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Lombez, C. (2003) : Transactions secrètes. Philippe Jaccottet, poète et traducteur de Rilke et Hölderlin, Arras, Artois Presses Université, 182 p.[Notice]

  • Roger Goffin

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  • Roger Goffin
    Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique

Par quelle mystérieuse alchimie deux poètes allemands des siècles passés, d’une part, Friedrich Hölderlin (1770-1843), et, d’autre part, Rainer Maria Rilke (1875-1926), ont-ils pu marquer d’une empreinte indélébile l’écriture fictionnelle du poète vaudois contemporain Philippe Jaccottet ? Réponse : par la traduction française de ces deux auteurs, que le Suisse a pratiqué tout au long de son propre parcours littéraire. L’impact des oeuvres traduites sur ses créations personnelles est considérable ; en effet, sa création plonge des racines profondes dans le « terreau intellectuel » qu’il a su mettre au jour dans les écrits, comme le formule l’auteure. Christine Lombez, normalienne, agrégée et docteur, nous livre dans son ouvrage Transactions secrètes, (c’est le titre, mis au pluriel d’un recueil de textes de Jaccottet, paru en 1987), les résultats d’une étude très fouillée sur la nature complexe des échanges « secrets » qui s’opèrent entre l’oeuvre créatrice du poète – traducteur suisse et ses traductions de Rilke et Hölderlin. De tout temps, les poètes ont entretenu un rapport privilégié avec la traduction : les liens qui existent entre les deux activités, sans avoir été pour autant à chaque fois formalisés, sont au coeur d’une même démarche. L’auteure met en perspective l’étroite relation dialogique du poète créateur et des oeuvres traduites et recherche les traces objectives laissées dans l’écriture poétique par les auteurs traduits. Elle met en lumière à la fois Jaccottet traducteur, ses conceptions de la traduction et la place que celle-ci occupe dans ses procédés créatifs. Dans un chapitre liminaire très dense, l’auteure rappelle à grand renfort de citations, trop souvent de seconde main (via A. Berman), les controverses séculaires autour du littéralisme, des belles infidèles, et les apports de l’école allemande de traduction. À l’inverse des traductions « enjolivantes » et « ethnocentriques » à la française, l’école allemande fit jouer à la traduction, à travers le concept de Bildung un rôle fondamental dans la formation de la langue. La traduction comme transformation et transposition créatrice a pour la langue un effet à la fois enrichissant et dynamisant. Leur thèse se résume comme suit : seule la traduction permet un recul suffisant par rapport à la « vision interne globale » de l’oeuvre. Se prévalant d’un nouveau rapport qui s’institue entre l’homme et le langage, la traduction devient, comme plus tard chez Heidegger, partie intégrante de la réflexion philosophique. Cette école fonde l’hypothèse suivant laquelle traduire le réel en mots pose les mêmes problèmes que traduire d’une langue à l’autre. « Avant d’être » colporteur de poésie et « poète nautonier », l’écrivain suisse s’est profilé comme traducteur (activité purement alimentaire), notamment par une nouvelle version française La mort à Venise de T. Mann. En prêtant ainsi sa voix à d’autres, Jaccottet a réellement accédé à la parole poétique (p. 58), sa première traduction coïncidant avec Requiem son premier recueil, publié en 1947. Ses auteurs de prédilection ont été R. Musil, R.M. Rilke, F. Hölderlin et I. Bachmann, pour l’allemand ; Le Tasse, Leopardi et Ungaretti pour l’italien ; Gongora pour l’espagnol et Platon et Homère pour le grec. Jaccottet n’a pourtant jamais théorisé ni formalisé sa pratique si ce n’est dans les préfaces, postfaces ou notes occasionnelles. Pour lui, la traduction est une religion, c’est-à-dire une activité qui relie, qui met en contact des voix entre elles par delà la langue. Dans le chapitre « Apprentissage de la poésie », C. Lombez montre que, dès l’adolescence, l’influence de Rilke est patente ; le premier texte traduit remonte à 1949 et dans Transactions secrètes il regrette les insuffisances de la traduction française des Élégies de Duino dans la …