueur sous le régime duplessiste : celui d’une planification de l’économie et celui d’une « démocratisation » de la société. Sur ce dernier point, les initiatives politiques du gouvernement Lesage favorisent ainsi un meilleur accès au savoir dans le domaine de l’éducation en vertu du principe selon lequel les chances doivent être égales pour tous, une démocratisation des pratiques politiques avec des mesures luttant contre le patronage et la corruption ainsi qu’une reconnaissance des principes d’universalité en matière de couverture des programmes sociaux et de sécurité du revenu[28]. Ces réformes bouleversent la culture politique québécoise et suscitent parfois des frictions dans certains milieux, que l’on pense notamment à la création du ministère de l’Éducation[29] ou à la planification régionale proposée par le Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec[30]. Le développement de l’État-providence québécois oblige les responsables politiques gouvernementaux à justifier les nombreuses interventions de leur ministère et à réfléchir aux tenants et aboutissants d’un tel interventionnisme sur la démocratie en général et la démocratie parlementaire en particulier.
Entre 1960 et 1966, les élus qui débattent à l’Assemblée législative n’emploient jamais les expressions « démocratie de participation » ou « démocratie participative », à l’exception d’une seule intervention au début de l’année 1966[31], quelques semaines avant le déclenchement de la campagne électorale. S’ils ne prononcent pas ces mots en Chambre, les députés québécois invoquent certains principes que l’on peut associer à l’idée de démocratie participative lorsqu’ils interviennent sur certains enjeux, dont ceux de la planification et de la réforme du système d’éducation. Les principes associés à la participation des citoyens, à la consultation des groupes et à la démocratisation de certaines structures de gouvernance deviennent alors des moyens d’évaluer les réformes et les interventions du gouvernement Lesage. Il s’agit en quelque sorte d’un baromètre qui permet de déterminer si le gouvernement Lesage se démarque de ses prédécesseurs, s’il est dans l’air du temps.
Pour une « planification démocratique »
Sous l’influence des recherches en sciences économiques et sociales, alors en pleine effervescence dans les années 1960, le concept de planification est situé au coeur des réformes économiques et sociales de la Révolution tranquille. Quelques chercheurs ont montré que les technocrates et les responsables politiques de l’État québécois s’inspirent notamment de la France pour mettre en place une planification d’ensemble « de type indicatif », par opposition au « type impératif », que l’on trouve dans le modèle soviétique[32]. À l’Assemblée législative du Québec, le terme de planification est sur toutes les lèvres, notamment en matière de planification économique, avec la création du Conseil d’orientation économique du Québec (COEQ), et en matière de planification régionale, avec celle du Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec (BAEQ).
En règle générale, le discours entourant la planification se présente comme suit : d’un côté, les députés libéraux estiment qu’ils innovent en utilisant la planification comme moteur des interventions du nouvel État-providence en construction[33]. De l’autre, les députés unionistes rappellent que le gouvernement de l’Union nationale est celui qui a lancé les premières études de planification dans les années 1950[34]. Tout le monde se dit donc en faveur de celle-ci, mais on ne s’entend pas nécessairement sur sa nature et ses origines québécoises.
En 1961, alors qu’il défend le projet de loi 22 créant le ministère des Richesses naturelles, Jean Lesage souligne l’importance de s’appuyer sur une « planification démocratique[35] ». Durant la même séance parlementaire, alors qu’il présente le projet de loi 26 créant le Conseil d’orientation économique du Québec, le premier ministre a l’occasion d’exprimer un peu plus précisément ce qu’il entend par « planification démocratique ».
Pour lui, consultation et planification vont de pair, ce qui lui fait dire que le COEQ n’est pas « une menace de socialisme étatique, car il ne faut pas confondre socialisme et planification démocratique ». Cette dernière doit d’ailleurs s’appuyer, selon ses propos, sur une consultation des « personnes qui sont directement aux prises avec les problèmes économiques[36] ». Cette volonté de consulter et de faire participer la population s’exprime encore plus clairement au sujet des interventions en matière de développement régional. Ainsi, lorsqu’il présente en deuxième lecture la loi 52 sur l’aménagement rural et le développement agricole, le ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, Alcide Courcy, revient sur les études entreprises en vue de la conception du plan d’aménagement de la région du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Pour lui, ces études ne peuvent se faire sans la participation des principaux intéressés : « Il va de soi que la planification de l’aménagement rural n’est possible que si l’on amène les régionaux eux-mêmes à une participation personnelle à l’élaboration des plans ainsi qu’à l’exécution des programmes adoptés[37]. »
Les débats au sujet d’une « démocratisation » de la planification et d’une critique de l’approche centralisatrice et technocratique font rage à compter de 1963, bien avant les recommandations du BAEQ de fermer des villages pour consolider des pôles urbains régionaux, ce qui débouchera ultimement sur les Opérations Dignité au début des années 1970[38]. Certains députés réfléchissent déjà aux tenants et aboutissants d’un tel interventionnisme et d’une telle pratique de planification, ce qui témoigne du caractère potentiellement controversé de la planification en général, mais surtout de la planification régionale en particulier[39]. C’est ainsi que le député unioniste Albert Gervais, lors de sa réponse au discours sur le budget en avril 1963, critique le dirigisme de l’État en matière de planification. Au sujet du COEQ, Gervais souligne :
Le Conseil d’orientation économique du Québec entend pour sa part ne soumettre qu’un seul plan au Parlement, sans alternative. Tout en se réjouissant de ce que le conseil entend au moins obtenir la sanction parlementaire de ses plans, il faut d’autant plus regretter que le parlement ne puisse choisir entre plusieurs options et que, selon la procédure d’établissement du plan adopté par le conseil, les corps intermédiaires, soit les forces vives de la nation, c’est-à-dire un important « complément de démocratie directe au régime parlementaire », ne soient appelés à collaborer ou à participer au plan qu’à la troisième des quatre étapes prévues pour l’établissement du plan, soit après l’émission des directives générales par lesquelles le gouvernement fixe les objectifs du plan[40].
Cette critique est reprise en 1964 par le chef de l’Union nationale, Daniel Johnson, qui oppose la « planification totalitaire et bureaucratique », prétendument pratiquée par le gouvernement Lesage, à une « planification communautaire et démocratique » qu’il affirme souhaitable :
Ce qui est mauvais, c’est la planification dans les nuages, la planification faite en vase clos, sans le concours des corps intermédiaires et de la population qui connaissent les problèmes parce qu’ils les vivent. Ce qui est mauvais, c’est la planification totalitaire et bureaucratique, comme la conçoit, la pratique le régime actuel.
Quant à la planification communautaire et démocratique, la seule qui convienne au Québec de 1964, ce régime en est absolument incapable[41].
La réforme de l’éducation et la mise en place d’une « conception nouvelle de la démocratie »
Le deuxième grand enjeu qui permet aux élus québécois des débuts de la Révolution tranquille de mettre en avant certains principes rattachés à la démocratie de participation est celui de la réforme de l’éducation, et en particulier celui de la création d’un ministère de l’Éducation. Le politologue Léon Dion a étudié les frictions qu’a engendrées une version antérieure de ce projet de loi, ce qui a obligé le ministre de la Jeunesse, Paul Gérin-Lajoie, à entreprendre une campagne d’information à l’été 1963, et le premier ministre Jean Lesage à se montrer ouvert aux négociations de coulisse avec l’Assemblée des évêques[42]. Devant la contestation des milieux catholiques et de plusieurs parents pratiquants, nous pensons que le gouvernement Lesage cherche ici à calmer le jeu. Sa stratégie vise alors à inscrire ce compromis dans une réflexion sur l’avènement possible d’une nouvelle forme de démocratie, ce qui lui permet de lier les réformes en matière d’éducation aux préoccupations d’assainissement des moeurs politiques et de démocratisation de certains enjeux de société. Comme le souligne Archibald, « en mettant l’éducation au premier plan de ses priorités, [l’État] a lui-même entraîné les corps sociaux à ne plus être uniquement des corps sociaux[43] », mais plutôt, dirions-nous, des groupes de pression qui veulent participer au processus de prise de décision.
Dans sa présentation du projet de loi 60 créant le ministère de l’Éducation, Jean Lesage vante les mérites d’un Conseil supérieur de l’éducation qui, en respectant selon lui les recommandations du rapport Parent, « assure la participation directe des parents à l’éducation des enfants ». Pour lui,
[l]e projet de loi implante, en fait, une conception nouvelle de la démocratie dans le domaine de l’éducation, une conception qui, à mon sens, constitue un précédent remarquable. Jusqu’à maintenant, la démocratie n’impliquait que le droit des citoyens d’accepter ou de refuser les politiques élaborées par le gouvernement qu’ils avaient élu. Dorénavant, dans le domaine de l’éducation au Québec, la population n’aura pas uniquement un droit de censure : elle remplira un rôle actif dans la direction du système scolaire[44].
Même son de cloche du côté du ministre Paul Gérin-Lajoie, qui évoque lui aussi cette nouvelle forme de démocratie :
Par ailleurs, nous sommes pleinement conscient[s] que l’État n’est pas toute la démocratie. Non, l’État n’est pas toute la démocratie mais l’État d’aujourd’hui, l’État du Québec, est le pivot même de la démocratie chez nous.
C’est pour cette raison que nous sommes en train de préciser, par l’expérience quotidienne, une formule nouvelle de gouvernement, une formule nouvelle de consultation à l’année longue, une démocratie organique qui assigne un rôle précis et actif aux groupes intermédiaires mais un rôle […] qui laisse clairement la responsabilité ultime de toutes les décisions à ceux que la population a voulu élire pour prendre ces décisions[45].
Gérin-Lajoie considère d’ailleurs que le Conseil supérieur de l’éducation et ses sous-comités, qui regroupent plus de « cent dix personnalités du monde de l’enseignement », représentent « la clef de voûte […] du système de consultation démocratique établi au ministère de l’Éducation[46] ». Néanmoins, il souligne également la présence d’autres comités : le « comité du plan de développement scolaire », le « comité de planification de l’enseignement préuniversitaire et professionnel », le « comité de plan de la formation des maîtres[47] », qui sont de véritables « instrument[s] de participation directe et concrète de chacun des secteurs de la collectivité québécoise à l’élaboration des grandes politiques qui marqueront l’avenir de la société québécoise jusque dans ses racines mêmes en touchant à l’éducation de notre jeunesse[48] ».
Le lecteur sera peu surpris d’apprendre que les députés de l’Union nationale ne voient pas les choses du même oeil. Au nom de certains principes associés à la démocratie de participation, ils estiment que la réforme de l’éducation, telle que proposée par le ministre Gérin-Lajoie, centralise abusivement les orientations tout en dépouillant les parents et les groupes intéressés d’un certain pouvoir de décision. Jean-Jacques Bertrand salue la mise en place du Conseil supérieur de l’éducation. Il en a toutefois long à dire sur les pouvoirs jugés omnipotents du nouveau ministre qui nommera les membres du Conseil : « En 1964, la démocratie ne peut pas consister à tout remettre entre les mains d’un homme ; la démocratie à notre époque, le rôle de l’État dans cette démocratie, M. le Président, nous l’avons si souventes fois exposé, c’est que l’État n’est plus seulement un homme, l’État c’est nous, tous les citoyens, le Parlement, les corps intermédiaires, les représentants des parents, des pédagogues : tous ceux-là qui forment la grande famille humaine dans la collectivité québécoise[49]. » Son chef, Daniel Johnson, va plus loin dans ses critiques en faisant un vibrant plaidoyer en faveur d’une « démocratie vivante, une démocratie organique », qui « n’est pas une centralisation, mais une décentralisation des responsabilités[50] ». Il ajoute quelques jours plus tard :
[L]a démocratie telle que nous la concevons, c’est la participation du peuple non seulement de cette façon, je dirais, spasmodique à tous les quatre ans, […] mais c’est aussi une participation du peuple par ses organismes et les organismes qui, sous divers aspects de son activité, le représentent ou représentent ses idées. […] Plus l’État intervient dans notre vie et plus, si on veut sauvegarder la liberté individuelle, il faut avoir de ces corps intermédiaires. L’individu risque d’être écrasé par la machine de l’État dans tous les domaines[51].
Pour ce faire, il estime que les membres du Conseil supérieur de l’éducation doivent être nommés non pas par le ministre et le gouvernement, mais par les groupes et les organismes qui le composent :
Même en laissant le Conseil strictement dans le domaine de la consultation, et surtout si on limite définitivement ses pouvoirs à ce seul domaine, il faut à mon sens, prendre toutes les précautions pour que la démocratie s’exerce de bas en haut, et non pas de haut en bas, pour que les gens qui seront les porte-parole des parents, des éducateurs, des administrateurs scolaires et des groupes socio-économiques soient des gens qui réellement sont intégrés à la mentalité actuelle de leur groupe. On aurait beaucoup moins de misère avec nos institutions si elles évoluaient avec les temps[52].
En voulant compléter la pensée de son chef, le député Albert Gervais sent le besoin de citer Thomas Jefferson au sujet de la démocratie : « La démocratie, M. le Président, le chef de l’Opposition l’a dit tout à l’heure, la démocratie, ça ne vient pas d’en haut, ça part du bas, c’est ce que Jefferson appelait la démocratie par la racine pas par les feuilles[53]. »
C’est dans ce contexte de débats acrimonieux entre libéraux et unionistes au sujet du ministère de l’Éducation et de sa gouvernance que l’expression « démocratie de participation » est prononcée pour la première fois à l’Assemblée législative. Au début de l’année 1966, dans ce qui deviendra la dernière session parlementaire avant les élections, les députés de l’Union nationale misent sur les critiques de la réforme de l’éducation pour marquer des points[54]. C’est notamment ce que fait Daniel Johnson en proposant une motion de blâme à l’égard du gouvernement et de ses interventions jugées insatisfaisantes en matière d’éducation, allant même jusqu’à exiger la démission du ministre Gérin-Lajoie et du sous-ministre Arthur Tremblay[55]. Dans les échanges qui suivent, Jean-Jacques Bertrand en profite pour citer un passage de l’éditorial de Claude Ryan, paru dans Le Devoir du 20 janvier 1966. Dans ce passage, Ryan est dur à l’endroit des prétentions de Gérin-Lajoie en matière de démocratie de participation :
Derrière certains événements récents, il y a toutefois plus grave, nous assistons présentement à l’effet de ressac que devaient engendrer tôt ou tard des erreurs qui ont marqué la méthode d’action du ministère de l’Éducation depuis deux ans. La première erreur a trait à la pédagogie dite consultative du ministère. Le ministre de l’Éducation est un avocat ardent de la démocratie de participation. Il la prêche à tout propos et sur tous les tons.
L’expérience, continue M. Ryan, a malheureusement révélé que la consultation mise en oeuvre par le ministère est souvent défectueuse. Cette consultation se fait souvent auprès d’individus plutôt que de groupes. Elle se fait aussi trop souvent à partir d’une problématique exclusivement, jalousement définie par les autorités du ministère. Ceux qui participent à ces consultations se sentent souvent démunis, devant le fatras d’équations et de problèmes définis à l’avance qu’on leur soumet. Ils disent parfois oui, sans que le plus vital d’eux-mêmes soit engagé dans leur attitude. Leur frustration inavouée éclate quelque temps après dans les protestations des corps organisés dont ils font partie. Le ministère croit alors avoir été trahi ou lâché ou encore il estime avoir été induit en erreur par des gens dont il n’avait pas soupçonné la faiblesse. S’il avait eu le nez plus fin, il aurait agi, dès le départ, d’une manière plus circonspecte[56].
L’idée de démocratie de participation circule alors ouvertement dans les discours publics et devient même un argument utilisé par un éditorialiste et un élu pour évaluer le travail du ministre de l’Éducation. La table est ainsi mise pour une utilisation plus grande des expressions « démocratie de participation » ou « démocratie participative » dans les discours des élus québécois.
L’usage se concrétise : la démocratie de participation au service de l’État, 1966-1968
Nous l’avons vu, les termes « démocratie de participation » et « démocratie participative » font leur entrée dans les discours des élus québécois de l’Assemblée législative à compter de 1966. Dans les premières séances parlementaires de la 28e Législature en décembre 1966, les termes sont employés à de très nombreuses reprises, tant par les ministres et députés unionistes que par les députés de l’opposition. Dès lors, son usage se multiplie très rapidement, et le contraste est frappant avec les années antérieures. Que s’est-il passé entre le début et la fin de l’année 1966 ? Il est vrai que l’idéologie de participation imprègne de plus en plus les discours des associations étudiantes et des organisations syndicales pendant cette période, comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article. Mais qu’en est-il du microcosme politique[57] que représente l’Assemblée législative du Québec ?
Justifier le pouvoir en invoquant une forme de participation des « corps intermédiaires »
Pour mieux comprendre le changement, il faut d’abord se pencher sur les orientations et les choix effectués par le parti qui remporte les élections au printemps 1966. Depuis le congrès de mars 1965, l’Union nationale n’est plus le parti de Maurice Duplessis. Daniel Johnson et les hautes instances du parti se montrent favorables à une certaine démocratisation des structures. Ils travaillent à élargir le bassin de membres de l’Union nationale, à démocratiser ses assises et à multiplier les consultations auprès des « corps intermédiaires[58] ». Daniel Johnson précise d’ailleurs ce processus de démocratisation dans un discours en réponse au discours du Trône de janvier 1966 :
Dans ses assises de mars dernier, où elle a convoqué et écouté avec immensément d’intérêt et de profit les représentants des principaux corps intermédiaires qui constituent les organes vitaux de la nation, dans les vastes consultations qu’elle a entreprises, indépendamment de toute allégeance politique, pour parfaire son programme et planifier avec le peuple en attendant de gouverner avec le peuple, dans les nouvelles structures qu’elle s’est données, dans son esprit comme dans ses méthodes de travail, l’Union nationale a montré qu’elle savait consulter, qu’elle savait dialoguer, qu’elle savait se mettre à l’écoute de tous ceux qui ont quelque chose à dire[59].
Il est à noter que l’expression « corps intermédiaires » utilisée par l’Union nationale renvoie à l’univers idéologique de la doctrine sociale de l’Église, très répandue dans la première moitié du xxe siècle au Québec. Comme le soulignent les chercheurs Clinton Archibald et Khayyam Z. Paltiel, les corps intermédiaires sont traditionnellement les associations professionnelles, les organismes catholiques et les autres groupes qui « médiatise[nt] un corps d’individus avec l’autorité », qu’elle soit religieuse ou étatique. Ils sont donc « autonomes » et normalement « animés d’un désir d’ordre » social tourné vers « un bien commun à tous ». Ils sont différents des groupes de pression, car ils « ne cherchent pas à influencer la décision politique, puisqu’ils ont leur secteur d’activités propre et qu’ils cherchent eux-mêmes le bien commun de l’ensemble des corps intermédiaires[60] ». Que l’Union nationale parle toujours de « corps intermédiaires » dans la seconde moitié des années 1960 est en soi significatif, selon moi. J’y reviendrai.
C’est ainsi que la plateforme électorale du printemps 1966 est « le fruit des recherches, des discussions et du travail de différentes commissions formées pour définir les objectifs de notre parti et de notre peuple », commissions qui ont reçu « la coopération empressée et généreuse de plus d’une centaine de corps intermédiaires[61] ». Cette volonté de s’appuyer sur les « corps intermédiaires » se poursuit après la victoire de l’Union nationale et la formation du gouvernement de Daniel Johnson.
Dans le discours du Trône mettant l’accent sur les priorités du nouveau gouvernement unioniste, le lieutenant-gouverneur Hugues Lapointe souligne que « [d]e façon à bien marquer la volonté du gouvernement d’instaurer une démocratie de participation, cette première session de la 28e Législature s’ouvre en présence de représentants de corps constitués[62] ». Il s’agit alors d’une première dans l’histoire parlementaire du Québec contemporain, comme le souligne Michel Roy, du Devoir[63]. Il est plausible de penser que l’appel à la démocratie de participation permet au gouvernement unioniste de légitimer son pouvoir à la suite d’une victoire à l’arraché. Rappelons que l’Union nationale a obtenu 41 % du vote populaire, comparativement à 47 % pour le Parti libéral du Québec (qui obtient 150 000 votes de plus), ce qui ne l’a pas empêché de remporter les élections avec 56 sièges et 50 pour les libéraux[64]. C’est du moins ce qu’en dit le chroniqueur Pierre O’Neil, dans La Presse : « Et conscient de sa minorité sur le plan électoral, le parti gouvernemental pose en filigrane de son discours l’élaboration d’une démocratie de participation par l’établissement de liens beaucoup plus étroits entre les corps intermédiaires et le gouvernement[65]. »
Pour le gouvernement Johnson, la démocratie de participation consiste donc à consulter et à tenir compte de l’avis des corps intermédiaires, ces organismes, associations et groupes d’intérêt qui représentent des citoyens dans un domaine particulier. Dans son adresse au discours du Trône, le nouveau premier ministre est encore plus clair dans ses intentions :
Nous avons promis de gouverner avec le peuple, de planifier avec le peuple, de dialoguer avec le peuple, et c’est ce que nous allons faire en instaurant dans tous les domaines un esprit et des structures favorables au dialogue. Naturellement, nous ne pouvons pas dialoguer quotidiennement avec chacun des 6 millions d’électeurs, des 6 millions de citoyens du Québec. Et c’est par le truchement des corps intermédiaires que doit s’établir cette intercommunication constante entre l’État et les forces vives de la nation.
Quelqu’un a écrit qu’avec l’Union nationale, les corps intermédiaires se rapprochaient du pouvoir et participaient à l’exercice du pouvoir réel. C’est rigoureusement exact. Nous construirons ensemble une démocratie communautaire, une démocratie de participation ; parler d’une telle démocratie, ce n’est pas flatter le peuple, c’est lui rappeler ses devoirs et ses responsabilités[66].
Dans une motion que Daniel Johnson aurait déposée en début de session parlementaire, le premier ministre aurait même proposé que le Conseil législatif soit remplacé par une « chambre corporative » composée de représentants des corps intermédiaires[67]. Dans le contexte où les réformes de la Révolution tranquille ont poussé les corps intermédiaires à se politiser et à vouloir « influencer le gouvernement », devenant ainsi des groupes de pression qui s’opposent « les uns aux autres » et qui font « valoir des intérêts particuliers[68] », il est significatif que l’Union nationale et Daniel Johnson utilisent toujours l’expression « corps intermédiaires ». En fait, il est plausible de penser que dans une tentative conservatrice de préserver un certain ordre social malgré les bouleversements de la Révolution tranquille, ils ont recours à un univers idéologique nettement en déclin rattaché à l’ancien « corporatisme social » dans le but de s’ouvrir à l’idée de démocratie de participation, tout en la balisant fortement. En cela, ils se démarquent du Parti libéral et de ses élus, qui ne s’appuient pas vraiment sur ces considérations idéologiques pour parler de démocratisation et de démocratie participative. Par un détournement de signification, le gouvernement Johnson instrumentalise donc le concept de démocratie de participation, interpelle certaines élites qui se reconnaissent encore dans la notion de corps intermédiaires et emprunte officiellement la voie du « nouveau corporatisme politique », pour reprendre l’analyse du chercheur Clinton Archibald, qui ne s’est toutefois pas attardé précisément à ce discours du gouvernement Johnson[69].
Pour la première fois dans l’histoire parlementaire de la Révolution tranquille, les députés de l’Assemblée législative parlent ouvertement de démocratie de participation. Cela leur permet de s’en servir comme d’un argument d’autorité dans les débats au sujet d’une politique d’aménagement touristique, de la planification du développement régional, d’une réforme du Conseil supérieur du travail ou encore de la démocratie scolaire. Les députés ministériels, tout comme ceux de l’Opposition, justifient régulièrement leurs prises de position sur ces enjeux à la lumière du principe de participation. Un bon exemple est celui du projet de loi 67 modifiant la charte de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM). Le ministre de l’Éducation, Jean-Jacques Bertrand, veut faire passer de sept à neuf le nombre de commissaires nommés par l’archevêque de Montréal (trois) et le gouvernement (six)[70]. Les députés libéraux ne tardent pas à critiquer cette loi. Pour Jean-Paul Lefebvre, ex-commissaire de la CECM, la mesure législative va à l’encontre du désir de « démocratisation » exprimé par « des groupes de pression, syndicats, associations de parents, groupes de toutes sortes » depuis 1947[71]. De son côté, Paul Gérin-Lajoie relate l’historique des réflexions et des interventions gouvernementales entourant la CECM et rappelle la recommandation de la commission Parent de la scinder en plusieurs commissions régionales[72].
Quant à René Lévesque, il fustige le fait que les citoyens de Montréal paient pour les services de la Commission sans avoir le droit de choisir démocratiquement les commissaires de la CECM. Il dépeint ainsi les principes du gouvernement : « Et on n’a pas le temps, on n’a pas intérêt à entendre des mouvements qui veulent, dans la démocratie de participation… Qui participent dans cette affaire-là ? Dans la démocratie de participation, si hautement prônée par nos amis d’en face, on n’a pas le temps d’écouter personne[73]. » Il est rejoint par son collègue Victor Goldbloom : « Ai-je besoin de dire que la démocratie, privée de la participation de ses citoyens, n’est plus viable ? Je crois que j’ai besoin de le dire, car le bill 67 néglige et même nie ce principe qui n’est jamais plus vrai que quand il est mal appliqué, ce qui arrive parfois dans notre société imparfaite[74]. » Appuyant la motion de son parti qui demande de reporter à trois mois l’adoption de la deuxième lecture du projet de loi afin de laisser le temps aux groupes et aux citoyens inquiets d’être consultés par le gouvernement Johnson, Goldbloom se dit d’ailleurs « convaincu que trois mois de travail sérieux suffiraient pour permettre au gouvernement de rédiger une loi définitive qui créerait un vrai régime démocratique de participation[75] ».
Vers une réforme du rôle de député dans la démocratie parlementaire
Cette prise de position du gouvernement en faveur de la démocratie de participation, associée à une forme de corporatisme misant sur la parole des corps intermédiaires, suscite quelques réflexions sur les modes de gouvernance et une possible réforme des institutions parlementaires. C’est le jeune député libéral Yves Michaud qui ouvre le bal. Il souligne que « l’Union nationale tendra à gouverner en s’appuyant davantage sur les corps intermédiaires, les groupes de pression et les “lobbies” que sur les représentants du peuple », ce qu’il décrit comme étant une « conspiration volontaire ou inconsciente contre la souveraineté populaire[76] ». Pour lui,
le danger des corps intermédiaires, que l’on appelle parfois pieusement la démocratie de participation, c’est, ce me semble, le transfert de l’autorité du peuple à des groupuscules, des groupes d’intérêt, de classe et parfois peut-être aussi de race et d’oligarchies plus ou moins constituées. Pour les vrais démocrates, il me semble qu’il n’est de souveraineté que dans la volonté du peuple régulièrement consulté par les voix normales de la démocratie et dans ses représentants élus pour défendre les intérêts de la collectivité[77].
Aux yeux de Michaud, la démocratie de participation, telle que pratiquée par le gouvernement Johnson, désavantage les citoyens qui ne sont pas membres de ces groupes. Dans ce contexte, le rôle du député élu démocratiquement se voit restreint :
Il faut dire ces choses, M. le Président, parce que, devant la montée des corps intermédiaires et devant le flirt abusif que l’Union nationale fait à ces mêmes corps intermédiaires, le représentant du peuple, lui, le député, doit devenir de plus en plus la voix des hommes sans voix. Le porte-parole de la multitude d’hommes et de femmes qui sont soustraits à l’inaccessible privilège d’être inféodés à des corps intermédiaires et que l’on risque avec la démocratie de participation de ravaler au rang de citoyens de seconde classe[78].
Cette critique est reprise en partie deux ans plus tard par le jeune ministre d’État à la Fonction publique, Marcel Masse. Tout comme Michaud, il estime que « [l]es groupes de pression canalisent maintenant les aspirations et les revendications d’une grande partie de citoyens et expriment directement leurs opinions – appui, insatisfaction, désaccord – aux administrations et au gouvernement[79] ». Citant les propos de l’historien Jean-Charles Bonenfant, il constate que le député est devenu un « groupe de pression de ceux qui n’en ont pas[80] ». Contrairement à Michaud, Masse ne critique pas la démocratie de participation, mais y voit plutôt une occasion de réformer la démocratie parlementaire et le parlementarisme. Il propose alors une redéfinition du rôle de député :
Hors de la Chambre, le nouveau type de député doit pouvoir jouer le rôle d’animateur public, c’est-à-dire de faire prendre conscience à la population, en particulier à celle qu’il représente, des problèmes auxquels elle a à faire face, de jeter le plus de lumière possible sur ces problèmes et [d’]inviter la population à proposer, selon son entendement, des solutions.
Le député doit être un éveilleur de conscience, un informateur bien renseigné et un véritable leader[81].
Ce rôle d’animateur pourrait se déployer dans des comités consultatifs et des commissions d’enquête auxquels le député siégerait et aurait le pouvoir « de canaliser l’opinion publique sur les questions qui doivent faire l’objet d’une législation[82] ».
La réflexion est menée plus loin par Yves Michaud qui, en 1968, ne perçoit plus d’un mauvais oeil la démocratie de participation, qu’il qualifie désormais de « démocratie sociale ». Or il constate toujours que cette démocratie de participation réduit les députés à la condition de « sous-développés de la discussion publique[83] ». Parmi les suggestions qu’il avance pour redonner du lustre à la fonction de député, il évoque « la formation de commissions parlementaires mixtes pour tous les ministères de l’administration québécoise », ce qui permettrait au député qui y siégerait de jouer un rôle important. Pour faire cette suggestion, Michaud s’appuie sur les recommandations du comité parlementaire chargé de la réforme des règlements[84]. Créé en février 1964, ce comité chargé de réfléchir à la modernisation des travaux de l’Assemblée législative propose une série de réformes qui modifient les pratiques, les symboles et les protocoles parlementaires et abolissent même le Conseil législatif[85]. Au début des années 1970, « le rôle des commissions parlementaires est revu en profondeur », afin que ces dernières permettent désormais « à de plus en plus de citoyens et d’organismes de témoigner devant les parlementaires[86] ». Dès lors, il est raisonnable d’affirmer qu’il existe un fil d’Ariane entre la réforme parlementaire concrétisée par le nouveau règlement de l’Assemblée nationale du Québec (le code Lavoie), adopté provisoirement en 1972 et de manière permanente en 1973[87], et les réflexions entamées dès 1966 sur les conséquences pour la démocratie parlementaire d’une plus grande ouverture aux principes de la participation.
Conclusion
Que conclure de notre analyse du discours des élus québécois intégrant le concept de démocratie participative dans les premières années de la Révolution tranquille (1960-1968) ? Il faut d’emblée souligner le fait que le champ politique québécois ne fonctionne pas en vase clos et que les élus de l’Assemblée législative se montrent rapidement sensibles à la question de la participation revendiquée de différentes manières par de nombreux acteurs de la société civile. Entre 1961 et 1966, lorsqu’ils débattent de la planification économique et régionale et des réformes de l’éducation, les élus québécois libéraux et unionistes discutent de certains principes liés à la participation (sans toutefois employer explicitement les termes « démocratie participative ») et les associent à leurs initiatives de démocratisation de la société québécoise. Les partis politiques se servent du concept de participation pour prendre position sur les réformes étatiques, en les justifiant dans le cas des libéraux, en les critiquant dans le cas des unionistes. L’utilisation de l’expression « démocratie de participation » se répand à l’Assemblée législative à partir de 1966 dans la foulée des débats acrimonieux entourant la campagne électorale et les premières heures du gouvernement unioniste de Daniel Johnson. L’Union nationale et le gouvernement Johnson parlent désormais de « démocratie de participation » lorsqu’ils évoquent l’idée de consulter les corps intermédiaires et de tenir compte de leur avis. La récupération politique d’une revendication importante de plusieurs groupes de la société civile est ici bien visible ; la démocratie participative ne serait qu’une ouverture à la consultation de certains acteurs dont les corps intermédiaires, et non pas une tentative de partager l’exercice du pouvoir avec l’ensemble des citoyens politisés rassemblés ou non en groupes de pression. En ce sens, les discours et les prises de position des élus québécois étudiés dans cet article, qui associent démocratie participative et consultation, viennent appuyer la thèse du sociologue Jacques T. Godbout pour qui « [l]a participation, qu’on considère généralement comme un contre-pouvoir, est davantage une technique professionnelle pour maximiser le pouvoir[88] ».
À l’aube des années 1970, l’expression « démocratie participative » semble bien implantée dans le langage des élus québécois, y compris ceux du Parti libéral[89] et du Parti québécois[90]. L’instrumentalisation du concept leur permet de légitimer le pouvoir exercé par l’État québécois. Si la démocratie de participation, telle que conçue par les élus québécois, ne peut être pleinement associée à celle dont se réclament les militants des mouvements sociaux, il n’empêche que la volonté des responsables politiques de s’approprier certains principes y étant rattachés est un des facteurs qui contribuent à la transformation de la culture politique québécoise. La prise de parole citoyenne, une caractéristique importante de la Révolution tranquille, vient élargir le champ politique par l’arrivée de nouveaux protagonistes issus des groupes de pression. « Une nouvelle idéologie participationniste fait donc coucher dans le même lit corps intermédiaires et organes gouvernementaux qui subissent la pression des premiers pour modeler à leur avantage les politiques et les investissements de l’État[91] », souligne Archibald.
Les nouveaux lieux institutionnalisés et balisés de prise de parole citoyenne qui émergent surtout dans les années 1970 tirent donc leurs origines des réflexions entamées depuis 1966 et même depuis 1961. Les enjeux de planification et de développement régional, de réforme de l’éducation, de modalités de gouvernance et de rôle des députés, pour ne nommer que ces derniers, sont autant d’occasions pour les élus québécois de prendre position sur les principes associés à la démocratie de participation. Nous l’avons vu, la refonte du règlement de l’Assemblée nationale en 1973 entraîne la création de commissions parlementaires permanentes où pourront se tenir des audiences publiques. La participation de citoyens et de groupes (choisis ou non) à la prise de décision, aussi ténue soit-elle, permet alors la mise en place d’un système politique démocratique ouvert à la « médiation des besoins, des désirs et des attentes des citoyens face à l’État[92] ».
Même constat du côté de l’aménagement du territoire et du développement régional, où les élus québécois et les experts technocrates utilisent la participation « pour marier la planification […] et la mentalité de planification », pour reprendre les termes du sociologue Jean-Jacques Simard[93]. Et que dire des interventions du gouvernement Lévesque en matière de protection de l’environnement à la fin des années 1970 ? Lorsqu’il modifie la Loi sur la qualité de l’environnement en 1978, le ministre Marcel Léger explique que le concept de « participation du citoyen » est l’un des « deux principes politiques fondamentaux de l’environnement ». La loi fait en sorte que « le citoyen soit un agent actif et responsable » de même qu’« un partenaire indispensable dans le processus de prise de décisions[94] ». La notion de démocratie participative est aussi au coeur de la création du Bureau d’audiences publiques en environnement[95]. Cette instance étatique, largement reconnue à l’échelle internationale, illustre, selon le chercheur Michel Gariépy, « une spécificité de la culture de la participation québécoise du territoire[96] ».
Parties annexes
Notes
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[1]
Je tiens à remercier mes collègues, Félix Mathieu et Jean-Philippe Carlos, de même que les évaluateurs anonymes de Mens, pour leurs précieux commentaires sur une version préliminaire de cet article.
-
[2]
Arthur Marwick, The Sixties: Cultural Transformation in Britain, France, Italy and the United States, 1958-1974, Oxford, Oxford University Press, 1998.
-
[3]
Majid Behrouzi, Democracy as the Political Empowerment of the People: The Betrayal of an Ideal, Oxford, Lexington Books, 2005, p. 149.
-
[4]
Au sujet des nouveaux mouvements sociaux et de leur émergence dans les années 1960 et 1970, voir notamment Alberto Melucci, « The New Social Movements: A Theoretical Approach », Social Science Information, vol. 19, no 2 (mai 1980), p. 199-226. Pour le cas du Québec, voir notamment l’article de Réjean Pelletier et de Daniel Guérin, « Les nouveaux mouvements sociaux constituent-ils un défi pour les partis politiques ? Le cas du Québec », Canadian Journal of Political Science = Revue canadienne de science politique, vol. 31, no 2 (juin 1998), p. 311-338 ; ainsi que la thèse de doctorat de Valérie Poirier, Savoirs, mobilisations et construction du risque environnemental de l’automobile durant les Long Sixties à Montréal, thèse de doctorat (histoire), Montréal, Université du Québec à Montréal, 2018, p. 45-65.
-
[5]
Crawford Brough Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, traduit de l’anglais par André d’Allemagne, Montréal, Boréal express ; Paris, La Découverte, 1985, p. 121 ; Sean Mills, Contester l’empire : pensée postcoloniale et militantisme politique à Montréal (1963-1972), traduit de l’anglais par Hélène Paré, Montréal, Hurtubise HMH, 2011.
-
[6]
Au sujet de la prise de parole, voir Michel de Certeau, La prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1994.
-
[7]
Voir, entre autres, le chapitre 4 du livre Brève histoire de la Révolution tranquille (Montréal, Éditions du Boréal, 2021, p. 137-198), de Martin Pâquet et de Stéphane Savard.
-
[8]
Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, p. 121-122.
-
[9]
Paul Litt, Trudeaumania, Vancouver, UBC Press, 2016, p. 249-254. Litt estime que « Trudeaumania was participatory democracy in the only practical way it could be conducted on the mass scale of modernity » (p. 251).
-
[10]
Stéphane Pageau, La société organisée devant ses élus : portrait de l’évolution et mesures de la participation des groupes d’intérêt à l’Assemblée nationale du Québec, mémoire de maîtrise (science politique), Québec, Université Laval, 2010.
-
[11]
Laurence Bherer, « Les promesses ambiguës de la démocratie participative », Éthique publique, vol. 7, n° 1 (2005), [En ligne], [https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.1984] (consulté le 7 décembre 2022).
-
[12]
Raymond Hudon, Christian Poirier et Stéphanie Yates, « Participation politique, expressions de la citoyenneté et formes organisées d’engagement : la contribution des coalitions à un renouvellement des conceptions et des pratiques », Politique et Sociétés, vol. 27, no 3 (2008), p. 165-185.
-
[13]
Pour le politologue, le corporatisme est notamment « un modèle d’aménagement socio-politique où la représentation fonctionnelle de tous les secteurs économiques et sociaux est institutionnalisée dans des structures gouvernementales et administratives de l’État ». Ce dernier considère que le Québec des années 1930 à 1980 a été le terreau de l’émergence d’un néocorporatisme « pour signifier deux possibilités de modification d’application des schèmes corporatistes ». Archibald estime que le « corporatisme social », ou « corporatisme de société », « permettrait à des partenaires, par entente mutuelle, de faire des choses en marge des structures d’État ». Par « corporatisme politique », il entend un modèle qui « encouragerait – et c’est l’État qui le demanderait – les touchés, les concernés, à venir participer à l’établissement d’orientation de politiques, ou de programmes » (Clinton Archibald, Un Québec corporatiste ? Corporatisme et néo-corporatisme : du passage d’une idéologie corporatiste sociale à une idéologie corporatiste politique. Le Québec de 1930 à nos jours, Hull, Éditions Asticou, 1983). Voir, notamment, la page 272 de laquelle sont tirées ces citations.
-
[14]
La recherche documentaire a donné lieu à la constitution d’un corpus de sources composé des débats de 64 séances parlementaires (de 1960 jusqu’à la mort de Daniel Johnson en 1968) renfermant les termes ciblés. Pour plusieurs de ces séances, les responsables politiques emploient à de nombreuses reprises les termes ciblés. Comme nous le verrons dans la première partie de l’analyse, les séances parlementaires associées au gouvernement Lesage sont caractérisées par l’absence des termes « démocratie participative » ou « démocratie de participation ». Mais les usages des autres termes (« participation », « démocratie », « démocratique », « démocratisation », etc.), même s’ils sont plus nombreux et ont produit à cet effet beaucoup de « bruit » lors de la recherche, ont permis de cibler une trentaine de séances parlementaires entre 1961 et 1966 où les responsables politiques évoquent des idées que l’on peut associer au concept de démocratie participative. Je tiens à remercier le doctorant Mathieu Roy, qui a recherché les occurrences demandées et qui a ainsi constitué un corpus de sources structuré, que j’ai ensuite lu et analysé.
-
[15]
Behrouzi, Democracy as the Political Empowerment of the People, p. 159 (voir la note 4).
-
[16]
SDS, The Port Huron Statement, SDS, New York, 1964 (1962), p. 7, [En ligne], [http://www.progressivefox.com/misc_documents/PortHuronStatement.pdf] (consulté le 30 novembre 2023). Le Port Huron Statement est un manifeste politique dont l’objectif principal « was reforming American policy, politics of the left, and the University ». Rédigé dans une première version par Tom Hayden, président du SDS, le manifeste vise notamment « the growth and implementation of participatory democracy across college campuses, in the South, and in inner cities ». Voir « Port Huron Statement », dans la section « Resistance and Revolution: The Anti-Vietnam War Movement at the University of Michigan, 1965-1972 », du site Internet Michigan in the World Projects, [https://michiganintheworld.history.lsa.umich.edu/antivietnamwar/exhibits/show/exhibit/origins-of-students-for-a-demo/port_huron_statement] (consulté le 12 janvier 2023). Voir aussi Frédéric Robert, « Le “Port Huron Statement” du Students for a Democratic Society : entre utopisme démocratique et programme politique novateur », dans Frédéric Robert et Armand Hage (dir.), Révoltes et utopies : la contre-culture américaine dans les années 1960, Rennes, Les Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 83-99 ; Litt, Trudeaumania, p. 51 et 250.
-
[17]
SDS, The Port Huron Statement, p. 7-8 ; Robert, Révoltes et utopies, p. 83-99. Voir aussi Pageau, La société organisée devant ses élus, p. 17-18.
-
[18]
Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer (dir.), La démocratie participative : histoire et généalogie, Paris, La Découverte, 2011.
-
[19]
SDS, The Port Huron Statement, p. 7-8.
-
[20]
David Austin, Nègre noirs, nègres blancs : race, sexe et politique dans les années 1960 à Montréal, Montréal, Lux Éditeur, 2015 ; Ivan Carel, Robert Comeau et Jean-Philippe Warren (dir.), Violences politiques : Europe et Amériques, 1960-1979, Montréal, Lux Éditeur, 2013 ; Mills, Contester l’empire ; Jean-Philippe Warren et Andrée Fortin, Pratiques et discours de la contreculture au Québec, Québec, Éditions du Septentrion, 2015.
-
[21]
Yvon Dionne, « Vers une révolution totale », Parti pris, no 1 (octobre 1963), p. 36.
-
[22]
Jean-Philippe Warren, Une douce anarchie : les années 68 au Québec, Montréal, Éditions du Boréal, 2008. Voir aussi Marc Simard, Histoire du mouvement étudiant québécois, 1956-2013 : des trois Braves aux carrés rouges, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, p. 50.
-
[23]
Jacques Rouillard, Le syndicalisme québécois : deux siècles d’histoire, Montréal, Éditions du Boréal, 2004, p. 161.
-
[24]
Mills, Contester l’empire, p. 206-210.
-
[25]
Pierre Vadeboncoeur, cité dans Pierre Beaudet, « La radicalisation des mouvements sociaux dans les années 1970 », Bulletin d’histoire politique, vol. 19, no 2 (hiver 2011), p. 100.
-
[26]
Voir, entre autres, Michael D. Behiels, Prelude to Quebec’s Quiet Revolution : Liberalism versus Neo-Nationalism, 1945-1960, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1985, p. 220-238 ; Jonathan Livernois, La révolution dans l’ordre : une histoire du duplessisme, Montréal, Éditions du Boréal, 2018, p. 180-193 ; Pâquet et Savard, Brève histoire de la Révolution tranquille, p. 74-79.
-
[27]
Voir non seulement le programme publié pour la campagne électorale de 1960 (PLQ, 1960 : le programme politique du Parti libéral du Québec, 1960, 24 p.), mais aussi le manifeste politique Pour une politique, rédigé par Georges-Émile Lapalme en 1958 (Pour une politique : le programme de la Révolution tranquille, Montréal, VLB éditeur, 1988).
-
[28]
Pâquet et Savard, Brève histoire de la Révolution tranquille, p. 85-136 (chapitre 3).
-
[29]
Léon Dion, Le bill 60 et la société québécoise, Montréal, Hurtubise HMH, 1967 ; Léon Dion, La révolution déroutée, 1960-1976, Montréal, Éditions du Boréal, 1998.
-
[30]
Voir Jean-Jacques Simard, La longue marche des technocrates, Laval, Éditions coopératives Albert Saint-Martin, 1979, p. 92-110 ; Dominique Morin, « Le BAEQ, la légende et l’esprit du développement régional québécois », dans Harold Bérubé et Stéphane Savard (dir.), Pouvoir et territoire au Québec depuis 1850, Québec, Éditions du Septentrion, 2017, p. 265-309.
-
[31]
Jean-Jacques Bertrand, Débats de l’Assemblée législative du Québec [ci-après DALQ], 3 février 1966, p. 324. Le contexte entourant cette occurrence et la raison de son utilisation sont analysés plus loin dans le texte.
-
[32]
Michel Sarra-Bournet, « La planification au Québec : un paradigme de gestion hérité de la France ? », dans Michel Sarra-Bournet (dir.), Les grands commis et les grandes missions de l’État dans l’histoire du Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2016, coll. « Administration publique et gouvernance », p. 247-271 ; Jean-Philippe Carlos, « Le rôle des économistes et des influences transnationales dans les réformes économiques de la première phase de la Révolution tranquille (1960-1966) : un tour d’horizon », dans Jean-Philippe Carlos et Stéphane Savard (dir.), La Révolution tranquille entre l’ici et l’ailleurs, Québec, Éditions du Septentrion, à paraître ; Clinton Archibald, Un Québec corporatiste ?, p. 188-189.
-
[33]
Cette idée que le gouvernement Duplessis ne faisait pas appel à la planification, outil rationnel et moderne, est formulée dès 1959 dans le manifeste Pour une politique rédigé par Georges-Émile Lapalme. Le manifeste a d’ailleurs grandement inspiré la plateforme électorale des libéraux en 1960. Voir Lapalme, Pour une politique ; PLQ, 1960 : le programme politique du Parti libéral du Québec, en annexe au livre de Lapalme, Pour une politique.
-
[34]
Sarra-Bournet, « La planification au Québec », p. 254.
-
[35]
Jean Lesage, DALQ, 7 février 1961, p. 538.
-
[36]
Ibid., p. 544.
-
[37]
Alcide Courcy, DALQ, 17 mai 1963, p. 1527 et 1528.
-
[38]
Au sujet des Opérations Dignité, voir Alain-G. Gagnon (dir.), Les Opérations Dignité, naissance d’un mouvement social dans l’est du Québec, Ottawa, Université Carleton, 1981 et le site du Centre de mise en valeur des Opérations Dignité, [http://www.operationdignite.com/] (consulté le 7 décembre 2022).
-
[39]
Sur « la bataille du développement régional » qui est bien entamée à la fin des années 1960, voir notamment Simard, La longue marche des technocrates, p. 92-110.
-
[40]
Albert Gervais, DALQ, 25 avril 1963, p. 1020-1021.
-
[41]
Daniel Johnson, DALQ, 16 janvier 1964, p. 41.
-
[42]
Dion, Le bill 60 ; Dion, La révolution déroutée ; Archibald, Un Québec corporatiste ?, p. 166.
-
[43]
Archibald, Un Québec corporatiste ?, p. 160.
-
[44]
Jean Lesage, DALQ, 23 janvier 1964, p. 242-243.
-
[45]
Paul Gérin-Lajoie, DALQ, 5 février 1964, p. 665-666.
-
[46]
Paul Gérin-Lajoie, DALQ, 21 juin 1965, p. 3689.
-
[47]
Ibid.
-
[48]
Ibid., p. 3698-3699.
-
[49]
Jean-Jacques Bertrand, DALQ, 30 janvier 1964, p. 460-461.
-
[50]
Daniel Johnson, DALQ, 23 janvier 1964, p. 269. Il est à noter que l’expression « démocratie organique », également utilisée par Paul Gérin-Lajoie, circule dans les discours personnalistes depuis quelques décennies déjà, notamment dans les écrits du père Arès et de l’abbé Gérard Dion. « La démocratie organique, explique l’historien Pierre Trépanier, loin de prétendre diminuer les libertés de la démocratie libérale, veut les renforcer par la socialisation et la participation. » À ce sujet, voir Pierre Trépanier, « Quel corporatisme ? (1820-1965) », Les Cahiers des Dix, no 49 (1994), p. 207.
-
[51]
Daniel Johnson, DALQ, 28 janvier 1964, p. 385.
-
[52]
Ibid., p. 386.
-
[53]
Albert Gervais, DALQ, 28 janvier 1964, p. 387.
-
[54]
Ils misent notamment sur « le spectre de l’explosion des coûts, le “péril jaune” ainsi que la perspective de “sortir le crucifix des écoles” ». Voir Jean-Herman Guay et Serge Gaudreau, Les élections au Québec : 150 ans d’une histoire mouvementée, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, p. 330.
-
[55]
Daniel Johnson, DALQ, janvier 1966, p. 94.
-
[56]
Claude Ryan, cité par Jean-Jacques Bertrand, DALQ, 3 février 1966, p. 324.
-
[57]
Gilles Gallichan, « Les débats reconstitués : un patrimoine documentaire », Bulletin d’histoire politique, vol. 11, no 3 (printemps 2003), p. 48-56 ; Jérôme Ouellet et Frédéric Roussell-Beaulieu, « Les débats parlementaires au service de l’histoire politique », Bulletin d’histoire politique, vol. 11, no 3 (printemps 2003), p. 23-29.
-
[58]
Voir Guay et Gaudreau, Les élections au Québec, p. 329. Voir aussi Pierre Godin, qui considère que le congrès de mars 1965 offre une « cure » démocratique à un chef et à un parti revigoré. Voir Pierre Godin, La difficile recherche de l’égalité : la Révolution tranquille. Vol. II, Montréal, Éditions du Boréal, 1991, p. 33-44.
-
[59]
Daniel Johnson, DALQ, 27 janvier 1966, p. 89.
-
[60]
Clinton Archibald et Khayyam Z. Paltiel, « Du passage des corps intermédiaires aux groupes de pression : la transformation d’une idée illustrée par le Mouvement coopératif Desjardins », Recherches sociographiques, vol. 18, no 1 (1977), p. 67-69.
-
[61]
Union nationale, « Préambule », dans Objectifs 1966 de l’Union nationale. Un programme d’action pour une jeune nation : Québec d’abord !, 1966, p. 3, dans SOPPOQ, [En ligne], [https://www.archivespolitiquesduquebec.com/wp-content/uploads/2013/01/union-nationale-programme-1966.pdf] (consulté le 3 février 2023).
-
[62]
DALQ, Discours du Trône, 1er décembre 1966, p. 4.
-
[63]
Michel Roy, « La session provinciale s’engage dans la voie d’un nouveau régime constitutionnel », Le Devoir, 2 décembre 1966, p. 1. Roy souligne d’ailleurs que le discours du Trône « se distingue enfin par l’insistance que met le gouvernement sur la participation du peuple, de façon directe ou par l’entremise des corps intermédiaires, à l’action du régime et à la mise en oeuvre de ses politiques. »
-
[64]
Voir Guay et Gaudreau, Les élections au Québec, p. 334-335.
-
[65]
Pierre O’Neil, « Johnson accorde la priorité aux réformes administratives », La Presse, 2 décembre 1966, p. 1. Voir aussi l’éditorialiste Guy Cormier, qui offre une réflexion similaire en considérant « que M. Johnson entend élargir la base de son pouvoir par ce que le discours officiel appelle “la volonté du gouvernement d’instaurer une démocratie de participation” ». Voir Guy Cormier, « Prudentes ouvertures », Éditorial, La Presse, 2 décembre 1966, p. 4.
-
[66]
Daniel Johnson, DALQ, 6 décembre 1966, p. 84.
-
[67]
Selon les propos tenus par le député libéral Yves Michaud, dans DALQ, 8 décembre 1966, p. 169-170. Malgré nos recherches, nous n’avons pas été en mesure de retrouver cette motion. Pourtant, le député Michaud parle d’un projet de loi qui aurait été déposé par le premier ministre, ce à quoi répond Daniel Johnson en disant qu’il n’a pas déposé de projet de loi, mais qu’il a présenté une motion en ce sens (voir Ibid., p. 170).
-
[68]
Archibald et Paltiel, « Du passage des corps intermédiaires », p. 85. La réflexion de Archibald et de Paltiel s’appuie sur Dion, Le bill 60.
-
[69]
Archibald, Un Québec corporatiste ?. Archibald précise d’ailleurs que « [p]our pallier les carences de médiation entre le social et le politique, carences soudainement visibles avec l’éclatement du rôle de l’Église et des corps intermédiaires, le nouvel État de la Révolution tranquille cherche à re-créer le sentiment d’appartenance à la collectivité par une participation aux mécanismes décisionnels » (p. 182).
-
[70]
Jean-Jacques Bertrand, DALQ, 17 juillet 1967, p. 4756-4758.
-
[71]
Jean-Paul Lefebvre, DALQ, 17 juillet 1967, p. 4762.
-
[72]
Paul Gérin-Lajoie, DALQ, 17 juillet 1967, p. 4791-4794.
-
[73]
René Lévesque, DALQ, 17 juillet 1967, p. 4805.
-
[74]
Victor Goldbloom, DALQ, 17 juillet 1967, p. 4807-4808.
-
[75]
Victor Goldbloom, DALQ, 11 août 1967, p. 5271.
-
[76]
Yves Michaud, DALQ, 8 décembre 1966, p. 169-170.
-
[77]
Ibid., p. 170.
-
[78]
Ibid.
-
[79]
Marcel Masse, DALQ, 21 mars 1968, p. 815.
-
[80]
Propos de Jean-Charles Bonenfant, cités par Ibid.
-
[81]
Ibid.
-
[82]
Ibid., p. 815-816.
-
[83]
Yves Michaud, DALQ, 21 mars 1968, p. 826 et 827.
-
[84]
Ibid., p. 825. En 1966, Michaud soulignait d’ailleurs la nécessité de créer des « commissions parlementaires mixtes », « avec les pouvoirs de faire comparaître devant elles les ministres eux-mêmes, les fonctionnaires et les représentants des groupes de pression, et cela avant la présentation à la Chambre des projets de loi annoncés ». Voir Yves Michaud, DALQ, 8 décembre 1966, p. 169.
-
[85]
Christian Blais, « L’histoire des institutions politiques et parlementaires du Québec », dans Siegfried Peters (dir.), La procédure parlementaire du Québec, 4e édition, Québec, Assemblée nationale du Québec, 2021, p. 62-64.
-
[86]
Ibid., p. 63-64.
-
[87]
Ibid., p. 64.
-
[88]
Citation tirée de la quatrième de couverture du livre de Jacques T. Godbout, La participation contre la démocratie, Montréal, Éditions Liber, 2014 (1983).
-
[89]
Voir, par exemple, l’évocation de la démocratie de participation par Denis Hardy, vice-président de l’Assemblée nationale du Québec et député libéral, lors du débat entourant le projet de loi 65 sur les districts électoraux, Débats de l’Assemblée nationale du Québec, 19 décembre 1970, p. 2619.
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[90]
Voir, notamment, Conseil exécutif du PQ, Prochaine étape… Quand nous serons vraiment chez nous, 1972 (en particulier, le chapitre intitulé « La participation », p. 123-130).
-
[91]
Archibald, Un Québec corporatiste ?, p. 18.
-
[92]
Yvon Thériault, « Introduction », Index cumulatif 5 : les commissions parlementaires, 1965-1980, Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, 1982, p. II.
-
[93]
Jean-Jacques Simard, La longue marche des technocrates, p. 62. Voir aussi Mathieu Roy, Un groupe à la mesure de l’avenir : la conception du développement nordique des administrateurs de la société de développement de la Baie-James et des responsables politiques de l’État québécois au cours du projet du siècle (1971-1984), mémoire de maîtrise (histoire), Montréal, Université du Québec à Montréal, 2021, p. 107-108.
-
[94]
Marcel Léger, dans Débats de l’Assemblée nationale du Québec. Commission permanente de la protection de l’environnement, 25 septembre 1978, p. B-6383-6385.
-
[95]
Pageau, « La société organisée devant ses élus », p. 10. Pageau rappelle la publication, en 2003, de ce document promotionnel produit par le BAPE : Un quart de siècle de démocratie participative, BAPE, 2003.
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[96]
Michel Gariépy, en collaboration avec Liane Morin, « Les écrits sur la participation publique au Québec : une première cartographie », Télescope, vol. 17, no 1 (2011), p. 173.