DocumentationComptes rendus

Pélisse, Jérôme, Protais, Caroline, Larchet, Keltoume et Charrier, Emmanuel, dir. (2012) : Des chiffres, des maux et des lettres : une sociologie de l’expertise judiciaire en économie, psychiatrie et traduction. Paris : Armand Colin, 274 p.[Notice]

  • Valérie Florentin

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  • Valérie Florentin
    Université de Hearst, Hearst, Canada

Cet ouvrage, paru dans la collection Recherches, décrit l’évolution du milieu des experts judiciaires en France à la suite de la réforme de 2004 visant leur reconnaissance, et s’intéresse plus précisément au cas des experts en économie, en psychiatrie et en traduction/interprétation. En effet, partant du constat que les experts sont omniprésents dans les médias, les auteurs se demandent d’une part si l’institution judiciaire recourt plus que jamais aux savoirs techniques et scientifiques, et d’autre part s’interrogent aussi sur la professionnalisation des experts. S’ils ne sont pas à même d’apporter un éclairage sur le premier point, leur analyse du milieu des traducteurs/interprètes (TI) se révèle intéressante et d’actualité. Le rôle des TI : tout d’abord, les auteurs constatent que les TI sont différents des autres experts en ce qu’ils interviennent sur le plan procédural (la majeure partie du temps au pénal, viennent ensuite le civil et l’administratif) et qu’ils ne sont pas tant là pour donner leur opinion d’expert que pour faciliter la communication entre les différentes parties ; ils se font la voix de l’autre, tantôt du juge, tantôt du justiciable, sans avoir de voix propre. En somme, même si ce sont les experts les plus fréquemment appelés à intervenir, il est attendu d’eux qu’ils soient invisibles, leur présence ne devant rien changer aux habitudes des juges (pas de ralentissement du débit, par exemple), qui leur dictent d’ailleurs leur méthode de travail (traduction consécutive ou simultanée). Cette invisibilité, un enjeu bien connu au sein de la profession, ainsi que la neutralité attendue de la part des TI sont parfois mises à mal par des questions, auxquelles 41 % estiment devoir répondre. Enfin, les TI se distinguent de tous les autres experts puisqu’ils sont constamment à cheval sur deux éléments : sur deux langues et deux cultures, sur la justice et le justiciable, sur les règles linguistiques et les règles juridiques. La manière dont ils sont perçus : les traducteurs et interprètes se ressemblent en ce qu’ils servent de passerelles entre différentes communautés linguistiques, mais leurs tâches et conditions de travail sont différentes : les premiers travaillent sur de l’écrit dans le confort de leur bureau, les seconds passent d’une langue à l’autre à l’oral, de manière immédiate, du français vers leur langue de travail, et inversement. Malgré leur rôle central sans lequel la justice ne pourrait être rendue, les TI sont mal considérés par le système judiciaire qui estime que le travail sur la langue est purement technique et non une expertise, ce qui pourrait expliquer qu’ils soient les derniers experts listés par la nomenclature. D’ailleurs, le fait que les langues sont utilisées au quotidien par toutes sortes de personnes permet aux non-initiés de croire que la traduction n’est pas une activité technique ou difficile. Plus étonnant, les TI eux-mêmes affirment que leur spécialité n’est pas aussi intéressante que celle des autres. De plus, si les experts en économie ou en psychiatrie sont, bien évidemment, comptables ou psychiatres de profession, ce n’est pas le cas de tous les TI, certains exerçant une profession autre en dehors de leur travail d’expert, ce qui contribue à décrédibiliser la profession et à les voir qualifiés de non-experts. En effet, seuls 45 % des experts interrogés exercent la profession de traducteur ou d’interprète et, parmi ces professionnels, 68 % travaillent à leur compte, de manière individuelle, ce qui ne contribue pas à leur reconnaissance. Ces chiffres doivent pourtant être relativisés puisque les non-professionnels sont généralement plus diplômés que les professionnels et que, parmi eux, 38 % sont des enseignants avec une formation en langue, 9 % sont retraités d’une profession langagière, 8 …

Parties annexes