Présentation[Notice]

  • Sylvie Vandaele

Le fil thématique du présent numéro s’enroule autour de la question, fondamentale et inépuisable, de la tension entre universalité et spécificités culturelles, dont les manifestations apparentes sont multiples : politique, pouvoir, idéologie, mondialisation… Les dimensions cognitives de l’acte chez le sujet traduisant ou interprétant sont elles-mêmes soumises à ces tensions, qui se résolvent par l’échec ou le succès de l’expression orale ou écrite. Il n’est pas jusqu’aux noms du vivant qui y échappent, dans la confrontation entre nomenclatures internationales et dénominations vernaculaires. La citation de la quatrième de couverture du numéro rappelle que la pratique de la traduction est souvent indissociable des dimensions idéologiques ou politiques qui accompagnent l’acte de communication. La pertinence de ces thèmes persiste, pour analyser autant le passé que le présent. Ainsi, la traduction peut-elle se faire outil au service d’une politique d’État ayant des objectifs de développement et d’intégration internationale (Aksoy) ou vecteur de la représentation particulière d’un pays à l’étranger (Jenn). Elle peut se faire le support d’une hégémonie culturelle et économique, via les influences de la mondialisation (Zethsen), ou au contraire l’avocate des spécificités culturelles, et tout au moins le lieu de la négociation entre cultures (Zethsen, Santamaria, Iwuchkwu, Dinçkan, Thawabteh). Se profilent donc, sous-jacentes à ces problématiques, les questions d’identité et de métissage des cultures, là aussi un autre thème en vogue ces dernières années. Faut-il inclure les dénominations du vivant (les arbres, dans le cas de l’article de Beaulieu et Grandtner) dans les spécificités culturelles ? Si les nomenclatures internationales cherchent à normaliser les noms afin de faciliter les échanges entre scientifiques de tout pays, il n’en reste pas moins que les noms populaires des espèces – animales, végétales – reflètent certaines de leurs caractéristiques, ce qui explique la nécessité de les recenser et de normaliser une dénomination dans la langue. Les dénominations autant que le discours – le second étant, en quelque sorte, « l’habitat naturel » des premières – portent la représentation du monde des groupes culturels et sociaux. Cette question de la représentation de la réalité établit ainsi le lien avec les aspects cognitifs sous-jacents, désormais incontournables, de la pratique autant que de l’apprentissage. Plusieurs articles s’intéressent à d’autres discours que le littéraire traditionnel : certes sont abordées des oeuvres classiques africaines (Iwuchukwu), mais aussi la fiction populaire (Dinçkan) et la littérature pour les enfants (Mussche et Willems]). La problématique des oeuvres télévisuelles (sitcoms ; Santamaria) et et cinématographiques (Thawabteh) est abordée sous l’angle du doublage pour les premières et du sous-titrage pour les secondes. Le discours politique (Jenn) est quant à lui un genre particulier, en raison de ses dimensions communicatives, en particulier rhétoriques. Dans ces différents contextes, ce n’est pas la dénotation qui est importante, mais bien le pouvoir évocateur, connotatif, du discours, dans ce qu’il a de ludique ou de sérieux, en passant par le mythologique, voire le spirituel ou le religieux. Autant dire que nous sommes ici dans le domaine du subjectif, du sujet auteur, du sujet traducteur ou interprète, et bien sûr du sujet récepteur. Or, l’idée de sujet amène tout naturellement à se préoccuper, là encore, des dimensions cognitives mobilisées chez celui-ci, et qui sont évoquées dans plusieurs travaux : le « vouloir dire » cher à l’école du sens est convoqué par Iwuchukwu, tandis que Santamaria souligne la fonction associative des référents culturels chez le public cible des sitcoms – ce qui pourrait être appelé, par un jeu de miroir, le « pouvoir comprendre ». C’est pourtant la compréhension des référents culturels qui reste la pierre d’achoppement des étudiants en traduction (Bahumaid), et la langue de l’étranger …