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Introduction

Tout comme les dialectes, les parlers régionaux et la poésie, en particulier celle des langues à tons tels le chinois et le vietnamien, les mots mimétiques, objet de notre étude, révèlent l’importance des composantes orales de la langue coréenne et constituent souvent une limite à la traduction, un achoppement pour le traducteur.

Il n’est pas rare qu’ils soient perçus comme accessoires, comme des pseudo-mots, peu chargés de sens et d’un intérêt mineur. Or les mots mimétiques coréens sont non seulement porteurs de sens, mais véhiculent une sonorité, une musique, voire un rythme, des images ou encore une poétique qui leur confèrent leur titre de noblesse. Ils sont au coeur de la langue, en sont une singularité qui offre une palette de nuances à l’infini et contribue à sa richesse.

Que sont précisément les mots mimétiques, quelles en sont les caractéristiques propres à chacune des langues – en coréen, langue source et en français, langue cible ? Quelles démarches et stratégies sont habituellement adoptées par les traducteurs ? Peut-on trouver quelque moyen de pousser le contrat de traduction plus avant pour plus d’efficacité, d’authenticité, mais aussi, de plaisir ?

1. Les données du problème

1.1. Les mimétiques : onomatopées et idéophones

Ce que nous appelons, dans la présente étude, mots mimétiques regroupe, d’une part, les onomatopées qui, bien que pouvant recouvrir un sens plus large de mots d’origine expressive ou imitative, sont le plus souvent prises dans leur sens restreint de mot imitant un bruit et, d’autre part, les idéophones, qui peuvent notamment évoquer un mouvement, un déplacement, une action, une attitude, un aspect, une texture, une émotion, des sensations psychologiques ou physiques, etc. (zigzag, gnangnan, riquiqui). Cette distinction correspond à celle qui est faite communément en coréen entre uiseongeo 擬聲語 (onomatopées) et uitaeeo 擬態語 (idéophones). Notons que leur frontière est parfois perméable.

Les onomatopées (imitation phonétique), mais aussi les idéophones (imitation phonético-visuelle), possèdent à la fois une valeur iconique, soit une sonorité, et une valeur indicielle[1], soit un sens. Ballard, dans une étude consacrée aux onomatopées et à la traduction, illustre la juxtaposition de ces deux valeurs par la définition de crac telle qu’elle apparaît dans le Petit Robert[2] :

crac :  mot imitant un bruit sec  (choc, rupture)
 valeur iconique  valeur indicielle

Ballard 2000 : 21

Certes, la valeur iconique prédomine dans les onomatopées, mais elle n’est pas absente des idéophones, où la sonorité est suggérée.

1.2. Les particularités des mimétiques coréens

Les mimétiques coréens, très nombreux, sont répertoriés au nombre d’environ 4000[3] dans les dictionnaires, mais peuvent, en réalité, être créés à l’infini. Ils sont constitués, pour la plupart, de deux ou quatre syllabes, avec ou sans redoublement. Ils peuvent fonctionner à l’état brut, de manière autonome, comme des adverbes (eongeum-eongeum gieogada : ramper très lentement, marcher d’un pas de tortue), mimétiques primaires, ou être davantage lexicalisés, grâce aux suffixes verbalisateurs -hada, -daeda, -georida, -ida (jungeol-georida : grommeler) ou bien à l’aide du suffixe adjectivisant -(r)eopda (mikkeu-reopda : être glissant) pour former des verbes ou des adjectifs[4], mimétiques secondaires, moins apparents, en quelque sorte cachés.

Leur caractéristique majeure réside dans les changements vocaliques et consonantiques qui génèrent une large palette de nuances. Les voyelles a et o du yang sont dites claires, tandis que les voyelles u et eo du yin sont dites sombres. Ainsi, ttong-ttong-hada (être dodu ou grassouillet) s’oppose à ttung-ttung-hada (être gros). De même qu’en français l’on évite l’adjectif gros, ttong-ttong-hada, dont l’image est enfantine et attendrissante, sera moins déplaisant. On fera aussi la différence entre seulmyeosi, à connotation péjorative et qui signifie « faire quelque chose à l’insu de son entourage, en cachette », et salmyoesi qui renvoie une image, plus féminine, de douceur, de discrétion. Salmyeosi deureooda est donc une entrée discrète, tandis que seulmyeosi deureooda pourrait se traduire par « entrer comme un voleur ». Parfois, les changements vocaliques, tout comme nous le verrons pour les consonnes initiales, traduisent une différence d’intensité : kong-kong (onomatopée d’un bruit léger) s’oppose à kung-kung (onomatopée d’un bruit lourd). Là encore, on peut y voir du yin et du yang. En effet, la légèreté du bruit dans kong-kong est contraire à la lourdeur de l’onomatopée kung-kung qui suggère un bruit plus sourd, déplaisant. Park (2006) donne l’exemple du dynamisme de pallak-pallak face à la lenteur du mouvement de peollok-peollok :

Pallak-pallak réduit la portée du mouvement mais augmente la fréquence. Les gens irrités ou impatients agiteraient ainsi, pallak pallak, leur éventails. […] Au contraire, peollok-peollok fait voir un mouvement plus ample aux intervalles étendus mais soutenus. Ceux qui battent les éventails peollok peollok devraient être détendus et patients comme un drapeau qui claque au vent.

Park 2006 : 92

Plus encore, la fraîcheur agréable du début de l’automne sandeul-sandeul s’oppose à celle moins plaisante seondeul-seondeul de la fin de saison.

Quant au changement consonantique, notamment celui de la consonne initiale, le passage d’une consonne douce à une consonne forte, puis à une consonne aspirée, gradue l’intensité : paeng-paeng > ppaeng-ppaeng > baeng-baeng (idéophone pour décrire un objet qui tourne) :

pour décrire l’adiposité d’un corps humain, on a le choix entre bodong-bodong (consonne normale, voyelle Yang), podong-podong (consonne aspirée, voyelle Yang), budung-budung (consonne normale, voyelle Yin), pudung-pudung (consonne aspirée, voyelle Yin).

Jeong 2004 : 23

Bodong-bodong évoque « la chair joliment dodue d’un bébé » alors que pudung-pudung « la masse imposante d’un lutteur de sumo ». Comme on vient de le voir, cette multitude de variantes possibles fait de la traduction des mimétiques un exercice tout à la fois complexe et subtil.

1.3. Les particularités des mimétiques français

Certes, le nombre de mots mimétiques est moins élevé en français qu’en coréen, mais ils sont plus nombreux qu’il n’y paraît. De façon générale, le mimétique français évoque les cris d’animaux, les sons produits par les objets manufacturés (boum, dring-dring, tchoutchou), les onomatopées du langage enfantin (souvent avec redoublement), ainsi que toutes celles présentes dans la bande dessinée, c’est-à-dire les onomatopées authentiques ou primaires. Elles ont souvent un statut marginal, absentes des dictionnaires pour la plupart, car n’ayant pas le statut de mot mais celui de bruit. Alors que les onomatopées et les idéophones primaires se retrouvent en coréen dans tous les registres, de la langue enfantine à la poésie, en passant par la littérature, ils sont généralement réservés, en français, au registre familier ou enfantin, donc à la bande dessinée et la littérature pour enfants et bien sûr au discours direct. Or c’est là une différence notable, source d’écueils pour le traducteur, entre la langue source et la langue cible.

En revanche, on oublie souvent les onomatopées secondaires, car moins directement imitatives, moins apparentes, davantage intégrées dans le lexique et sur le plan morphologique. Dubois, Giacomo, et al. (1994 : 334) précisent à juste titre que les onomatopées authentiques ou primaires peuvent être intégrées à « des séries dérivationnelles » (croc > croquer > croquant), mais avec moins de souplesse que dans d’autres langues, notamment en anglais (splash, a splash, to splash, splasher, splashy, splashily). En effet, les onomatopées secondaires peuvent être dérivées d’onomatopées primaires (claquer < clac) ou de radicaux onomatopéiques (laper < lap-), ou plus généralement sont d’origine ou de formation onomatopéique comme susurrer ou chuchoter.

En français, l’appellation mimétique ne renvoie que trop rarement aux idéophones, sans doute car ils sont, pour la plupart, secondaires et donc cachés. On comprendra alors pourquoi de nombreux traducteurs et théoriciens coréens, comme Jeong et Park, pensent que les langues indo-européennes, telles que l’anglais ou le français, sont dépourvues d’idéophones et que ces derniers constituent une singularité de leur langue :

[…] les onomatopées, source inépuisable de l’imaginaire coréen […] doivent être comprises dans un sens très élargi, car en coréen, elles suggèrent la chose dénommée par imitation phonétique, mais aussi par imitation visuelle. Elles sont quasi innombrables d’autant qu’on peut en inventer. […] En coréen, les « onomatopées » évoquent non seulement les bruits (uiseongeo), mais aussi les aspects et comportements (uitaeo).

Jeong 2004 : 23

Avez-vous entendu ou lu des mots tels que hwak-hwak 확확 ou gubul-gubul 구불구불 ? Avez-vous pu saisir leur sens, même vaguement ? Peut-être que non car ils ne représentent pas des bruits comme les onomatopées du français, mais ils imagent (sic !) mouvement ou l’état de position d’une chose.

Park 2006 : 90

Contrairement aux idées reçues, il existe bien en français des idéophones, non seulement des idéophones secondaires, mais aussi, bien que peu nombreux, des idéophones primaires. À la différence des onomatopées primaires, ils sont toujours intégrés dans le système syntaxique, dans les catégories lexicales : ex. dare-dare, ric-rac (adverbes), guili-guili, zigzag (substantifs), riquiqui, gnangnan (adjectifs). Les idéophones secondaires français sont, quant à eux, multiples. Il apparaît que, comme pour les onomatopées, de nombreux verbes et substantifs français sont dérivés de radicaux onomatopéiques ou plutôt idéophoniques, et même d’idéophones primaires (zigzaguer < zigzag). Ainsi, bouffon, bouffer et l’adjectif bouffi sont tous dérivés du radical idéophonique buff- qui désigne ce qui est gonflé, en particulier le gonflement des joues (d’après Le Grand Robert[5]). On peut également citer le verbe dodeliner, dérivé du radical dod-, exprimant le balancement, l’oscillation.

2. La traduction des mimétiques : stratégies mises en oeuvre

Face aux mimétiques, les traducteurs recourent à diverses stratégies. Outre l’omission[6], trop communément pratiquée, certains se soucient davantage du signifiant du texte source et pratiquent donc soit le report[7], soit la traduction littérale, d’autres privilégient le public d’accueil et adoptent alors une stratégie plus acclimatisante, ne restituant que du sens. Une dernière stratégie plus créative et poétique, mettant l’accent sur l’effet du texte, que nous prônons vivement, permet de transmettre au lecteur, outre la valeur sémantique, les effets musicaux et visuels que recèlent les mimétiques coréens.

2.1. L’omission

La première stratégie consiste à délaisser les mimétiques purement et simplement. Or, si les occulter ne nuit pas toujours au sens, il y a toutefois appauvrissement du texte source, perte d’effet ou de subtilité.

Ici, le rendu de l’onomatopée aurait été souhaitable. En effet, cette dernière permet d’accentuer le contraste, sans nul doute voulu par l’auteur, entre le bruissement d’ailes des moineaux venus se poser et le silence feutré de la cour ensevelie sous la neige.

La valeur indicielle des idéophones étant encore plus importante que celle des onomatopées, les éluder génère d’autant plus d’entropie.

Dans (2), l’idéophone hudakdak, qui suggère la brutalité du mouvement, n’apparaît pas. Or, la chienne n’est pas simplement sortie, mais a bondi hors de sa niche. Dans (3), l’idéophone ppeol-ppeol précise que la dame transpirait à grosses gouttes.

2.2. Équivalence directe

Davantage soucieux du texte source et de le restituer le plus fidèlement possible, certains traducteurs, notamment les plus productifs, ont tendance à privilégier les formes de départ et la lettre, et font donc souvent appel à l’équivalence directe (Ballard 2003 : 77) ou l’équivalence formelle (Nida 1964 : 159). C’est pourquoi l’utilisation du report ou de la traduction littérale est fréquente.

2.2.1. Le report

Jeong (2004), influencée par la Poétique du traduire d’Henri Meschonnic, tenant à rendre dans la traduction la poétique, ainsi que le rythme et le trait musical véhiculés par les mimétiques coréens, prône la stratégie du report.

Elles [les onomatopées au sens large] ont en coréen la fonction d’un adverbe qui non seulement contribue à la description de l’objet, mais aussi rythme la phrase. D’où la difficulté pour les traducteurs qui échappent à la tentation assez répandue de les considérer comme superfétatoires ou redondantes et sont au contraire soucieux de rendre le trait musical et la force de visualisation du texte coréen. […] Complexe est le cas des onomatopées qui véhiculent le rythme du texte et trouvent leur raison d’être dans l’ensemble de la poétique du texte.

Jeong 2004 : 23

Dans certains contextes, le report est tout à fait recevable. Dans le passage suivant, le personnage, qui est muet et donc extrêmement sensible aux bruits (d’autant plus que c’est le seul entendant de la famille), vit dans un univers envahi par les onomatopées. Aussi, comprend-on bien pourquoi Jeong a tenu à reporter celles-ci, dans sa traduction de Saeya Saeya de Sin Gyeong-Suk (2001 : 96), afin d’en conserver la musique et le rythme :

Dans un récit, un garçon muet vit avec sa mère et son frère tous les deux sourds et muets. Ne pouvant s’exprimer de vive voix, il met toute son énergie à capter les phénomènes du monde extérieur ; sa sensibilité est d’autant plus aiguisée qu’il est le seul de sa famille à entendre et qu’il communique sans arrêt à son frère sourd ce qu’il entend. L’univers obsessionnel du personnage est littéralement envahi par des onomatopées et je citerai un passage représentatif : « La tempête de neige se durcit. Il entend par-ci par-là des branches d’arbres se briser tuk-tuk sous le poids de la neige qui s’entasse. A chaque fois, le chien qui le suivait en silence aboie kaang. Dans le bruit d’un faisan qui s’envole peodeodeok se mêlent ureong-ureong les échos d’un train de nuit qui contourne la montagne. Le Petit dresse les oreilles. Il écoute les vents de la voie ferrée faire paek-paek en rompant leur silence avant de tourbillonner. »

Jeong 2004 : 23 ; nous soulignons

Dans ce passage, l’exotisme des sonorités et graphies peut séduire le lecteur, lui procurer le plaisir du dépaysement. En effet, bien que ces mimétiques reportés soient la reproduction de bruits filtrés par les possibilités phoniques de la langue coréenne, il peut aisément les intégrer grâce au contexte.

Dans l’extrait (4), le report des idéophones poreureu, sallang-sallang et hwicheong-hwicheong a permis de préserver le rythme et le trait musical, mais plus encore l’effet visuel et poétique des feuilles des arbres et des herbes se balançant au gré du vent. Il en est de même de jajang-jajang-jajang-jajang, meong-meong, kko-kko, saerok-saerok, chingeol-chingeol et ssaegeun-ssaegeun dans l’exemple (5) où l’on entend le rythme de la berceuse.

Cependant, le report du mimétique peut amener le lecteur à se méprendre. Dans la phrase du roman Un pays aussi lointain que le ciel (Roh 2004 : 102) « On entend les oiseaux qui s’envolent, jjaek-jjaek… », le lecteur, vraisemblablement, interprétera l’onomatopée jjaek-jjaek comme le bruissement des ailes d’un oiseau prenant son envol, alors qu’il est question de son chant (comme cui-cui). Dans le passage ci-dessous, jeol-jeol jeol-jeol évoque non pas le bruit d’un écoulement, comme pourrait l’imaginer le lecteur, mais un liquide jaillissant à grands flots.

Qui plus est, le report direct du mimétique d’origine peut rendre le texte opaque, incompréhensible pour le public d’accueil :

Dans l’exemple (7), tabak-tabak signifie que la femme marche d’un pas pesant. Dans (8), kkaengkkaengi est une onomatopée dépréciative qui s’utilise pour désigner la manière de jouer du haegeum (instrument traditionnel coréen proche de la cithare ou du violon). Si veiller à préserver la musicalité du texte d’origine est souhaitable, à trop vouloir conserver la musique, on peut en perdre les paroles.

Il arrive également que les mimétiques soient non seulement traduits, mais même reportés, sans doute par volonté à la fois d’en garder la valeur phonético-visuelle et d’en transmettre le sens au lecteur. Mais sa présence est parasite, notamment lorsque le mimétique n’est pas rattaché au mot qu’il est censé qualifier : dans l’exemple (9), ppaek-ppaek ne se rapporte pas à la façon dont pénètre le camion dans la vallée, mais à sa surcharge.

Comme nous l’avons vu, si la stratégie du report s’avère plus que satisfaisante dans certains contextes – lorsque le contexte le permet et que le report produit un effet équivalent sur le lecteur –, elle ne peut être la solution idoine en toutes circonstances, car elle est bien souvent opaque ou source de méprise pour le lecteur. Les distorsions de sens auxquelles cette stratégie donne lieu en font apparaître les limites. Elle demande donc une extrême vigilance et beaucoup de sensibilité.

2.2.2. Traduction littérale

Hormis la stratégie du report, qui permet de restituer la bande sonore du texte source, bien des traducteurs cherchent à substituer à l’onomatopée une onomatopée primaire équivalente dans la langue d’arrivée, autrement dit ils pratiquent le littéralisme. À l’heure actuelle, cette stratégie apparaît dans la majorité des oeuvres traduites. Or, nous l’avons vu, les onomatopées primaires, lexicalisées ou non, sont en français peu appropriées dans un récit littéraire, car elles sont considérées comme des mots bas, pour reprendre les termes de Ballard (2000 : 25). En effet, si les onomatopées primaires appartiennent à tous les registres en coréen, les traductions littérales qui en sont faites en français peuvent heurter sur le plan stylistique, car elles confèrent au texte d’arrivée (TA) un registre qui n’est pas forcément celui du texte de départ (TD).

Lorsqu’il s’agit d’une onomatopée secondaire en coréen (donc à sonorité réduite), l’emploi d’une onomatopée primaire dans le TA paraît d’autant plus incongru.

La traduction littérale est néanmoins tout à fait appropriée lorsque l’on retrouve le même registre dans le TD.

Ici, la narratrice étant une enfant, la traduction littérale de l’onomatopée miam-miam se justifie pleinement.

On sait que les onomatopées n’ont pas toutes une correspondance littérale dans le TA. Par conséquent, vouloir à tout prix les rendre littéralement peut engendrer un faux sens :

Bla bla bla évoque un verbiage creux, alors que swalla-swalla indique que les propos des employés des sociétés d’import-export paraissent barbares et incompréhensibles.

La traduction littérale d’idéophones primaires est rare, ceux-ci étant peu nombreux en français, mais on la rencontre cependant :

L’idéophone primaire clip-clop n’existant pas, du moins en français, une solution possible aurait été l’emploi de clopin-clopant :

2.3. Équivalence indirecte sémantique

La théorisation nous a enseigné que les systèmes linguistico-culturels ne coïncident pas. Elle nous enseigne aussi que la traduction établit ou permet la communication grâce au principe d’équivalence et aux stratégies de compensation. En effet, ainsi que le disait Cicéron (1921 : 11), « il n’est pas nécessaire de rendre mot pour mot ». Nul n’est donc besoin de vouloir rendre à tout prix un mimétique primaire par un autre mimétique primaire, que le signifiant soit identique ou non. Aussi, certains traducteurs cherchent-ils à se détacher des formes de départ, de la lettre et font alors appel à ce que Ballard (2003 : 82) nomme équivalence indirecte sémantique.

Rire enfaisant hahahaha peut en effet être rendu par rireà gorge déployée, hahahaha imitant un rire sans retenue, un rire franc. Dans (18), l’onomatopée cheolsseok évoque non seulement un bruit, mais surtout ici la brutalité de la chute. Dans (19), l’adjectif sourd est un bon équivalent de l’onomatopée kung.

Les idéophones n’imitant pas un son, cette stratégie est davantage employée.

Les deux premiers idéophones suggèrent la spontanéité d’un événement. D’un bond et en un éclair traduisent parfaitement, dans leur contexte respectif, cette spontanéité. Notons que l’idéophone beonjjeok, qui renvoie l’image d’un éclair produit, par exemple, par un flash d’appareil photo, trouve son exacte correspondance dans l’expression en un éclair.

3. Équivalence indirecte pragmatico-fonctionnelle ou/et créatrice ou équivalence d’effet

Si la stratégie précédente permet de traduire un mimétique sans recourir à l’équivalence directe, elle n’en restitue toutefois que le sens. Or, pourquoi ne pas tenter de pousser le contrat de traduction plus avant et veiller à transmettre la musicalité, le rythme, les images et la poétique qu’ils recèlent ? Ce que Ballard (2003 : 84) nomme équivalence indirecte pragmatico-fonctionnelle ou/et créatrice (appelée aussi équivalence fonctionnelle ou équivalence d’effet [Nida 1964 : 159]) vise, comme la dénomination l’évoque elle-même, grâce aux efforts de créativité du traducteur, à :

non seulement envisager le sens des mots comme objet de la traduction, mais la fonction du langage dans le texte, son éventuelle relation au support et l’impact que l’élément traduit doit avoir sur le récepteur.

Ballard 2003 : 84-85

Pour Ladmiral, ce « concept d’effet mérite d’être considéré comme un concept-clé de la traductologie » (Ladmiral 2006 : 136). Pour un rendu authentique, il est essentiel que le lecteur ou récepteur du TA puisse éprouver les mêmes sensations que le lecteur du TD, puisse ressentir le même effet que celui produit par les composantes orale, visuelle ou rythmique du mimétique d’origine, somme toute de sa poétique.

Pour ce faire, ne faudrait-il pas faire appel à un terme d’origine expressive, soit à un mimétique ? Nous avons vu que la démarche consistant à substituer à un mimétique un mimétique primaire français était peu adéquate sur le plan stylistique. En revanche, ce n’est pas le cas des mimétiques secondaires, davantage intégrés dans le lexique.

Aussi, afin de restituer le trait musical des onomatopées, nous prônons le recours à une onomatopée secondaire, ce que font déjà certains traducteurs, mais peut-être trop rarement (tableau 1 et exemple 24).

Tableau 1

Recours à une onomatopée secondaire pour traduire les exemples 10 à 13

Recours à une onomatopée secondaire pour traduire les exemples 10 à 13

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Les onomatopées secondaires vrombissement (<vroum <broum), laper (<lap-), klaxonner et déglutir (<glouglou) traduisent la même sonorité que les onomatopées primaires schlap schlap, glouglou, pouet pouet et broum broum des exemples précédemment cités mais, de plus, traduisent la composante musicale de l’onomatopée d’origine pour un texte appartenant au registre de la langue écrite.

À défaut d’onomatopée secondaire, on peut recourir à ce que Ballard (2003 : 123) nomme mot-signe, c’est-à-dire un terme aux sonorités suggestives, mais fortuites (termes non imitatifs). Ainsi, si le mimétique salgeum-salgeum peut être traduit par l’adverbe doucement ou par la locution adverbiale à pas de loup, la locution à pas feutrés (mot-signe) y ajoute des sonorités suggestives. De même, rire à gorge déployée (exemple [17]) pourrait être aussi traduit par les mots-signes s’esclaffer ou rire aux éclats ou encore éclater de rire dont les sonorités sont davantage musicales. Nous apprécions donc une traduction telle que celle de l’exemple (25), où kkal-kkal ut(da) (rire) a été rendu par glousser.

Pour les mêmes raisons, dans l’exemple (15), le mot-signe baragouiner rendrait non seulement le sens, mais aussi l’effet sonore (ainsi que la connotation péjorative et familière) de l’onomatopée swalla swalla.

Répétons-le, si l’omission des onomatopées (dont la valeur indicielle est moindre que celle des idéophones) ne nuit pas toujours au sens, elle appauvrit cependant le texte, car elle ne rend pas la subtilité, l’effet sonore ou musical du mimétique d’origine.

Dans l’exemple (26), le rendu de l’onomatopée aeng est absent ; mais il aurait été plus fidèle avec le mot-signe hurlement. Dans (27), le mot-signe martèlement, ainsi que le choix lexical de talons-aiguilles, associé à l’étoffement sur le pavé, permettrait également de mieux visualiser et de faire entendre au lecteur l’image phonético-visuelle de l’onomatopée ttak ttak ttak ttak du texte source. L’effet qu’induit l’onomatopée d’origine serait ainsi parfaitement ressenti par le public d’accueil.

En outre, un terme aux sonorités suggestives (onomatopée secondaire ou mot-signe) permettrait, mieux que le report, de rendre le trait musical des onomatopées d’origine et, surtout, serait plus facilement appréhendé par le lecteur.

Dans les passages ci-dessus, même si le report, grâce au contexte, n’entrave pas la compréhension, les onomatopées coréennes se feraient mieux entendre d’un lecteur francophone si on les traduisait respectivement par dans un crissement aigu de freins, en grinçant, crépitement et tambourinement.

Dans le cas de l’idéophone, afin d’en traduire toute la poésie, comment restituer, outre sa musicalité, son effet visuel ? Selon Jeong, seul le report permet d’y parvenir :

Un effet visuel se dégage souvent aussi du son : « Sur son front, des gouttes de sueur se formaient songol-songol. »

Jeong 2004 : 23

Cependant, la force de visualisation d’un mot-signe tel que perler sera plus efficace aux yeux du récepteur francophone que celle de l’idéophone songol-songol. C’est pourquoi nous proposerions la traduction suivante : « Sur son front perlaient des gouttes de sueur. »

Dans (31), l’idéophone umjjil, qui suggère un mouvement de recul lié à la surprise ou à la peur, est absent :

Les mots-signes tressauter, tressaillir ou encore bond auraient pu permettre à la fois de rendre le sens, la musicalité et les images contenus dans umjjil. De même, nous préférons rendre 적병으로 빽빽한(ppaek-ppaek-han) 트럭 한 대 par un camion bondé (mot-signe) de soldats que par un camion surchargé de soldats (exemple [9]).

Lorsqu’un mimétique est à la fois onomatopée et idéophone – difficulté supplémentaire –, comment rendre le plus fidèlement possible ses effets sonore et visuel ?

Du mimétique pu-pu se dégagent à la fois le bruit et l’image des jets de vapeur d’une vieille locomotive qui démarre avec difficulté. L’onomatopée secondaire crachoter combinée avec le mot-signe haleter et avec l’idéophone secondaire bouffée (<buff-, idéophone évoquant le gonflement) permettent ici de pallier cette difficulté, et de personnifier la vieille locomotive comme le requiert le texte d’origine.

Conclusion

Il ne convient pas ici de trancher entre les différentes formes de traduction des mimétiques coréens en français. Chaque stratégie présente avantages et inconvénients dans des registres bien précis. La bonne transcription est donc celle qui servira au mieux le but recherché. Elle est le résultat d’un savant dosage des différents ingrédients proposés plus haut. Abstraction faite de l’omission, sur la règle graduée qui va du report pur et simple à l’équivalence indirecte sémantique, en passant par le littéralisme, on déplace un curseur imaginaire en fonction de la cible à atteindre. La finalité est-elle la reproduction au plus près d’un document ? Alors le curseur sera placé tout à gauche de la règle, le style en sera difficile, indigeste pour les Français et la lecture réservée à une poignée d’initiés. La finalité est-elle la diffusion dans le monde entier d’un document à caractère journalistique ? Le curseur, placé à l’extrémité opposée, produira un texte accessible à tous, mais qui aura certes perdu de son âme. Ne conviendrait-il pas d’harmoniser le dosage de ces épices dans un même récit, suivant la teneur du passage, sa charge émotionnelle, sa situation dans le temps ou dans l’espace ? On peut imaginer que le traducteur aura atteint son but lorsqu’il sera parvenu à restituer, dans une langue plus sonore, imagée et expressive qu’il n’y paraît, toute la saveur du texte d’origine et qu’il aura donné à son lecteur l’envie d’aller plus avant dans la découverte de la culture du pays. Imprégnons-nous de la petite musique, discrète mais toujours présente. C’est elle qui nous portera vers l’envie d’en connaître les paroles.