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Dans un article récent où je présentais la traduction à l’image d’une « tétralogie », soit une démarche en quatre étapes visant à produire l’équivalence des textes, mon propos s’achevait sur l’annonce du « crépuscule » du terme, noyé dans la réexpression du sens (Seleskovitch) au sein de la phrase. Si le terme reste indispensable dans la reconstruction du sens, absorbé par la phraséologie propre à la langue d’arrivée, il se fond dans le texte et se transforme. Dans cet article, je pousse la réflexion plus avant pour tâcher de faire comprendre l’importance de la manière de dire les choses dans la lecture que fait l’usager du texte (traduit ou non, d’ailleurs). Le texte juridique, entre autres textes, est rédigé dans une langue et suivant des formes façonnées par les us, coutumes et traditions du lieu, ce que l’on appelle une « culture ». Celle-ci s’exprime à un haut degré dans la manière dont sont rédigés ses textes de droit. Les deux langages du droit que portent la common law britannique et le droit civil français le démontrent clairement pour qui se risque à les traduire. La confrontation de deux systèmes de rédaction aussi différents que celui de la common law et celui de son symétrique, la tradition civiliste, recèle un parcours semé d’embûches pour le traducteur. Le passage d’une langue « centrifuge » (l’anglais) à une autre, « centripète » (le français) ne se fait pas sans dommage, que celui-ci soit causé à la lettre ou à « l’esprit » du texte. Aussi l’exemple du Canada, qui a su franchir l’obstacle de la traduction littérale de ses lois pour en arriver à une expression « dynamique » et idiomatique (la corédaction) du droit, est-il instructif. Toutefois, si le message juridique que véhicule un texte prime dans l’interprétation qui en sera faite, son mode d’expression, soit son « style », est loin d’être quantité négligeable. La manière de dire est porteuse de différentes significations et fonctions symboliques possibles. Elle influe sur le sens et sa perception, en modifie parfois le cours et l’interprétation qu’en fera le traducteur, et jusqu’au juriste même.