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Cet ouvrage est édité par quatre professeures de l’Université de Vigo qui sont aussi membres du groupe de recherche BITRAGA[1] (Bibliothèque de traduction galicienne) et dont l’activité investigatrice est centrée sur la traduction littéraire. Ce livre s’inscrit dans une certaine continuité d’éditions antérieures, en 2012 et 2015, consacrées elles aussi à la traduction littéraire (Fernández Rodríguez, Galanes Santos, et al. 2012 ; Luna Alonso, Fernández Rodríguez, et al. 2015). Une continuité toutefois relative puisque ce livre, même s’il traite du contexte galicien déjà abordé dans les éditions précédentes, s’ouvre plus largement aux recherches en traduction littéraire au cours de ces dernières années au sein de l’État plurilingue espagnol.

Ce sont au total quatorze chapitres qui rendent compte de la situation de la traduction littéraire en Espagne, précédés d’un prologue de Francisco Lafarga. Tant l’introduction, qui permet en quelques paragraphes d’appréhender l’ouvrage dans son contexte, que la conclusion, sont rédigées par les directrices qui participent aussi aux chapitres de ce livre. Le lecteur pourra aborder une lecture divisée en trois ensembles de chapitres. Le premier ensemble permet une révision et une actualisation des principales théories et outils nécessaires à la recherche en traduction littéraire. Le second propose différentes analyses de la traduction littéraire au sein du plurisystème linguistique espagnol. On y trouve ainsi le cas du catalan, de l’aranais[2], du galicien et du basque au cours de ces trente dernières années. Enfin, le troisième ensemble est une présentation de plusieurs études de cas concernant différents genres et sous-genres littéraires.

Dans le premier chapitre, Luis Pegenaute fait état de la traduction littéraire et aborde une tentative de définition. Sa réflexion se prolonge sur les relations entre création et traduction ainsi que sur le tournant culturel des études de traduction. Mais l’auteur se penche davantage sur les approches sociales. Il rappelle ainsi les théories de Bourdieu et de Latour et Caillon évidemment incontournables. D’autres approches auraient été aussi dignes de mention, par exemple la notion de « métissage » dans l’approche sociale chez Alexis Nouss et François Laplantine. Pegenaute aborde en fin de chapitre l’approche historienne et stylistique, et ouvre le débat sur la littérature universelle. Il pose ainsi les bases théoriques sur lesquelles reposeront les différents chapitres de ce livre.

Ana Luna présente dans le deuxième chapitre toute une série d’outils en ligne et de libre accès, utiles aux recherches en traduction littéraire. Puis dans un deuxième temps, l’auteure s’attache de plus près à présenter et analyser le Catálogo da Tradución Galega[3], mis en oeuvre par le groupe Bitraga dont elle fait partie. Les outils qu’elle présente sont regroupés en trois catégories : bibliothèques numériques, catalogues virtuels et bases de données. Ces outils ne présentent pas seulement des originaux et leur traduction mais aussi des informations contextuelles (références du traducteur/de la traductrice, prix littéraires, éditeur, etc.) qui permettent d’effectuer des recherches plus spécialisées.

C’est d’ailleurs grâce à ces outils et à leurs informations contextuelles que Silvia Montero Küpper aborde, dans le chapitre suivant, les politiques pour la traduction de textes littéraires. Dans un premier temps, l’auteure fait état de considérations théoriques à prendre en compte lorsque l’on aborde le concept et la fonction des politiques de traduction concernant les textes littéraires. Puis, dans un deuxième temps, elle fait état des prix et subventions accordés aux traducteurs ou à des projets de recherche, tant sur le plan européen que sur le plan de l’État espagnol et de ses communautés autonomes. L’auteure arrive à la conclusion que si les aides sont de même nature pour l’Union européenne, pour l’Espagne et ses communautés autonomes, l’objectif poursuivi est différent. Pour l’une, il s’agit de promouvoir la découverte des cultures qui la composent, pour les deux autres, il s’agit d’accumuler un capital culturel. Dans la même ligne, c’est-à-dire l’exploitation des données contextuelles, María del Carmen Vilariño s’intéresse aux foires internationales pour analyser les stratégies géopolitiques et culturelles de certains pays ou régions autonomes comme l’Argentine, le Brésil et la Catalogne. Ces foires sont autant d’occasions pour l’auteure d’analyser et de comprendre les relations de pouvoir entre les participants, avec comme toile de fond la production littéraire, ses traductions et ses échanges. Enfin, pour clore ce premier ensemble, le cinquième chapitre, rédigé par Áurea Fernández Rodríguez, porte sur le traducteur. Initiateur et révélateur des oeuvres étrangères et souvent invisible, l’auteure le définit comme agent culturel importateur. Il s’agit dans ce chapitre de présenter l’évolution du profil de ce professionnel de la traduction littéraire depuis les années 1960 jusqu’à nos jours concernant les quatre langues de l’État espagnol : le castillan, le catalan, le galicien et le basque. À cet ensemble il manque peut-être un outil d’analyse important et sans doute désormais incontournable à l’Université de Vigo, soit la notion de paratraduction (Yuste Frías 2015). Cette notion aurait permis aux auteurs de définir le traducteur comme agent paratraducteur ou les foires internationales comme événements épitextuels. Une approche scientifique somme toute novatrice mais dont les applications théoriques et pratiques enrichiraient les recherches en traduction littéraire.

Le deuxième ensemble regroupe les chapitres six à neuf, où est analysée la traduction littéraire dans l’État espagnol ainsi qu’en Catalogne, Galice et au Pays basque de 1980 à 2015. Sur cette période, Carmen Francí Ventosa dresse un bilan plutôt optimiste pour l’État espagnol ; des maisons d’édition aux traducteurs l’évolution est positive. L’auteure met en relief la professionnalisation des traducteurs, la création d’associations et la définition d’un cadre légal pour la protection des professionnels de la traduction et des droits d’auteur. Les trois chapitres suivants qui clôturent le deuxième ensemble de l’ouvrage présentent la situation de la traduction littéraire dans les trois langues principales périphériques du territoire espagnol, le catalan, le galicien et le basque. Ainsi, Pere Comellas commente d’une part, pour le catalan, l’importance de la littérature d’enfance et de jeunesse (LEJ). D’autre part, il fait état de la différence entre intratraduction et extratraduction où la première est la plus importante, un symptôme, selon l’auteur, du déséquilibre des échanges pour les langues et cultures périphériques. Dans le cas du galicien, Iolanda Galanes Santos analyse la situation en termes d’intratraduction et extratraduction. Pour la LEJ, l’auteure souligne qu’un certain équilibre a été atteint et que l’innovation est un facteur déterminant pour la répercussion des oeuvres littéraires galiciennes vers d’autres langues. Pour clore ce deuxième ensemble, Elizabete Manterola Agirrezabalaga apporte une vision du développement de la traduction littéraire au cours des trente-cinq dernières années au Pays basque. Au fil des années, l’augmentation des ouvrages édités en langue basque est allée de pair avec l’augmentation des oeuvres traduites en basque. Dans cette communauté autonome, la traduction directe revêt plus d’importance que la traduction indirecte et en ce qui concerne les genres littéraires, la LEJ, tout comme en Catalogne et en Galice, est la plus traduite et celle pour laquelle le système littéraire espagnol se place comme référent (p. 201).

C’est précisément la littérature d’enfance et de jeunesse qui est l’objet d’étude du premier chapitre du dernier ensemble qui concerne les genres littéraires. En effet, Isabel Pascua Febles s’intéresse aux traductions de la LEJ sur la période 2006-2014. L’auteure constate une augmentation des ouvrages publiés en catalan, galicien ou basque. D’un point de vue plus social, Isabel Pascua constate le rôle de médiateur interculturel du traducteur par rapport aux thématiques sociales et actuelles qui sont abordées dans la LEJ. L’auteure mène sa réflexion finale sur la participation du traducteur à l’éducation des plus jeunes lecteurs et aux valeurs éthiques qui leur sont transmises. Pour sa part, Esther Morillas se penche sur le roman policier contemporain à travers quatre études de cas. C’est un genre littéraire en grande partie importé et qui occupe une place importante dans la littérature traduite. L’auteure commente que le roman policier s’est consolidé et que le nombre de collections a drastiquement augmenté. Le lecteur est fidélisé par l’édition en série d’intrigues et d’investigations policières menées par un personnage principal qu’il reconnaît à travers des traits de caractère spécifiques et sur lequel il pourra peut-être mettre un visage si l’oeuvre littéraire consolidée aboutit à une diffusion télévisée. Au chapitre douze, Nuria Brufau Alvira aborde la littérature de genre et postcoloniale. L’auteure constate qu’il est difficile de définir concrètement ce qu’est aujourd’hui la réalité postcoloniale pour la littérature chicana, de même que pour la littérature du genre. Telle est la difficulté que doit affronter le traducteur de ce type de littérature. Nuria Brufau s’appuie sur des exemples de traduction pour affirmer que le traducteur doit dans ces cas posséder une connaissance approfondie des réalités présentes dans l’oeuvre originale et faire preuve d’ouverture d’esprit pour arriver à traduire la diversité et la différence. Dans l’avant-dernier chapitre, María do Cebreiro Rábade Villar aborde la traduction de la poésie dans trois langues minoritaires de l’État espagnol, le galicien, le basque et le catalan, de 2010 à 2015. L’auteure constate, d’une part, que les échanges littéraires entre ces trois langues sont peu nombreux et asymétriques. D’autre part, que les effets des difficultés économiques sur le mode d’édition classique ont pour conséquence l’augmentation de la microédition et des initiatives de rénovation poétique soutenues par des maisons d’édition de moindre envergure. Enfin, pour clore ce troisième ensemble de chapitres, Manuel F. Vieites présente un modèle d’analyse pour la traduction d’oeuvres dramatiques en Espagne. Ce modèle permettrait selon l’auteur une systématisation de l’étude des oeuvres théâtrales traduites. Vieites constate en effet qu’une analyse complète doit prendre en compte non seulement le texte, mais aussi les circonstances ainsi que les lecteurs ou les spectateurs concernés par l’oeuvre finale. L’auteur constate que dans les systèmes périphériques de l’État espagnol et plus précisément le catalan, le galicien et le basque ce sont les oeuvres classiques qui prédominent au détriment des nouveautés et de l’innovation.

Pour conclure, cet ouvrage constitue un apport quant aux théories et outils disponibles actuellement pour les recherches en traductions littéraires. On constate d’une part que les systèmes périphériques sont soucieux de l’accumulation de leur capital littéraire et de l’exportation de leur littérature propre mais que les échanges entre eux sont encore limités. D’autre part que des aspects apparemment extérieurs mais aux effets probants sont à prendre en compte, comme l’économie, la culture et le social. Vietez affirme d’ailleurs au chapitre XIV que « dans une étude qui se veut systématique on ne peut renoncer à tout ce qui est périphérique, marginal ou alternatif pour le seul bénéfice des canons traditionnels. Parfois, il peut y avoir autant de vie en marge qu’au centre. » Voilà sans doute une affirmation qui renvoie à la notion de paratraduction que nous évoquions plus haut. Une notion qui pourrait faire l’objet d’une autre édition concernant les recherches en traduction littéraire, un champ de recherches vaste et complexe, très bien ébauché dans cet ouvrage.