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Introduction

La traduction juridique est une traduction spécialisée, complexe, qui présente des caractéristiques qui la distinguent d’autres formes de traduction. Elle est tout d’abord contraignante dans le sens où le caractère normatif du texte juridique laisse une marge de manoeuvre très étroite au traducteur. Elle est ensuite culturelle, parce qu’elle doit transposer un texte de loi d’une culture dans une autre. On doit y ajouter également sa dimension scientifique, vu ses outils spécialisés et sa méthode rigoureuse.

Malgré toutes ces contraintes auxquelles est soumis le traducteur, la traduction juridique reste un processus créatif qui invite à l’interprétation et non pas à la transposition directe : « Le but que poursuit le législateur bilingue n’est pas de reproduire d’une langue à l’autre une morphosyntaxe ou une sémantique figées, mais il est avant tout de reproduire les effets de droit, c’est-à-dire les conséquences juridiques du texte de départ » (Koutsivitis 1990 : 227). En fait, le traducteur transfère non pas des mots, mais des effets de droit, un résultat escompté, ce qui suppose qu’il est en mesure de comprendre les objectifs poursuivis par le rédacteur du texte de départ.

En ce qui concerne les étapes de la traduction juridique, Seleskovitch et Lederer (1986) soulignent que la traduction est une démarche en deux étapes : l’appréhension du sens du texte de départ et sa réexpression dans la langue cible. Les deux parties de l’opération traduisante sont donc : comprendre et faire comprendre.

L’appréhension du sens par l’interprétation du texte de départ est un exercice essentiel qui fait appel à un ensemble de compétences : linguistiques, juridiques, extralinguistiques, etc. La tâche du traducteur est de saisir le sens derrière l’enchaînement des mots dans les phrases afin de trouver l’équivalent linguistique selon les normes et les usages de la langue et du système juridique de la culture réceptrice.

Dans la deuxième étape de la traduction, le processus de récréation du sens dans la langue cible, le vocabulaire et l’architecture discursive de la traduction juridique sont en interaction permanente, ils se trouvent aussi bien en rapport de complémentarité que de supplétion. Mareschal se place dans cette option quand elle note que : « La traduction d’un texte spécialisé comporte […] deux dimensions essentielles : d’une part, l’objet du texte ou son contenu et, d’autre part, la langue du texte ou sa forme » (1988 : 258).

Le traducteur doit donc comprendre le sens et trouver ensuite la forme idéale pour que son destinataire puisse le saisir dans le creuset de la langue qu’il parle. Les contraintes de forme lui imposent la rédaction d’un texte rigide et formel ayant la même charge juridique que celle de la langue source. Nombre de traducteurs proposent pourtant un texte d’arrivée dont l’expression est plutôt limitée, car les ressources de la langue cible ne sont pas pleinement utilisées ou la traduction reste trop fidèle aux mots.

Si le vocabulaire, selon les avis quasi unanimes des jurilinguistes, constitue le premier obstacle à la communication juridique, le second est l’énonciation, définie comme un « ensemble de marques formelles qui caractérisent linguistiquement l’émetteur et ses énoncés » (Sourioux et Lerat 1975 : 12). En effet, les caractéristiques linguistiques des textes normatifs ne s’expliquent que par le fait que ceux-ci ont pour vocation de régler les conduites dans le corps social et que les conditions très particulières de leur énonciation entraînent un certain nombre de spécificités textuelles, syntaxiques, stylistiques, etc.

La langue du droit recourt aux mêmes règles syntaxiques que la langue courante. Par conséquent, il n’existe pas une syntaxe ou une grammaire propres à la langue du droit, mais « cela ne diminue nullement l’importance de chaque fait de grammaire afférent à une particularité de ce discours spécialisé qu’est le discours juridique » (Darbelnet 1979 : 29).

Vu la spécificité de la traduction juridique et surtout la tâche du traducteur qui doit respecter les particularités de structuration linguistique de la langue cible, nous nous proposons de présenter quelques aspects relevant de la transposition en roumain des déterminants à plus haute fréquence dans la structuration du groupe nominal, à savoir les déterminants prépositionnels, les adjectifs qualificatifs et les participes présents et passés. Nous avons travaillé sur un corpus d’exemples tirés de textes normatifs et nous avons aussi utilisé des exemples tirés des dictionnaires de termes juridiques en usage en Roumanie.

Le déterminant prépositionnel

Le choix de la préposition introduisant le déterminant prépositionnel est une provocation pour le traducteur parce qu’il ne dispose pas de règles lui permettant de choisir correctement parmi les nombreuses possibilités qu’il a à sa disposition :

Chaque langue illustre des choix qui conditionnent les réponses que le réel pourra donner aux questions qui lui seront posées.[…] Or, la perception est nécessairement fonction de la manière dont l’objet de la perception est appréhendé, c’est-à-dire la manière dont des questions lui sont posées. Différentes langues, parce qu’elles interpellent le réel différemment, rendent compte différemment de ce réel.

Legrand 1996 : 805

Du point de vue de la transposition de cette structure en roumain, nous avons identifié six cas de figures que nous allons présenter dans ce qui suit.

La plupart des structures N1 + de + N2 ne posent pas de problèmes de traduction : abus de confiance / abuz de încredere, autorité de justice / autoritate de justiţie, Cour de cassation / Curtea de casaţie, clause de conscience / clauză de conştiinţă, délai de viduité / termen de viduitate, déni de justice / denegare de dreptate, droit d’accession / drept de accesiune, juridiction d’attribution, d’exception, d’instruction / jurisdicţie de atribuire, de excepţie, de instruire, frais de justice / cheltuieli de judecată, présomption d’innocence, de fraude / prezumţie de nevinovăţie, de fraudă, violation de domicile / violare de domiciliu, vice de forme / viciu de formă.

Le déterminant prépositionnel a, dans ces syntagmes, une valeur de qualification : « N2 transmet son contenu non limité à N1 » (Iliescu 1991 : 57). Le fort degré de cohésion des deux termes mis en relation conduit parfois à les considérer comme des termes techniques ou des syntagmes figés, qui constituent des entrées dans les dictionnaires ou les encyclopédies.

Parfois la préposition de se charge d’autres valeurs dans les deux langues, soit d’une valeur initiale, pour montrer la source (minute de jugement / minută de judecată, peine de police / pedeapsă dată de poliţie), soit d’une valeur finale, afin de désigner le résultat ou la cible de l’action (abus d’une femme / abuz [are] de o femeie [trad. litt. « abus dont la cible est une femme »], acte d’instruction / act de instrucţie, acte de poursuite / act de urmărire, arrêt de renvoi / hotărâre de trimitere, mandat d’arrêt / mandat de arestare, peine de substitution / pedeapsă de substituire, procédé d’adhésion / procedeu de aderare).

Par le souci de restriction de leur extension, le traducteur remplace dans les syntagmes roumains le rapport de caractérisation par celui d’appartenance, ayant ainsi une plus grande force de particularisation : abandon de famille / părăsirea familiei (trad. litt. « abandon de la famille »), acceptation de succession / acceptare a succesiunii (trad. litt. « acceptation de la succession »), admission de pourvoi / admiterea recursului (trad. litt. « admission du pourvoi »), loi de finances / lege a finanţelor (trad. litt. « loi des finances »), valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité / valorile respectării demnităţii umane, a libertăţii, democraţiei, egalităţii (trad. litt. « valeurs du respect…, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité »), principe de subsidiarité et de proportionnalité / principiul subsidiarităţii şi proporţionalităţii (trad. litt. « le principe de la subsidiarité et de la proportionnalité »).

Si le déterminant reçoit à son tour une qualification, le français recourt aussi à un génitif : abandon du domicile conjugal / părăsirea domiciliului conjugal.

Il y a aussi d’autres prépositions qui ont des correspondants directs en roumain :

  • à (fr.)= la (roum.) : atteinte à la sûreté de l’état / atingere la siguranţa statului, droit à la vie / drept la viaţă, recours à la force / recurs la forţă ;

  • en (fr.)= în (roum.) : action en justice / acţiune în justiţie, action en garantie / acţiune în garantare, affaire en instance / afacere aflată în instanţă, citation en justice / citare în faţa instanţei, loi en cause / lege în cauză, mise en liberté / punere în libertate, pourvoi en cassation, recours en annulation / recurs în anulare ;

  • pour (fr.)= pentru (roum.) : détention pour insoumission / deţinere pentru nesupunere, recours pour omission / recurs pentru, pe motiv de omisiune, convention pour l’avenir de l’Europe / Convenţie pentru viitorul Europei ;

  • par (fr.)= prin (roum.) : divorce par consentement mutuel / divorţ prin consimţământ mutual, vote par correspondance / vot prin corespondenţă, convocation par procès-verbal / convocare prin proces verbal, jugement par défaut / judecată prin neprezentare.

Le deuxième cas de figure concerne le changement de la préposition qui acquiert en roumain un caractère plus concret, traduisant les différentes valeurs circonstancielles du déterminant prépositionnel :

  • la manière : condamnation par défaut / condamnare în lipsă (trad. litt. « condamnation en absence »), service de caractère militaire / serviciu cu caracter militar (trad. litt. « service à caractère militaire ») ; dans affaire en état / cauză, pricină gata pentru judecare (trad. litt.« cause prête à être jugée »), la préposition en est remplacée en roumain par un groupe adjectival afin de rendre plus explicite la qualification apportée au nom ;

  • la cause : divorce pour faute / divorţ din culpă (trad. litt. « divorce par faute ») ;

  • le but : la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme / Convenţia europeană pentru apărarea drepturilor omului (trad. litt. « la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme »), demande en divorce / cerere de divorţ (trad. litt. « demande de divorce ») ;

  • le moyen : peine d’emprisonnement, de mort / pedeapsă cu închisoarea, cu moartea (trad. litt. « peine avec l’emprisonnement ou avec la mort ») ; dans vol avec effraction / furt prin efracţie (trad. litt. « vol par effraction »), il y a un changement de visée, dans le sens où la valeur d’accompagnement du français est remplacée en roumain par la valeur de moyen.

Le troisième cas de figure présente les structures du génitif qui sont rendues dans les deux langues par des moyens différents. Le français emploie la préposition de suivie de l’article (défini ou indéfini) tandis que le roumain exprime le génitif par les formes flexionnelles de l’article indéfini, qui précède le nom, ou de l’article défini qui est soudé au nom et qui entraîne la flexion de l’ensemble Nom + Article défini : l’abolition d’une loi / abrogarea unei legi, acceptation du divorce / acceptarea divorţului, l’extinction de la dette, de l’usufruit / stingerea datoriei, uzufructului, le principe de la démocratie représentative / principiul democraţiei reprezentative, la prévention du crime / prevenirea infracţiunilor, interdiction de la torture / interzicerea torturii.

Du point de vue sémantique, ces syntagmes expriment dans les deux langues un rapport de possession ou d’appartenance.

On peut aussi remarquer que, si le français peut se contenter d’une construction possessive, le roumain ressent le besoin d’une périphrase explicative capable de bien préciser le contenu des éléments constitutifs du groupe nominal.

Il y a aussi beaucoup de cas où le génitif français est rendu en roumain par la simple préposition de (sans article), ce qui confère au déterminant prépositionnel un caractère plutôt caractérisant que déterminatif : actes de l’état civil / acte de stare civilă (trad. litt. « actes d’état civil »), accident du travail / accident de muncă (trad. litt. « accident de travail »), chef de l’État / şef de stat (trad. litt. « chef d’État »), Cour des Comptes / Curte de Conturi (trad. litt. « Cour de Comptes »), privation des droits civils / lipsire de drepturi civile (trad. litt. « privation de droits civils »).

Dans le quatrième cas, le déterminant prépositionnel ne se laisse pas transposer par une équivalence directe, mais il est remplacé par une périphrase explicative à plus forte valeur de caractérisation : acte en bonne et due forme / act redactat după toate formele legale (trad. litt. « acte rédigé en conformité avec les formes légales »), arrêt de mort / sentinţă de condamnare la moarte (trad. litt. « arrêt de condamnation à la mort »), Chambre des requêtes / Cameră pentru depunerea plângerilor (trad. litt. « Chambre où l’on dépose les plaintes »), Cour des aides / Curtea care rezolvă problemele privind acordarea de ajutoare (trad. litt. « Cour qui résout les problèmes concernant la distribution des aides »), divorce par demande conjointe / divorţ la cererea ambilor soţi (trad. litt. « divorce sollicité par les deux époux »), juge des loyers / judecător însărcinat cu contractele de închiriere (trad. litt. « juge chargé de résoudre les problèmes de loyer »), requérant au principal / reclamant în acţiunea principală (trad. litt. « requérant en action principale »).

Un autre cas est celui où le groupe nominal tout entier est refondu dans une nouvelle expression linguistique, à même de refléter la réalité juridique en place : affaire en instance / afacere pendinte (trad. litt. « affaire pendante »), juge des tutelles / instanţă tutelară (trad. litt. « instance tutélaire »), bailleur de fonds / comanditar (« commanditaire »), contrainte par corps / constrângere corporală (trad. litt. « contrainte corporelle »), huissier de justice / portărel, executor judecătoresc (trad. litt. « exécuteur de la haute justice »), mémoire en défense / întâmpinare, acte sous seing privé / act nelegalizat (trad. litt. « acte qui n’est pas légalisé »), séparation de corps / despărţire a soţilor (trad. litt. « séparation des époux »).

Quant aux structures à déterminant infinitival du français, elles sont sujettes à des transpositions en roumain. Dans les exemples ci-après, l’infinitif est rendu en roumain par des relatives à valeur temporelle, si la préposition qui fait la liaison entre le nom centre et son déterminant est à : juges à élire / judecători care urmează să fie aleşi (trad. litt. « juges qui vont être élus »), enfants à naître / copii care se vor naşte (trad. litt. « enfants qui naîtront »).

Dans le cas de la préposition de + Infinitif, le roumain garde la même structure infinitivale, avec la présence assez singulière d’une structure nominale dans le dernier exemple : le droit de manifester sa conviction / dreptul de a-şi manifesta convingerea, la liberté de changer de religion ou de conviction / libertatea de a-şi schimba religia sau convingerea, la liberté de recevoir / libertatea de a primi, la liberté de communiquer / libertatea de a comunica, le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres / dreptul de liberă circulaţie şi şedere pe teritoriul statelor membre (trad. litt. « le droit de libre circulation et de séjour sur le territoire des États membres »).

Le déterminant adjectival

Le déterminant adjectival est une occurrence assez fréquente dans le discours juridique. Il est porteur d’un contenu juridique assez substantiel et c’est pourquoi sa traduction dans le texte d’arrivée est une tâche passablement difficile pour le traducteur qui doit prendre en considération la réalité juridique de la langue cible afin de lui trouver l’équivalent le plus approprié.

La plupart des adjectifs français ont des correspondants directs en roumain surtout s’il s’agit d’adjectifs qualificatifs ou relationnels : loi abrogative / lege abrogativă, contencieux administratif / contencios administrativ, droit incessible / drept incesibil, cause pendante / proces pendinte, tribunal civil / tribunal civil, question juridique / problemă juridică, autorité publique / autoritate publică, tribunal correctionnel / tribunal corecţional, code pénal / cod penal.

D’autres variantes de traduction, telles que les structures relatives ou prépositionnelles, ont un caractère plus explicite que l’adjectif seul, qui existe pourtant en parallèle mais qui est moins employé : crime graciable / crimă graţiabilă, care poate fi iertată (trad. litt. « crime qui peut être gracié »), preuve irréfragable / dovadă irefragabilă, de netăgăduit (trad. litt. « preuve à ne pas contester »), parents successibles / rude cu drept la succesiune (trad. litt. « parents ayant le droit de succession »), requête étatique / anchetă de drept (trad. litt. « requête de droit », sentence absolutoire / sentinţă absolutorie, de achitare (trad. litt. « sentence d’acquittement » ).

Cas particuliers

Nous voulons également relever quelques cas particuliers dans la transposition des adjectifs français en roumain.

Il y a des adjectifs qui sont polysémiques en français, mais qui, en roumain, ont des correspondants différents, en fonction du contexte dans lequel l’adjectif figure ; en d’autres mots, selon le thème lexical du nom déterminé.

À ce sujet, nous avons identifié le participe passé requis (requérir « réclamer au nom de la loi ») à valeur adjectivale qui présente trois variantes de traduction.

Les occurrences les plus fréquentes indiquent la présence d’un adjectif qualificatif qui existe aussi en français, nécessaire, surtout quand celui-ci n’est pas déterminé : les conditions requises / conditiile necesare (trad. litt. « conditions nécessaires »), les pouvoirs d’action requis / puterile de acţiune necesare (trad. litt. « les pouvoirs d’action nécessaires »), la majorité qualifiée requise / majoritatea calificată necesară (trad. litt. « la majorité qualifiée nécessaire »).

La deuxième possibilité concerne l’emploi du participe passé du verbe correspondant en roumain, a cere, qu’il s’agisse de la présence ou de l’absence d’un complément du participe passé : les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires / condiţiile cerute pentru numirea în înalte functii judiciare, répondre aux conditions requises / a întruni conditiile cerute, les explications requises / explicaţiile cerute.

Troisièmement, le roumain emploie le participe passé d’un verbe synonyme, a impune (fr. imposer) : tout travail requis / orice muncă impusă (trad. litt. « tout travail imposé »), tout service requis / orice serviciu impus (trad. litt. « tout service imposé »).

De même, l’adjectif indu a trois correspondants en roumain : somme indue / sumă nedatorată (trad. litt. « somme pas due »), possession indue / posesie necuvenită (trad. litt. « possession sans aucun droit »), réclamation indue / reclamaţie nefondată (trad. litt. « réclamation sans fondements »).

Dans les textes analysés apparaissent les adjectifs régulier et l’adverbe dérivé régulièrement, traduits, tous les deux par legal, tout comme le terme légal lui-même.

La définition lexicographique de l’adjectif régulier est : « réglementaire, en règle », alors que la définition de légal est : « qui est relatif, conforme à la loi » (TLF). La solution de traduction adoptée en roumain a donc annulé les différences de sens entre les deux termes du texte français. L’hétéronyme de régulier existe pourtant en roumain, regulat, avec le même sens, mais dans la tradition juridique roumaine on préfère pourtant le terme legal, pour éviter toute confusion avec son sens courant « qui se produit avec régularité ». Nous sommes donc devant un cas typique d’adaptation des termes à la culture de la langue réceptrice.

Nous avons également identifié l’adjectif régulier avec le sens de « constant », « permanent » :

Le troisième cas particulier que nous voulons relever est celui qu’offre l’adjectif nubile dans le syntagme âge nubile traduit en roumain par vârsta stabilită prin lege (trad. litt. « âge établi par la loi »).

Cette ambiguïté de nature terminologique se manifeste lorsque l’interprétation juridique se sert de principes appartenant à des doctrines distinctes : par exemple âge de la majorité (à 18 ou à 21 ans), âge de la retraite, régime matrimonial (monogamique ou polygamique), etc. Le référent dans ce cas se modifie selon la législation en vigueur dans tel ou tel pays. La résolution de la relation ambiguë exige un savoir spécifique sur l’information contenue dans la séquence. Les notions floues permettent donc une grande liberté dans l’interprétation de la loi. Dans le texte analysé, le traducteur a conservé le sens général et interprétable du terme français, mais a choisi de le remplacer par une périphrase explicative, bien que l’adjectif nubil existe aussi en roumain.

Le participe comme déterminant du nom

Pour éviter la lourdeur des dispositions légales, pour éliminer les répétitions fâcheuses des subordonnées relatives, le législateur exploite largement les possibilités offertes par les modes verbaux non personnels, en l’occurrence les participes présent et passé.

La forme en –ant peut représenter soit un participe présent à valeur verbale, soit un adjectif verbal, constituant une sous-classe de l’adjectif qualificatif. Riegel (1994 : 340) établit dans ce sens une hiérarchie : « ces deux formes représentent deux degrés de l’adjectivisation du verbe : la participe présent garde l’essentiel des propriétés du verbe, alors que l’adjectif verbal se comporte comme un véritable adjectif ».

Syntaxiquement, on peut les différencier sur les caractéristiques suivantes : le participe présent est toujours invariable et accepte des compléments du verbe (compléments obligatoires et facultatifs), l’adjectif verbal fait l’accord en genre et en nombre avec le nom qu’il détermine et accepte des compléments de l’adjectif.

Le participe présent à valeur verbale

Dans le discours juridique, le participe présent à valeur verbale est le plus employé et, pour le traduire, le roumain préfère la subordonnée relative et plus rarement une structure nominale prépositionnelle.

a) participe présent (fr.) / subordonnée relative (roum.)

b) participe présent (fr.) / structure prépositionnelle (roum.)

c) participe présent (fr.) / participe présent (roum.)

La conservation de la construction de la langue source est une possibilité qui apparaît assez rarement en roumain :

Le participe (présent et passé) à valeur adjectivale

L’adjectif verbal formé à partir d’un participe présent est aussi une occurrence fréquente en français. Pour sa transposition, le roumain emploie un adjectif verbal surtout dans le cas des formes qui sont entrées dans la langue depuis longtemps : les Hautes Parties contractantes / Inaltele părţi contractante, État adhérent / Stat aderent, traitements dégradants / tratamente degradante.

La structure relative, qui rend le texte législatif plus lourd et plus élaboré, reste quand même la seule variante quand le roumain ne dispose pas d’une structure équivalente et qu’il ressent le besoin d’avoir une structure explicative : les parties comparantes / părţile care se prezintă în faţa autorităţii judiciare (trad. litt. « les parties qui se présentent devant l’autorité judiciaire »), les juges et les avocats généraux sortants / judecătorii şi avocaţii generali care îşi încheie mandatul (trad. litt. « les juges et les avocats qui finissent leur mandat »,

L’exemple suivant comporte un adjectif qualificatif de sens similaire pour l’adjectif verbal du français : des actes juridiquement contraignants / acte obligatorii din punct de vedere juridic (trad. litt. « des actes obligatoires du point de vue juridique »).

Le participe passé à valeur adjectivale est rendu en roumain par plusieurs variantes :

  • la même structure dans les deux langues : un usage prohibé / o folosire interzisă, les mesures prises / măsurile luate, une personne arrêtée, détenue / o persoană arestată, deţinută, travail forcé /muncă forţată, les principes visés / principiile menţionate ;

  • un adjectif qualificatif : les initiatives appropriées / iniţiativele corespunzătoare, les parties concernées / părţile interesate ;

  • une construction prépositionnelle ou propositionnelle : une éducation surveillée / o educaţie sub supraveghere (trad. litt. « une éducation sous surveillance »), les biens échus aux mineurs / bunurile care îi revin minorului (trad. litt. « les biens qui reviennent aux mineurs »).

Quant au participe passé à valeur passive, celui-ci apparaît avec l’ellipse de l’auxiliaire être dans une structure passive avec un complément d’agent : restrictions prévues par la loi / restrângeri prevăzute de lege, une ordonnance rendue par un tribunal / o hotărâre pronunţată de către un tribunal, une obligation prescrite par la loi / o obligaţie prevăzută de lege, un magistrat habilité par la loi / un magistrat împuternicit prin lege.

Les participes en tant que noms qui désignent les acteurs du droit

Il semble que la substantivisation des participes (présent et passé) représente l’une des sources d’enrichissement lexical du domaine juridique pour désigner les acteurs du droit.

Pour la transposition du participe présent en roumain, nous avons identifié les structures suivantes :

  1. participe présent à valeur nominale – participe présent à même valeur : adoptant/ adoptant, appelant/ apelant, reclamant, cédant / cedent, contractant / contractant, délégant / delegator, occupant / ocupant, requérant / reclamant, stipulant / stipulant, subrogeant / subrogant ;

  2. participe présent à valeur nominale – structure relative : adoptant / persoană care adoptă (trad. litt. « personne qui adopte ») à côté de adoptant, appelant / persoană care face appel (trad. litt. « personne qui fait appel ») à côté de appelant, comparant / persoană care se înfăţişează în faţa unei autorităţi (trad. litt. « personne qui se présente devant une autorité »), plaignant / persoană care face o plângere (trad. litt. « personne qui dépose une plainte ») ;

  3. participe présent à valeur nominale – nom emprunté au français : commettant / mandant, mandant / mandant, ressortissant / resortisant.

  4. Le participe passé présente soit des structures parallèles dans les deux langues (accusé / acuzat, associé / asociat, assuré / asigurat, condamné / condamnat, détenu / deţinut, intimé / intimat, citat, reclamat, prévenu / prevenit, juré / jurat), soit une structure prépositionnelle en roumain (intéressé / persoană în cauză (trad. litt. « personne en cause »), prévenu / deţinut în prevenţie (trad. litt. « détenu en prévention »). Il y a aussi des cas où le roumain emploie un nom du vocabulaire de base : conjoint/ soţ, soţie (trad. litt. « époux, épouse »).

Conclusion

Comparativement aux difficultés lexicales auxquelles est confronté le traducteur du texte juridique soumis alors à des contraintes sévères, les structures phrastiques lui laissent une certaine marge de manoeuvre, car il doit savoir distinguer ce qui constitue une servitude juridique de ce qu’il peut utiliser librement. Dans ce cas, il doit se pencher sur la langue cible pour pouvoir reconstruire le message afin que ses lecteurs puissent arriver à une compréhension parfaite du message au profit du texte de départ.

En ce qui a trait aux marques de l’énonciation qui déterminent la structuration du texte juridique, on a pu relever le fait que les traductions analysées s’orientent plutôt vers la langue source : elles suivent une démarche formelle qui privilégie les procédés de traduction directe et calque souvent la structure de départ.

La variante roumaine colle en quelque sorte à la structure du texte de départ, approche justifiée par le souci de fidélité au texte traduit, qui est une contrainte imposée par la nature des documents normatifs. Pourtant, elle s’individualise par les caractéristiques suivantes :

  • l’emploi des prépositions plus explicites que leurs correspondants français ou des structures différentes afin de refléter la réalité juridique en place ;

  • l’adaptation des adjectifs à la culture de la langue réceptrice et surtout l’emploi de périphrases explicatives afin d’éviter les notions floues, qui sont porteuses de sens général et interprétable ;

  • l’impossibilité pour le roumain d’exploiter les possibilités offertes par les participes présents et passés pour éviter la lourdeur et la répétition des subordonnées relatives, ce qui rend le discours normatif roumain plus élaboré et plus lourd encore ;

  • la prédominance des structures explicatives afin de rendre le discours juridique roumain plus précis et plus clair, sans aucune trace d’équivoque ;

  • la présence des périphrases explicatives pour suppléer à l’absence du terme correspondant en roumain.