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Les incubateurs sont apparus au début des années 80 (Albert, Fayolle et Marion, 1994). Ce sont des structures qui permettent la création, le développement et le maintien d’entreprises pendant leurs premières années de vie (Smilor, 1987; Grimaldi et Grandi, 2005). Le processus d’incubation se fait à l’intérieur d’une structure (Rice et Matthews, 1995) et les aides apportées peuvent être de plusieurs sortes : conseils, services logistiques, financement, réseaux (Hackett et Dilts, 2004a; Bergek et Norrman, 2008). Leur rôle est de de créer ou stabiliser les ressources, compétences et connaissances des nouveaux entrepreneurs (Rice, 2002; Vohora, Wright et Lockett, 2004).

Les incubateurs d’entreprises français sont majoritairement financés par des organismes publics (au niveau européen, national et local). Les objectifs et le maillage de ces différents financeurs diffèrent selon les régions. L’Europe, au travers des CEEI (Centres Européens d’Entreprises et d’Innovation), recherche le développement de l’innovation dans les PME et les entreprises en création. L’Etat français, via le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, est intéressé par le transfert technologique et le développement de nouvelles entreprises issues des résultats de la recherche scientifique[1]. Il est à l’origine de l’établissement des incubateurs technologiques universitaires (ou incubateurs « Allègre ») en 1999. Dans les incubateurs « Allègre », l’Etat n’a pas vocation à intervenir seul et les subventions données sont complétées au niveau régional ou européen. Les collectivités locales (conseils régionaux, conseils généraux, agglomérations, les communautés de communes) possèdent, de leur côté, des objectifs de développement économique territorial (aménagement, attractivité et compétitivité). Les aides données peuvent être combinées à d’autres, mais ce n’est pas une obligation.

En France, l’accompagnement à la création d’entreprise comporte deux étapes : les incubateurs, intervenant avant la création, et les pépinières, intervenant après la création. La littérature anglo-saxonne utilise les termes « incubator » et « incubation » de façon plus large en se référant à une seule et même structure englobant la totalité du processus d’accompagnement (certaines pépinières françaises sont labellisées au niveau européen en tant que « Business Incubator Center »). Dans ce texte, nous ferons référence au processus d’incubation, comme défini dans la littérature anglo-saxonne, en prenant en compte aussi bien les incubateurs que les pépinières.

Les incubateurs sont au centre d’un environnement complexe dans lequel ils doivent satisfaire des demandes publiques et politiques (Von Zedtwitz et Grimaldi, 2006) pour continuer d’obtenir les ressources financières nécessaires à leur fonctionnement (Hackett et Dilts, 2004b). Par exemple, les incubateurs « Allègre » sont régulièrement évalués (Bussillet et al., 2006)[2] pour s’assurer que l’argent public a été correctement investi (Ernst & Young, 2003). Il devient alors important de savoir si les résultats présentés proviennent des caractéristiques des projets sélectionnés ou de la valeur ajoutée du processus d’incubation (Storey, 1998; Peters, Rice et Sundarajan, 2004; Hackett et Dilts, 2004b). Dans ce texte, nous proposons d’étudier l’influence comparative des caractéristiques des projets et de l’accompagnement reçu sur la performance de l’incubateur.

Après avoir introduit notre modèle et les hypothèses afférentes, nous les testerons au travers de régressions linéaires multiples sur un échantillon constitué de 177 entreprises hébergées dans 64 incubateurs publics français. Pour terminer, nous discuterons des résultats obtenus et de la continuité de la recherche.

Sélection des projets, processus d’incubation et performance des incubateurs

Généralement, la performance économique des incubateurs est confondue avec celle des entreprises hébergées. Les incubateurs sont des organismes qui permettent principalement le développement des entreprises au travers du transfert de connaissances (Bruneel, Ratinho, Clarysse et Groen, 2012). Pourtant, le lien établi entre la performance économique et l’action de l’incubateur a été régulièrement remis en question (Roper et Mawson, 1999, Tamasy, 2007). Les mesures de performance utilisées pour évaluer les incubateurs sont orientées majoritairement sur l’observation de la croissance des entreprises hébergées (chiffres d’affaires, emplois, taux de survie à plus de 3 ans, etc.) et ne permettent pas d’appréhender correctement le développement résultant du processus d’incubation (Bearse, 1998; Felsenstein, 2001). La question est de savoir ce qui est évalué lorsqu’on utilise des variables économiques (Wood, 1994, 1999; Chrisman et McMullan, 1996). Dans notre texte, il est entendu que les variables de croissance (comme par exemple la création d’emplois ou le nombre de ventes) rendent compte de la stratégie de l’incubateur sur le court terme tandis que les variables de développement (comme l’innovation, le transfert de connaissances, l’amélioration du capital humain, le développement de l’esprit d’ « entreprendre ») rendent compte de la stratégie de l’incubateur sur le long terme (Felsenstein, 2001).

Au-delà de cette limite des variables pour retranscrire l’action de l’incubateur, Alsos, Hytti et Ljunggren (2011) soulignent un autre phénomène pouvant altérer leur évaluation. Ils indiquent que pour faire face aux attentes des bailleurs de fonds et garantir la continuité du financement, les incubateurs peuvent se focaliser sur des indicateurs plus faciles à mesurer ou changer leurs logiques de sélection afin d’atteindre les objectifs qui leur ont été assignés.

Les stratégies de sélection doivent, normalement, être en adéquation avec l’accompagnement qui pourra être donné. Par exemple, l’incubateur peut faire le choix de recruter des projets ou des porteurs de projets possédant un fort potentiel technologique (Van Geenhuizen et Soetanto, 2005) ou un capital humain élevé (Colombo et Delmastro, 2002). Ces projets nécessitent des ressources et des compétences particulières que l’incubateur doit pouvoir fournir. D’un autre côté, si l’objectif de l’incubateur est orienté de manière prioritaire sur le résultat économique à court terme, ils pourront choisir des projets déjà créés et moins risqués pour l’incubateur. Comparé à l’exemple précédent, la valeur ajoutée de l’incubateur et l’accompagnement donné seront moindres. Les incubateurs régionaux liés au développement local peuvent mettre en place ce type de stratégie (Brooks, 1986). Il faut noter que la frontière entre ces choix stratégiques est parfois perméable. Mian (1996) et Lumpkin et Ireland (1988) indiquent que l’application des critères de sélection fluctue selon le taux de remplissage des incubateurs, l’importance donnée à celui-ci et les pressions politiques qu’ils subissent.

D’autres raisons peuvent mener au changement des logiques de sélection. La première est le décalage existant entre les indicateurs de performance utilisés (influencés par les objectifs des bailleurs de fonds) et les ressources disponibles de l’incubateur pour faire face aux besoins des hébergées (Von Zedtwitz et Grimaldi, 2006). Ceci arrive lorsque les objectifs définis sont supérieurs aux compétences internes de la structure (Clarysse, Wright, Lockett, Van de Velde et Vohora, 2005). La deuxième raison provient de la complexité de son environnement et de la clarté avec laquelle il va percevoir les objectifs donnés. Ceci apparaît lorsque l’incubateur doit répondre, en même temps, aux attentes de plusieurs parties prenantes externes (Alsos et al. 2011).

Ainsi, la sélection influence directement la performance affichée des incubateurs : un capital humain élevé ou un projet innovant permettent d’obtenir une performance supérieure. Dans notre texte, nous utiliserons la notion de capital humain pour étudier la sélection des incubateurs. Le capital humain du dirigeant et les compétences de l’entreprise en création sont généralement confondus (Barringer, Jones et Neubaum, 2005). Ce dernier peut être divisé en capital humain spécifique et générique. Les compétences génériques font référence au niveau académique du porteur de projet et à son expérience de travail. Les compétences spécifiques font référence à des connaissances ciblées que l’entrepreneur peut utiliser lors de la création de son entreprise. Elles peuvent être industrielles ou entrepreneuriales (Colombo et Grilli, 2005). Le capital humain industriel est lié à la connaissance du secteur d’activité dans lequel l’entrepreneur va créer son entreprise (expérience sectorielle), tandis que le capital humain entrepreneurial fait référence à la capacité de l’entrepreneur à diriger une nouvelle entreprise et s’obtient au travers d’expériences précédentes dans la création d’entreprise (expérience création) ou suite à une position managériale dans un travail précédent (expérience managériale) (Colombo et Grilli, 2005).

Suivant ces explications, nous avons développé un modèle reliant la sélection, l’accompagnement et la performance affichée des incubateurs (liée à la croissance et au développement des entreprises hébergées). Ce modèle est composé de trois hypothèses principales et plusieurs sous-hypothèses. Notre première hypothèse suppose un lien entre la politique de sélection des incubateurs et l’aide apportée. Les caractéristiques des projets sélectionnés auront une influence sur l’intensité avec laquelle ils seront suivis. Cette hypothèse s’appuie sur les écrits de Clarysse et al. (2005). Ces auteurs étudient les modes de management des centres universitaires de transfert technologique. Ils décrivent trois types de management liés à l’intensité du transfert (faiblement sélectif, intégré et incubation). Ils observent que plus la volonté de création de valeur économique est importante (car liée à une innovation), plus les ressources et compétences nécessaires le sont aussi. Ceci renvoie aux besoins des jeunes entreprises innovantes (Stinchombe, 1965; Zimmerman et Zeitz, 2002). Comparativement à des projets innovants, l’assistance de projets faiblement technologiques, ou matures, nécessite moins de ressources et compétences (Rice et Matthews, 1995; Rothaermel et Thursby, 2005b).

Hypothèse 1 : Les caractéristiques des projets sélectionnés influencent l’accompagnement reçu pendant le processus d’incubation.

Nos sous-hypothèses (H1a, H1b, H1c et H1d) indiquent un lien entre le potentiel d’innovation des entreprises sélectionnées et l’aide reçue. Les entreprises innovantes et les porteurs de projet possédant une expérience académique forte auront des besoins plus importants de conseils : les premières, à cause du risque lié à leur activité et au temps nécessaire à leur développement (Brooks, 1986; Rothaermel et Thursby, 2005b), les deuxièmes, à cause de leur expérience managériale faible (Klofsten et Jones-Evans, 1996; Chan et Lau, 2005; McAdam, Galbraith, McAdam et Humphreys, 2006). Selon ces auteurs, les entreprises innovantes sont généralement mises en place par des porteurs de projet possédant des compétences techniques importantes mais peu de compétences managériales. Ceci conditionne l’importance de l’apport qui doit être fait pour mener cette entreprise à la création. Nous pensons que ceci aura comme conséquence l’augmentation de l’accompagnement et des conseils donnés.

D’un autre côté, la possession d’une expérience managériale, sectorielle et de création aura l’effet inverse (H1e à H1j). En effet, un capital humain spécifique permet aux porteurs de projet de posséder un meilleur jugement entrepreneurial et de meilleures capacités à prendre des décisions stratégiques grâce à leur connaissance des règles du jeu (Colombo et Grilli, 2010), ces dernières influencent négativement les conseils reçus (H1b, H1c et H1d). Dans le cadre du capital risque, Barney, Busenitz, Fiet et Moesel (1996) montrent que l’expérience du dirigeant a une influence négative sur les conseils (managériaux et opérationnels) donnés par les accompagnateurs. Ces auteurs trouvent que les créateurs d’entreprise ayant une expérience dans le même secteur d’activité, ont tendance à moins écouter et apprendre. De par leurs expériences précédentes, ils développent un savoir tacite et une volonté d’être autonomes. Ces entrepreneurs sont beaucoup plus ancrés dans leur conviction et sont moins à même d’évaluer la qualité de l’accompagnement reçu (Allen et Bazan, 1990; Lofsten et Lindelof, 2002). Dans le cadre de l’incubation, ceci rejoint les observations de McAdam et McAdam (2008). Ces auteurs montrent que la perception de l’utilité des services diminue au fur et à mesure de l’évolution de l’entreprise. Lorsque l’entreprise est plus mature, le lien avec l’incubateur peut devenir une gêne car celui-ci donne une image de faiblesse et d’inexpérience de l’entreprise.

Notre deuxième hypothèse suppose un lien entre les projets sélectionnés et la performance de l’incubateur. Dans leur texte de 1990, Allen et McCluskey montraient l’existence d’une certaine cohérence entre les règles mises en place par l’incubateur (dont les critères d’admission) et les objectifs recherchés par la structure. Par exemple, les incubateurs intéressés par l’autofinancement doivent sélectionner des projets capables de payer un loyer rapidement (Rice et Matthews, 1995; Van Geenhuizen et Soetanto, 2005) et l’orientation de l’incubateur vers des projets technologiques éloigne l’obtention d’une performance sur le court terme (Rothaermel et Thursby, 2005a).

Des études comme celles de Tamasy (2007) indiquent que toutes les entreprises hébergées n’ont pas forcément besoin de la structure d’incubation. Il devient alors important de savoir quelle fraction de la performance est imputable aux caractéristiques des projets sélectionnés (Clarysse et al., 2005; Rothaermel et Thursby, 2005a). Sur la base de ces écrits, nous établissons l’hypothèse générale d’un lien entre les caractéristiques des projets sélectionnés et la performance affichée de l’incubateur (H2).

H2 : Les caractéristiques des projets sélectionnés influencent la performance affichée du processus d’incubation.

Il sera entendu que la sélection de projets innovants (H2a et H2b), et d’entrepreneurs possédant une expérience initiale forte, qu’elle soit liée à une connaissance académique, managériale, sectorielle ou dans la création d’entreprise (H2b à H2e), aura une influence positive sur la croissance de l’entreprise (Barringer et al., 2005). L’expérience permet de développer des connaissances tacites utiles et donne aux dirigeants une plus grande capacité pour diriger une équipe, attirer les capitaux extérieurs, et améliorer la croissance de l’entreprise (Colombo, Delmastro et Grilli, 2004; Pena, 2004; Barringer et al., 2005).

Toutefois, en termes de transfert de connaissances et d’apprentissage, nous supposons une influence opposée. Ainsi, en suivant la logique entamée par l’hypothèse 1, l’expérience académique et l’innovation auront une influence positive sur l’apprentissage (H2f et H2g), tandis que la possession d’une expérience managériale, sectorielle ou de création, aura une influence négative (H2h, H2i et H2j). Concernant l’influence de l’expérience académique, nous supposons qu’elle prédispose à l’ouverture d’esprit. Les personnes possédant un niveau académique élevé, devront être plus demandeurs, de par leurs manques de connaissances en création d’entreprise (Montgomery, Johnson et Faisal, 2005).

Notre troisième hypothèse relie positivement l’accompagnement du processus d’incubation au développement et à la croissance des entreprises hébergées (H3a à H3d). Il est généralement accepté que les aides externes sont bénéfiques aux jeunes entreprises (Chrisman et McMullan, 2000; Chrisman, McMullan et Hall, 2005). L’incubateur doit être vu comme un fournisseur de ressources et compétences stratégiques. Il permet l’apprentissage et le développement des connaissances tacites de l’entreprise hébergée (Hackett et Dilts, 2004b). Dans le cadre de l’incubation, Peters et al. (2004) indiquent que les structures qui fournissent un service de coaching ont un nombre d’entreprises créées plus important que les autres. Pena (2004) trouve un lien significatif positif entre l’aide intangible de l’incubateur et la croissance économique des projets. La réussite de l’entreprise dépend alors de la qualité et de l’adéquation des ressources données par la structure d’incubation au projet en création (Lichtenstein et Lyons, 2001; Hackett et Dilts, 2008).

H3 : L’accompagnement reçu pendant le processus d’incubation influence positivement le développement et la croissance des entreprises hébergées.

Modélisation et opérationnalisation des variables

Notre modèle suppose une logique d’incubation qui lie les caractéristiques des projets sélectionnés, l’accompagnement et la performance (Hackett et Dilts, 2004a). La performance de l’incubateur sera représentée par des variables économiques (taille des projets, création d’emplois), mais aussi par des variables liées au développement du capital humain du porteur de projet (apprentissage). Nous utiliserons la variable de conseils et la fréquence d’interaction avec le chargé d’affaires pour opérationnaliser l’accompagnement dans les incubateurs. La sélection sera analysée au travers des caractéristiques des projets hébergés et des porteurs de projet (Bruneel et al. 2012). Pour analyser les caractéristiques du projet, nous utiliserons la notion d’innovation technologique (Yli-Renko, Autio et Sapienza, 2001), tandis que pour les caractéristiques du porteur de projet, nous ferons référence aux notions de capital humain générique et spécifique (Barringer, Jones et Neubaum, 2005; Colombo et Grilli, 2010).

Figure 1

Architecture du modèle causal

Architecture du modèle causal

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Le tableau 1 donne un récapitulatif des hypothèses du modèle.

Dans notre modèle, chaque variable est composée d’items liés à des échelles de Likert en 5 points (à l’exception des variables taille du projet et création d’emplois, voir ci-dessous). Les réponses s’expriment en degré d’accord (de 1 à 5) de « Tout à fait d’accord » pour le degré 5 à « Pas du tout d’accord » pour la réponse 1. La variable création d’emplois est binaire : la valeur 0 était attribuée à la question si le porteur de projet indiquait qu’il n’avait pas recruté pendant l’incubation, la valeur 1, si la réponse était positive. La variable taille du projet reprend le nombre de personnes présentes dans l’entreprise au moment de l’enquête (voir le tableau 7 pour un descriptif des variables).

Tableau 1

Hypothèses du modèle

Hypothèses du modèle

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Variables dépendantes : Concernant le choix de nos variables dépendantes, nous avons pris le parti de nous intéresser à celles liées au développement et à la croissance de l’entreprise hébergée. La croissance fait référence à l’augmentation des revenus et de l’emploi dans l’entreprise, le développement renvoie aux notions d’apprentissage et d’amélioration du capital humain (Bearse, 1998).

Nous avons exclu la variable liée à la survie des entreprises, bien qu’historiquement, elle ait été utilisée par les incubateurs (OCDE, 1997). Phan, Siegel et Wright (2005) et Nolan (2003) indiquent que ce critère reste ambigu et reflète, en partie, la politique de suivi de l’incubateur. Le taux de survie devient une variable intéressante à partir du moment où l’entreprise est sortie de l’incubateur. Dans notre cas, nous avons interrogé des entreprises hébergées, l’utilisation de cette variable n’était donc pas appropriée.

Nous avons décidé d’intégrer dans notre enquête les questions relatives à la taille de l’entreprise au moment de l’enquête (taille du projet), au nombre d’emplois créés (création d’emplois) et au chiffre d’affaires (ventes). Les variables d’augmentation du chiffre d’affaires et du nombre d’emplois créés sont complexes à utiliser (Allen et Weinberg, 1988; Wood, 1994, 1999; Chrisman et McMullan, 1996) et peuvent être soumises à des problèmes d’attribution et de comparaison[3]. Dans notre texte, nous avons exclu la variable liée au chiffre d’affaires (ventes), le taux de réponse ayant été relativement faible. Ceci reflète le caractère confidentiel que peut posséder cette variable pour des entreprises en création.

La variable taille du projet prend en compte le nombre de personnes présentes dans le projet que ce soit les personnes de l’équipe dirigeante ou les employés. Celle de création d’emplois considère seulement les employés. Pour composer la variable d’apprentissage, plusieurs questions ont été posées autour des connaissances reçues (amélioration des connaissances managériales, financières et législatives[4]). Colombo, Delmastro et Grilli (2004) montrent que ce type de connaissances possède une influence sur le développement de l’entreprise nouvellement créée, contrairement aux connaissances plus techniques. L’alpha de Cronbach obtenu est égal à 0,8527.

Variables indépendantes : Deux variables ont été utilisées pour représenter l’accompagnement de l’incubateur : la perception des conseils reçus par l’incubateur (échelle à trois items[5]) et la fréquence d’interaction avec le chargé d’affaires (mono-item).

La variable de conseils est une variable récurrente dans l’explication du fonctionnement du processus d’incubation (Rice, 2002; Hackett et Dilts, 2004a; Bergek et Norrman, 2008), mais assez peu utilisée au sein de modèles d’analyse (Peters et al. 2004, Hackett et Dilts, 2008). On lui oppose généralement des variables liées à l’infrastructure et au réseau développé. Toutefois, l’assistance via le conseil est reconnue comme étant le service générant le plus de valeur ajoutée (Mian, 1997; Scillitoe et Chakrabarti, 2010). Pour notre recherche, nous avons créé une échelle, inspirés par les écrits de Zahra et Pearce (1989) et Westphal (1999). Ces derniers ont étudié le rôle des comités de direction sur la performance des entreprises. Nous intégrons les travaux de Barney et al. (1996) sur l’accompagnement effectué par des capitaux risqueurs. L’alpha de Cronbach obtenu pour cette variable est de 0,8835.

La deuxième variable utilisée pour l’accompagnement correspond à la fréquence d’interaction entre le chargé d’affaires et les entreprises hébergées. Elle permet la diminution de l’incertitude et de l’asymétrie d’information (Sapienza et Gupta, 1994; Cable et Shane, 1997; Shane et Stuart, 2002), mais aussi l’accès aux ressources (Rice, 2002). Plusieurs études suggèrent l’importance de cette variable dans le processus d’incubation (Tötterman et Sten, 2005; Scillitoe et Chakrabarti, 2010). Une question a été posée aux hébergés pour représenter cette variable : « Indiquez la fréquence de vos rencontres formelles (réunion de travail…) avec votre chargé d’affaires (ou toute(s) personne(s) chargée(s) de vous suivre pendant votre hébergement ». Six réponses étaient possibles (jamais ou presque; 1 à 3 fois par an; 2 à 4 fois par trimestre; 2 à 4 fois par mois; 2 à 3 fois par semaine; Tous les jours ou presque).

Concernant les caractéristiques du projet, nous avons utilisé une variable de potentiel d’innovation technologique. Trois questions ont été posées en suivant les écrits d’Yli-Renko et al. (2001) : « Le projet a une très forte orientation technologique; La R&D est une priorité absolue pour la réalisation de ce projet; L’avantage compétitif du projet est basé sur sa technologie ». Nous obtenons un alpha de Cronbach de 0,9577.

Enfin, pour les variables d’expérience, nous avons suivi les écrits s’intéressant au capital humain des créateurs d’entreprises (Pena, 2004; Barringer, Jones et Neubaum, 2005; Colombo et Grilli, 2005, 2010). Trois questions ont été posées sur leurs expériences managériale, sectorielle et entrepreneuriale[6]. L’expérience académique se décompose en 7 réponses (autodidacte, BEP/CAP, baccalauréat, licence, master, ingénieur, doctorat).

Nous avons évalué la fiabilité et la validité convergente de nos construits lorsque c’était nécessaire[7] (alpha de Cronbach, rhô de Jöreskog, et AVE) (tableau 8 en annexe). Puis nous avons vérifié la discriminance des mesures par l’observation de la matrice de corrélation (tableau 9 en annexe). A la suite de cela, nous avons sommé nos échelles (via le logiciel SPSS) et les avons intégrées dans un modèle de régressions linéaires multiples (Hair, Anderson et Black, 2010). Plusieurs modèles ont été testés. Sur chacune des variables dépendantes, nous avons intégré successivement deux groupes de variables indépendantes : caractéristiques des projets et des porteurs de projets, accompagnement.

Présentation des résultats

Un questionnaire a été envoyé auprès d’une population de 1586 entreprises hébergées dans 64 structures d’incubation françaises entre novembre 2006 et février 2007. Notre échantillon, composé de 177 entreprises, correspond à un taux de réponse de 11,16 %.

Au sein de cet échantillon, nous retrouvons 104 entreprises hébergées dans des incubateurs et 73 dans des pépinières. L’essentiel de notre population se concentre entre 36 et 45 ans avec un niveau d’études élevé (niveau master). Les secteurs d’activité des entreprises interrogées sont majoritairement technologique (32,8 %), biotechnologique (15,3 %), d’ingénierie (18,1 %) et de services (18,1 %).

Le tableau 2 présente les résultats liés aux déterminants des variables d’accompagnement (conseils et interaction). Les deux modèles sont significatifs (F = 4,232; p < 0,01 et F = 2,625, p < 0,05) mais expliquent faiblement les variables dépendantes (9,3 % pour la variable interaction et 5 % des conseils obtenus). Les variables qui influencent significativement l’interaction sont l’expérience managériale (négativement) et l’innovation (positivement). Les conseils obtenus sont influencés seulement par l’innovation.

Le tableau 3 présente l’analyse des déterminants de l’apprentissage. Deux modèles ont été testés (modèles 3 et 4). Ils sont significatifs (F = 6,108; p < 0,001 et F = 16,431; p < 0,001) et expliquent successivement 14,2 % et 41,2 % de la variance. L’introduction des variables d’accompagnement sont à l’origine d’une augmentation importante du R². Ils montrent que l’apprentissage est influencé positivement par les conseils obtenus, l’innovation et l’expérience sectorielle. L’expérience managériale influence négativement l’apprentissage.

Tableau 2

Régression linéaire : interaction et conseils

Régression linéaire : interaction et conseils

*p<0,1; **p<0,05; ***p<0,001

a

les VIF varient de 1,026 à 1,285.

b

les VIF varient de 1,023 à 1,262. La multicolinéarité est acceptable.

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Tableau 3

Régression linéaire, apprentissage

Régression linéaire, apprentissage

Variable dépendante apprentissage; les VIF varient de 1,024 à 1,448.

La multicolinéarité est acceptable. *p<0,1; **p<0,05; ***p<0,001

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Tableau 4

Régression linéaire, taille actuelle

Régression linéaire, taille actuelle

Variable dépendante Taille du projet; les VIF varient de 1,014 à 1,414.

La multicolinéarité est acceptable. *p<0,1; **p<0,05; ***p<0,001

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Tableau 5

Régression logistique binaire, création d’emplois

Régression logistique binaire, création d’emplois
a

Test de Hosmer-Lemeshow : 3,664, (8), p = 0,886

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Le tableau 4 analyse les déterminants de la taille du projet au moment de l’enquête. Les deux modèles (modèles 5 et 6) sont significatifs (F = 5,378; p < 0,01 et F = 4,477; p< 0,01) et expliquent au maximum 15,3 % de la variance.

Pour analyser la création d’emplois, nous avons utilisé une régression linéaire binaire (modèle 7). Les résultats de cette analyse se retrouvent dans le tableau 5. Le modèle est significatif (Test de Hosmer-Lemeshow) et explique 18,7 % de la variance.

Discussion

Au regard des résultats obtenus (tableaux 2 à 5), il apparaît que la sélection de projets possédant un potentiel d’innovation important influence directement l’accompagnement (conseils et interaction) et l’apprentissage (H1a, H1b et H2f). Ceci est conforme avec les recherches sur le besoin des entreprises en création (Stinchombe, 1965) et avec l’influence des conseillers extérieurs dans le processus d’innovation (Chrisman et McMullan, 2000). Les entreprises innovantes obtiennent plus de conseils, interagissent plus avec leur chargé d’affaires et apprennent plus durant le processus. Dans notre étude, nous observons une certaine cohérence entre la sélection des projets et l’accès aux ressources de l’incubateur.

Concernant l’influence du capital humain, il existe un lien significatif (positif) entre l’expérience sectorielle et l’apprentissage. Ce résultat est inversé par rapport à notre hypothèse de départ (H2i). Les porteurs de projet possédant une expérience sectorielle sont, en effet, en demande de connaissances entrepreneuriales (création d’entreprise et management). Le fait de connaître un secteur d’activité permet de voir les opportunités du marché (Barney et al., 1996) mais ne donne pas toutes les clés pour les exploiter. Le manque de connaissances et des outils nécessaires à la création (managériaux, techniques, marketing etc.) incite le porteur de projet à rentrer plus facilement dans le jeu de la coopération (Rice, 2002).

Notre analyse confirme l’influence négative de l’expérience managériale sur les interactions avec le chargé d’affaires (H1f) et l’apprentissage (H2h). Les porteurs de projets ayant ce type d’expérience ont tendance à moins bien valoriser l’apprentissage pendant le processus d’incubation et à moins interagir avec leur chargé d’affaires. Nous retrouvons les écrits de Barney et al. (1996). L’acquisition de connaissances tacites en management avant l’entrée dans l’incubateur diminue l’utilité de l’incubation. Un deuxième résultat indique que les porteurs de projets possédant une expérience managériale forte sont à l’origine d’entreprises de taille plus importante.

La taille du projet est influencée positivement par son potentiel d’innovation et par l’expérience sectorielle de l’entrepreneur. Nos analyses montrent que l’ajout des variables d’accompagnement (modèle 6) n’améliore pas le pouvoir explicatif de l’équation (R²). Ces résultats sont conformes aux recherches antérieures (Pena, 2004; Barringer et al., 2005) et soulignent l’importance des caractéristiques initiales dans le potentiel de création de valeur et de développement des projets.

Concernant la création d’emplois (modèle 7), nos résultats montrent que les projets innovants sont ceux qui recrutent, tandis que les porteurs de projets avec une expérience dans la création d’entreprise ne rentrent pas dans ce processus. Ce résultat est le même que celui trouvé par Pena (2004). Cet auteur suppose que suite à un échec, les porteurs de projets avec une expérience dans la création préfèrent passer par un incubateur d’entreprise pour améliorer leur chance de réussite mais sur des entreprises plus petites.

Par contre, nous observons une influence négative des interactions avec le chargé d’affaires sur la taille et le recrutement. Les projets interagissent moins avec l’incubateur lorsqu’ils sont entrés dans un processus de recrutement ou lorsque leur taille devient importante. Ce résultat est inverse par rapport à notre hypothèse initiale (H3c) et aux études précédentes (Pena, 2004). Nous pensons que ce lien négatif reflète l’éloignement entre des projets qui se développent et les interactions avec l’incubateur (McAdam et McAdam, 2008). Enfin, notre variable de conseils influence seulement l’apprentissage obtenu pendant le processus d’incubation (H3b) et pas notre variable de croissance économique (H3a). Ces résultats montrent la difficulté que renferment les variables de performance telles que l’emploi pour représenter l’action de l’incubateur sur le court terme et soulignent un décalage entre le rôle de l’incubateur (apprentissage) et les résultats demandés pour juger de la qualité de ces structures (utilisation de variables de performance économique).

Notre tableau 6 reprend les différentes hypothèses et les résultats obtenus.

Tableau 6

Validation des hypothèses

Validation des hypothèses

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Conclusion

L’objectif de ce texte était d’étudier le lien qui existe entre les caractéristiques des projets sélectionnés, le processus d’accompagnement et la performance de l’incubateur. Une enquête a été effectuée auprès de 177 entreprises françaises hébergées dans des incubateurs publics. Les résultats obtenus montrent la difficulté des variables économiques (la taille des entreprises hébergées et la création d’emplois) pour représenter l’action de l’incubateur sur le court terme.

Les structures d’incubation font face à un paradoxe : elles doivent, d’un côté, choisir les meilleurs candidats par rapport à leur objectif à court terme et de l’autre, faire attention à la sélection des entreprises dont le potentiel est encore à développer. C’est sous cette dernière condition que la caractéristique de l’incubateur comme organisme de soutien prend tout son sens.

Notre travail souligne l’influence des caractéristiques des projets et porteurs de projets sur la performance de l’incubateur et la nécessité de prendre en compte leurs effets. Une réflexion sur la mise en place de mesures d’évaluation permettant de comprendre la valeur ajoutée des incubateurs (transfert de connaissances) semble opportune (McMullan, Chrisman et Vesper, 2001). L’évaluation des structures d’accompagnement basée sur des critères économiques, comme la création d’emplois, peut avoir comme conséquence de voir apparaître au sein de l’incubateur des entreprises « créatrices d’emplois » plus aptes à réussir sans l’aide de ce dernier.

Certaines limites liées à notre étude peuvent être soulignées. Elles ont trait à l’amélioration d’échelles de mesures pour représenter l’action des incubateurs (Hackett et Dilts, 2008) et à la prise en compte d’autres variables dépendantes que la seule création d’emplois (Sherman, 1999). Nous rajoutons que notre analyse était basée sur l’obtention de données déclaratives. Une des voies d’amélioration de cette recherche pourrait être la récolte de données objectives pour améliorer la compréhension du phénomène.