Documentation

Bougeard-Vetö, Marie-Élisabeth (2005) : Chateaubriand traducteur. De l’exil au « Paradis perdu ». Paris : Éditions Honoré Champion, 818 p.[Notice]

  • François St-Jacques

…plus d’informations

  • François St-Jacques
    Université Laval, Québec, Canada

François-René de Chateaubriand (1768-1848) a publié en 1836 sa traduction de Paradise Lost de John Milton (1608-1674). Le volumineux ouvrage recensé ici est tiré d’une thèse de linguistique soutenue à l’Université de Paris IV en 2000 par Marie-Élisabeth Bougeard-Vetö, qui a procédé à une analyse minutieuse de cette traduction et montré son importance dans l’oeuvre de l’écrivain français. Son corpus est constitué des premières traductions de Chateaubriand, écrites alors qu’il était en exil et de sa traduction de Paradise Lost de 1836. L’auteure décrit comment celui-ci a découvert les oeuvres des écrivains qu’il a traduits. L’anglomanie qui régnait alors en France, ses voyages en Angleterre et son attirance pour la littérature étrangère expliquent en partie sa décision de traduire des oeuvres anglaises. Le choix, plus étonnant, de traduire Milton tient aux affinités que Chateaubriand partageait avec l’auteur anglais sur les plans littéraire et politique ainsi qu’au merveilleux chrétien qui imprègne Paradise Lost. Chateaubriand avait, cependant, quelques réserves par rapport à l’esthétique du poète anglais. Catholique et royaliste, il n’adhérait pas non plus au puritanisme ni à l’attitude antimonarchique de Milton. Ces divergences de vues ressortent des premiers extraits traduits qui ont paru dans le Génie du christianisme. Marie-Élisabeth Bougeard-Vetö a toutefois un point de vue nuancé sur la question et formule quelques réserves sur ce que Chateaubriand prétend avoir fait et sur ce qu’il a fait réellement. Elle décrit la manière dont le traducteur percevait le chantre d’Éden. En s’appuyant sur divers passages de l’Essai sur la littérature anglaise et d’autres écrits de Chateaubriand, elle montre que le style du traducteur s’est modifié vers la fin de sa vie à la suite de la traduction de Paradise Lost. Elle soutient que l’auteur des Mémoires d’outre-tombe aurait trouvé chez Milton ce qui lui manquait pour réaliser le poème épique chrétien dont il rêvait. Milton aurait réussi ce que Chateaubriand a été incapable d’accomplir. Toute sa vie, ce dernier a scruté l’oeuvre de Milton. L’auteure s’interroge ensuite sur l’influence de la traduction de Chateaubriand et remet en question la césure historique entre l’époque des belles infidèles et celle de la traduction littérale, césure qui aurait eu lieu vers 1815 ou 1830. Elle rappelle que nous disposons de peu d’informations précises sur le sujet, que la méthodologie des études historiques en traduction est déficiente, que les renseignements sur lesquels on se fonde pour établir cette césure sont surtout tirés de préfaces d’auteurs et de traités sur la traduction et non des traductions elles-mêmes et, enfin, que la manière de traduire n’était pas homogène, comme le prouve la traduction de Paradise Lost de Chateaubriand. Il reste qu’en histoire, croyons-nous, la périodisation a son utilité et n’indique pas toujours un changement radical ; elle peut servir à marquer l’apparition d’une nouvelle tendance, en l’occurrence une nouvelle façon de traduire, comme ce fut le cas au début du xixe siècle. En situant la traduction de Chateaubriand dans le temps, l’auteure montre que cette traduction n’a pas été aussi révolutionnaire que son auteur le pensait, lui qui voulait frapper l’imaginaire de ses lecteurs par une version très littérale. Sa traduction a néanmoins connu un large rayonnement, a été le sujet de nombreuses critiques – certaines élogieuses, d’autres vitrioliques –, et tous les traducteurs ultérieurs ont mentionné dans leur préface la traduction de Chateaubriand. Rares, toutefois, sont ceux qui ont commenté autre chose que ses Remarques sur la traduction. Ce qui, par contre, est nouveau dans le cas de Chateaubriand est l’humilité, l’effacement du traducteur devant le texte original. L’auteure de Chateaubriand traducteur a raison de mettre en évidence …

Parties annexes