Présentation

Traduire, créer[Notice]

  • Laurence Belingard,
  • Maryvonne Boisseau et
  • Maïca Sanconie

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Issue d’une source textuelle et devenant matière, la traduction traverse le corps du traducteur pour naître dans une autre langue : la traduction est « comme l’acte d’une seconde naissance », nous dit Yasmina Foehr-Janssens (2016 : 129). Aussi se pencher sur toute la dimension créatrice de la traduction littéraire implique-t-il un véritable retour au secret de sa naissance. On a pu nier ce geste créateur en raison de l’autorité du texte à traduire : la traduction, inévitablement, vient après. La plume du traducteur ne saurait rivaliser avec la plume de l’auteur ; bien au contraire, elle est à son service. On a pu également nier la dimension créatrice pourtant inhérente au traduire en raison des différentes modalités mêmes de la traduction, depuis l’imitation jusqu’à l’adaptation en passant par la traduction « littérale » ou bien encore la « version » d’après tel ou tel. Cependant, s’il existe bel et bien différents modes de traduction, tous mettent en jeu une relation complexe du traducteur au texte, conditionnée – et contrainte – par un genre de texte, une demande éditoriale particulière, des conditions de traduction spéciales, l’environnement de travail du traducteur ou de la traductrice, et le lectorat visé. Par ailleurs, il y a traduction et traduction et toute traduction n’est pas création, toute traduction n’est pas oeuvre d’art. Il ne viendrait sans doute à l’esprit de personne de considérer spontanément une traduction technique comme une oeuvre d’art. C’est donc bien la traduction littéraire qui est au premier chef concernée par cette question, et cela d’autant plus que les traducteurs littéraires auxquels on reconnaît officiellement, en France notamment, le statut d’auteur, aspirent à celui d’écrivains à part entière. Elle l’est encore parce que si les sciences cognitives nous enseignent que traductrices et traducteurs sont le plus souvent engagés pour ainsi dire corps et âme dans le processus, il demeure néanmoins difficile d’en saisir le mystère et d’en appréhender les étapes. Pourtant, et ce volume de Meta le montre, envisager la traduction comme création, comme une création, aller jusqu’à en faire une oeuvre d’art, c’est l’aborder sous l’angle de la fertilisation d’une oeuvre par une autre, de la continuation d’un rythme dans un autre ; c’est en percevoir l’énergie, en reconnaître le savoir-faire, en recevoir la beauté. Il est alors possible de la montrer, défi relevé par la commissaire de l’exposition Après Babel, traduire présentée au MUCEM à Marseille (14 décembre 2016-20 mars 2017), Barbara Cassin, qui écrit ceci : Toute la problématique de la traduction littéraire comme création est là, dans cette accumulation de paradoxes. Définie comme « oeuvre de l’esprit » dans le code de la Propriété intellectuelle, la traduction se matérialise comme oeuvre d’art dans son statut d’inachevé : tout comme le texte dont elle est issue, elle est une proposition, une vision du monde, et par là même coulée dans ce processus de non-finitude qui caractérise l’écriture. Il ne s’agit donc pas de clore une oeuvre dans une langue en la traduisant, mais au contraire de l’ouvrir à une autre culture, une autre langue-culture, et par là même au monde. « La langue », dit Prete, « est hospitalière. […] Traduire, c’est accueillir une autre langue qui se trouve en chemin, à un certain point de son chemin. […] Traduire, c’est en même temps accueillir avec sa propre langue un livre en chemin et ajouter un nouveau temps, une nouvelle pause au chemin du livre » (Prete 2011/2013 : 13, 15). Cet accueil est en lui-même propice à la création car il n’y a pas du côté de la langue source un surgissement créateur originel, et du côté …

Parties annexes