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Ladmiral, Jean-René (2014) : Sourcier ou cibliste. Paris : Belles Lettres, 303 p.[Notice]

  • Christine Pagnoulle

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  • Christine Pagnoulle
    Université de Liège, Liège, Belgique

Philosophe, traducteur, enseignant, chercheur, Ladmiral est une figure marquante dans le monde des études en traduction. Il faut dire qu’il publiait déjà dans ce domaine dès les années 1970, notamment son ouvrage de référence Traduire : théorèmes pour la traduction, à une époque où l’intérêt pour le sujet était encore limité. Depuis, non seulement il a poursuivi ses travaux de traduction (essentiellement des philosophes allemands), mais il a également continué à enseigner et à faire de la recherche (à la retraite, il est toujours très actif, entre autres au sein du CRATIL, Centre de recherche appliquée sur la traduction, l’interprétation et le Langage). Il passe de colloque en colloque avec le même souci de faire bien plus qu’une intervention : il suit toutes les communications et ne manque pas de donner son avis, avec autant de courtoisie que de conviction, dans un français vieille France dont le caractère châtié frappe encore davantage à l’oral qu’à l’écrit. Mais à quoi correspond cet antagonisme ? La tendance à opposer lettre et esprit se comprend aisément : le texte est fait de mots, de signifiants – c’est la lettre. Pourtant ce qu’il exprime n’existe que par ses mots. L’esprit est dans la lettre, et la lettre est esprit, pourrions-nous dire. Dans l’acte de traduire (magie ? alchimie ? même pas ! juste savoir-faire), les mots changent, de même que leur disposition et leurs échos. Cependant, dans le texte cible, c’est encore bel et bien avec la lettre qu’il faut façonner l’esprit. Autre indication présente dans le titre : l’exclusive. Impossible, affirme Ladmiral d’être à la fois sourcier et cibliste, pour reprendre les termes qu’il avait lancés dans le feu de la discussion à Londres en 1983 et étayés dans un article de la Revue d’esthétique en 1986. Il se place ainsi dans le registre de la polémique, de la confrontation. Une manie française ? Pour illustrer la tendance « sourcière », Ladmiral mentionne deux grands théoriciens de la traduction, qui étaient aussi de grands traducteurs (« amis personnels et adversaires théoriques ») : Henri Meschonnic et Antoine Berman. Est-ce bien légitime ? Allant à l’encontre des traductions de la Bible qui nous sont familières, Meschonnic nous rappelle la respiration du verset hébreu et propose des traductions qui font entendre ce souffle. Rien à voir avec la bible de Segond ou celle du roi Jacques, mais qui peut dire que ce n’est pas là l’effet même, poétique, quasi hypnotique, du texte original ? Dans son commentaire de diverses traductions d’une ode de John Donne, Berman (1995) met en évidence l’excellence de la traduction/adaptation d’Octavio Paz, un poème qui retrouve/recrée la légèreté badine de ce texte érotique, sans se préoccuper de respecter la forme (les vers de Paz sont plus courts, tout le poème s’est condensé). Ceci pour dire que les traductions que Ladmiral réfute, à juste titre, comme « sourcières » devraient sans doute être appelées « ultra-sourcières », de même que notre auteur parle de traductions « ultra-ciblistes » lorsqu’elles s’éloignent du texte source sans jamais y revenir. S’il y a opposition dichotomique, c’est entre ces deux caricatures. Notons d’ailleurs que les deux mouvements décrits par Schleiermacher, la traduction qui amène le lecteur à l’auteur et celle qui amène l’auteur au lecteur, sont en fait complémentaires : le traducteur ne peut que faire les deux. C’est en rendant le texte source « idiomatique » dans la langue cible que le lecteur pourra découvrir l’auteur dans sa singularité. La réflexion de Ladmiral est jalonnée de déclarations qui sont tout simplement l’expression du bon sens. Il nous dit, par exemple, que la traduction est …

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