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Montréal, ville de 2 millions d’habitants, est reconnue internationalement comme ville créative et culturelle. De nombreux exemples sont cités : du Cirque du soleil à Céline Dion, de l’industrie aérospatiale et le célèbre Canadarm[1], au leadership de Softimage et l’animation 3D, au dramaturge Robert Lepage[2], à l’industrie des jeux vidéos analysée par Cohendet et Simon (2007), et finalement la musique électro-acoustique, comme celle d’Arcade Fire[3], louangée par le New York Times. La revue Time Magazine (Purvis, 1999), dans un article portant sur la créativité culturelle canadienne, décrit de façon emphatique la créativité montréalaise, en citant de nouveau Céline Dion au réalisateur François Girard[4], à la troupe de danse La La La Human Steps[5] et son fondateur Edouard Lock, en qualifiant cette créativité montréalaise d’expression artistique d’une grande richesse. Pour Daniel Lamarre[6], président et chef de la direction du célèbre Cirque du soleil, ‘la créativité passe avant tout’ (Danserau, 2005). Dans cette ville, une industrie culturelle et créative, l’industrie cinématographique, a su se développer au fil des années et obtenir un rayonnement international en obtenant des prix à Cannes et à Hollywood, et ayant un niveau de production équivalent à des pays tels l’Australie, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède (Focus, 2007).

Le cinéma québécois s’est taillé une place intéressante dans une industrie cinématographique très internationale et mondiale. La concurrence d’un cinéma national, comme celui qui se produit à Montréal, se fait autant au niveau de l’accès aux ressources physiques et humaines, qu’à celui de l’accès au financement, qu’à l’accès aux écrans. Dans un contexte complexe et dominé par une très forte présence américaine, l’industrie du cinéma au Québec, et en particulier à Montréal, a su se développer par son originalité, sa façon de produire, et sa façon de financer ses oeuvres. Grâce au développement de ses auteurs-scénaristes, de ses réalisateurs et de ses acteurs, les histoires racontées portent une marque issue de ce milieu francophone nord-américain. Les artistes et artisans de l’industrie produisent autant pour le cinéma, que pour la télévision et pour les productions américaines fabriquées à Montréal (U.S. Runaways) et en plus pour le milieu publicitaire. L’industrie, avec l’aide des différents paliers gouvernementaux, a développé un financement qui lui a permis une croissance et une stabilité. À travers cet ensemble de processus, on y retrouve la présence d’un processus créatif qui a su aider l’industrie cinématographique à se démarquer et tout en faisant bénéficier les autres industries culturelles et aussi en s’alimentant de celles-ci. Cette note de recherche va premièrement expliquer le mode de fonctionnement de l’industrie cinématographique et son contexte international. Par la suite, nous démontrerons le fonctionnement de l’industrie cinématographique montréalaise dans ce contexte et expliquerons ses forces et faiblesses en se basant sur le modèle microéconomique de l’environnement d’affaires de Porter (Porter, 1990), aussi appelé le ‘diamant’, comprenant les forces de la demande locale, la présence et synergie avec les industries connexes, la disponibilité des ressources et les stratégies de dépassement ou d’internationalisation.

L’industrie du cinéma : le fonctionnement des unités de production

Le milieu de la fabrication de produits cinématographiques, comme celui de la construction, ou celui de grands événements sportifs tel les Olympiques, des spectacles sur scène ou des pièces de théâtre, se situe dans un contexte d’organisations basées sur des projets, des structures temporaires (Mintzberg, 1979) où ces unités n’existent que pour la durée d’un projet, avec un système de pigistes qui accomplissent des tâches complexes et non routinières. Cet environnement est incertain (Blair, Grey, & Randle, 2001) et complexe (Brunet J., 2004), et il y existe une grande difficulté de bien y comprendre les facteurs de réussite (Faulkner & Anderson, 1987). La stabilité de cette industrie est assurée par un grand nombre de petites entreprises de production où y oeuvrent des individus qui prennent les décisions quant à la production. Cette production cinématographique gravite autour de projets et non autour d’entreprises de production (Blair, Grey, & Randle, 2001).

Contrairement à des organisations traditionnelles, où les individus ont des emplois stables et continus, avec des lignes hiérarchiques claires, le milieu de la production cinématographique est composé d’entreprises qui créent des unités au fur et à mesure qu’il y a des produits à fabriquer. Ce sont des structures très organiques avec peu de formalisation du comportement : des équipes, avec une division du travail précise, comprenant des auteurs, producteurs, réalisateurs, acteurs, techniciens, artisans, travaillant ensemble pendant une période précise et créant des produits très complexes (Morley & Silver, 1977; Lampel & Shamsie, 2003). À la fin du projet, cette unité de fonctionnement est démantelée. Les individus vont alors travailler à d’autres projets, dans la même entreprise ou dans une autre. Le démantèlement peut être graduel ou progressif. Pendant la production les équipes peuvent rapidement passer de 20 personnes à 190 et, lorsque la construction des plateaux est terminée, de 40 à 50 personnes peuvent quitter d’un seul coup (Faulkner & Anderson, 1987).

Dans cet environnement incertain (Blair, Grey, & Randle, 2001), les individus qui y participent ne savent pas nécessairement d’où viendra leur prochain contrat ou emploi. Le succès économique d’un projet est souvent mieux reconnu que l’innovation artistique (Faulkner & Anderson, 1987). Toujours selon Faulkner & Anderson (1987) les meilleurs projets attirent les meilleures ressources. Les individus avec les meilleures performances seront les mieux perçus. Les réputations et habiletés s’accumulent d’un contrat à l’autre, et les personnes qui ont la meilleure réputation évolueront plus rapidement dans leur carrière ou obtiendront plus rapidement un autre contrat, selon Becker (1982), il ne suffit pas d’avoir les capacités d’être pigiste, mais il faut un réseau de contacts, et la base de ces réseaux est la confiance. Cette réputation ou la confiance dans les personnes embauchées sert à réduire l’incertitude (Blair, Grey, & Randle, 2001) pendant la production.

L’incertitude existe aussi quant à la réaction des consommateurs. Il est très difficile de prévoir la réception qu’aura dans le marché le produit concerné. Contrairement à d’autres industries commerciales où les produits sont développés en fonction des besoins des consommateurs, les films sont surtout développés en fonction des visions ou perceptions de créateurs (Colbert, Bilodeau, Brunet, Nantel, & Rich, 2007). Un même producteur peut fabriquer un premier film qui aura un succès très important, et par contre son film suivant peut être un échec tout aussi important. Le succès n’est jamais assuré.

L’environnement, quant au aux producteurs et créateurs, y est très concurrentiel. Les barrières à l’entrée, pour ceux-ci, ne sont pas très fortes, il y est très facile de s’y introduire. L’environnement encourage les talents à se développer, mais les ressources physiques et financières demeurent quand même limitées.

La complexité de l’environnement est aussi due aux équipes importantes qui doivent en très peu de temps se réunir et travailler à la fabrication d’un nouveau film, et chaque film étant un exemplaire unique, donc un prototype. De plus, ces projets de nature créative, tout au long de leur fabrication doivent constamment se réajuster et se recentrer sur les objectifs originaux. Ils sont imprégnés d’incertitude autant au niveau des ressources physiques qu’humaines.

Le contexte international : la prédominance américaine

Les échanges internationaux, pour toute industrie, sont facilités par l’évolution technologique, la facilité des moyens de communication et des moyens de transport. L’influence et la dominance américaine dans ce milieu cinématographique sont omniprésentes. Les caractéristiques même du ‘produit américain’ facilitent l’exportation de ces films. La taille de son propre marché domestique lui permet d’obtenir des économies d’échelle importantes et d’amortir une partie importante du coût de production. La prédominance de la langue anglaise procure aussi un avantage important. Le produit intérieur brut (PIB) des pays anglophones est plus élevé que celui des autres pays comme le Japon ou l’Allemagne (Economist, 2008). L’anglais est la langue la plus utilisée dans les zones les plus prospères. L’effet conjugué de la population et du revenu confère un rôle dominant à l’anglais pour l’exportation des films et des émissions de télévision. Le lieu mythologique de Hollywood ou le rêve américain y joue aussi un rôle : la création est assujettie à des intérêts commerciaux, d’où un compromis entre l’action, la facilité de compréhension, les thèmes abordés en surface, la rapidité et la multiplicité des événements et aussi les thèmes récurrents tels que la guerre, l’action, l’amour et le suspense. Outre-Atlantique on met l’accent sur les dialogues, aux États-Unis on privilégie le spectaculaire, les effets spéciaux et l’apparence à l’intensité des discours. Le cinéma américain demeure axé sur la promotion de l’American Dream, (liberté, accomplissement personnel, poursuite du bien-être (Ménard, 2004). Le système hollywoodien jouit d’apport de capital financier important et relativement facile à obtenir. L’emprise des majors tels Columbia, MGM, Fox, Warner, Disney, permet non seulement d’accéder à des budgets élevés, mais surtout à un système de promotion et de distribution importants. Les firmes américaines exercent un contrôle important sur l’ensemble du système de distribution tant sur leur marché domestique que sur les marchés étrangers (Brunet & Gornostaeva, 2006).

Tableau 1

Nombre de films produits en Europe, U.S., Japon, Canada et Québec

Nombre de films produits en Europe, U.S., Japon, Canada et Québec

(CFPTA, 2008)

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Les États-Unis sont, certes, le producteur le plus important de films. Ils ont produit en 2005, 699 films, alors que l’Europe au complet a produit en 2004, 689 films. Les autres importants producteurs sont l’Inde, le Japon, la Chine, l’Italie. L’Inde produit facilement au-delà de 800 films par année, mais son rayonnement international, surtout en occident, demeure limité. Ces statistiques représentent les lieux du copyright du film. Toutefois, à cause des échanges internationaux, il est parfois difficile de déterminer l’origine d’un film. Le film ‘Alexander’[7] fut tourné en Thaïlande et au Maroc, il était une initiative de la Warner, les financiers étaient européens, coréens, et japonais. Le casting était européen en partie et la postproduction fut effectuée en France. Ce film est considéré britannique dans les statistiques allemandes, espagnoles et britanniques et américain dans la presse professionnelle française.

Tableau 2

Coût moyen d’un film en 2005-2006

Coût moyen d’un film en 2005-2006

(CFPTA, 2008), (Focus, 2007)

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Le budget moyen d’une production américaine leur accorde un avantage concurrentiel très important. En 2005 – 2006, le budget moyen d’une production américaine était d’US $ 65,8 millions, alors qu’au Québec, par exemple, il était d’US $ 2,7 millions. D’avoir accès à des ressources financières aussi importantes permet un accès à des artistes et acteurs de grand calibre, à un réalisateur d’envergure, à des décors plus intéressants, à des effets spéciaux, à une trame sonore importante, pour ne mentionner que ces quelques éléments. La vente d’un film sur le marché mondial se fait en grande partie grâce à la réputation du réalisateur et à celle des acteurs qui y figurent.

Ces coûts de production ne comprennent pas les budgets de promotion du film. Les entreprises américaines sont reconnues pour l’importance accordée au financement de la promotion d’un film, et ce budget est souvent à la même hauteur que le budget de production du film, parfois même supérieur. La résultante de ce phénomène se retrouve au Box Office international, lorsque l’on examine celui-ci, on ne retrouve presqu’exclusivement des films américains, ou des films américains en coproduction avec certains territoires majoritairement anglo-saxons. Ce revenu du Box Office ne représente que les entrées en salle, et ne comprend pas les ventes DVD, ou ventes à des télédiffuseurs

Tableau 3

Box Office international - 2006

Box Office international - 2006
Source : (Focus, 2007)

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Le film québécois ayant obtenu le Box Office le plus important de tous les temps est ‘Bon Cop Bad Cop’ (Cineac, 2008), avec des recettes d’environ US $ 10 millions. Le film ayant réalisé au Québec le Box Office le plus important, de tous les temps, est Titanic, de la Paramount, avec des recettes de $ US 19 millions (Cineac, 2008).

Martin et Porter (Martin & Porter, 2000), cite en exemple cette industrie hollywoodienne comme exemple du modèle ‘diamant’. Ils y expliquent la force de son environnement et la sophistication des aspects opérationnels et stratégiques des entreprises. Selon ces auteurs, la force des pressions concurrentielles forcent les joueurs à se dépasser. Les studios se font une concurrence très forte, le consommateur américain est avide de cinéma américain, et cette industrie est appuyée par une main d’oeuvre hautement spécialisée, formée dans deux universités très prestigieuses et qualifiées (UCLA et USC). Les industries connexes telles celle des effets spéciaux et celle des caméras cinématographiques sont basées en Californie. Selon cette étude, cet ensemble de conditions a permis à l’industrie américaine de se dépasser et d’atteindre un leadership mondial. Toujours selon cette étude, cette situation hollywoodienne crée des défis de taille pour l’ensemble des autres producteurs mondiaux. Selon eux, les pressions au surpassement dans les autres pays sont moins grandes, et les infrastructures moins importantes. Hollywood attire les talents internationaux, phénomène que l’on pourrait qualifier de ‘Runaway talent’. Cette situation est présente au Canada anglais où ses artistes et artisans se retrouvent en grand nombre à Hollywood.

L’industrie du cinéma à Montréal

Montréal bénéficie d’une industrie cinématographique très active et en fait très mature. Depuis le début du XXème siècle, des films sont produits en français à Montréal. Le premier film, Évangeline, fut produit en 1913. La première production internationale, Confess d’Alfred Hitchcock, fut tournée à Québec en 1952 (NCA, 2004). L’Office national du film (ONF), organisme gouvernemental créé en 1938, a joué un rôle très important dans le développement de cette industrie. Cette institution a su développer une tradition cinématographique, basée sur le documentaire, le long métrage et l’animation. Les premiers artisans étaient formés par cette institution, et il s’est donc établi à Montréal, une volonté de refléter une réalité nationale d’un vécu particulier de francophones vivant en Amérique du nord. L’Office national du film demeure, à ce jour, présente sur la scène internationale, obtenant de nombreux prix, incluant des Oscars à Hollywood (CH, 2007).

Autant au Canada l’industrie des médias à été règlementée par les gouvernements, celle du cinéma n’a jamais réussi obtenir des règlementations, autre que pour le financement. Le contenu canadien, autant à la télévision qu’à la radio, a joui d’une règlementation très forte, ce qui a permis une diffusion assurée des productions canadiennes. L’industrie cinématographique n’a jamais eu ce genre de règlementation, et la décision d’accès aux écrans a toujours été laissée aux propriétaires de salles de cinéma, et ces salles étaient soit la propriété des Majors américains ou sont devenus membre de grands réseaux importants.

Tableau 4

Financement des productions cinématographiques (2006-2007)

Financement des productions cinématographiques (2006-2007)

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En ce début du XXIème siècle, l’industrie du cinéma à Montréal a sûrement atteint une nouvelle étape. Sur ce marché montréalais, le consommateur a accès à une grande diversité de films internationaux, américains et québécois. L’industrie s’est structurée au fil des années, on y retrouve : une abondance de producteurs indépendants (83 maisons de production), des associations professionnelles et syndicales (Association des Producteurs de films et télévision du Québec, APFTQ; Union des artistes, UDA, etc.,). Les possibilités de financement très importantes qui existent, ont eu des effets structurants pour l’ensemble de l’industrie. Dès 1967, le gouvernement canadien créa un fond afin d’encourager la production cinématographique indépendante. En 1983, le Canada commença à signer des accords de coproduction afin d’encourager la production cinématographique internationale. Depuis, des modes de financement autant fédéral (Fonds du long métrage du Canada) que provincial, la Société de développement des entreprises culturelles (Sodec), des crédits d’impôt fédéraux et provinciaux, des apports de l’ONF, ont été mis sur pied afin d’assurer une production constante au milieu cinématographique. En 2006-2007, 58 % des budgets de longs métrages canadiens destinés aux salles provenaient d’une source publique. Le total de la production cinématographique pour 2006-2007 était de $ CDN 124,0 millions (Observatoire, 2007).

Des formations spécialisées pour les intervenants du milieu ont vu le jour (Institut national de l’image et du son, Université du Québec à Montréal, Université Concordia, Université de Montréal, HEC Montréal), ce qui a contribué au développement d’une main-d’oeuvre très spécialisée et qualifiée. Un système de galas (Jutras, Génies), remise de prix, et toute une gamme de journaux spécialisés, tels les Qui fait quoi, CinéTVMultimédia, Infopresse, couvrant cette activité sont aussi présents. Un ‘star-system’ important assure une visibilité quasi-constante à l’industrie. Un ensemble de magazines spécialisés couvrent la vie des vedettes et l’arrivée des nouvelles productions de l’ensemble des industries culturelles.

Le Québec a produit, en 2007, 36 films, ce qui représente un volume de $ 124 millions. Ceci représente 44 % de la production totale canadienne. Montréal occupe la 1ière place au Canada comme producteur de films canadiens (CFPTA, 2008). Rappelons que la population canadienne est d’environ 33 millions, le Québec quant à lui a une population de 7 millions, et Montréal n’a une population que de 2 millions d’individus. De plus, une importante production américaine se fait à Montréal. Les ‘US Runaways’, ces productions américaines qui sont tournées à l’extérieur des États-Unis, se retrouvent en volume important à Montréal (Gornostaeva & Brunet, 2007). En 2007, cette production représentait 17 films, c’est-à-dire environ $125 millions, en plus de la production canadienne. Donc, un volume de production total d’environ $ 250 millions pour l’année 2007 (CFPTA, 2008). Cette production est très bénéfique pour l’industrie. Elle représente non seulement un apport financier, mais permet un emploi plus stable aux artistes et artisans. De plus, cette expérience de travail avec des équipes américaines permet un perfectionnement de la main d’oeuvre.

Quant à la distribution, au Québec, on retrouve des distributeurs québécois, avec un permis général de distribution, et des distributeurs américains (majors) qui, grâce à un permis spécial, peuvent distribuer directement leurs films s’ils en possèdent les droits mondiaux, sinon ils doivent utiliser un distributeur québécois. Les films des distributeurs avec permis spécial représentaient 49,8 % du Box Office et ceux avec permis général 50,2 %. Le nombre moyen de copies de films disponibles pour les écrans étaient de 39,3 pour les films américains et 23,6 pour les films québécois, ce qui veut dire qu’en général qu’un film québécois est disponible sur moins d’écrans qu’un film américain.

Quant à l’exploitation en salle, on retrouve 783 écrans (CFPTA, 2008). Elles sont regroupées en réseau, dont le plus important est Cineplex qui possède des salles à travers le Canada. Cineplex, à lui seul, contrôle 36,1 % des écrans. Les autres écrans sont contrôlés par le Groupe Guzzo (22,1 %), Ciné-Entreprise (5,5 %), RGFM (3,2 %) et les indépendants (40,6 %). Les indépendants se retrouvent surtout en région avec des plus petites salles. Le Box Office pour les productions québécoises s’est amélioré, tenant compte de la compétition américaine pour ces mêmes écrans. Le Box Office total en 2007 pour le Canada était de $ 858 millions pour 629 films. Les productions canadiennes représentaient $ 28 millions de ce montant, c’est-à-dire 3,2 % ou 112 films. De ce montant, 75 % de ce Box Office était au Québec (CFPTA, 2008). Il est donc évident que la majorité du Box Office canadien, hors Québec, était pour des films américains. On constate par ailleurs une approche beaucoup plus agressive pour la promotion et une augmentation importante des budgets promotionnels pour les productions québécoises. Le film ‘Un dimanche à Kigali’, basé sur le livre de Gil Courtemanche, a organisé un ‘junket’ important pour faire la promotion de leur film pendant la production en invitant des journalistes des quotidiens les plus importants sur le plateau au Rwanda. Mais de plus, le producteur a libéré un budget de US $800,000 pour une production d’une valeur de US $ 5 millions afin de faire la promotion du film (Brunet, Legoux, & Najar, 2008). On constate, de la part des distributeurs québécois, une approche qui ressemble de plus en plus à celle des distributeurs américains. Comme leurs collègues américains, les distributeurs investissent des montants plus importants dans la promotion des films, augmentent le nombre de copies disponibles pour les salles, et s’impliquent maintenant beaucoup plus dans le processus créatif. Par exemple, Alliance Atlantis a su s’impliquer dès la conception du film ‘Un homme et son péché’ et influencé le casting du film et le développement de la marque du film. En 2002, cette production d’US $ 6,1 millions a obtenu des revenus bruts d’au-delà US $ 8,0 millions. Ce film est basé sur un roman de Claude-Henri Grignon écrit en 1933, avait déjà été adapté pour la scène (1942), puis pour la radio (1939-1949), ensuite pour le grand écran (deux films en 1949-1950) et finalement pour la télévision (1956-1970). Alliance Atlantis a développé une expertise américaine en distribuant au Canada des films américains, et a su appliquer certaines de ces techniques promotionnelles pour ce film. Ils ont créé, par exemple, des films promotionnels pendant le tournage qu’ils ont diffusé en salle avant des films tels « Le seigneur des anneaux ». Ils ont ensuite eu de nombreuses activités de relations publiques pendant toute l’année afin de continuer à développer la marque de ce film. Le budget promotionnel a atteint au-delà US $ 1,3 millions, du jamais vu au Québec pour une production québécoise (Brunet, Legoux, & Najar, 2008).

Lorsque l’on examine le Box Office francophone en 2007, on constate que sur les 10 films les plus populaires, trois d’entre eux (Les 3 P’tits cochons[8], Nitro, Ma fille, mon ange[9]) étaient des films québécois.

Tableau 5

Films les plus populaires sur le marché francophone (Québec), 2007

Films les plus populaires sur le marché francophone (Québec), 2007
Source : Association des propriétaires de cinémas du Canada.

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Quant à la présence des films québécois sur les marchés internationaux, on constate que celle-ci s’affirme. De nombreux distributeurs s’activent à cette tâche. Les films se retrouvent en compétition dans différents festivals (Cannes : Les invasions barbares 2005[10], le Festival de Toronto : Crazy, 2005[11], les Oscars d’Hollywood : Le déclin de l’empire américain 1986[12], Les invasions barbares 2005). Lorsque la notoriété des comédiens n’est que nationale, la reconnaissance internationale du cinéaste et d’autres éléments clés, tels qu’un box office se démarquant dans le pays d’origine, des critiques dithyrambiques ou encore des sélections en compétition officielle des festivals prestigieux, sont essentielles pour les ventes à l’étranger. Le film Les Invasions barbares a pu bénéficier de tels éléments, d’avoir reçu la Rose D’or de Cannes et un Oscar a accéléré les ventes internationales.

Il existe aussi de nombreux festivals de cinéma à Montréal. On y retrouve, entre autres, le Festival des films du monde, le Festival du nouveau cinéma, et les Rendez-vous du cinéma québécois. Les cinéphiles et les consommateurs montréalais très friands de cinéma.

Environ 30,000 emplois (Observatoire, 2007) sont directement reliés à cette industrie à Montréal. Une relève importante existe, en 2007, 15 des films produits étaient des premières oeuvres de jeunes cinéastes (Observatoire, 2007). Les artistes et artisans, oeuvrant en cinéma, travaillent dans les autres industries culturelles. On retrouve des producteurs, réalisateurs, acteurs et artisans, fabriquant autant des films que des émissions de télévision que dans les milieux de la publicité. Les exemples sont multiples, de tous ces artistes et artisans, oeuvrant au sein de toutes les industries culturelles. Le nombre d’emplis reliés aux industries culturelles est d’environ 65,000 (Observatoire, 2007). Voici quelques exemples des synergies avec les différents milieux, à cette étape-ci peu de statistiques ou données existent sur cette situation :

  • le milieu théâtral : les acteurs se retrouvent autant sur scène que dans les films qu’à la télévision. Certains metteurs en scène sont aussi réalisateurs. Un dramaturge voit sa pièce de théâtre adapté pour le cinéma, ce même auteur est aussi scénariste pour une production télévisuelle (François Létourneau[13]);

  • le milieu de la musique : les oeuvres cinématographiques sont imprégnées de trame musicale. Ces compositeurs ou musiciens sont issus du monde de la musique. Un compositeur de musique, crée une oeuvre pour le cinéma et aussi pour une série dramatique télévisuelle (Michel Cusson[14]);

  • le milieu des jeux vidéos : on y retrouve les réalisateurs, musiciens, scénaristes. Michel Poulette, cinéaste, a réalisé un jeu vidéo pour Ubisoft.[15]

  • Le milieu de la télévision : acteurs, scénaristes, réalisateurs, et artisans oeuvrent dans les deux milieux. L’acteur Rémi Girard se retrouve autant au cinéma qu’à la télévision qu’au théâtre[16]; Les animateurs de la télévision se retrouvent réalisateurs au cinéma (Guy A. Lepage[17]); Un scénariste pour la télévision devient scénariste pour le cinéma, et par la suite réalisateur (Luc Dionne[18]).

  • Le milieu de l’humour et des variétés : Les humoristes font leur apparition au cinéma (Stéphane Rousseau[19]);

Et ceux-ci ne sont que quelques exemples du maillage entre les différentes industries culturelles.

Conclusion

Ce que l’on constate c’est une présence importance et dynamique de l’industrie cinématographique à Montréal. Celle-ci fait face à des enjeux très importants. Les changements technologiques qui amènent la numérisation changent les modes de production et de diffusion en salle. La concurrence internationale se vit sur son propre marché avec l’accès aux écrans. Les producteurs doivent concurrencer entre eux pour l’accès aux ressources financières, l’accès aux meilleures ressources humaines qui peuvent travailler autant sur des productions canadiennes qu’américaines et surtout sur d’autres projets du milieu des industries culturelles. La concurrence se fait aussi auprès des consommateurs qui ont accès à toutes les productions cinématographiques américaines et européennes, et à une panoplie de pièces de théâtre et de spectacles. Mais, les statistiques démontrent que ceux-ci savent se tailler une place sur leur marché national. Il est intéressant de constater le maillage important entre cette industrie cinématographique et toutes les autres industries culturelles. On y voit un va-et-vient des artistes et artisans entre les diverses formes artistiques qui bénéficient l’ensemble des ces industries.

Selon le modèle du ‘diamant’ de Porter (Porter, 1990), l’environnement cinématographique montréalais subit des pressions concurrentielles qui le forceraient à se dépasser. Le marché montréalais jouit d’une forte demande de la part des cinéphiles et consommateurs, il existe une forte présence d’industries connexes qui incitent à une synergie, une main d’oeuvre qualifiée et spécialisée est présente. On constate un développement quant à sa distribution et promotion. On peut donc conclure que l’on constate une volonté à l’amélioration, au dépassement. On pourrait même prévoir, selon le modèle de Porter, que cette force sur son propre marché devrait permettre une internationalisation prononcée.