Présentation[Notice]

  • Sylvie Vandaele

Il est toujours fascinant, et stimulant intellectuellement, de chercher le point commun d’un ensemble d’articles librement soumis qui, à première vue, s’intéressent à des facettes bien distinctes de l’activité traduisante ou interprétative. Certes, le présent numéro traite majoritairement de littérature (C. Wecskteen, C. Oster, M. Ožbot, J. Tang, A. K. Greenall, G. Jeanmaire, D. Cheetham, B. Ruiz Molina) et de domaines relativement proches, comme les chansons folkloriques (B. Al-Azzam et A. Al-Kharabsheh) et l’audiodescription cinématographique (S. Braun), mais il aborde également des questions de pédagogie (G. Bayer-Hohenwarter, D. Li et C. Zhang) et d’évaluation des traductions (T.-Y. Lai), ainsi que d’écart de description linguistique (G. Wu). Du côté de la littérature, on pourrait une fois de plus se borner à opposer les stratégies d’étrangéisation (foreignizing) et de naturalisation (domestication) ou, autre façon d’exprimer sensiblement la même chose, sourciers et ciblistes. Mais que dire, au-delà de cette tension fondamentalement au coeur de l’activité traduisante ? En fait, ce qui frappe dans plusieurs des travaux faisant l’objet du présent numéro, ce n’est pas un a priori en faveur de l’un ou de l’autre, mais c’est plutôt une nécessité de cohérence et de vérité. On connaît bien le concept de cohérence en analyse du discours, mais il s’agit ici, à notre sens, d’un concept plus vaste : cette nécessité s’exprime quant au rendu de voix qui risquent l’étouffement, l’oubli, la mésinterprétation, l’absorption ou le rejet – deux faces de la même médaille –, l’effacement... La nécessité de vérité se manifeste alors par un souci de cohérence entre l’oeuvre traduite et ce qu’exprime l’oeuvre originale, et il est remarquable que ce ne soit pas nécessairement la stratégie d’étrangéisation qui est privilégiée. La restitution de lasignifiance est-elle celle de la vérité – et alors, de quelle vérité parle-t-on, et passe-t-elle nécessairement par l’étranger, ou bien d’autres paramètres viennent-ils interférer dans cette équation ? Si la nécessité de cohérence se situe bien dans l’étrangéisation de la voix gouailleuse de Huckleberry Finn (Wecksteen), de la fidélité à la voix autobiographique de la femme et de la folie de Charlotte Perkins Gilmans (Oster), ou de la recontextualisation de la Chine ancienne (Tang), elle pourrait aussi passer, dans des situations de littérature minoritaire, par une stratégie cibliste (Ožbot) – ce qui s’apparenterait peut-être, alors, à une stratégie de survie. Plus délicat peut-être, la traduction des transgressions telles que les jurons rappellent que les implicatures sociales peuvent différer d’une culture à l’autre (Greenall) : le rapport « affectif » que chacun entretient avec les tabous de sa propre culture – plutôt qu’à la culture de l’autre – devient alors l’obstacle à l’épreuve de l’étranger. Par ailleurs, si la traduction, dans sa recherche de cohérence et de vérité, redonne une existence aux voix des oubliés et des exclus, il ne faut pas oublier qu’elle est la voix elle-même du traducteur – ou, ici, de la traductrice –, qui doit affirmer son existence tout en établissant des rapports de collaboration avec l’auteur élu (Ruiz Molina). Se questionner sur la cohérence et la vérité, et sur les moyens à employer conséquemment, amène tout naturellement à soulever le problème de la créativité du traducteur, libre arbitre, s’il en défend la pertinence, à l’égard de sa propre stratégie créative. Outre la créativité nécessaire dans les situations déjà évoquées, la question de la créativité ressort de plusieurs travaux : celle qui doit se manifester lorsque des écarts non seulement de culture, mais aussi de ressources et de pratiques linguistiques, constituent l’obstacle à lever (Al-Azzam et Al-Kharabsheh, Jeanmaire), ou lorsque des genres particuliers doivent être traduits (littérature illustrée pour …