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Cet ouvrage, paru dans la série Translation Theories Explored, cherche à décrire en quoi les approches traductologiques peuvent être utiles dans le cadre de l’apprentissage d’une langue étrangère (LE). Malgré le titre, le propos s’adresse probablement plus à un pédagogue averti en quête de nouvelles approches qu’à un professeur de traduction. Ceci étant dit, ce dernier pourrait apprécier certains rappels ou puiser des idées dans les exercices proposés aux étudiants de LE.

Dans son introduction, Laviosa constate que, depuis deux décennies, la traduction revient en force dans les cours de LE, et ce, pour trois raisons principales. Premièrement, il s’agit d’un exercice différent, mais complémentaire à ceux déjà utilisés. Deuxièmement, la profession de traducteur est un débouché attrayant. Troisièmement, la traduction permet de mettre au jour les différences culturelles que tout étudiant d’une LE doit connaître.

Dans le chapitre 1, Laviosa retrace l’histoire de la traduction dans les cours de LE, du début du XVIIIe siècle aux années 1980. La première approche qu’elle présente est dite traditionnelle, ou grammaire et traduction. Il s’agit de la méthode en vogue jusque dans les années 1940 et qui est encore utilisée pour l’apprentissage du latin et du grec. La langue est apprise en mémorisant les règles grammaticales et en traduisant de et vers sa langue maternelle, ce qui favorise une comparaison constante des deux langues. Par la suite, plusieurs méthodes ont mis l’accent sur la rétention de phrases toutes faites (pre-reform approaches, reform movement, oral method, structural language teaching, situational language teaching, audio-lingual method) afin de faciliter la communication orale. La traduction n’avait alors d’utilité que dans un premier temps, afin d’expliquer les mots inconnus. On n’enseignait guère la grammaire qui devait se déduire des exemples. Ces méthodes ont donné naissance à deux autres, soit la méthode directe, par immersion (notamment utilisée par Berlitz), où tout recours à la langue maternelle (dont la traduction) est interdit, et la méthode dite de communication, qui utilise la traduction pour que chacun apprenne par essai/erreur, afin de découvrir les tournures possibles, faisables, appropriées ou effectivement constatées.

Dans le chapitre 2, Laviosa s’intéresse au retour de la traduction dans les cours de LE, constaté dès la fin des années 1980. Elle cherche plus précisément à retracer les considérations théoriques soutenant cette nouvelle tendance, à savoir quelles études soutiennent l’intérêt de la traduction, et à analyser comment les approches théoriques pourraient être mises en pratique. À cette époque, la traduction consiste en un exercice dans le cadre de l’enseignement d’une LE. Le but est alors de chercher le mot juste, d’approfondir le vocabulaire, de prendre conscience des interférences liées à la langue maternelle et de réfléchir sur le style propre à la LE. De plus, la traduction promeut autant la diversité culturelle que linguistique et constitue un bon exercice pour ceux qui n’apprécient guère les activités orales, d’autant qu’il est possible de travailler sur son texte jusqu’à en être satisfait. Deux questions demeurent cependant : quels exercices conviennent le mieux ? quelle est la place de la traduction dans l’enseignement d’une LE ?

En effet, la traduction peut servir autant de mode d’évaluation que d’exercice à visée pédagogique. Dans le premier cas, certains chercheurs ont constaté de nombreuses erreurs, principalement des barbarismes qui seraient dus à l’impossibilité (en raison de l’interférence du texte source) de contourner un problème. Selon eux, il ne faut donc pas compter sur la seule traduction pour évaluer les connaissances dans une LE. Une autre étude démontre d’ailleurs que les étudiants réussissent mieux s’ils composent directement dans leur LE plutôt que de traduire leur propos. Dans le deuxième cas, une étude tend à prouver que la traduction peut avoir un effet positif sur l’apprentissage d’une LE puisqu’elle met en relation les règles de la langue maternelle et celles de la LE et facilite la rétention d’informations. De plus, la quasi-totalité des étudiants reconnaissent l’utilité de la traduction.

Le chapitre 3 présente les approches écologiques qui réconcilient l’interaction entre les locuteurs d’une langue et leur environnement, puisque nous sommes le fruit de notre environnement et de notre passé. Une telle optique perçoit le langage comme un écosystème sémiotique. De telles approches résultent de la mondialisation et de l’éducation multiculturelle qui en découle. Le chapitre s’intéresse donc à l’interprétation symbiotique et écologique de la relation entre langue et culture, qui a donné naissance à la pédagogie multilingue d’une part et à l’approche holistique de la traduction d’autre part. Le but est alors de comprendre ce que le langage permet, ses effets sur les locuteurs, la nature de ses utilisateurs et la manière dont il est enseigné et appris. La structure de la langue n’est pas niée pour autant, mais les relations entre la langue et la société qui l’utilise priment.

Le chapitre 4 s’intéresse plus spécifiquement à la pédagogie multilingue de Kramsch, qui découle des approches écologiques : il s’agit de comprendre les mondes multiples du discours qui coexistent parmi les étudiants, comme parmi les membres de toute communauté. Ainsi, le langage est perçu sous la forme d’une représentation symbolique (il détermine et teinte notre perception de la réalité), d’une action symbolique (il nous permet de faire certaines choses et d’annoncer nos intentions) et d’un pouvoir symbolique (il s’agit d’une activité relationnelle qui nous permet d’appréhender notre identité et de prendre conscience des histoires, émotions et aspirations des autres). Selon cette approche, le langage est le système de symboles selon lequel nous appréhendons le monde qui nous entoure et il nous permet de développer notre « soi », cette entité symbolique qui se construit en interagissant avec les autres, en anticipant leurs réactions, en imaginant ce qu’ils pensent de nous et en ajustant nos réactions en fonction du tout.

Le chapitre 5 décrit la perspective holistique de la traduction décrite par Tymoczko, soit une approche où l’on traduit les différences culturelles, née du croisement entre la traductologie et l’enseignement des LE. En effet, selon Tymoczko, la traduction est trop souvent perçue comme le transfert du sens. Or, ce dernier fluctue sans cesse puisqu’il dépend non seulement du texte, mais aussi de la relation de celui-ci avec les autres textes. Ainsi, pour rendre le sens, il est parfois nécessaire de le modifier afin de le rendre compréhensible par la culture cible. Tymoczko propose plutôt que la traduction soit vue comme un ensemble aux frontières mouvantes et définie par les similitudes observées dans le monde entier aux différentes époques. Le texte doit alors être interprété de manière globale (en tenant compte de la linguistique ; des contextes sociolinguistique, socioéconomique, historique et culturel ; de sa portée idéologique ; de la technologie textuelle ; de l’intertextualité ; des pratiques et structures textuelles et littéraires ; des éléments narratifs ; du lecteur imaginé et de ses réactions) et non comme une suite de phrases dans lesquelles des problèmes précis doivent être surmontés. Tout traducteur compose non seulement avec les exigences du texte, mais comble aussi les lacunes culturelles, ce qui implique des objectifs éthiques, idéologiques et politiques. Cette approche ressemble à celle de Kramsch puisque toutes deux responsabilisent le traducteur et le sujet multilingue, qui se doivent de recourir à une analyse culturelle et à une réflexion.

Laviosa propose donc d’associer ces deux méthodes, qui se complètent, ce qu’elle fait dans le chapitre 6 où elle démontre qu’elles se rejoignent autant dans la théorie que dans la pratique en prenant l’exemple de la traduction italienne des romans de Khaled Hosseini (un auteur afghan). Enfin, les chapitres 7 et 8 relatent des expériences auprès d’étudiants en LE dans lesquelles Laviosa applique les préceptes établis aux chapitres précédents. En demandant aux étudiants de réfléchir sur le sens de manière globale dans un texte multimodal, elle les amène d’une part à relever les différences et les similitudes entre deux langues et donc à mieux s’exprimer, mais aussi à réaliser que la traduction ne consiste pas seulement à traduire des mots, mais aussi des idées, des idéologies, une culture. Cela leur ouvre les yeux sur une réalité connue de tout traducteur.

Dans sa conclusion, Laviosa souligne que la traduction a souvent joué un rôle dans l’apprentissage d’une LE, mais qu’elle est devenue cruciale, tant comme moyen éducatif que comme but en soi. Elle encourage donc les professeurs de LE à adopter la traduction comme exercice puisque de nombreux traducteurs et interprètes sont demandés et qu’une approche interdisciplinaire semble souhaitable autant pour les professeurs de LE que pour ceux de traduction.