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Il s’agit ici de la troisième édition du manuel déjà édité en 2008 et 2010. L’auteur, Mathieu Guidère[1], docteur en linguistique de la Sorbonne, a été professeur en islamologie et pensée arabe à l’Université de Toulouse 2 et en traductologie et veille stratégique multilingue à l’Université de Genève. Actuellement, il est professeur à l’Université de Paris 8 en Civilisations et islamologie. Nous pouvons donc le situer dans un cadre francophone européen.

La collection Traducto a pour objectif l’élaboration de manuels pédagogiques dans le domaine de la traduction. Le public cible est composé d’étudiants universitaires et de professionnels du domaine. Cette troisième édition constitue la mise à jour des deux précédentes.

Ce manuel suit le format caractéristique de la collection Traducto. Il est composé de dix chapitres, chacun suivi de trois rubriques complémentaires. Dans la rubrique Faites le point, on reprend les idées principales véhiculées dans chaque chapitre. Pour aller plus loin est une rubrique dans laquelle des sources complémentaires sont suggérées pour approfondir les connaissances dans le domaine. Pour compléter le tout, la rubrique Testez vos connaissances propose une série de questions qui peuvent servir de point de départ pour l’évaluation de la compréhension de chaque chapitre, ce qui renvoie à la dimension didactique et pédagogique de cette collection. Un des aspects saillants de la collection réside dans les encadrés qui mettent en valeur les aspects clés du domaine et contribuent à approfondir certains points importants du sujet traité. La Bibliographie sélective, l’Index des auteurs, l’Index des notions, et la Table des matières permettent aussi une consultation aisée du livre.

L’Avant-propos présente l’ouvrage, les objectifs ainsi que les limites de celui-ci. Dans l’Introduction, Guidère dresse un portrait général de la traductologie. Le premier chapitre aborde la définition de traductologie, sa « naissance », les actuelles appellations de cette discipline à caractère interdisciplinaire, ainsi que la délimitation de son champ d’étude. Une des singularités de la traductologie est qu’elle a acquis son autonomie en tant que discipline en partant des pratiques traductionnelles, pour ensuite en arriver à la théorisation. En effet, le cadre théorique de cette discipline empirique s’est construit à partir de l’observation, de l’élaboration d’hypothèses et de la vérification de celles-ci.

La première partie du chapitre 2 survole l’histoire de la traduction qui, comme les autres histoires, ne correspond pas à une réalité figée, mais dépend plutôt des interprétations des auteurs. L’auteur décrit ensuite les moments clés de l’histoire de la traduction (la traduction à Bagdad, à Tolède…) en suivant un ordre chronologique. Le reste de ce chapitre adopte un ordre thématique ; l’auteur y présente différentes visions de la traductologie fondées sur des oppositions binaires (théorie versus pratique, traduisible versus intraduisible, etc.). Les chapitres 3, 4 et 5 sont consacrés à la théorie de la traduction : on y survole différents problèmes, approches et théories auxquels la traductologie tente de répondre.

Dans les chapitres suivants (6, 7, 8, 9 et 10), l’auteur illustre différentes applications de la traduction et de la traductologie. Le chapitre 6 aborde l’interprétation, ses liens et différences avec la traduction, et le débat de son appartenance à la traductologie ou de son statut de discipline autonome. L’auteur présente en outre l’histoire de l’interprétation de conférence selon la perspective de Daniel Gile[2], professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Au début du chapitre 7, Guidère renvoie à l’aube de la pédagogie de la traduction (1941-1962), avant d’exposer la pensée de Waard et Nida (1986) sur l’enseignement de la traduction, et de revenir en arrière pour nous présenter l’approche contrastive de Vinay et Darbelnet (1958). L’auteur propose alors une série de recommandations pédagogiques : selon lui, la formation doit inclure la spécialisation, l’analyse et la critique des traductions, et les technologies de l’information et de la communication (TIC). Le chapitre 8 est consacré aux champs d’intervention du traducteur, qui se sont élargis au fil du temps : les dernières années ont été marquées par l’essor de la traduction audiovisuelle et de la localisation. Dans le chapitre 9, l’auteur parcourt les champs d’application de la traductologie. On découvre, entre autres, la « traductique », soit l’application de l’informatique à la traduction. Celle-ci a permis de développer des outils comme les mémoires de traduction, les concordanciers, les systèmes de gestion de bases de données (SGBD), les systèmes de gestion de bases de données terminologiques (SGBDT), les dictionnaires électroniques, etc. Le dernier chapitre examine la traduction automatique (T.A.) dont l’auteur retrace l’histoire. L’ouvrage finit sur une conclusion où l’auteur offre sa vision de la traductologie dans un monde multiculturel, multilingue et de plus en plus informatisé.

On peut trouver dans cette troisième édition certains ajouts par rapport à l’édition précédente :

  • la version numérique de ce manuel à laquelle on a accès grâce à un code situé au dos de la page couverture, pour une durée d’un an à partir de la date d’activation ;

  • la rubrique Jalons dans l’histoire de la traduction, dans laquelle l’auteur présente plusieurs moments clés de l’histoire de la traduction, par ordre chronologique (p. 22-23) ;

  • la rubrique Les types de traduction (p. 103) ainsi que l’encadré Les types de traduction technique selon Gouadec (p.104) ;

  • la rubrique L’enseignement à distance de la traduction (p. 124-126) ;

  • la rubrique Les traducteurs en ligne (p. 157-158).

Ce manuel est un outil de choix principalement pour les étudiants comme complément à d’autres ouvrages de référence. La présentation facilite la consultation de l’ouvrage : petit format, index des auteurs, index des notions, table des matières. De plus, les trois rubriques à la fin de chaque chapitre servent à approfondir et à réviser les connaissances, même si dans la rubrique Pour aller plus loin, la bibliographie est en définitive assez sommaire. En effet, malgré son objectif déclaré de mettre à jour le portrait des recherches actuelles en traductologie, l’auteur laisse quelques zones d’ombre et des lacunes. Par exemple, au chapitre 7, Guidère présente la notion de « traducteur-veilleur » comme une nouvelle réalité, alors que celle-ci a été largement traitée par exemple par les théoriciens du Skopos, qui voient le traducteur comme un spécialiste et un conseiller, organisant son travail selon sa fonction.

Le manuel contient des informations essentielles en ce qui concerne la traductologie européenne, et en particulier la pensée francophone. Il serait toutefois souhaitable de le compléter avec d’autres sources pour donner une vue plus générale et universelle de la traductologie, nous y reviendrons. La présentation, souvent thématique, fait à plusieurs occasions des allers-retours dans le temps qui ne sont pas toujours faciles à suivre, surtout pour un étudiant qui s’initie au domaine. Le lecteur pourra s’interroger également à propos d’affirmations qui semblent parfois contradictoires. Par exemple, à la page 11, l’auteur note que les approches prescriptives « sont datées et largement dépassées », mais à la page 79, il semble suggérer qu’on a besoin de théories qui apporteraient des « recettes », des solutions toutes faites aux nouveaux traducteurs, et démontreraient ainsi leur utilité.

Dans son manuel, l’auteur critique de façon réitérée les théories de la traduction, qui, selon lui, ne sont pas directement applicables à la pratique, et restent insatisfaisantes pour répondre aux besoins des traducteurs. Ainsi, l’auteur dénonce un « décalage entre pratique et didactique » et la « négligence théorique » de la traduction spécialisée (p. 127). Il soutient également qu’on n’a pas réellement intégré la traduction au processus d’apprentissage. Serait-il en train de parler de la formation francophone européenne qu’il a suivie ? Car cette affirmation ne correspond aucunement à la formation en traduction spécialisée au Canada et sous d’autres latitudes, où le lien entre théorie et pratique est très étroit, et où sont enseignées différentes langues de spécialité (commerciale, juridique, médicale, scientifique, etc.). D’autre part, Guidère ignore complètement l’ouvrage de Chesterman et Wagner, à propos de l’importance du lien entre la théorie de la traduction et l’utilité pratique de celle-ci (Chesterman et Wagner 2002/2016). Il passe aussi sous silence le tournant sociologique (Hélène Buzelin, Andrew Chesterman, Daniel Simeoni, Michaela Wolf…) et le rôle de la traduction dans l’histoire culturelle (Susan Bassnett, André Lefevere, Sherry Simon, Luise Von Flotow…). De la même façon, on peut regretter aussi dans cet ouvrage l’absence de certains courants (postcolonial, postcolonial féministe, féministe, anthropophage…), de certaines figures importantes qui n’appartiennent pas à la tradition européenne de la traduction (Martha Cheung, Susam-Sarajeva, Augusto de Campos, Jorge Luis Borges…), de certaines idées clés dans le domaine, comme « l’invisibilité du traducteur » de Venuti, etc. Dans le contexte d’un monde globalisé et multiculturel important, on s’attendrait à une vision plus ouverte et inclusive de la traduction, à une vision plus diversifiée, car comme dit si bien dit l’auteur de cet ouvrage, « la traductologie est à l’image de son époque : une discipline globale, reflet de la richesse humaine et de la diversité culturelle » (p. 163).