Courrier des lecteurs

« Faut-il être juriste ou traducteur pour traduire le droit ? » : contribution au débat[Notice]

  • Christiane Bélanger,
  • Sandra Douyon-de Azevedo,
  • Nicole Michaud et
  • Claire Vallée

À titre de juristes-traducteurs, nous avons lu avec beaucoup d’intérêt l’article de Judith Lavoie publié dans le numéro 48-3 et il nous est apparu important de réagir à ce qui nous semble être une perception trop étroite de ce qu’est la traduction juridique. Les conclusions qui y sont énoncées pourraient en effet avoir des conséquences sérieuses sur la formation et les exigences d’emploi dans ce domaine, ainsi que sur la qualité et la fiabilité des textes de nature juridique traduits. Le titre laisse entendre que l’article porte sur la traduction du droit en général (« traduire le droit »). Or, on constate à la lecture que l’expérience d’enseignement et les exemples qui servent l’argumentation se limitent en grande partie au domaine des valeurs mobilières et des sociétés. Certes, ce domaine du droit occupe une bonne part du marché de la traduction juridique, mais ce n’est qu’un domaine parmi d’autres. Formuler une argumentation sur la formation en traduction juridique en fonction de ce seul domaine équivaut à laisser dans l’ombre tout ce qui touche au droit dans son ensemble et sa réalité, notamment le domaine judiciaire (les décisions des différents tribunaux), contractuel (contrats et traités) et législatif (lois et règlements), ainsi que la doctrine (ouvrages juridiques) et différents textes d’interprétation (opinions juridiques, études, conférences….) dans de nombreux champs de spécialité et dans le contexte du bijuridisme canadien. Il faut par ailleurs noter que, en règle générale, dans ce secteur particulier de la traduction juridique qu’est le droit des valeurs mobilières (où les textes revêtent d’ailleurs un caractère plus financier que juridique), les textes traduits par des traducteurs qui ne sont pas juristes sont révisés par des avocats. Notre formation et notre pratique de la traduction dans tous les domaines du droit nous amènent à soutenir que la connaissance du droit est essentielle à la traduction juridique, en sus évidemment d’une formation linguistique. Nous reconnaissons volontiers que tout avocat ou notaire n’est pas apte à la traduction juridique du seul fait qu’il possède un diplôme en droit (« ex officio », comme le dit Jean-Claude Gémar) ; il lui faut acquérir la « valeur ajoutée » des connaissances d’ordre linguistique. Inversement, il est certes possible, à partir d’une formation de base en traduction, d’acquérir la « valeur ajoutée » des connaissances d’ordre juridique, dans la mesure où ces connaissances sont substantielles et ne se limitent pas à un seul domaine du droit ou à quelques notions spécialisées. Le traducteur dont les connaissances juridiques se limitent au domaine des valeurs mobilières et à un aperçu du système juridique canadien et québécois est davantage un traducteur spécialisé en valeurs mobilières qu’un traducteur juridique. Le droit est constitué d’un ensemble complexe de notions et d’éléments puisés à différentes sources (principes de droit, constitution, lois, règlements, traités internationaux, doctrine, jurisprudence, maximes) et dans lequel l’interprétation ne dépend pas que des mots, mais de la portée des mots dans un contexte juridique qu’il importe de bien connaître. En d’autres termes, comment le traducteur pourrait-il soupçonner un autre sens que celui qui lui paraît approprié s’il ignore la possibilité d’une ambiguïté d’ordre juridique ? Comment pourrait-il traduire correctement un raisonnement dont il ignore les fondements ? À titre d’exemple, pourquoi ne pas simplement traduire « contract of services » par « contrat de services » et « contract for services » par « contrat pour services » si on ne connaît pas l’importance fondamentale de cette distinction en droit du travail  ? Pourquoi ne pas traduire simplement « information » par « renseignements » en droit criminel sans évaluer la possibilité qu’il s’agisse plutôt, dans un contexte …

Parties annexes