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Les relations siège-filiales figurent parmi les questions centrales de la littérature portant sur le management des firmes multinationales (FMN) (Birkinshaw et al., 1998; Jaussaud et Schaaper, 2006). Compte tenu de la fragmentation croissante de la chaîne de valeur et de la dispersion géographique des activités (Buckley et Ghauri, 2004; Berger, 2006), se pose la question d’une différenciation (ou non) des relations établies entre le siège et ses différentes filiales internationales. A l’heure où les approches décloisonnées, en réseau sont en plein essor, la question d’une nouvelle gestion différenciée dans les FMN constitue sans nul doute un des défis majeurs du management international du XXIème siècle.

Une FMN désigne une entreprise qui réalise des investissements directs à l’étranger (IDE) et qui possède ou, dans une certaine mesure, contrôle des activités à valeur ajoutée dans plusieurs pays (Dunning et Lundan, 2008). Ces activités s’exercent généralement dans le cadre de filiales. Depuis plusieurs décennies, les firmes multinationales possèdent des filiales internationales dans leur région d’origine (Rugman, 2005) et, dans une moindre proportion, dans les autres régions de la Triade (Flores et Aguilera, 2007). Plus récemment, les FMN des économies développées ont fortement augmenté leurs investissements à l’international et tout particulièrement dans les pays émergents. Cette dispersion des activités au niveau mondial présente de nouveaux défis concernant la gestion des relations siège-filiales. Aujourd’hui, les filiales des FMN sont souvent bien ancrées dans leur environnement local (Hennart, 2009), et développent des relations avec différents acteurs locaux (gouvernement, fournisseurs, distributeurs, clients, etc.) (Asmussen et al., 2009).

Cet article vise à analyser la diversité potentielle dans les relations développées entre le siège et ses filiales internationales. La localisation des filiales dans le monde entier rend d’autant plus pertinente cette interrogation. Il s’agit ainsi d’étudier la capacité du siège à gérer des relations différentes selon les filiales et des modalités par lesquelles celui-ci exerce son rôle de centre. Notre étude empirique porte sur trois firmes multinationales françaises : France Télécom, Schneider Electric et Publicis.

Dans une première partie, nous montrons l’évolution de la littérature sur les FMN qui tend vers le développement des approches différenciées des relations siège-filiales. Nous identifions alors des éléments de la relation siège-filiales pertinents à étudier avant d’exposer la démarche méthodologique adoptée. Dans la seconde partie, les résultats de l’étude empirique sont analysés et discutés, notamment par rapport aux cadres théoriques existants sur les relations siège-filiales en vue de les enrichir.

Analyse des relations siège-filiales au sein des firmes multinationales

La question de la différenciation des relations siège-filiales se pose aujourd’hui dans les FMN. Elle concerne différentes modalités des relations siège-filiales que nous détaillerons.

Vers une approche différenciée des relations siège-filiales ?

La littérature sur les relations siège-filiales est abondante et a abouti au développement de nombreuses typologies de FMN (Heenan et Perlmutter, 1979; Bartlett et Ghoshal, 1989). Au coeur de ces travaux, est posée la question de la place des filiales.

Les théories économiques, théorie des coûts de transaction et théorie de l’agence, postulent l’existence d’une relation dichotomique entre le siège et les filiales. Il s’agit pour le siège de mettre en oeuvre des mécanismes de contrôle pour gérer ses filiales et s’assurer d’un alignement des objectifs des filiales sur ses propres objectifs (Roth et O’Donnell, 1996; O’Donnell, 2000). C’est dans ce cadre que Bartlett et Ghoshal (1989) distinguent l’entreprise multinationale, définie par une forte autonomie détenue par les filiales et l’entreprise globale, caractérisée par une forte centralisation du siège. Cette grille peut être rapprochée de la typologie de Heenan et Perlmutter (1979) : l’entreprise multinationale étant proche de l’orientation polycentrique et l’entreprise globale de l’orientation ethnocentrique en fonction notamment de la prépondérance de la culture soit du pays hôte soit du pays d’origine. Toutefois, certains auteurs critiquent ce positionnement, comme Milliot (2005) qui avance que l’entreprise globale développe plutôt un profil holicentrique (la centralisation ne provenant pas nécessairement du pays d’origine).

Les recherches actuelles témoignent pourtant d’une évolution de cette approche dyadique et hiérarchique des relations siège-filiales vers une perspective où la FMN est vue comme un réseau différencié de relations (Malnight, 1996; Nohria et Ghoshal, 1997; O’Donnell 2000; Denis, 2004; Denis et Tannery, 2007). Cela donne alors lieu au développement de l’entreprise transnationale (Bartlett et Ghoshal, 1989), l’orientation géocentrique (Heenan et Perlmutter, 1979), l’hétérarchie (Hedlund, 1986), ou plus récemment l’entreprise métanationale (Doz et al., 2001). O’Donnell (2000) apporte une validation empirique aux modèles dits en réseau, par opposition à un modèle hiérarchique des relations siège-filiales (à travers la mobilisation de la théorie de l’agence). Malnight (1996) met également l’accent sur le passage d’un modèle décentralisé à une conceptualisation en réseau. Andersson et Holm (2010) se fondent sur ces approches pour s’interroger sur le rôle du siège dans les FMN contemporaines.

Dans la lignée des approches en réseau, de nombreuses recherches s’intéressent à la place de la filiale dans le groupe (Birkinshaw et Hood, 1998) en adoptant la filiale comme niveau d’analyse. Ces recherches mettent l’accent sur différentes caractéristiques propres à la filiale, comme sa stratégie, sa contribution au groupe, sa taille, sa date d’entrée dans le groupe etc., et des spécificités liées à son environnement local, comme la taille et l’importance stratégique du marché, la nature de l’environnement au niveau concurrentiel, économique, technologique, ou institutionnel. Des typologies de filiales se développent alors (Gupta et Govindarajan, 1991; Birkinshaw et Morrison, 1995; Enright et Subramanian, 2007). Nous pouvons dégager de ces travaux quatre types de filiales :

  • l’exécutant local, qui applique la stratégie décidée au siège. La filiale se caractérise par une forte dépendance vis-à-vis du siège;

  • le contributeur au groupe, qui est impliqué dans la stratégie du groupe, ce qui se traduit par une forte interdépendance entre le siège et la filiale;

  • la filiale autonome ou l’innovateur local, si l’on reprend la terminologie de Gupta et Govindarajan (1991), caractérisé par une forte indépendance vis-à-vis du siège;

  • et le mandat global ou l’innovateur global (selon Gupta et Govindarajan, 1991) avec une forte dépendance du groupe vis-vis de la filiale et qui peut se rapprocher d’un centre d’excellence.

Ces différences potentielles portent sur plusieurs modalités des relations établies entre le siège et ses filiales, que nous précisons maintenant.

Identification des modalités des relations siège-filiales

Les recherches sur les relations siège-filiales se sont développées en tenant compte de la dialectique intégration globale/réactivité locale (Prahalad et Doz, 1987) qui renvoie au débat centralisation/autonomie accordée aux filiales. Il serait tout particulièrement utile de s’interroger sur le degré d’autonomie des filiales vis-à-vis du siège. Cette question est au coeur des relations et permet de comprendre l’uniformité ou au contraire les divergences au niveau du groupe par rapport à la place tenue par la filiale au niveau stratégique.

Cependant, la question de l’autonomie ou non des filiales ne permet pas de comprendre comment les relations sont établies entre le siège et les filiales. La nature de ces liens nous amène à mobiliser le concept de contrôle du siège sur les filiales. Pour ce faire, nous mobilisons tout particulièrement les travaux d’Ouchi (1979), de Martinez et Jarillo (1991) et de Harzing (1999) pour identifier quatre formes de contrôle : le contrôle par les personnes, le contrôle bureaucratique, le contrôle par les résultats et le contrôle par la socialisation et les réseaux. Les trois premiers modes reposent sur des mécanismes formels de contrôle tandis que le quatrième mode se fonde sur des mécanismes informels. Ces modes de contrôle suivent une logique additive et non de substitution (Harzing, 1999), et les approches en réseau accordent une forte place aux mécanismes informels, en complément des mécanismes formels (Martinez et Jarillo, 1991; Nohria et Ghoshal, 1997; Almeida et Phene, 2004).

La localisation et la circulation des connaissances dans le groupe sont des questions centrales dans le développement des approches en réseau (Hedlund, 1986; Doz et al., 2001; Almeida et Phene, 2004). Les flux de connaissances entre les entités dispersées ont fait l’objet d’une littérature abondante (Mu, Gnyawali et Hatfield, 2007; Saka-Helmhout, 2007). Il s’agit de considérer deux dimensions : la localisation de la connaissance (siège et/ou filiales) et le sens de sa diffusion (siège-filiale, filiale-siège, ou dans tous les sens, via les relations latérales entre filiales) (Gupta et Govindarajan, 1991; Frost et Zhou, 2005; Harzing et Noorderhaven, 2006). Le transfert des ressources et compétences développées initialement dans différentes localisations internationales nécessitent le développement d’un réseau de liens entre les filiales (O’Donnell, 2000).

Enfin, la place de l’expatriation constitue une modalité intéressante pour analyser les relations siège-filiales. Différentes raisons à l’expatriation sont identifiées (Belderbos et Heijltjes, 2005; Hocking, Brown et Harzing, 2007). L’envoi d’expatriés (du pays d’origine) peut être conçu comme une forme étendue de la supervision du siège (Boyacigiller, 1990). Ces derniers sont alors vus comme des « agents du siège » et la présence du personnel du siège dans la filiale se comprend comme la volonté de contrôler le comportement du management de la filiale (O’Donnell, 2000), suivant la théorie de l’agence. L’expatriation est un moyen de création de connaissances et d’apprentissage, en cas d’absence de personnel qualifié local ou dans le cadre du développement de managers en leur fournissant une expérience internationale. L’envoi d’expatriés (de toutes nationalités) peut être mobilisé dans une optique de socialisation et de diffusion des valeurs de l’entreprise (Edström et Galbraith, 1977). Dans ce cas, la nationalité est secondaire, l’importance étant donnée à la compétence des managers, au sens large, incluant les valeurs du groupe.

La mise en évidence des modalités des relations siège-filiales constitue notre grille d’analyse des cas étudiés et nous permet ainsi de répondre à notre question de recherche qui porte sur l’existence (ou non) d’une différenciation interne au sein des FMN. Avant cela, nous présentons la méthodologie mise en place.

Présentation de l’étude empirique

Pour mener à bien notre recherche, nous avons utilisé une méthodologie qualitative, fondée sur des études de cas (Yin, 1994; Eisenhardt et Graebner, 2007). C’est une méthode qui « convient particulièrement aux recherches concernant le management international, où l’on rassemble des données transfrontalières et interculturelles[1] » (Ghauri, 2004, p.111). Plus précisément, l’étude empirique porte sur trois FMN françaises : France Télécom, Schneider Electric et Publicis. Nous avons réalisé 31 entretiens semi-directifs centrés (Romelaer, 2005) auprès des responsables du siège et des filiales internationales de ces trois FMN.

Nous avons sélectionné les cas à étudier par choix raisonné (Royer et Zarlowski, 2007), en optant pour des FMN très diverses (notamment en termes de secteurs d’activité). Notre sélection a porté sur des entreprises ayant des filiales implantées dans le monde entier, à la fois dans les pays développés et les pays émergents. Il s’agit également de trois groupes français, réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à un milliard d’euros, cotés au CAC 40 au moment de notre échantillonnage et avec une forte histoire à l’international.

Ainsi, même si nous n’étudions que trois FMN, nous avons pu obtenir une richesse dans les données recueillies. De plus, nous nous sommes assurés d’avoir une diversité dans les répondants rencontrés au sein de chaque entreprise. En effet, suivant Mezias et al. (1999), nous ne nous sommes pas limités à la seule vision du siège en rencontrant également des responsables de filiales, en vue de réaliser un double contrôle (« double check ») et de trianguler les données.

Les personnes interviewées détiennent, au niveau du siège, des responsabilités opérationnelles (responsable de division ou de zone géographique) ou fonctionnelles (contrôle de gestion, finance, système d’information, stratégie). Au niveau des filiales, il s’agit de directeurs de filiale, aussi bien des expatriés (français ou d’une tierce nationalité) que des locaux. La période de collecte des données s’étale de juin 2003 à décembre 2006. Le Tableau 1 précise les caractéristiques de l’échantillon.

Tableau 1

Description de l’échantillon

Description de l’échantillon

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Parmi les 31 entretiens réalisés, 14 concernent les filiales implantées dans le monde entier et 17 ont été menés auprès de responsables des sièges des trois FMN.

Une même grille d’entretien a été utilisée pour l’ensemble des entretiens. Certains entretiens ont été réalisés en français, d’autres en anglais (suivant la nationalité de la personne interviewée). La durée moyenne d’un entretien a été de 1h25. Tous les entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Les transcriptions ont été codées et analysées avec l’aide du logiciel N*Vivo, ce qui a permis une flexibilité dans l’interprétation des données (Richards, 2009). Un codage thématique des entretiens a été réalisé selon la méthodologie préconisée par Miles et Huberman (2003). La grille de codage a été définie a priori par la littérature, et elle a été ensuite enrichie tout au long de l’analyse, par des thèmes qui ont émergé du terrain.

L’objet de cette recherche est d’analyser la diversité potentielle dans les relations entre les sièges des FMN et leurs filiales. Dans l’étude de nos trois cas, nous nous reposons sur les thèmes mis en évidence dans notre revue de littérature. Le premier élément identifié est le degré d’autonomie accordée aux filiales. Les modes de contrôle mobilisés par le siège constituent un deuxième item intéressant. Troisièmement, la circulation des connaissances permet de compléter les interactions qui lient le siège et ses filiales. Enfin, le poids et le rôle de l’expatriation viennent nourrir tous ces éléments. Nous les étudions, dans notre analyse, comme un moyen mobilisé au service des autres modalités, tels que l’autonomie des filiales, les modes de contrôle ou le transfert de connaissances. C’est à partir de cette grille que nous analysons les groupes étudiés. Nous présentons auparavant les trois FMN et leurs structures organisationnelles dans l’encadré 1.

Les relations siège-filiales dans trois firmes multinationales françaises

Nous étudions maintenant les trois cas de FMN en vue de noter l’existence (ou non) d’une diversité dans leurs relations siège-filiales.

Analyse des résultats

Les résultats sont présentés en fonction des thématiques identifiées précédemment : l’autonomie des filiales, la différenciation interne (ou l’uniformité intra-groupe), les modes de contrôle et la circulation des connaissances.

Autonomie des filiales

La division étudiée de France Télécom ne gère que les filiales localisées dans les pays émergents. Il y a des intérêts divergents entre le siège et les filiales, les objectifs et les attentes ne sont pas les mêmes.

D’une part, il y a des intérêts économiques évidents, ils impliquent des synergies et une focalisation des ressources. D’autre part, il y a des réactions nationalistes, peut-être que le mot est trop fort, mais il y a des réactions identitaires qui considèrent cette approche de façon négative.

Ancien directeur de filiale, actuellement responsable d’une région géographique

Cela aboutit à une vision dichotomique entre le siège et les filiales et constitue un frein au développement de synergies et aux enjeux d’intégration globale. Les expatriés dans les filiales viennent tous du pays d’origine et jamais d’un pays tiers. Il y a une forte politique d’expatriation qui peut poser problème particulièrement dans les filiales localisées dans des pays anciennement colonisés par la France, notamment en Afrique. Ces expatriés peuvent avoir des relations tendues avec le personnel local au point qu’un ancien directeur d’une filiale français, maintenant au siège, donne le conseil suivant aux managers qui vont être expatriés vers une ancienne colonie :

Faites très attention à la façon dont vous gérez vos relations, pour ne pas être perçu comme un affreux colonisateur qui débarque. Il faut convaincre les partenaires par vos compétences et leur montrer l’intérêt qu’il y a à faire certaines choses, et surtout pas aller dérouler du clé en main France Télécom qui ne s’adapte pas forcément aux pays.

Ancien directeur de pays, actuellement responsable de région géographique

Les relations siège-filiales se caractérisent par une forte prise en compte des enjeux locaux. De plus, les relations siège-filiales semblent unilatérales. Le siège gère chaque filiale de façon séparée, au cas par cas, il n’y a pas de relations multilatérales.

Contrairement à France Télécom, Schneider Electric cherche à prendre en compte à la fois les enjeux globaux et locaux. Cela passe par l’envoi d’expatriés issus de différents pays. Ainsi, les directeurs dans les filiales peuvent être soit français, soit du pays hôte, soit d’un pays tiers. Il s’agit pour ces personnes de comprendre l’environnement local et, en même temps, d’être proche de l’environnement et l’organisation de la FMN. Le critère de la nationalité n’est pas prépondérant, ce qui importe c’est l’appartenance au groupe. Les politiques d’expatriation et de mobilité internationale développées visent également à prendre en compte les enjeux globaux et locaux à travers un personnel expatrié et du pays hôte en vue de limiter les conflits culturels.

Si le directeur de la filiale est un expatrié, le responsable du contrôle de gestion doit être quelqu’un du pays. [...] Ceci est le cas pour tous les pays. Peut-être pas pour la Belgique. Peut-être pas pour les Pays Bas. Mais en Hongrie, je ne mettrais pas uniquement des managers hongrois.

Directeur de filiale

Ainsi, la politique d’expatriation a pour but de développer une culture d’entreprise commune, pour un partage de valeurs du groupe. Cette approche est relativement nouvelle car il y a quelques années, les managers dans les filiales n’étaient que des Français.

Autrefois, les expatriés étaient pour la plupart des Français. Mais aujourd’hui, on est plus ouvert et il n’y a pas de problème. Il était rare de rencontrer quelqu’un qui était un directeur dans son propre pays, sauf en France. Mais aujourd’hui, les comportements ont totalement changé et, dans beaucoup de pays, il y a des locaux dans les pays. Par exemple, en Autriche, il y a des managers venus d’autres pays. Et c’est pareil dans d’autres filiales.

Directeur de filiale

De plus, il est utile de préciser que le groupe se caractérise par une baisse d’autonomie accordée aux filiales et une place plus forte tenue par le siège.

Les filiales sont de moins en moins autonomes. Il y a quinze ans, j’étais au Taiwan. J’étais seul, je ne recevais aucune visite et je m’organisais comme bien me semblait. Et chaque mois, j’envoyais par fax un rapport plutôt léger. Et puis, avec le passage des années, ça a changé et aujourd’hui, surtout en Europe, puisqu’on est tout près du siège, nous ne sommes plus autonomes. Dans pratiquement aucun domaine. On ne vérifie pas nos agendas pour le moment, mais ça pourrait arriver.

Directeur de filiale, Schneider Electric

Enfin, pour Publicis, l’autonomie de la filiale est liée à la nature des clients (locaux ou globaux). Une forte autonomie sera accordée pour la gestion des clients locaux, une centralisation sera recherchée pour les clients globaux avec un rôle accru octroyé aux responsables de marques globales.

Quand je parle aux Arabes dans mon pays, ce n’est pas un Américain qui va me dire ce que je dois leur dire. Je fais mes propres recherches et je découvre ce qu’ils veulent, et je crée des publicités qui répondent à leurs besoins. S’il s’agit d’une marque mondiale, comme Nescafé, par exemple, je ne peux pas créer des publicités qui ne correspondent pas à la stratégie mondiale de la marque. Je ne peux qu’en changer l’exécution, mais ça va être au sein de la même stratégie. Donc, c’est comme ça que le siège contrôle ma créativité, en m’obligeant à utiliser le positionnement mondial d’une marque. Mais ils ne voient pas l’exécution sur le marché local parce que cela, ils ne le comprennent pas.

Directeur de filiale

Pour les marques globales, le statut de la filiale varie selon son implication dans le développement des campagnes internationales de communication. Deux types de filiales existent alors selon chaque client global : soit elles adaptent uniquement la communication internationale décidée ailleurs (au siège et dans certaines filiales), soit elles participent à la création mondiale. Dans ce second cas, la filiale devient un centre international d’excellence pour la marque considérée. Ainsi, la filiale est une « agence leader[2] » ou pas pour chaque marque globale.

Pour Publicis, l’élément crucial est l’activité, et plus précisément la nature du client. Ceci est vrai pour l’ensemble des filiales, localisées dans les pays développés ou émergents. Enfin, le groupe a une politique d’expatriation peu développée, il cherche à privilégier des personnes du pays hôte. Cela se comprend compte tenu de l’activité du groupe : la publicité qui conduit à prendre en compte le contexte local. L’autonomie étant forte pour la gestion des clients locaux, le groupe privilégie un personnel local provenant du pays.

Une différenciation selon les filiales ?

France Télécom gère ses filiales de manière différente compte tenu du poids fort des gouvernements locaux. Le groupe différencie ainsi les filiales entre elles, du fait des spécificités du contexte politique du pays hôte. Ainsi, ses relations avec les gouvernements des pays d’accueil influent sur ses relations avec ses filiales. C’est notamment lié au secteur d’activité du groupe (les télécommunications) considéré comme stratégique pour le gouvernement du pays hôte.

Il ne faut pas oublier que, dans beaucoup de pays, les télécommunications sont considérées comme un élément stratégique [...], là où les gouvernements sont restés comme actionnaires, ils ont des objectifs, s’assurer que le réseau marche et qu’il répond à la demande sociale, telle que la couverture dans les zones rurales [...] Lorsqu’un gouvernement privatise, c’est souvent mal perçu dans l’opinion publique, comme si l’on vendait le patrimoine national. Donc, le fait d’exiger qu’un certain nombre de postes en vue soit tenu par des salariés du pays est parfois une façon pour le gouvernement de montrer que, en dépit de la privatisation, il garde le contrôle de l’activité considérée comme stratégique pour le pays.

Responsable de zone géographique

C’est également exacerbé car les gouvernements peuvent être des actionnaires des filiales locales. Le groupe n’est en effet pas actionnaire à 100 % de ses filiales, il doit souvent partager le pouvoir avec le gouvernement local. Cette situation est liée à la privatisation récente de ces entreprises et à la fin du monopole dont elles bénéficiaient.

Il est le devoir [de la filiale] de proposer un service à un prix déterminé et avec les mêmes conditions pour l’ensemble du peuple. C’est la raison pour laquelle, avant 2000, le service téléphonique était un service public. En tant que tel, le gouvernement avait un certain pouvoir dans le processus de prise de décision. Donc, même si l’on considère aujourd’hui que les télécommunications sont plus efficaces dans un environnement concurrentiel que dans une situation de monopole, dans la phase de transition, les décisions prises par l’opérateur peuvent avoir un impact sur la vie économique et sociale.

Responsable dans une filiale

Le gouvernement local attend alors de France Télécom la mise en place d’une structure industrielle en vue de préparer la filiale aux règles de la concurrence. Ceci concernait surtout les procédures de contrôle de gestion, qui étaient peu efficaces, voire inexistantes, dans les entreprises nationalisées. L’intégration du gouvernement local dans la gestion des filiales conduit à une autonomie des filiales et une gestion des filiales au cas par cas en fonction des relations établies avec le pays hôte. Ainsi, des différences existent selon les filiales mais elles sont subies par le groupe et dépendent des contextes locaux où la FMN est implantée. Ces contextes ont joué dans la détermination du degré d’autonomie des filiales à travers différents éléments. Le degré de maturité du marché de la filiale y a contribué en fonction de deux facteurs : la présence du groupe dans des pays émergents avec des particularités notamment au niveau économique et le statut de l’unité comme ancienne entreprise nationale. Il existe également des différences selon l’activité des filiales (en particulier entre la téléphonie fixe et mobile) mais sans que cela ne modifie de manière substantielle l’approche du siège vis-à-vis de ses filiales.

Schneider Electric a des filiales détenues à 100 % ce qui évite de devoir partager le pouvoir. De plus, le groupe recherche une uniformité intra-groupe et cherche ainsi à gérer ses filiales de la même manière. Cela passe par la diffusion de valeurs partagées et l’uniformisation du système d’information pour toutes les filiales. Pour autant, comme France Télécom, Schneider Electric peut adopter une approche particulière avec les filiales localisées dans des pays émergents, notamment en Europe de l’Est. En effet, ces dernières sont d’anciennes entreprises nationales, ces pays ayant évolué du régime communiste vers le système capitaliste. Cela conduit, comme pour France Télécom, à une remise aux normes des filiales, lors de l’acquisition par le groupe, notamment d’un point de vue comptable et financier. Cette situation reste toutefois temporaire et cette normalisation réalisée, la gestion de ses filiales est la même que pour les autres entités du groupe. Au final, le contexte de la filiale importe peu, excepté pour les filiales localisées dans les pays émergents. C’est lié au fait que le groupe adopte plutôt une stratégie de spécialisation, les filiales ayant la même activité. Certes, le groupe distingue les filiales selon le degré de maturité du marché et la taille des filiales. Il y a ainsi des « gros pays » avec plus de pouvoir et des « petits pays » sous la responsabilité des zones géographiques. Cependant, l’approche du groupe reste l’uniformité dans ses relations avec ses filiales.

Enfin, pour Publicis, les filiales sont détenues à 100 % mais des différences existent selon les filiales ou plutôt selon les clients, locaux ou globaux, des filiales. Ainsi, plus qu’une gestion selon les filiales, il s’agit d’une gestion selon l’activité ou les clients des filiales.

Un exemple nous a été donné et illustre la différenciation des filiales. Il démontre également l’impact de la régionalisation sur les relations siège-filiales. En effet, la régionalisation peut aider les pays émergents à assumer un rôle plus stratégique. C’est le cas de la filiale créée par Publicis au Maroc. Cette filiale constitue un « hub » régional, avec la responsabilité de la coordination des grands comptes en Afrique (par exemple au Nigeria ou au Kenya). La filiale bénéficie d’une délégation de pouvoir du siège. Ainsi, les campagnes de communication internationales sont développées au Maroc et mises en oeuvre dans l’ensemble du territoire africain. La filiale marocaine agit à la fois comme une filiale, qui dépend de la zone géographique France et Afrique du Nord, et comme un coordinateur de la région Afrique.

J’ai deux missions. Ma première mission est d’être le directeur de l’agence de Publicis au Maroc. Alors, pour tous les comptes, par rapport à nos clients et du point de vue financier. Il me faut générer des bénéfices. Et puis, du point de vue opérationnel, j’assume le rôle de coordinateur pour tous les besoins de nos clients dans la région. Et je dois envoyer mes rapports au siège, bien sûr, sur tout ce qui est développé dans la région dont je suis responsable.

Directeur de filiale

La filiale marocaine n’a aucune autorité hiérarchique par rapport aux autres filiales d’Afrique, mais elle détient une autorité opérationnelle sur les campagnes de communication internationales développées : elle doit s’assurer que les choix effectués par chaque pays de la zone correspondent aux directives fixées par les responsables de marques globales. Elle agit en tant que siège régional, avec un rôle de coordination pour les filiales en Afrique.

Le contexte local des filiales est pris en compte avec une distinction selon l’expérience acquise par ces dernières dans le domaine de la publicité. Les filiales plus « récentes » dans le secteur sont alors plus accompagnées par le siège alors que celles localisées dans des pays plus matures sont plus autonomes. Cependant, le critère majeur reste l’autonomie dans la gestion des clients locaux et la centralisation pour la gestion des clients mondiaux.

Les modes de contrôle dans les firmes multinationales

Pour France Télécom, les filiales implantées dans les pays émergents font partie d’une division spécifique au sein de l’organisation, et certains de ces pays sont considérés comme ‘exotiques’ (ancien directeur de pays), du fait de l’éloignement géographique qu’il peut y avoir par rapport au siège. Cet éloignement a souvent pour effet de réduire les interactions physiques avec le siège et d’augmenter les contacts par téléphone et par voie électronique. Les problèmes associés au décalage horaire, ainsi que les contacts directs moins fréquents qui en résultent, ont été évoqués dans tous les entretiens. Par exemple, les responsables au siège rencontrent des difficultés pour recevoir au moment convenu les rapports hebdomadaires des filiales. Du fait de l’éloignement géographique, le siège peut avoir tendance à contrôler davantage le respect des procédures formelles mises en place. Il y a donc un contrôle bureaucratique (Harzing, 1999). Les filiales dans les pays émergents sont également plus sous le contrôle d’expatriés. Ces expatriés sont généralement envoyés en tant qu’ « agents du siège » (O’Donnell, 2000), correspondant au contrôle par les personnes (Harzing, 1999). Les ‘postes clés’ sont occupés par des expatriés français qui constituent pour le siège des contacts importants dans les filiales, particulièrement dans le domaine financier. Cette logique de contrôle peut provoquer des problèmes avec la société du pays hôte.

En matière de contrôle, dans toutes les entreprises, il est très important que le directeur financier soit un expatrié, afin de toujours savoir ce qui se passe. Ceci donne une vue très précise de ce qui se passe dans l’entreprise.

Ancien directeur de pays, actuellement responsable de zone géographique

Ainsi, la FMN a tendance à compenser la dispersion géographique de ses filiales par plus de contrôle bureaucratique et par le biais de personnes (les expatriés).

Pour Schneider Electric, le groupe met en place deux modes de contrôle : un contrôle bureaucratique par l’accroissement des procédures, comme pour France Télécom, et surtout un contrôle par la socialisation et les réseaux en vue de diffuser des valeurs partagées et une culture d’entreprise commune.

Le rôle de l’expatrié […] c’est d’aller porter la culture Schneider dans le pays. Le but, c’est ça. C’est le missionnaire.

Directeur de zone

La nationalité n’entre plus en ligne de compte, seule l’appartenance au groupe compte.

Publicis se caractérise également par un contrôle par la socialisation mais sans que cela ne soit lié à une politique d’expatriation développée. Pour autant, le groupe cherche à développer une culture d’entreprise au niveau mondial. Ainsi, chaque filiale se doit d’avoir « l’ADN de Publicis,« l’âme d’une agence Publicis » (Directeur de filiale). Cet élément est en relation avec le fait que les individus font carrière dans le groupe. Le développement d’une culture d’entreprise se fait via le transfert de valeurs partagées et est en lien avec l’histoire du groupe et le fait que Publicis est encore une entreprise familiale. Cette culture est caractérisée par la place donnée au consensus et l’absence de procédures.

La conception de la culture retenue varie selon les trois FMN. France Télécom adopte plutôt une culture provenant de son pays d’origine, à travers des expatriés français situés dans les filiales, tandis que Schneider Electric et Publicis tendent plutôt vers une culture transnationale, en tentant de faire participer les filiales à sa constitution.

Enfin, pour les trois groupes étudiés, il est utile de noter une forte utilisation du contrôle par les résultats. Cela se comprend tout particulièrement par la cotation en bourse de ces entreprises et le poids des marchés financiers.

Transfert des connaissances au sein des FMN et relations latérales

France Télécom se caractérise par un transfert de connaissances qui va du siège vers les filiales. On retrouve la spécificité des pays émergents qui souffrent d’un déficit de compétences et de savoir-faire au niveau local. C’est ce qui explique l’entrée d’une FMN occidentale dans le capital des filiales considérées. Plus précisément, les gouvernements locaux font appel à France Télécom pour son expertise dans les télécommunications.

Chez France Télécom, il y a une forte image d’innovation, qui est reconnue bien en dehors de la France. Nous avons une bonne réputation. Il y a, donc, deux choses pour les filiales. D’une part, France Télécom, c’est le grand méchant loup qui veut faire de l’argent, faire le maximum de dividendes. Et, d’une certaine façon, c’est vrai. D’autre part, l’image de France Télécom pour les employés, c’est qu’ils peuvent quand même acquérir des connaissances.

Ancien directeur de pays, actuellement responsable de zone géographique

Les pays hôtes cherchent ainsi à bénéficier des compétences et de l’expertise du siège français tandis que les échanges portant sur le reporting et le contrôle entraînent des rapports plus tendus. Les relations siège-filiales varient alors en fonction de ces deux cas : le siège-expert, apportant un savoir-faire, et le siège-actionnaire, contrôlant les activités des filiales.

Le transfert des connaissances dans le groupe a lieu principalement dans le sens du siège vers les filiales. C’est lié au fait que les filiales du groupe sont dispersées dans le monde entier et qu’il y a peu de relations latérales. Les managers issus de différents pays peuvent éprouver des difficultés à communiquer entre eux et le siège devient alors central. Cette situation est exacerbée par le fait que les sièges des zones géographiques se situent en France et non dans les pays considérés.

Schneider Electric a mis en place un transfert de connaissances qui a lieu du siège vers les filiales et des filiales vers le siège. Les liens directs entre les filiales sont uniquement le fait des réseaux personnels des managers et ils restent limités. Plus précisément, l’action du siège passe par les zones géographiques qui sont localisées dans les pays et permettent de rapprocher les filiales. Ainsi, le siège de la zone géographique pour l’Europe de l’Est est situé à Vienne, en Autriche.

Publicis est proche de Schneider Electric en matière de transfert de connaissances, qui se déroule dans les sens du siège vers les filiales et des filiales vers le siège. On retrouve aussi un rôle fort des zones géographiques localisées dans les pays et des responsables de marques globales. De plus, il peut y avoir des différences selon la « jeunesse » de l’activité dans le pays d’accueil. En effet, la culture de la publicité est variable selon les pays et peut entraîner des actions du siège pour limiter ces différences. Cela conduit à un transfert de connaissances dans les pays plus « jeunes », via l’envoi d’expatriés. C’est par exemple le cas en Chine.

La compétence des Chinois en matière de publicité, elle augmente très rapidement mais pour l’instant… ça fait 10 ans qu’ils font de la pub, les Etats-Unis ça fait 100 ans et même les Français, Publicis ça date de 1926. On commence à avoir une certaine habitude du métier et savoir ce que l’on fait. Vous ne pouvez pas à demander à des personnes qui ont 10 ans de pub derrière elles, l’Europe de l’Est c’est pareil, de prendre immédiatement les rênes mais dès qu’on peut faire prendre les rênes, pour des pays importants, je pense à la Chine par exemple, ou le Japon, par un local bien formé qui nous comprend et que l’on comprend, c’est ça qu’on fait. En plus, c’est moins cher.

Vice-président, Réseau Publicis

Ainsi, même si le groupe se caractérise par une faible politique d’expatriation, une filiale peut avoir un directeur expatrié, pas forcément français, si elle souffre d’un manque de compétences locales. Cela reste cependant une mesure temporaire et avec pour but de former une personne du pays hôte.

Les liens entre les filiales passent par les responsables de marques globales et les responsables géographiques. Les responsables de marques globales s’assurent d’une cohérence mondiale pour les campagnes de publicité des clients internationaux dans le monde entier. Ils accordent la même attention à tous les pays, même si nos interlocuteurs reconnaissent que les pays émergents ont des besoins particuliers, en lien avec le manque de connaissances et compétences. Les responsables de zones notent aussi la nécessité de passer plus de temps dans les pays émergents afin de comprendre le contexte local, ce qui n’est pas nécessaire pour les pays développés.

Il faut que je prenne en considération les caractéristiques spécifiques du Moyen-Orient, il me faut comprendre cela afin de définir la meilleure stratégie pour chaque agence locale. C’est un problème important dont il faut que je m’occupe en particulier du Moyen-Orient. Ce n’est pas comme ça en Scandinavie.

Responsable de zone géographique

Discussion des résultats

Notre étude approfondie de trois FMN françaises contribue à une meilleure compréhension des relations entre le siège et les filiales. Nous synthétisons nos résultats à travers le tableau suivant.

Tableau 2

Synthèse des résultats portant sur les trois FMN étudiées

Synthèse des résultats portant sur les trois FMN étudiées

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L’autonomie des filiales est variable. Elle est forte pour la gestion des clients locaux pour Publicis et faible pour la gestion des clients globaux, à moins d’être une « agence leader » pour un client global. Les filiales sont de moins en moins autonomes chez Schneider Electric, avec une volonté du siège d’intégrer l’ensemble du groupe et d’apporter une cohérence au niveau de l’ensemble. Enfin, elle peut être forte pour France Télécom même si le groupe cherche également à la limiter. Pour autant, le groupe se caractérise encore par une autonomie de ses filiales, en lien avec une gestion au cas par cas dans le cadre de relations unilatérales. Les modes de contrôle sont nombreux dans les groupes. France Télécom développe un fort contrôle bureaucratique et par les personnes. Schneider Electric et Publicis accordent beaucoup d’importance au contrôle par la socialisation. Aucun des groupes étudiés ne met en place un transfert de connaissances fondé sur des relations latérales (directes entre les filiales). Le siège continue de tenir une place centrale. Pour France Télécom, c’est l’expert, le détenteur des connaissances qu’il véhicule aux filiales. Pour Schneider Electric et Publicis, les liens vont dans le sens siège-filiales et filiales-siège, par le biais notamment des zones géographiques, localisées dans les pays et qui relient les filiales entre elles. L’expatriation est un outil mobilisé de manière différente selon les groupes. Pour France Télécom, les expatriés sont uniquement de nationalité française alors que pour Schneider Electric et Publicis, la nationalité importe moins que la compétence et l’appartenance au groupe. Cet outil vient en support pour France Télécom au contrôle par les personnes, dans une visée de contrôle des filiales. Pour Schneider Electric, il est au service de la socialisation en vue de partager des valeurs (Edström et Galbraith, 1977). Enfin, pour Publicis, l’expatriation est peu développée et vise uniquement, dans le cadre particulier des filiales récentes situées dans des pays peu matures en matière d’activité, à pallier le manque de compétences locales. Cela reste cependant provisoire, et avec pour objectif de former des managers locaux qui pourront ensuite prendre la direction de la filiale.

Nos résultats permettent de répondre à notre question sur l’existence (ou non) d’une différenciation des relations selon les filiales. Schneider Electric cherche plutôt à uniformiser ses filiales via les valeurs partagées. Au contraire, Publicis adopte une approche différenciée selon, non pas les filiales, mais l’activité du groupe et en particulier la nature des clients (locaux ou globaux). Dans une moindre mesure, la dimension pays développés et pays émergents permet également de différencier les filiales au regard des connaissances dont elles disposent. Enfin, France Télécom adopte également une différenciation interne mais elle est subie, fortement liée au partage du contrôle des filiales avec le gouvernement local et dépendant des liens négociés, tissés avec ces derniers. Cette situation est étroitement liée au fait que les filiales étudiées sont localisées dans des pays émergents.

Confrontation de nos résultats aux modèles des relations siège-filiales existants

La littérature sur les relations siège-filiales prône le développement des approches en réseau, en considérant un traitement différencié des filiales au sein des FMN (Nohria et Ghoshal, 1997). Nos résultats permettent de questionner cette tendance à travers la diversité des cas étudiés.

Publicis se rapproche le plus de ces approches en réseau compte tenu de la différenciation voulue selon les filiales. Il y a alors à la fois une recherche d’intégration globale et de réactivité locale, un mélange de modes de contrôle formels et informels, ce qui contribue à ce rapprochement. Pour autant, deux éléments viennent nuancer cette relation. Tout d’abord, la différenciation selon les filiales s’opère, non pas selon les caractéristiques des filiales ou de son environnement, mais selon son activité (la nature de ses clients locaux ou globaux). Ainsi, d’une gestion des filiales, on arrive à une gestion des clients qui est au coeur du modèle du groupe. Ensuite, la question de la localisation et du transfert des connaissances est contraire aux approches récentes développées. En effet, ces dernières prônent le développement de liens multilatéraux, en accordant une forte place aux liens latéraux. Or, dans le groupe, le siège tient une place centrale de relai entre les filiales.

Schneider Electric dispose également des caractéristiques communes avec les approches en réseau : une forte prise en compte des enjeux locaux et globaux, une volonté d’apporter une cohérence globale et une mobilisation des outils de contrôle formels et informels. Pour autant, le groupe se définit par de faibles relations latérales et le siège reste central, en matière de transfert de connaissances (comme pour Publicis). De plus, même si les caractéristiques de l’environnement local varient d’un pays à l’autre, Schneider Electric cherche à dépasser ces différences pour mettre en place un groupe homogène, en traitant de manière identique ses filiales. Il se base notamment sur une politique d’expatriation développée de toutes nationalités dans une optique de socialisation. En ce sens, le groupe se rapproche du modèle des valeurs partagées de Nohria et Ghoshal (1994).

Enfin, France Télécom adopte une approche plus différenciée dans la gestion de ses filiales. Il s’agit cependant d’une gestion au cas par cas, à travers une autonomie subie de ses filiales et un fort poids des gouvernements locaux avec qui elle doit partager les filiales. Pour autant, le siège cherche à contrôler ses filiales et à limiter cette autonomie. Un outil mobilisé par le groupe est l’expatriation en y axant une optique de contrôle. On retrouve alors une approche hiérarchique des relations siège-filiales. Le recours à la théorie de l’agence, comme réalisé par O’Donnell (2000), rend bien compte des rapports unilatéraux entre le siège du groupe et ses filiales. Le siège cherche ainsi à aligner les objectifs de ses filiales à ses propres objectifs en mettant en place des mécanismes de contrôle pour s’assurer de cet alignement.

Selon la typologie d’Heenan et Perlmutter (1979), France Telecom se rapproche d’une entreprise ethnocentrique, compte tenu notamment de son fort usage d’expatriés venant du pays d’origine. Il s’agit peut-être plus d’une tendance avec une volonté du siège de centralisation, l’entreprise pouvant être au départ considérer comme une entreprise plutôt polycentrique au regard de la forte prise en compte des contextes locaux et de l’autonomie des filiales subie par le siège. A contrario, Schneider Electric et Publicis adoptent une approche géocentrique en intégrant à la fois les enjeux locaux et globaux. Schneider Electric développe ainsi une politique d’expatriation sans lien avec la nationalité en mettant à la tête des filiales des expatriés du pays d’origine, des personnes du pays hôte ou venant d’un pays tiers. Enfin, il est possible de noter pour Publicis une évolution vers une approche régiocentrique avec le développement de « hubs » régionaux.

Malnight (1996) a montré le passage d’une approche décentralisée à une approche en réseau. Ainsi, alors que les FMN étaient caractérisées uniquement par une forte réactivité locale, elles prennent de plus en plus en compte à la fois les enjeux locaux et globaux. C’est l’approche que tend à suivre Schneider Electric où les filiales étaient des « petits royaumes » et ont vu leurs prérogatives diminuer et des moyens d’intégration se développer. C’est également l’optique de France Télécom, où le siège avait plutôt une gestion au cas par cas de ses filiales, s’adaptant aux diverses conditions locales mais qui cherche maintenant, de plus en plus, à réaliser une intégration globale. Ces deux groupes se distinguent par le degré de réalisation de ces évolutions : Schneider Electric est maintenant bien intégrée tandis que, pour France Télécom, la réactivité locale continue de prédominer (avec une intégration en cours).

Place des filiales dans le groupe et régionalisation dans les relations siège-filiales

Deux caractéristiques pour distinguer les filiales émergent de nos résultats. Le premier critère est l’activité qui est traduite par le type de clients pour Publicis. Cela met en évidence l’importance de la gestion des clients notamment globaux et des incidences que cela peut avoir sur l’organisation d’une FMN (Montgomery et Yip, 1999; Birkinshaw et al., 2001). Le deuxième élément est le niveau d’actionnariat ou de contrôle du groupe pour France Télécom. De plus, le contexte des filiales de France Télécom est particulier, du fait de leur localisation dans des pays émergents (London et Hart, 2004). Cela pose la question du partage de la filiale avec le gouvernement local (Doh et al., 2004). Ainsi, nos résultats mettent en évidence l’importance, pour les FMN implantées dans des pays émergents, de gérer leurs filiales, mais également de prendre en compte les différents acteurs locaux comme le gouvernement du pays hôte et la société locale.

En rapprochant Publicis des approches en réseau, nous pouvons maintenant tenter de classer ses filiales à partir des typologies présentées dans notre revue de littérature. Les filiales gérant uniquement des clients locaux se rapprochent du type « innovateur local » (Gupta et Govindarajan, 1991) excepté pour la dimension financière qui est centralisée. Les filiales disposant de clients globaux sont divisées en deux catégories : les agences « leader » qui sont proches du type « contributeur au groupe » ou même « mandat global » et les autres filiales (non « leader » ou suiveuses) qui tendent vers le type « exécutant local » (Gupta et Govindarajan, 1991). Cependant, le groupe a une particularité par rapport à ces typologies : les catégories dégagées varient selon les clients globaux. En effet, la classification des filiales ne s’appréhende pas globalement (per filiale) mais diffère d’un client global à un autre.

Schneider Electric a établi des relations uniformes pour toutes ses filiales, contrairement aux conceptualisations en réseau. Les filiales du groupe se rapprochent du type « contributeur au groupe ». Cela s’explique par la recherche d’une équité interne et un objectif de socialisation.

Pour France Télécom, au regard de nos résultats, les filiales oscillent entre le type « innovateur local » compte tenu de l’autonomie subie par le siège et « exécutant local » de la stratégie décidée par le siège.

Enfin, notre recherche met en lumière le rôle de la régionalisation, qui contribue à revisiter la perspective intégration globale/réactivité locale (Prahalad et Doz, 1987) en permettant aux FMN d’être à la fois globalement intégrées et localement réactives. Rugman (2005) et Rugman et Verbeke (2004) mettent en évidence l’importance de la régionalisation en montrant qu’une décentralisation des décisions au niveau des régions est possible pour les activités aval de la chaîne de valeur compte tenu du manque d’informations du siège central sur les régions hôtes et le besoin de préserver l’engagement et l’initiative de ces régions. Cela peut expliquer le développement de sièges régionaux (Paik et Sohn, 2004), voire de sièges sous-régionaux (Li et al., 2010). Les sièges régionaux permettent de rapprocher le siège et les filiales. Par ailleurs, la régionalisation peut contribuer à accroître l’autonomie accordée aux filiales. Ce résultat est cohérent avec les approches en réseau des FMN (Nohria et Ghoshal, 1997). Les filiales ont tendance, à travers la régionalisation, à devenir des contributeurs à la stratégie du groupe. Plus globalement, les approches en réseau et la place accrue tenue par les filiales posent de manière prégnante la question du rôle du siège (Andersson et Holm, 2010; Beddi, 2011). Pour autant, nos résultats montrent que, notamment en matière de transfert des connaissances, le siège continue de jouer un rôle fort de relai entre les filiales.

Conclusion

La prise en compte de la différenciation dans les relations siège-filiales, corollaire des approches en réseau, constitue un défi majeur des FMN de nos jours. Cette question est d’autant plus exacerbée que les groupes se caractérisent par un éclatement géographique de leurs filiales dans le monde entier. Notre étude a ainsi porté sur la capacité du siège à gérer des relations différentes selon les filiales et des modalités par lesquelles celui-ci exerce son rôle de centre.

Nos résultats montrent qu’une approche différenciée peut exister mais qu’elle va avoir tendance à gommer la gestion par filiales au profit d’une gestion par clients. A contrario, une approche uniforme peut être choisie en vue de privilégier la cohérence globale et l’équité interne. Enfin, une approche différenciée peut être suivie du fait du partage de l’actionnariat de la filiale et de la localisation de la FMN dans des pays émergents. Nos résultats portent également sur le type d’action du siège dans le cadre de ses relations avec ses filiales. En dépit du développement des recherches portant sur les approches en réseau et s’axant sur les filiales, nos résultats soulignent le poids prépondérant du siège, à travers ses modes de contrôle, son rôle dans le transfert des connaissances mis en place, en mettant en évidence les faibles niveaux de liens latéraux dans les groupes considérés.

L’étude empirique présentée dans cet article porte sur les FMN françaises qui pourraient avoir une approche spécifique concernant la gestion de leurs filiales. Un prolongement intéressant de cette recherche serait d’analyser l’influence du pays d’origine sur les relations siège-filiales. Bien que certains auteurs cherchent à promouvoir le concept de l’entreprise sans frontières (Ohmae, 1991), il paraît pertinent de souligner que l’environnement national du siège continue d’influencer les choix stratégiques des FMN (Harzing et Sorge, 2003). Le secteur d’activité de la FMN paraît également avoir un impact. Certaines industries, telles que les télécommunications, l’aéronautique ou la défense sont, en effet, considérées comme stratégiques, ce qui peut provoquer une résistance au niveau local. Ces éléments gagneraient à être prolongés et complétés, notamment à travers une comparaison avec des FMN originaires d’autres pays développés. Enfin, la localisation des FMN constitue un enjeu central pour le management des entreprises (Dunning, 2009; Colovic et Mayrhofer, 2012). Il pourrait être intéressant d’étudier de manière plus approfondie les différences dans les relations siège-filiales entre les pays développés et les pays émergents.