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Le management des parties prenantes constitue un défi managérial pour les entreprises engagées dans des processus de certifications liées à la responsabilité sociale (RSE). Celle-ci se définit comme un processus d’amélioration dans le cadre duquel les entreprises intègrent de manière volontaire, systémique et cohérente des considérations d’ordre social (Allouche, 2006). La mise en application de la démarche RSE via les certifications telles que le SA8000 (Social Accountability 8000), le global compact, le label social belge, le label égalité diversité ou encore la norme ISO 26000 soulève la question de la mobilisation des parties prenantes sans laquelle l’obtention de la certification ou du label est remise en cause (El abboubi, 2009). Certaines normes nomment clairement les parties prenantes à mobiliser dans le projet de certification, c’est le cas du label égalité diversité en Belgique. D’autres normes, comme le SA8000, le global compact ou encore l’ISO 26000 n’identifient que des catégories de parties prenantes en utilisant un discours normatif qui laisse place à la subjectivité des managers dans leur prise de décision. Alors que la littérature scientifique dans ce domaine est riche et présente plusieurs variables déterminantes pour identifier les parties prenantes, elle passe cependant sous silence le caractère flexible et socialement construit des variables qui déterminent les parties prenantes lors d’un processus de certification RSE. Cette zone d’ombre motive la question de recherche adressée dans cette étude et pour laquelle nous avons apporté une réponse à travers une étude qualitative basée sur deux études de cas d’entreprises ayant choisi chacune une certification RSE déterminée. Une analyse restreinte au premier cas a révélé les étapes de mobilisation des parties prenantes de façon générale dans le processus de certification (références auteurs). La présente recherche entend focaliser la question de recherche sur l’identification des parties prenantes et ce en élargissant le terrain empirique à une deuxième étude de cas d’entreprise impliquée dans une certification à portée internationale. Cette diversification de terrain est à la source de la contribution originale de la présente recherche.

Nous avons menés 64 entretiens et analysé des documents internes comme les manuels de procédures et les enquêtes internes. Nous avons également réalisé une période d’observation dans chacune des deux entreprises afin de comprendre les mécanismes opérés par les différents acteurs (internes et externes) pour identifier les parties prenantes qui vont jouer un rôle dans le processus de certification.

La principale contribution de cette recherche révèle la fragilité des constructions normatives sur lesquelles se basent les certifications sociales au niveau de l’identification des parties prenantes à impliquer dans le processus de certification. Même si cela pourrait paraître normalisé et cadré par des registres normatifs clairs, l’identification est une opération de négociation et de construction sociale tripartie dans laquelle l’entreprise, les parties prenantes et le certificateur peuvent jouer des rôles d’influence mutuels.

Nous procédons dans ce qui suit en plusieurs étapes. Nous présentons dans un premier temps une revue de la littérature scientifique portant sur l’identification des parties prenantes. Nous exposons ensuite la méthodologie par étude de cas que nous avons choisie en soulignant et motivant les choix méthodologiques que nous avons opérés. Ensuite, nous présentons dans un troisième temps les résultats de notre recherche que nous discutons en quatrième et dernière partie.

Revue de la littérature

La certification RSE : spécificités et enjeux

La certification RSE est un ensemble de dispositifs qui proposent à la fois un certain nombre d’orientations socialement responsables et la certification par une tierce partie (Cochoy, 2007). L’objectif des certifications est double : « répondre aux attentes de la société et donner des lignes directrices pour faire respecter des normes de travail décentes auprès d’employés » (Boiral, 2003, p.8).

Par ailleurs, les certifications assurent la cohérence entre le discours et les pratiques des entreprises. Les standards tels que le SA8000, le label social belge, l’ISO 26000, l’AA1000 ou autres, sont utilisés de façon volontaire ou involontaire par l’entreprise.

Les certifications RSE apposent des labels qui permettent de différencier l’entreprise, le produit ou le service, en renseignant le consommateur final sur certaines normes sociales (Hilowitz (2000), Diller (1999) et Latouche (2000)). La gestion de ces labels est souvent prise en charge par des organismes non-gouvernementaux, des groupements de consommateurs ou des associations d’entreprises qui définissent les critères d’agrément ou de certification (Boiral, 2003).

Boiral (2003) définit les certifications comme des instruments qui s’inscrivent dans un ensemble de mesures plus large destinées à promouvoir et à faire reconnaître les efforts des entreprises dans le domaine de la RSE. La dépendance et la légitimité des organismes d’accréditation répondent principalement au besoin de crédibilité du processus de certification.

Certaines certifications visent le(s) mode(s) de management des entreprises (par exemple, SA8000, label diversité belge), d’autres sont apposées sur des produits ou des services (par exemple, le label social belge).

Les bénéfices des standards de management seraient la favorisation de la performance de l’organisation et l’augmentation de son efficacité à travers une meilleure coordination entre les différents services, une identification et un management des risques environnementaux et sociaux. Ne modifiant pas les responsabilités légales de l’entreprise, ces outils peuvent s’avérer utiles pour conforter la législation quant au respect des lois.

Les certifications RSE, tout comme les certifications ISO (9001 ou 14001) imposent un mode de management fonctionnaliste à travers lequel les comportements organisationnels sont prévus de façon prescriptive et procédurière (Mouritsen, Ernst et Jorgensen, 2000). Il s’agit d’une vision ordonnée, mécaniste et systématique de la pratique de la RSE.

Boiral (2003) souligne la place importante des dispositifs de vérification et de diffusion de l’information pour influencer les processus de certification sociale. Alors que les mesures d’audits prônent traditionnellement la conformité aux procédures, les sujets d’audit sont, de leur part, d’une nature souvent complexe (exemple : origine ethnique, religion, etc.). Dans un développement plus critique des outils de certification, Mispelbom (1995) met en cause la neutralité des organismes de certification, dans la mesure où ils jouent le rôle de l’auditeur et du prestataire du service. Un double rôle qui peut mettre en cause leur neutralité.

Le processus des certifications RSE

Selon El abboubi (2009), les processus de certification proposent un modèle normatif et formalisé basé sur les trois éléments suivants : 1) le diagnostic de la situation initiale. Il s’agit de l’analyse de l’ensemble des caractéristiques que possède l’organisation avant son engagement dans le processus de certification. Au terme de ce diagnostic, l’organisation met en place une stratégie/un plan d’action pour se conformer aux normes de la certification choisie. 2) la mise en oeuvre de la stratégie de conformité avec un plan d’action détaillé qui reprend les actions à entreprendre, et 3) la certification de la conformité entre les actions entreprises et les exigences de la norme de certification. Cette phase est conduite par des auditeurs externes issus d’un organisme de certification accrédité et indépendant.

Les enjeux de la certification RSE

La diversité des référentiels ainsi que la multiplicité des acteurs associés aux processus de certification font ressortir une multitude d’enjeux liés aux processus de certification RSE. En nous référant à la théorie institutionnelle (DiMaggio et Powel, 1983), ces enjeux peuvent être lus en termes de recherche de légitimité.

L’approche néo-institutionnelle postule que les entreprises sont en quête de légitimité et de reconnaissance auprès de diverses parties prenantes (Dacin, Goodstein et Scott, 2002), ce qui justifie les actions en matière de certification RSE. Zbaracki (1998) avance que la plupart des discours mobilisés dans des processus de certification apparaissent comme des discours de légitimation tels que mis en avant par la théorie institutionnelle.

Par ailleurs, tout comme les certifications ISO 14001 et ISO 9001, le développement des certifications RSE peut refléter une forme d’isomorphisme coercitif selon lequel les organisations se conforment à la loi indépendamment de l’utilité intrinsèque des normes (Boiral, 2003). Ce comportement isomorphe est le résultat des pressions formelles et/ou informelles que subissent les organisations. Il s’agit des pressions institutionnelles et réglementaires qui régissent la gestion sociale et environnementale des organisations. Notons également les pressions des parties prenantes externes et/ou internes : clients, citoyens, groupes environnementaux, municipalité, etc.

D’un autre côté, opter pour une certification RSE peut refléter une forme d’isomorphisme mimétique selon lequel le comportement organisationnel imitera les organisations ayant eu des gains sociaux ou économiques grâce à leur certification RSE. En adoptant des pratiques identiques répondant aux mêmes pressions institutionnelles, les organisations deviennent ainsi isomorphiques entre elles (Boiral, 2003).

Par ailleurs, la mise en place d’une certification RSE peut aussi renvoyer à une volonté de standardisation du management et des procédures ainsi que des pratiques organisationnelles (El abboubi, 2009). La certification permet la mise en place d’un système de gestion plus formalisé qui sera l’objet d’un audit de conformité. En effet, les outils de contrôle des conformités incitent au respect méticuleux des procédures de gestion formalisées.

En récapitulation et en regard des enjeux de la certification RSE, nous nous intéressons en particulier à la place des parties prenantes comme acteurs actifs dans le processus de certification. Le point de départ est l’identification des parties prenantes pouvant jouer un rôle dans le processus de certification. Pour cela, nous questionnons dans ce qui suit les principaux apports conceptuels qui ont traité cette question.

La théorie des parties prenantes : enjeux de l’identification

Différents auteurs ont tenté de définir le concept de partie prenante dans une perspective plus managériale qu’analytique. Il s’agissait d’aider les managers à identifier les parties prenantes à impliquer dans les processus de management. Nous présentons dans ce qui suit six approches proposées par Gond et Mullenbach (2004) pour définir les parties prenantes.

Une approche relationnelle

En 1963, la Stanford Research Institute désigne les groupes indispensables à la survie d’une organisation pour définir les parties prenantes. Dans cette même perspective, Rhenman et Stymne (1965) insistent sur la relation de dépendance entre les parties prenantes et l’organisation en les qualifiant comme : les groupes qui dépendent de l’entreprise pour réaliser leurs propres buts ou les groupes dont dépend l’entreprise pour assurer son existence.

En 1984, l’ouvrage Strategic Management, A Stakeholder Approach de Freeman va marquer une première étape de construction conceptuelle. Freeman (1984, p.46) apporte la définition suivante : « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par l’atteinte des objectifs de l’organisation ». Une des caractéristiques de l’approche par les parties prenantes posée par Freeman réside dans une représentation relationnelle de la firme. L’entreprise entre volontairement ou pas, en relation avec des parties prenantes diverses. Même si Freeman considère que la relation avec les parties prenantes est bidirectionnelle (peut influencer ou peut être influencée) la plupart des écrits qui vont suivre ne s’intéresseront dans beaucoup de cas qu’à la relation unidirectionnelle entre l’entreprise et ses parties prenantes, c’est-à-dire les parties prenantes qui revendiquent des droits ou des exigences à l’entreprise. Nous allons nous intéresser dans notre recherche aux parties prenantes que l’entreprise tente d’influencer.

Une approche contractuelle

Freeman et Evan (1990) postulent que certaines relations avec les parties prenantes impliquent un caractère contractuel, formel ou informel. Cette notion de contrat peut s’approcher de celle évoquée par la théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1972) ou encore des théories contractuelles de la firme (Williamson, 1985).

La théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1972) considère la relation d’agence comme un contrat pour lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent.

La théorie contractuelle de la firme (Williamson, 1985) conçoit les organisations, ou les institutions, comme des ensembles de contrats implicites ou explicites, qui régissent les relations, aussi bien entre les agents internes de l’organisation, qu’entre ceux-ci et des tiers.

Une approche par la légitimité

Hill et Jones (1992) renvoient à une relation de légitimité et définissent la partie prenante comme tout participant possédant un droit légitime sur l’entreprise. Cette question de légitimité a été évoquée par Donaldson et Preston (1995) qui ont caractérisé les parties prenantes par leurs intérêts légitimes dans les procédures ou les aspects substantifs de l’activité de l’organisation. Ainsi, pour ces auteurs, la légitimité peut s’appuyer sur l’existence d’un contrat implicite ou explicite.

Une approche par les droits et les revendications

Clarkson (1995, p106) définit les parties prenantes comme « personnes ou groupes qui ont, ou qui revendiquent, des propriétés, droits ou intérêts dans l’entreprise et ses activités passées, présentes ou futures ». Il ajoute aussi que les parties prenantes dont les enjeux ou les droits sont similaires doivent être regroupées dans les mêmes catégories.

Sternberg (2001) postule que n’importe qui pourrait revendiquer un intérêt dans une organisation et donc être considéré comme une partie prenante.

Une approche par les attributs

Certains auteurs se sont basés sur l’identification d’un ou plusieurs attributs pour définir une partie prenante. Mitchell et alii (1997) postulent qu’une partie prenante est celle qui dispose au moins d’un des trois attributs suivants : le pouvoir ; la légitimité et l’urgence.

Le pouvoir se manifeste quand une partie prenante est capable de conduire un acteur à faire quelque chose qu’il n’aurait pas réalisé autrement (Mitchell et alii, 1997). Le pouvoir est variable dans le temps, transitoire, peut être acquis ou perdu.

La légitimité se traduit par des discours et des actions d’une entité considérés comme désirables et appropriés dans un système socialement construit de normes, de valeurs et de croyances. (Shuman, 1995)

L’urgence se manifeste par le degré selon lequel les parties prenantes revendiquent une prise en considération immédiate. Deux attributs permettent de mesurer cette urgence : la contrainte au temps et la gravité aux yeux des parties prenantes de leurs revendications ou de leur relation avec l’organisation (Mitchell et alii, 1997).

Par ailleurs, Sobczak et Girard (2006) postulent qu’une partie prenante disposerait, à des niveaux différents, soit d’un engagement organisationnel ancré dans l’entreprise et/ ou d’un engagement social / sociétal qui détermine son niveau de militantisme en matière de RSE.

Une approche par les contributions

Certains auteurs définissent les parties prenantes à partir de leur contribution à l’organisation. Wicks et alii (1994) avancent que les parties prenantes sont celles dont la contribution donne sens et définition à l’organisation. Dans le même sens, Clarkson (1995) postule que les parties prenantes investissent un risque dans l’organisation en contribuant au capital humain ou financier. C’est cette contribution qui peut rendre les opérations organisationnelles possibles. (Näsi, 1995). Post, Preston et Sachs (2002, p.8) postulent que les parties prenantes sont tous les « individus et éléments constitutifs qui contribuent de façon volontaire ou non à l’activité de la firme et à sa capacité à créer de la valeur et qui en sont les principaux bénéficiaires et/ou en supportent les risques ». Cette définition met en avant la capacité des parties prenantes à contribuer ou non à la création de la valeur pour la firme, volontairement ou involontairement.

En guise de récapitulatif, nous proposons le tableau suivant qui trace les différentes définitions selon les six approches proposées par Gond et Mullenbach (2004) :

Tableau 1

L’évolution des définitions des parties prenantes

L’évolution des définitions des parties prenantes

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En regard des apports conceptuels clarifiant les différentes approches pour appréhender les parties prenantes, nous interrogeons dans ce qui suit l’applicabilité de ces approches dans le cadre des certifications RSE. Ces dernières imposent dans leurs fondements normatifs l’implication des parties prenantes que les managers doivent avant tout identifier. Nous utilisons dès lors le cadre opératoire des certifications RSE pour apporter une réponse à la question de recherche suivante : comment identifier les parties prenantes dans un processus de certification RSE ?

Méthodologie

Notre recherche est basée sur une démarche qualitative de deux études de cas : une première entreprise qui a choisi le SA8000 comme certification internationale et une deuxième entreprise qui a opté pour le label Egalité Diversité afin de certifier ces pratiques de gestion des ressources humaines et de gestion de la diversité. Nous détaillons et motivons dans ce qui suit les choix méthodologiques que nous avons opérés.

La méthodologie par études de cas

Yin (1990, p17) définit l’étude de cas comme : « […] une enquête qui examine un phénomène contemporain au sein de son contexte réel lorsque les frontières entre phénomène et contexte ne sont pas clairement évidentes et pour laquelle de multiples sources sont utilisées ».

L’étude de cas est une méthodologie de recherche très pertinente pour comprendre les processus de décisions : qui prend les décisions ? Comment et pourquoi sont-elles prises ? Dans ce sens, Schramm, (1971) avance que : “The essence of a case study, the central tendency among all types of case study, is it tries to illuminate a decision or set of decisions : why they are taken, how they were implemented, and with what result”.

Ce postulat met en exergue le type de question de recherche de type « pourquoi » et « comment ». Sur la base des deux définitions ci-dessus, nous pouvons considérer que la nature de notre question de recherche justifie notre choix méthodologique. En effet, notre recherche vise à comprendre comment s’opère l’identification des parties prenantes par les entreprises engagées dans une certification RSE. Ce type de questionnement, comme le souligne Schramm (1971), représente l’essence même de la méthode des études de cas. Selon Yin (1990), le « comment » et le « pourquoi » sont des questions explicatives qui traitent des liens opérationnels indissociables d’une perspective temporelle et dynamique.

Par ailleurs, nous avons opté pour une triangulation des sources d’information que nous présenterons plus loin. Notre choix s’appuie sur les propos de Eisenhardt (1989, p 534) : « The case study is a research strategy which focuses on understanding the dynamics present within single settings. (…) Case studies involve either single or multiple cases, and numerous levels of analysis. (…) Case studies typically combine data collection methods such as archives, interviews, questionnaires and observation. »

La sélection des cas

Notre échantillon de référence est constitué de deux études de cas d’entreprises belges ayant obtenu une certification liée à la RSE : le SA8000 et le Label Egalité Diversité. Ces deux entreprises ont été choisies parce qu’elles illustrent deux cas de figures différents : la première, appelée ici WebTel, est une petite entreprise du secteur de télémarketing et la seconde, renommée HR’Solutions, est une grande entreprise avec une offre de services en GRH.

Nous avons choisi ces deux entreprises en fonction des critères suivants : le choix d’une certification RSE comme outil de RSE, la proximité géographique, la langue française, et la diversité dans la taille et le secteur d’activité.

  1. Le choix d’une certification sociale comme outil de RSE : cette certification est délivrée par un organisme accrédité au niveau national ou international. Le recours à la certification comme outil de RSE renforce la problématique d’identification des parties prenantes puisqu’elle constitue très souvent une obligation normative de la certification.

  2. La proximité géographique : nous nous sommes limités aux entreprises sises en région belge-bilingue afin de garantir de meilleures conditions pour notre collecte de données. Nous avons estimé primordial de rester proches géographiquement de notre terrain pour pouvoir nous déplacer aussi fréquemment que possible dans les entreprises étudiées.

  3. La langue française : pour des raisons de compétences linguistiques, la région flamande de la Belgique n’a pas été considérée dans notre échantillon. Nous avons choisi ainsi de limiter notre terrain aux entreprises francophones ou bilingues dans lesquelles nous pouvons converser aisément avec les parties prenantes. La pratique courante du néerlandais dans certaines entreprises pourrait constituer un biais à notre collecte de données, particulièrement en termes d’observation des pratiques courantes et en termes d’analyse des documents internes à l’entreprise.

  4. La diversification dans la taille et le secteur d’activité. D’un côté, la PME nous laisse supposer que la relation avec les parties prenantes serait différente qu’avec une grande entreprise figurant parmi les premiers employeurs en Belgique. D’un autre côté, nous supposons que le secteur de télémarketing et des ressources humaines disposent chacun de caractéristiques spécifiques susceptibles d’influencer différemment les relations avec les parties prenantes.

Par ailleurs, le choix des deux études de cas est motivé aussi par la démarche longitudinale que nous nous sommes fixée pour notre recherche. Nous avons souhaité suivre les étapes de la certification en temps réel et observer les comportements des acteurs aux moments de leur production. Nous avons donc choisi les deux entreprises belges dont le processus de certification a coïncidé avec la période de collecte des données de notre recherche

Compte tenu de ces critères, nous avons sélectionné les deux entreprises suivantes [1]

WebTel

WebTel est une PME francophone oeuvrant dans le secteur du télémarketing avec un effectif annuel moyen de vingt employés. Elle s’inscrit dans une stratégie de RSE intentionnelle qui se concentre sur l’obtention et le maintien de la certification SA8000. La particularité de WebTel réside principalement dans les enjeux spécifiques que soulève sa petite taille : 1) des ressources financières, matérielles et humaines réduites, ce qui n’a pas été sans effets sur les techniques déployées pour mobiliser les parties prenantes, 2) une faible expertise en gestion de projets, particulièrement en RSE et 3) une GRH informelle.

La norme SA8000 pour laquelle WebTel s’est engagée repose sur les conventions de base de l’organisation internationale du travail (OIT) et la convention de New York sur les droits de l’enfant. Le SA8000 garantit que l’entreprise respecte un certain nombre de normes internationales en matière de travail, à savoir cinq principes de base que sont la liberté syndicale et la négociation collective, l’absence de travail des enfants, l’absence de discrimination et de travail forcé auxquels s’ajoutent les conventions internationales relatives à la santé et à la sécurité des travailleurs et le contrôle du temps de travail et des heures supplémentaires. Le processus de certification repose sur un modèle normatif formalisé en cascade et structuré autour des objectifs de la norme SA8000 et des trois principes d’audit qui sont la validation des procédures, les recherche des preuves et la validation des pratiques (El abboubi et Cornet, 2007).

HR’Solutions (HRS)

Afin de permettre une analyse réplicative, nous avons choisi d’étudier une deuxième entreprise que nous appellerons HR’Solutions (HRS). C’est une multinationale qui emploie plus de 1000 collaborateurs en Belgique. HRS est présente dans plusieurs pays à travers le monde. L’entreprise recouvre des activités de ressources humaines et du travail intérimaire. Elle dispose de plusieurs labels sociaux dont le SA8000 et le label social belge. Notre recherche s’est focalisée sur le label égalité diversité dont la préparation coïncidait parfaitement avec la période de notre recherche.

Les caractéristiques organisationnelles de l’entreprise qui ont contribué à enrichir notre analyse sont les suivantes : 1) sa grande taille, 2) son envergure internationale, 3) sa culture d’entreprise basée sur la RSE et sur des valeurs organisationnelles fortes, 4) le large pouvoir économique de l’entreprise et 5) la légitimité dont jouit l’entreprise en tant qu’acteur actif en RSE et en gestion de la diversité.

Le label Egalité Diversité pour lequel HRS a postulé est un processus qui vise à récompenser un plan diversité, construit sur un diagnostic chiffré centré sur la sur- ou la sous-représentation de différents groupes cibles dans l’organisation (femmes, personnes d’origine étrangère et personnes handicapées). Ce plan diversité doit proposer un plan d’actions, décliné en objectifs et activités, avec identification des responsables de ces activités, d’un échéancier et identification d’indicateurs qui seront utilisés pour l’évaluation. Il ne s’agit donc pas d’un audit certifiant la non-discrimination dans l’entreprise mais d’un plan d’action expliquant comment l’entreprise envisage d’éviter et de lutter contre la discrimination aux différents niveaux de l’entreprise et les actions entreprises pour lutter contre les stéréotypes qui peuvent générer des discriminations (El abboubi et Cornet, 2010)

Au niveau de l’analyse des deux études de cas, nous avons suivi une démarche d’analyse en continuité cumulative ce qui nous a permis d’enrichir notre cadre conceptuel à chaque étape de l’analyse. Les différences contextuelles entre les deux cas analysés ont contribué à la complémentarité des données en vue d’une meilleure transférabilité des résultats. Le tableau suivant illustre les caractéristiques de chacun des cas étudiés.

Le protocole de recherche

En nous servant du principe de « la diversification », nous avons opté pour des techniques d’investigation privilégiant la proximité avec le terrain de recherche. Trois techniques ont ainsi été utilisées : 1) les entretiens semi-directifs, 2) l’observation et 3) l’analyse documentaire. Cette triangulation des outils de collecte des données augmente la validité de la qualité des données récoltées (Jick, 1983). Ce principe de triangulation permet justement une validation de la recherche en multipliant les informateurs, les sources d’information (écrites / orales) et les méthodes d’enquête (entrevues, observation).

Les entretiens semi-directifs

L’entretien est le premier outil utilisé pour la collecte des données dans notre recherche. Nous avons mené des entretiens semi-directifs avec plusieurs parties prenantes de chaque entreprise. Les entretiens nous ont permis de : 1) nous focaliser sur les attitudes et les comportements des différents acteurs face à certaines situations, 2) nous attarder sur les représentations, les motivations et les freins à l’action/réaction des acteurs, 3) nous arrêter sur les points de tension du processus de certification et 4) nous intéresser aux relations avec les parties prenantes : les points de conflit, d’accord, de convergence des intérêts et les modes de négociation. Le guide d’entretien que nous avons élaboré a été alimenté au fur et à mesure de notre avancée avec des questions supplémentaires qui permettaient d’aborder de nouvelles questions.

Tableau 2

Variables de différenciation des cas étudiés

Variables de différenciation des cas étudiés

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L’échantillon des personnes interrogées a été « relationnel » et « variationnel » (Strauss et Corbin, 1990). Le nombre de personnes interrogées a évolué au fur et à mesure de l’avancée de la recherche. Des unités additionnelles ont été sélectionnées pour diverses raisons : compléter des informations manquantes, croiser les données avec des informations contrastantes ou clarifier des données précédemment collectées. Nous avons appliqué le principe de la saturation (Bardin, 1980; Bertaux, 1980; Bogdan et Bilken, 1982) selon lequel la collecte des données a pris fin une fois que les informations additionnelles recueillies deviennent redondantes.

En guise de résumé, le tableau suivant illustre l’échantillon des personnes interviewées dans notre recherche :

Tableau 3

Echantillonnage des personnes interviewées

Echantillonnage des personnes interviewées

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L’observation

La seconde source de données est l’observation pendant des périodes-clés du processus de certification. Cette technique permet d’observer les comportements (Selltiz et alii, 1977) et de détecter l’organisation informelle du travail et les pratiques indirectes pour mieux comprendre le contexte de travail. L’observation a le mérite de traquer les non-dits ainsi que certaines contradictions perçues dans le discours des acteurs (Hlady-Rispal, 2002). Dans le cadre de notre recherche, la collecte des données par observation a pris deux formes particulières : une forme participante incognito et une forme directe à découvert. La première nous a permis de partager quelques événements du quotidien des parties prenantes. Cette technique autorise une meilleure compréhension des rôles sociaux. La deuxième forme d’observation (directe à découvert) a exigé l’accord préalable des acteurs concernés par le projet de l’étude. Notre rôle de chercheur observateur passif a été clairement défini. Notre participation a été transparente et passive aux différents événements.

Analyse documentaire

Yin (1994) considère l’analyse des documents comme un outil pertinent pour chaque étude de cas. Nous avons collecté des documents dans chacune des deux entreprises étudiées afin d’obtenir des informations sur l’évolution organisationnelle de l’entreprise, les résultats financiers, les résultats sociétaux, la structure interne et les produits et/ou services. Nous avons consulté des documents publics disponibles sur les sites internet des entreprises comme les rapports annuels, les brochures de marketing, les articles et les communiqués de presse. Nous avons également eu accès à certains documents confidentiels comme les notes internes, les rapports des études de satisfaction, les contrats avec les sous-traitants, les manuels de procédures, les dossiers de candidature pour la certification et les rapports du comité de direction. Les documents n’ont pas constitué l’outil principal de notre collecte des données. Ils ont servi de complément aux entretiens semi-directifs et à l’observation. De ce fait, l’analyse des documents n’a pas été codifiée et analysée au même titre que les autres outils de collecte des données.

Le tableau suivant illustre les différentes sources des données utilisées pour chaque étude de cas.

Tableau 4

Sources des données par étude de cas

Sources des données par étude de cas

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Les biais de la collecte de données

Le protocole de collecte des données que nous avons mis en place n’est pas dépourvu de biais. En premier lieu, le faible effectif d’entreprises belges engagées dans un processus de certification a réduit considérablement notre éventail de possibilités dans la sélection d’études de cas. En deuxième lieu, nous sommes dépendants de la volonté de coopération des entreprises sélectionnées. Nos premiers contacts avec chacune des entreprises nous ont imposé un protocole spécifique de collecte des données : nombre d’entretiens, personnes à interviewer, temps à consacrer aux entretiens, parties prenantes externes à consulter et types des données à récolter. Le coût que représente notre recherche pour chacune des entreprises étudiées a constitué un frein considérable à notre collecte des données. Il s’agit du temps à consacrer aux entretiens, aux réunions de feed-back et à la collecte des documents internes. En troisième lieu, nous soulevons le faible effectif de parties prenantes externes interviewées. Ceci est dû principalement à notre dépendance de l’autorisation des dirigeants de chaque entreprise étudiée pour consulter certaines parties prenantes externes. Nous nous sommes ainsi limités aux contacts qui nous ont été autorisés.

Résultats

Notre recherche part d’une volonté délibérée de l’organisation d’opter pour une certification liée à la RSE. Cette démarche impose la création et/ou l’entretien d’une relation spécifique avec les parties prenantes. L’analyse des cas WebTel et HRS nous pousse à faire notre premier constat qui est le suivant : Le concept de partie prenante tel qu’observé dans notre recherche empirique a des spécificités non documentées dans la littérature scientifique.

Les spécificités que nous soulevons portent sur deux aspects : la relation bidirectionnelle avec les parties prenantes et le rôle proactif de l’organisation.

La relation bidirectionnelle avec les parties prenantes

Freeman (1984) postule que la relation qui unit l’entreprise avec ses parties prenantes est de nature bidirectionnelle (peut influencer ou peut être influencée par l’organisation). Nous remarquons cependant que la plupart des travaux empiriques et théoriques qui ont suivi se sont focalisés majoritairement sur un seul sens de la relation (voir tableau 1), à savoir une influence émanant des parties prenantes et imposant la réactivité de l’organisation.

Notre recherche vient appuyer l’existence et l’importance du sens bidirectionnel de la relation entre l’organisation et ses parties prenantes. Nos deux études de cas en témoignent.

WebTel a fait appel à son sous-traitant PhonCall avec lequel une relation d’influence économique bidirectionnelle existe. D’un côté, WebTel influence le chiffre d’affaires de PhonCall puisqu’il est son client principal et d’un autre côté, ce dernier influence la gestion de WebTel puisqu’il prend en charge plus de 40 % de sa capacité de production.

Par ailleurs, le responsable production de WebTel représente une partie prenante influente dans le processus de certification. Après un premier positionnement en opposition au projet de certification, le responsable de production s’est montré plus ouvert au projet un an après son lancement. Ce changement de positionnement est le résultat d’une chaîne d’action-réaction avec la direction qui a mené en fin de compte, à un ralliement à la volonté de la direction afin de pouvoir opérer des restructurations nécessaires au service de production et répondre ainsi aux exigences de certification. Ce changement de position d’influence est dû principalement à la dynamique de changement impulsée par la direction qui a orienté toutes les attentions vers le projet de certification. Une position opposée à ce dernier mettrait son auteur en situation isolée

Le directeur accorde beaucoup d’importance à ce projet. Après un an de résistance, je pense que je n’ai pas intérêt à continuer à m’y opposer.

Le responsable de production

Le cas HRS ajoute que la relation bidirectionnelle peut ne pas concerner uniquement une opération d’influence. HRS formule une demande de collaboration à EGoS (un organisme national de lutte contre la discrimination). Aucune relation institutionnelle n’existait entre les deux organisations avant cette demande. Il ne s’agit pas ici d’influence, mais d’une collaboration susceptible d’apporter de la valeur ajoutée à l’une ou à l’autre ou aux deux organisations.

Une organisation peut jouer un rôle proactif vis-à-vis de ses parties prenantes

La norme SA8000 exige la mobilisation des parties prenantes dans le projet de certification. Il s’agit d’une mobilisation qui s’inscrit dans le temps puisque la norme exige des contrôles fréquents des sites de production des fournisseurs.

Dans le cas WebTel, nous remarquons que l’entreprise identifie PhonCall (sous-traitant basé au Maroc) et Net’Tois (prestataire de services de nettoyage) comme parties prenantes et demande leur mobilisation dans le projet de certification. WebTel n’est pas dans une posture réactive face à ces deux parties prenantes. PhonCall et Nét’Tois n’ont formulé aucune demande qui nécessite la réaction de l’entreprise.

Par ailleurs, WebTel a joué un rôle proactif dans l’identification des parties prenantes et a préparé une série d’arguments qui justifient sa sélection. Ces arguments sont construits à la suite d’une première phase d’interaction autour d’une demande d’audit externe et d’un questionnaire RSE. Parmi les parties prenantes identifiées, nous choisissons de documenter les quatre exemples illustrés dans le tableau ci-dessous. Nous analyserons ensuite la construction des arguments en nous basant sur le positionnement de Mitchell et alii (1997) et de Sobczak et Girard (2006). Comme expliqué précédemment, nous nous sommes basés sur la perception du directeur de WebTel pour positionner les parties prenantes dans les deux modèles.

- Secury est une entreprise nationale qui délivre des services de consultance en ressources humaines. L’entreprise est considérée par le directeur de WebTel comme le conseiller premier en matière de législation de travail, de sécurité, d’hygiène et de gestion des ressources humaines. Secury confirme son acceptation d’être auditée par WebTel et répond au questionnaire qui lui a été adressé. L’entreprise est perçue par la direction de WebTel comme une partie prenante dominante (pouvoir et légitimité) et alliée (fort engagement organisationnel et social). Ce positionnement ainsi que la réaction de Secury semblent ne pas poser de problème. WebTel décide de ne pas considérer Secury comme une partie prenante influente à mobiliser. De ce fait, aucun suivi n’a été programmé avec cette entreprise. WebTel a argumenté ce choix en se basant sur les garanties que pourrait offrir Secury aux certificateurs quant au respect de la législation sociale et des réglementations de travail, de sécurité et d’hygiène. La réponse positive de Secury a été estimée suffisante pour servir de preuve de bonne volonté et de respect des lois.

Nous n’allons pas nous investir dans l’audit de notre secrétariat social. C’est notre garant du respect des lois. Nous faisons appel à eux pour toutes les questions relatives à notre GRH. S’ils nous donnent toujours des réponses satisfaisantes, c’est qu’ils respectent eux aussi les mêmes règles

Directeur WebTel

- VoCall est le fournisseur de logiciel de traitement des appels téléphoniques émis et reçus par WebTel. Bien qu’il soit dans la position de fournisseur, la direction de WebTel le qualifie de partie prenante définitive. VoCall tire son pouvoir du fait que le matériel qu’il fournit est de très haute performance et est indispensable à la production de WebTel. Tout disfonctionnement, même mineur ou de très courte durée, pourrait être coûteux pour le client. L’expertise technologique que détient VoCall lui accorde une position de force. De ce fait, WebTel décide de ne pas le considérer comme une partie prenante à mobiliser dans le projet de certification. Il a été estimé risqué d’investir dans une mobilisation d’une partie prenante qui possède une ressource technologique et qui en même temps ne représente aucun risque de dérapage sociétal.

Pas besoin de le relancer. C’est risqué. Si jamais cela ne marche pas, je ne peux pas le changer du jour au lendemain, ils nous livrent la technique qui nous permet d’être compétitifs sur le marché. Je préfère ne pas le forcer et garder une liaison basée uniquement sur notre core business

Directeur WebTel

- Adrica est une entreprise d’intérim qui fournit des services de RH. Adrica accepte toutes les requêtes de WebTel et ajoute des garanties supplémentaires comme sa certification au Global Compact et ses derniers rapports sociétaux.

Notre société s’est engagée au niveau « Responsabilité Sociétale de l’Entreprise » dans différentes réalisations et nous avons notamment adhéré aux « Global Compact » […] Les principes du Global Compact recoupent les 8 points clefs repris dans la certification SA8000 de l’OIT. C’est donc avec enthousiasme et en encourageant votre démarche de RSE que nous vous renvoyons votre document complété et signé.

Le CSR Manager d’Adrica

Tableau 5

Arguments de WebTel pour l’identification des parties prenantes à mobiliser

Arguments de WebTel pour l’identification des parties prenantes à mobiliser

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WebTel considère Adrica comme un allié qui l’encourage dans la mise en place de sa stratégie RSE. Ce positionnement estimé favorable contribue à la décision de non mobilisation. WebTel estime que si des investissements de mobilisation doivent être faits, cela ne concernera pas les parties prenantes engagées, en l’occurrence Adrica. Cette prise de position va à l’encontre de la norme SA8000 qui ne laisse pas de place à la négociation et impose la mobilisation de toutes les parties prenantes. Malgré cela, WebTel profite des garanties supplémentaires pour argumenter le choix de non mobilisation d’Adrica.

Ca se passe bien avec eux et ils nous envoient toujours de bons intérimaires. En plus ils sont aussi certifiés

Directeur WebTel

- Le centre de recherche Universitaire en RSE : bien que l’Université de Liège ait collaboré avec WebTel dans le cadre du projet de certification SA8000, elle n’a pas figuré dans la liste des parties prenantes contactées. WebTel l’a identifié dans une première phase comme une partie prenante discrétionnaire qui dispose de la légitimité d’action en matière de RSE. Bien que la norme SA8000 oblige la mobilisation de cette partie prenante, WebTel a considéré ceci comme un investissement qui dépasse ses capacités humaines et financières et a préféré ne pas s’engager dans sa mobilisation.

Dans le cas HRS, il y a lieu de distinguer entre les parties prenantes imposées par le label diversité et celles choisies par HRS. Pour cette dernière catégorie, l’entreprise a eu plus de marge de manoeuvre pour identifier des acteurs perçus comme motivés et engagés, notamment les membres du groupe de diversité interne.

Pour ce cas particulier, HRS a opté pour une identification en deux phases. La première est un repérage des managers spécialisés dans des disciplines estimées importantes dans l’élaboration du plan d’action (juridique, recrutement, communication interne, communication externe). La deuxième phase est une proposition de participation formulée pour chacun d’entre eux pour intégrer le groupe diversité. Aucune imposition n’a été d’application. La participation a émané d’une volonté délibérée et d’un intéressement partagé.

C’est le responsable du projet qui a proposé qu’on prenne tel ou tel rôle. La participation au groupe se fait toujours sur base d’un principe volontaire. A partir de ce moment, si moi je donne mon accord pour participer à ce groupe de travail, j’accepte aussi le rôle qui m’est attribué.

Un manager

Nous observons que malgré l’absence de toute obligation, les managers interpellés pour la participation au groupe diversité ont tous manifesté leur accord. Deux arguments contribuent à expliquer ceci. D’abord, l’engagement social estimé élevés de tous ces managers (aucun ne remet en cause le travail sur la diversité) facilite l’opération d’argumentation et de conviction. Ensuite, la proposition d’une participation volontaire renforce le sentiment de la contribution à la philosophie et à la culture de l’entreprise.

Pour les parties prenantes externes choisies, HRS a d’abord identifié les actions qu’elle souhaite réaliser et a fixé ensuite les acteurs socio-économiques qui peuvent participer à l’aboutissement de ces actions. Dans cette perspective, HRS a identifié EGoS (un organisme national contre la discrimination), EQUITY (une association pour l’intégration des personnes étrangères), B&S (un réseau d’entreprises actives dans la RSE) et le CEC (un organisme d’insertion socio-professionnelle). Ce choix ne répond à aucune demande, pression ou exigence des dites parties prenantes. C’est une démarche proactive de l’entreprise qui en a vu une plus value partagée.

Partant de notre analyse des cas WebTel et HRS, nous avançons que l’opération d’identification ne considère pas uniquement les parties prenantes qui formulent des demandes légitimes, des droits et/ou des intérêts. Les parties prenantes sont aussi celles qui reçoivent des demandes légitimes, des revendications de droit ou d’intérêts de la part de l’organisation. Ceci nous pousse à confirmer le rôle proactif que peut jouer une organisation dans son opération d’identification des parties prenantes.

Contrairement à ce que pourrait laisser comprendre les nomes de certification (SA8000 ou label diversité), les parties prenantes ne sont pas toujours celles imposées par le label. Il y a lieu d’observer un processus de négociation avec l’argumentation d’une sélection délibérée des parties prenantes estimées influentes ou prépondérantes dans le processus de certification. Il s’agit ici d’une construction sociale des stratégies de sélection des parties prenantes. WebTel a opté pour une stratégie d’évitement avec VoCall et l’Ulg en avançant des critères de taille et de risque liés à leur mobilisation. D’un autre côté, WebTel a choisi une stratégie de confiance avec Secury et d’alliance avec Adrica qui a marqué son soutien à l’initiative du SA8000 et son adhésion à ses principes. Ces exemples éclairent la littérature sur le rôle proactif que peut jouer une entreprise dans la sélection des parties prenantes, au-delà des contraintes normatives qui sembleraient, à priori, non négociables.

Ce rôle proactif se voit absent dans la littérature scientifique qui tend vers une conception de l’organisation comme acteur réactif à son environnement et à ses parties prenantes.

Nous retenons également que l’identification des parties prenantes dans la certification RSE peut être le résultat d’une relation d’influence qui peut émaner du certificateur ou de l’organisation.

Discussion

La présente recherche questionne les différentes approches de l’identification des parties prenantes et les met à l’épreuve à travers deux études de cas qui illustrent deux exemples différents de certification RSE. La littérature telle que présentée plus haut répond à la question de l’identification selon six approches : relationnelle, contractuelle, légitimité, revendications, contributions et attributs. Nous discutons chacune de ces approches à la lumières des contributions empiriques que nous avons récoltées à travers les deux cas WebTel et HRS.

L’approche relationnelle

Les résultats de notre recherche nous confirment que certaines parties prenantes sont effectivement en relation avec l’entreprise. Ce postulat est lié principalement aux obligations normatives des certifications. Pour le cas du SA8000, la norme a identifié les partenaires d’affaires (fournisseurs, clients et sous-traitants) comme parties prenantes à mobiliser. Pour le label diversité, un ensemble d’acteurs est imposé notamment les employés, les syndicats, les représentants du personnel et la ligne hiérarchique. La certification va donner une importance particulière à certains types de relations notamment les internes comme les employés et les syndicats et les externes qui impliquent les partenaires d’affaires de l’entreprise avec lesquels une relation contractuelle existe.

A côté de cela, notre recherche montre que l’approche relationnelle est limitative. Les parties prenantes ne sont pas seulement celles qui sont en relation avec l’entreprise. Elles peuvent être celles qui entrent en relation avec elle. C’est le cas de HRS qui a identifié certaines parties prenantes avec lesquelles aucune relation n’existait. Il s’agit ici d’un calcul stratégique qui mène l’organisation à identifier des acteurs comme potentiellement intéressants et va ainsi les mettre en relation avec l’organisation. Ce choix peut être porté par un comportement mimétique à travers lequel l’entreprise cherche à imiter les pratiques de partenariats estimées bonnes et innovantes. C’est le cas des mises en relation avec les associations dans le cadre des projets de gestion de la diversité ou de responsabilité sociale. Dans ce cas, l’opération de mise en relation avec les parties prenantes est initiée par l’organisation ce qui lui laisse une large marge de manoeuvre dans ses choix.

L’approche contractuelle

Cette approche renvoie à une relation de contrat qui unit l’organisation à ses parties prenantes. Cette dimension prend toute son ampleur dans l’exemple du SA8000 qui conçoit les parties prenantes comme ayant un contrat avec l’organisation. C’est le cas des partenaires d’affaire (fournisseurs, sous-traitants, clients) ou des employés. Cependant, ce critère de choix ne peut se limiter à l’existence d’un contrat. L’entreprise ou une de ses parties prenantes peuvent agir par opportunisme et tenter de formaliser un partenariat. Cette conception des parties prenantes est en harmonie avec la phase « d’entreprise-partenaire » proposée par Labelle et Pasquéro (2006). Il s’agit de partenariats qui se construisent autour des complémentarités entre acteurs ou d’alliances en vue d’atteindre des objectifs communs, ou de partage de connaissances et de compétences.

L’approche par la légitimité

Les résultats de notre recherche nous confirment la difficulté d’appréhender le concept de légitimité au niveau de l’identification des parties prenantes dans les certifications RSE. Il s’agit effectivement d’un concept qui suscite beaucoup de débat du fait de l’ambiguïté qui entoure sa définition et des difficultés opérationnelles à le mesurer. Le concept laisse beaucoup de place aux interprétations singulières. Nous avons soulevé trois niveaux de difficulté liés à l’interprétation de la légitimité :

  • un niveau organisationnel : l’entreprise s’approprie le concept et le définit en fonction de ses propres référentiels. Ainsi, selon la théorie des ressources, les parties prenantes légitimes peuvent être celles qui possèdent une ressource importante pour l’entreprise.

  • un niveau individuel : certaines parties prenantes s’autoproclament comme des acteurs légitimes et exigent de ce fait une implication dans les projets RSE. C’est le cas des syndicats chez HRS.

  • un niveau externe lié principalement aux exigences du certificateur qui peut donner une légitimité à certaines parties prenantes et leur accorde ainsi le droit d’intervenir dans le projet de certification en question.

Le cas WebTel témoigne de la fragilité du concept de légitimité dans la mesure où le certificateur a fini par accepter que certaines parties prenantes ne soient pas mobilisées. Il en ressort que même dans le cas d’une normalisation qui semble claire comme pour le SA8000, la légitimité demeure un concept faible en consistance.

Pour conclure, d’un point de vue managérial, le concept reste très difficile à opérationnaliser. Cependant, il nous semble intéressant d’investiguer, d’un point de vue analytique, le(s) mécanisme(s) de construction de la légitimité pour comprendre qui et comment se construit le concept chez les managers.

L’approche par les revendications

Notre recherche illustre des cas de revendications inversées. Alors que plusieurs écrits scientifiques défendent la position des parties prenantes comme des acteurs revendiquant des droits ou des intérêts, notre recherche documente le cas d’une inversion de la revendication. L’organisation prend la posture d’un acteur réclamant des demandes à ses parties prenantes. A côté de cela, nos analyses montrent que des facteurs de contingence (taille, pouvoir et poids) sont déterminants pour comprendre la prépondérance de l’entreprise dans ses revendications. La petite taille de WebTel et ses ressources limitées lui ont accordé un faible pouvoir dans la négociation de ses revendications vis-à-vis de ses parties prenantes. Contrairement au cas HRS qui illustre le cas d’une grande entreprise avec une position de leader économique et social, qui a eu plus de facilité à faire valoir ses demandes auprès de ses parties prenantes. Par ailleurs, l’approche par les revendications nous semble intéressante à investiguer encore plus dans le cas des certifications RSE. Nous estimons que pour des recherches processuelles futures, il serait intéressant de s’attarder sur le cas des parties prenantes qui utilisent les certifications pour appuyer des demandes ou des revendications envers les entreprises certifiées. Au lieu d’être un gage de confiance et de légitimité, la certification deviendrait ainsi une source de contestation et de revendication.

L’approche par les contributions

De la même manière que pour la légitimité, les contributions ne sont pas apparues comme des éléments déterminants dans l’identification des parties prenantes. Il s’agit là encore d’un concept très relatif, peu opérationnel et difficile à appréhender. Notre recherche confirme la non pertinence de l’approche par les contributions dans la définition des parties prenantes. Par contre, il nous semble intéressant, pour des travaux futures, de s’attarder sur le développement de trois types de contributions : politiques comme pour le cas des syndicats de HRS, symboliques comme pour l’Ulg et économiques comme pour les employés de WebTel.

L’approche par les attributs

Notre recherche vient confirmer l’adéquation de certains travaux qui identifient les parties prenantes en fonction de leurs attributs. Il s’agit principalement de la grille d’analyse proposée par Sobczak et Girard (2006). L’attribut d’engagement social apparaît comme spécialement pertinent dans des projets de certification, ce qui peut se comprendre puisque que la collaboration avec les parties prenantes est grandement facilitée si celles-ci adhèrent au projet social de RSE. Le critère de choix des parties prenantes a été basé sur le degré d’engagement social qui a été estimé comme un facteur facilitateur de la mobilisation. Nous remarquons par ailleurs qu’un dénominateur commun des parties prenantes imposées par le label diversité est leur engagement organisationnel élevé.

En regard des différentes contributions de notre recherche à la question de l’identification des parties prenantes, nous proposons d’ajouter une septième approche qui serait particulière au cas des certifications sociales et que nous appellerons « approche choisie vs imposée ». Il s’agit d’une mise en évidence de la volonté de l’entreprise dans l’opération d’identification. Nous distinguons dans ce sens des parties prenantes imposées par la norme de certification et pour lesquelles la volonté et la perception de l’entreprise sont totalement négligées, et les parties prenantes choisies par l’organisation suite à un processus de négociation avec le certificateur et les parties prenantes.

À la lumière de nos résultats et en réponse à la question de recherche adressée dans cette étude, nous postulons que l’identification des parties prenantes dans une certification RSE s’inscrit dans une approche hybride croisant ainsi les différentes approches discutées dans la littérature. Cette hybridation se voit justifiée par les jeux de pouvoir pouvant avoir lieu entre les différents acteurs lors du processus de certification et qui peuvent donner lieu à des négociations qui dépassent le cadre normatif imposé par les certifications. Ainsi, la recherche de partenariats, d’alliance ou de complémentarité entre les parties prenantes peuvent entrer en jeux pour influencer le choix de celles qui interviendraient dans le processus de certification. Les jeux de pouvoir et de négociation sont influencés par des facteurs de contingence qui expliquent in fine que le processus d’identification des parties prenantes dans les certifications RSE est un mécanisme de construction sociale des enjeux et des intérêts des acteurs.

Conclusion

L’objectif de cette recherche est de comprendre les mécanismes à l’oeuvre dans l’identification des parties prenantes susceptibles de jouer un rôle dans un processus de certification sociale. Une revue de la littérature dans ce domaine identifie six approches qui résument les différentes acceptions les plus couramment citées dans la littérature à savoir l’approche par la légitimité, par le relationnel, par les contributions, par les droits et les revendications, par les contrats et par les attributs. L’expérimentation de ces six approches dans le cas des certifications RSE fait ressortir une variable jusqu’à lors peu illustrée par la littérature et qui met l’accent sur la forme socialement construite de ce qu’est une partie prenante.

L’expérimentation que nous avons effectuée porte sur deux entreprises belges impliquées volontairement dans des certifications RSE qui sont le SA8000 et le Label Egalité Diversité. Les différentes entrevues que nous avons menées ainsi que la période d’observation et l’analyse documentaire montrent que l’opération de « comment identifier une partie prenante dans le processus de certification ? » est un croisement des différentes approches citées dans la littérature. Plus encore, l’étude révèle une septième approche basée sur « le choisi vs l’imposé ». Cette contribution a le mérite d’alimenter le débat de « Who and What really counts ? » lancé en 1997 par Mitchell, Agle et Woods, et ce à travers des variables nouvelles qu’il convient de tester empiriquement sur des terrains plus vastes et globaux afin d’assurer son intégration dans les courants théoriques existants. Notre recherche présente une entrée en la matière qui mérite d’être élargie par des travaux futurs.

Au niveau managérial, notre étude est portée par des réalités managériales relatées par des managers lors de leur gestion du projet de certification RSE. Dès lors, une de ses contributions est justement d’apporter une grille de lecture aux managers désireux de conduire un projet de certification RSE et qui peuvent y trouver des réponses leur facilitant l’identification des parties prenantes à impliquer dans leur projet et in fine, répondre aux exigences normatives du label pour lequel ils postulent.