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L’ouvrage collectif publié par le Graduate Management Admission Council (GMAC) dresse un panorama complet des critères régissant les programmes de Masters of Business Administration (MBA) au niveau international. L’interrogation principale est de savoir si ces programmes sont adaptés aux besoins et aux enjeux des organisations et de la société du 21ème siècle. Les interrogations secondaires sont d’identifier ce que les écoles de management veulent encourager, et pourquoi ces cursus MBA comptent toujours autant. Les huit chapitres de ce livre sont regroupés en 3 parties. La première - chapitres 1 à 3 - s’intéresse à tout ce qui structure les MBAs et tout ce qui importe pour le futur des MBAs, en termes de valeurs, choix stratégiques, aspirations, financements, ressources et coûts. La deuxième partie - chapitres 4 à 6 - s’intéresse aux contenus des programmes MBAs, aux activités de recherche et aux approches pédagogiques. Enfin, la troisième partie – chapitres 7 et 8 – évalue l’engagement des étudiants et la qualité de l’enseignement dispensé. De nombreuses données et faits viennent étayer les propos. Chaque chapitre trouve sa place dans le livre pour en faire un ensemble cohérent, qui se termine par un certain nombre de propositions, afin que les écoles de management puissent répondre aux défis présents et futurs de l’enseignement des sciences de gestion et de leurs programmes MBA.

La formation qui est étudiée dans ce livre est le MBA. Ce choix est justifié par les auteurs de par le nombre de données, d’articles et d’études dont les MBAs ont déjà fait l’objet. D’autre part le MBA est toujours considéré comme la formation phare en sciences de gestion au niveau international. Les données qui étayent ces affirmations sont notamment : les coûts d’inscription les plus élevés, les enseignants, chercheurs et intervenants les plus réputés, le diplôme le plus demandé par les entreprises et organisations, les salaires les plus élevés à la sortie, et la formation ayant la croissance la plus forte recensée dans le monde.

L’intérêt principal de cet ouvrage réside dans l’approche équilibrée et objective des MBAs. En effet, ce n’est pas un procès dressé à ces programmes, mais il ne s’agit pas non plus d’être complaisant. En opposition avec Henry Mintzberg, Managers not MBAs (2004), la nécessité d’une refondation des MBAs n’est pas présentée ici comme un impératif. Les auteurs plaident pour le maintien de la prédominance de ces formations de haut niveau tout en incitant les responsables de ces MBAs à s’inscrire dans un nouveau cycle d’innovation, d’adaptation et d’amélioration. Cependant, il manque dans cet ouvrage, la mise en perspective de ce qu’il faudrait transmettre aux managers. Il aurait été plus riche de proposer une alternative à la définition d’un bon manager donnée par Mintzberg, de définir ce qui est attendu d’eux dans les organisations afin de développer une société durable (Audebrand, 2010; Stead, Stead, 2010). De même, comment établir une stratégie de modèle d’affaire pour un MBA, sans avoir défini une mission : la vision de ce que l’on souhaite délivrer à moyen terme et long terme en tant que processus de formation. Car dans le cas des MBAs, il ne s’agit pas de répondre uniquement aux besoins des clients, comme dans une approche classique de management de la qualité, mais bien d’aller au-delà, en se posant la question fondamentale du rôle social de ces formations dont les étudiants sont tous amenés à occuper des postes clefs dans les organisations au niveau international. Ainsi, au-delà du premier chapitre où la notion du rapport des MBAs à la société est mise en évidence, il aurait été intéressant de retrouver ce fil conducteur à travers les autres chapitres.

Les écoles de management et leurs programmes MBA doivent faire face à de nombreux défis. Parmi ces défis figurent l’équilibre entre les activités de recherche et d’enseignement, les pressions financières, le profil des étudiants, la compétition internationale, les opportunités et menaces portées par les évolutions technologiques, l’importance de la réputation ou encore la nécessité de continuer d’apporter une valeur ajoutée à la performance organisationnelle. Alors comment maintenir et améliorer la valeur des programmes MBAs ? Ce premier thème abordé dans le livre évalue la manière dont nous devons réconcilier les intérêts économiques et les besoins sociaux. L’individu, l’organisation et la société doivent chacun pouvoir bénéficier de ces enseignements. Pour cela le changement et l’innovation deviennent impératifs afin de définir les valeurs communes et l’expertise attendue par les diplômés de MBAs. Le profil des étudiants, le niveau de spécialisation attendue et l’efficience de l’enseignement doivent être cohérents. Or, la compétition à laquelle se livrent les différents programmes MBAs au niveau international reste essentiellement basée sur les contraintes et données financières. Alors que, comme pour toute organisation, le positionnement est essentiel : qui sont les parties prenantes, quelles sont les spécificités de l’école de management, comment est-elle gérée, etc… ? Ce positionnement permettrait pour chaque MBA, en fonction des orientations retenues, de justifier le coût des activités de recherche, le recours aux nouvelles technologies ou encore le recours à des intervenants extérieurs réputés. D’autant que la pression financière liée à la stabilité des subventions, l’incapacité de continuer à augmenter les frais d’inscription déjà très élevés et l’augmentation des coûts salariaux ne laisseront pas le choix : la nécessité de réduire les coûts ou de trouver d’autres sources de revenus. Une telle contrainte sans positionnement stratégique ne serait à terme pas tenable.

Cette première partie de l’ouvrage est bien structurée, les chapitres 2 et 3 notamment sont très pertinents, au point qu’un responsable de MBA pourrait reprendre point par point les éléments et la progression de ces chapitres pour réviser sa propre stratégie, son positionnement et son business plan. Cependant la notion de l’importance des classements de MBAs aurait mérité plus d’attention que celle exclusive du chapitre 8, dédié à l’évaluation de la qualité. En effet, ces classements jouent un rôle déterminant que ce soit dans la réputation des écoles (Peters, 2007), leur positionnement marketing, la fixation du montant des droits d’inscription (Thomas, Bradshaw, 2007), ou encore la pertinence des formations (Ray, Jeon, 2008). Leur impact sur un positionnement stratégique parait sous-évalué dans l’ouvrage.

La notion de concurrence internationale et de lien entre stratégie et positionnement géographique est, elle, très intéressante, ce thème de recherche étant relativement vierge dans la littérature. Les auteurs illustrent leurs propos en citant de nombreuses écoles internationales telles que HBS, CEIBS ou IMD. Ils mettent en perspective la fin de l’hégémonie américaine et européenne, le développement des formations dans les pays en croissance, à l’image de l’évolution de l’économie au niveau mondial. Ils insistent également sur la nécessité de créer pour les écoles existantes des partenariats au niveau international, de diversifier leur positionnement géographique pour conserver leur leadership, et d’adapter leur offre de formation au niveau local, national et international. La notion de risque de réduction de l’origine internationale des étudiants est aussi évoquée, avec ses potentielles conséquences sur la qualité des interactions pendant la formation, et sur la réduction des effets de réseaux, chaque étudiant étant fortement impliqué dans le réseau de sa propre école (Elsbach, Kramer, 1996).

Au-delà de ces aspects de valeurs, de choix stratégiques et de positionnement, le livre étudie dans la deuxième partie le contenu des programmes MBA et leurs méthodes d’apprentissage. Aujourd’hui aucun paradigme commun n’existe sur le concept d’enseignement du management. Ainsi les auteurs confirment que la valeur marketing d’un MBA sera plus fonction de son classement, des réseaux, et de ses accréditations, que de son contenu académique ou de ses programmes de recherche. De plus, il existe un écart entre la bonne rigueur méthodologique et la pertinence des recherches réalisées par les écoles de management. Le choix des programmes doctoraux, choix crucial pour la signature intellectuelle à laquelle chaque membre de la communauté éducative, et chaque étudiant d’un MBA pourra s’identifier, n’est pas assez structuré. Quant au curriculum, il reste l’aspect le plus important du cursus. C’est d’ailleurs sur ce point central que s’articule l’équilibre entre l’acquisition de savoir, le développement de compétences et l’implication des étudiants dans des activités extra-curriculum. Les principaux besoins d’amélioration des curriculums mis en évidence par les auteurs sont que les étudiants puissent i) acquérir des compétences personnelles et comportementales dans les domaines de l’éthique, de la responsabilité sociale et des relations interpersonnelles, ii) bénéficier d'un enseignement plus rapide et effectif, permettant de former les étudiants à tout type de carrière dans les entreprises et les organisations (non gouvernementale, gouvernementale, sociale, etc.). Pour cela, les méthodes d’apprentissage doivent être repensées en cohérence avec le curriculum. Par exemple, l’impact des technologies et l’introduction de méthodes d’apprentissage mixtes est un point d’inflexion, tout comme la prise en compte de l’impact du curriculum caché (ce que l’étudiant apprend à travers le fonctionnement de l’école de management elle-même). C’est aussi en reconnaissant l’importance des méthodes d’apprentissage et d’enseignement, en menant des recherches sur ces sujets, que les améliorations pourront se concrétiser.

On pourrait reprocher cependant à certaines de ces analyses, encore une fois très intéressantes et étayées, leur manque ponctuel de mise en perspective par rapport à la réalité économique. Certes la signature intellectuelle et les thèmes de recherche sont à soigner et à intégrer dans la stratégie du MBA, mais dans le même temps, certains programmes MBA ont fait le choix de ne pas développer de thèmes de recherche, et la performance des programmes MBA – la connaissance opérationnelle - dépend de facteurs différents de la performance des programmes de recherche – le développement de la connaissance - (Trieschmann, Dennis, Northcraft, Nieme, 2000). Une renommée internationale pour des thèmes de recherche ne garantit pas un programme MBA efficace et une attractivité des clients. D’autre part, la contrainte d’assurer à la fois la satisfaction des étudiants et des recruteurs (Colbert, Levary, Shaner, 2000) impacte fortement la signature intellectuelle tout comme les curriculums. Et la structure d’un curriculum ne sera pas en lui-même une source de meilleure performance (Segev, Raveh, Farjoun, 1999). Ainsi, en réalité, les responsables de MBA vont dans leurs choix être plus attentifs au placement des étudiants qu’à la mission primaire d’éducation (Fee, Hadlock, Pierce, 2005). La seule certitude économique concrète, partagée avec les auteurs, est finalement la nécessité pour un programme MBA de faire évoluer et d’adapter en permanence son contenu (Friga, Bettis, Sullivan, 2003).

L’ouvrage consacre sa troisième partie à deux facteurs externes : le comportement des étudiants et l’évaluation qualitative des programmes MBA. Si les choix stratégiques, le contenu du curriculum et les méthodes d’apprentissage relèvent de la décision des responsables des écoles de management, leur influence reste limitée par rapport à l’engagement des étudiants et à l’évaluation qualitative objective de leurs MBAs. Chaque MBA doit se préoccuper de sélectionner des étudiants avec le bon profil, puis s’assurer de leur bon niveau d’engagement. Cependant les étudiants de par leur origine, personnalité, âge, indécision dans leur carrière, seront plus ou moins engagés. Et leur engagement correspondra plus ou moins aux activités dans lesquelles l’école de management investit. Si la corrélation entre l’engagement des étudiants et leur capacité d’apprentissage est démontrée, chaque programme aura intérêt à focaliser l’engagement des étudiants sur ce qui est crucial pour elle, le niveau d’engagement étant une valeur finie, non extensible. Concernant l’évaluation de la qualité des programmes MBA, les auteurs soulèvent l’existence actuelle d’un paradoxe. Les accréditations de type AACSB et EQUIS apparaissent comme indispensables à obtenir pour une école de management. Et en même temps, l’importance de l’évaluation complémentaire réalisée par les médias est indéniable. Ces classements sont portés légitimement par l’intérêt des étudiants et des organisations, les clients finaux voulant s’assurer de leur juste choix et investissement, alors que tous les acteurs s’accordent pourtant sur leur insuffisance méthodologique. Ainsi les auteurs proposent le développement du Program Quality Model (PQM). Une évaluation selon ce modèle apporterait selon eux une meilleure fiabilité, à travers l’analyse d’un ensemble de paramètres (curriculum, enseignants, placement, etc.) couvrant tous les éléments nécessaires à une évaluation objective. De même, la rigueur de l’évaluation des MBA deviendrait alors cohérente avec la rigueur et les « décisions basées sur les évidences » si souvent réclamées et enseignées dans les MBAs.

Ces deux derniers chapitres sont d’intérêts différents. La réflexion sur l’engagement des étudiants, bien que pertinente, ne semble pas de première importance. En effet, le montant des droits d’inscription à payer par un étudiant en MBA implique de fait un niveau d’engagement minimum. Le point clef sera donc plutôt la concordance entre les choix d’engagement de l’étudiant et les attentes d’engagement des responsables du MBA. Le chapitre développant le PQM est, lui, novateur et enthousiasmant. Les auteurs proposent une alternative aux classements de MBAs dont toutes les recherches et tous les acteurs s’accordent sur leurs larges imperfections (Gioia, Corley, 2002; Peters, 2007; Thomas, Bradshaw, 2007; Navarro, 2008). Par contre, il est à noter, dans cette méthodologie PQM tout comme plus généralement dans l’ouvrage, l’absence d’une réflexion sur la place de la créativité, de l’innovation et de l’entrepreneuriat au sein des programmes MBAs. Pourtant, les auteurs abordent ce sujet important au début du livre (page 32), à travers les conclusions d’une interview de professionnels indiquant que l’un des quatre challenges majeurs pour l’avenir des MBAs est la nécessité de renforcer la créativité et l’innovation dans les enseignements MBA pour favoriser l’esprit entrepreneurial.

Ainsi, cet ouvrage démontre une nouvelle fois que les MBAs comptent et que leur importance est indéniable. Il démontre également que la nécessité d’évolution et d’adaptation va de pair avec cette importance. Les MBAs doivent continuer de justifier leur place de leader par le contenu du programme, par leurs méthodes d’apprentissage, par leur modèle structurel, et par l’adéquation aux besoins des organisations et de la société. Et pour rester les meilleurs il faut savoir se remettre en cause, innover et évoluer. Ce principe de gestion de l’innovation s’applique d’ailleurs bien au-delà des écoles de management.