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Wallace Schwab allait sur ses 80 ans lorsque la Parque a brusquement coupé le fil de sa vie. Et cela, avant que son esprit, affaibli par les maladies, et son corps, meurtri de tant de combats, aient eu le temps de le réaliser. Car Wallace Schwab – ´Wally` pour ses proches et amis – fut, tout au long de sa riche existence, un être double, mais dans le meilleur sens du terme, un mens sana in corpore sano.

Enfant d’une famille nombreuse de La Nouvelle-Orléans, né d’un père anglophone et d’une mère francophone, à l’image d’une Louisiane censément bilingue, il était pour ainsi dire tombé dans le chaudron de la potion du bilinguisme dès sa naissance. Cela allait le servir longtemps et l’aiguiller vers une double carrière de traducteur et de terminologue-(juri)linguiste, qu’il embrassera non pas dans sa chère Louisiane, mais dans le septentrional québécois, aux antipodes de la « belle endormie » par son rude climat hivernal, sa langue, espèce menacée, et ses intranquilles habitants. Rien de tout cela ne le rebuta lorsque le choix lui en fut donné, une fois son Bachelor Degree in Langages and History en poche (1965), il monte peu après, droit au nord, se perfectionner en traduction à l’Université de Montréal, où il obtint un diplôme de Maîtrise en Traduction et Linguistique, en 1971.

Son activité débordante comme Independant linguistic Researcher et de traducteur du français et de l’espagnol vers l’anglais lui apportent une réputation qui lui vaut d’être engagé, pour son savoir-faire, à l’Office de la langue française (OLF) pour y conduire des recherches en tant que Directeur de la terminologie juridique dans le cadre d’un contrat de quatre ans (1973-1977). Il y dirigea une équipe de quatre linguistes-traducteurs chargée d’enquêter sur l’incidence négative de l’anglais sur des documents du gouvernement québécois rédigés en français. Ses recherches et travaux, de terminologie et autres, ont été publiés par l’OLF et le Conseil de la langue française[1]. Son mandat achevé, il est engagé un peu plus tard, en 1979, par le Conseil de la langue française. Commence alors une fructueuse collaboration avec son collègue et ami Michel Sparer. On leur doit nombre de publications, conjointes ou non, sous forme d’articles, d’études et de monographies. La Rédaction des lois, rendez-vous du droit et de la culture, publié sous leurs deux noms, en 1980, reste un ouvrage de référence dans le domaine, au Canada comme à l’étranger. En 1981, le Conseil de la langue française publie Les locutions latines et le droit positif québécois, que l’auteur qualifie de « synthèses de pensée juridique » dans l’Introduction. C’est un répertoire pionnier de quelque 603 locutions passées au crible du terminologue accompli qu’était Wallace Schwab, ouvrage « re-edited and enlarged twice following initial publication », selon ses propres termes. Parallèlement à ces activités prenantes, il continuait inlassablement à traduire et faire oeuvre de terminologue, passionné qu’il était par la confrontation des langages du droit des trois langues (il maîtrisait aussi l’espagnol) qu’il pratiquait avec son zèle habituel.

Ce qui lui a ouvert les portes des universités et de l’enseignement universitaire. Féru de transfert des connaissances, il s’épanouit dans l’enseignement de la traduction, la rédaction et la terminologie juridiques auprès d’étudiants admirant ses connaissances, qu’il répandait généreusement autour de lui, doté qu’il était d’une personnalité chaleureuse, accessible et empathique. Car s’il faut retenir quelque chose de Wallace Schwab, en dehors de ses réalisations, c’est bien ce sourire bonhomme qu’il affichait en quasi-permanence et cette expression bienveillante sur son visage, qui se lisait dans son regard, sourire qu’il arborait en toute occasion. Sa grande générosité le poussait en outre à soutenir, encourager et aider les personnes comme les organisations, auxquelles il consacrait inlassablement une énergie indomptable et un suivi ponctuel, le tout bénévolement – il va sans dire. Comme il l’a exprimé lui-même, « Over the years I have participated in numerous benevolent institutions… ».

C’est ainsi qu’en plus de ses multiples occupations, il a joué un rôle important auprès de la Société des traducteurs du Québec (STQ d’abord, puis de l’OTTIAQ), ainsi que le rappelait Barbara McClintock « for his contribution to obtaining professional recognition in her [Betty Cohen] speech at the OTTIAQ meeting in 2012 at which he was named an honourable member »[2]. On ne saurait énumérer ici toutes les fonctions, le plus souvent bénévoles, que Wallace Schwab a remplies au cours de sa vie, mais il faut souligner celle de président de la Société des traducteurs de Québec, qu’il a exercée avec dévouement et panache durant de longues années.

Ce souci de participation et de soutien bénévole et assidu à une cause, à laquelle il consacrait temps et énergie, s’incarnait dans une volonté de transmission de connaissances et de savoir peu commune. C’est ainsi que, de concert avec la formation et le développement d’une mens sana, Wallace Schwab s’est aussi attaché au corpore sano, sa deuxième passion, accomplie dans le sport de haut niveau. Personne humble, courtoise et maîtrisée – mais non dénuée d’humour –, Wallace Schwab était trop modeste pour vanter ses exploits, qu’il tenait comme allant de soi et indignes de forfanterie. Pourtant, durant ses études à la University of New Orleans (1961-1965), il fonda un club de judo sur le campus de son université, sport et pratique auxquels il s’adonna sa vie durant, atteignant des sommets dans sa discipline : 2e dan de (Kōdōkan) judo, il fut vice-champion de judo du Canada dans sa catégorie et à un cheveu de l’emporter sur son adversaire, en finale – rien de moins. Il croisa même sur son tatami, à Québec, un des plus grands judokas de l’histoire, le colosse (près de deux mètres et plus de 110 kg) hollandais Anton Geesink, multiple champion du monde et médaille d’or aux Jeux de Tokyo ! Wally respirait le judo. Chaque rencontre, chez moi pour discuter traduction et terminologie juridiques, se terminait pieds nus sur le tapis, chacun démontrant, qui le dernier kata assimilé, qui la meilleure prise à tenter dans telle situation… Wally Schwab pratiquait cet art martial en gentleman respectueux des règles et du fair play. Malgré son impressionnante carrure dans ses meilleures années, il émanait de sa personne une douceur et un abord empathique rares, celles d’un homme sûr de sa force tranquille et pacifique.

Rares, en effet, sont les individus de la trempe de Wallace Schwab, qui sut combiner avec bonheur ces deux sagesses antiques du corps et de l’esprit pour le plus grand plaisir des personnes qui ont eu le bonheur de le connaître et de le pratiquer. Tu vas nous manquer, Wally, comme tu manques déjà à la profession, à laquelle tu as consacré tant d’énergie et de dévouement. Qu’elle t’en soit éternellement reconnaissante, toi qui lui as tant donné.