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Avec le développement des groupes, les réseaux d’entreprises, s’imposent comme une forme d’organisation incontournable du système productif contemporain. Si leur dénomination diffère selon les pays (cluster américain, district industriel italien, keiretsu japonais, système productif local et pôle de compétitivité français…) et si leur gouvernance dépend de leurs buts et de leur composition (on distingue fréquemment les réseaux « dominés » et les réseaux « fédérés »), ils ont en commun d’assumer diverses fonctions économiques (Assens, 2003) et de fonctionner sur la base de la coopération entre firmes qui restent juridiquement autonomes. Dépassant la dichotomie marché/hiérarchie, ces structures transactionnelles (Fréry, 1998) constituent une réponse adaptée aux impératifs actuels de flexibilité, de gestion du risque, et d’accès à des ressources distinctives. Ces maillages se caractérisent aussi par une relation forte avec leur territoire et leur environnement, d’où les expressions « réseaux à base territoriale » ou « réseaux territorialisés » (voir par exemple Ehlinger et al., 2007).

Les réseaux sont un objet de recherche privilégié en management stratégique, mais les étapes et les facteurs de leur développement restent peu explorés (Stervinou et Legrand, 2008). La construction de la confiance entre les membres et des mécanismes de gouvernance du réseau y jouent un rôle décisif (Geindre, 2005). S’ils représentent des formes économiques particulières, ces regroupements sont aussi des réseaux sociaux (Baret et al., 2006), que l’on peut appréhender à la lumière de la théorie des réseaux sociaux et du capital social. Des relations sociales se développent entre les membres du réseau, et avec les parties prenantes extérieures au réseau (Capiez et Girlando, 2004). Ces échanges et les ressources qu’ils procurent forment le capital social « constitué de l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles, accessibles grâce à des réseaux sociaux » (Putnam, 1995; Nahapiet et Ghoshal, 1998). La théorie des réseaux sociaux connaît ainsi un engouement croissant en sciences de gestion, notamment dans le champ de l’entrepreneuriat.

La question abordée dans cet article est celle de la construction du capital social dans les phases d’émergence et d’institutionnalisation d’un réseau inter-entreprises. Les études disponibles ont privilégié les relations dyadiques entre membres et les aspects structurels du fonctionnement et de la régulation du réseau. Les dimensions cognitive et relationnelle du capital social sont souvent négligées. Pourtant, le capital social n’apparaît pas naturellement au sein du réseau. Les interrelations n’étant pas spontanées, elles doivent être soutenues par les « network facilitators » (McEvily et Zaheer, 2004) au plan financier mais aussi parfois aux plans logistique et technique. Ceux-ci expriment leurs attentes liées à leur rôle dans la mise en place du réseau, favorisant les rencontres et les échanges (réunions, aides et accords), la médiation (Huault, 2004) et le financement d’actions collectives. À un autre niveau, l’animateur est souvent un personnage-clé, mais sa fonction reste méconnue, même s’il peut jouer un rôle central dans la construction et la mobilisation du capital social (Bories-Azeau et al., 2008). Partant de ces constats, nous faisons l’hypothèse que le capital social est une condition, dans ses aspects structurels, relationnels, et cognitifs, de l’émergence et du développement d’un réseau d’entreprises. Le rôle des pouvoirs publics et de l’animateur suscitera une attention particulière. L’article s’appuie sur l’étude d’un réseau d’entreprises du sud de la France (CAMDIB[1]) qui sera présenté plus loin. Dans une première partie (1), une revue de littérature permet de justifier la problématique de recherche et de délimiter le cadre théorique. Nous présentons ensuite le cas analysé et la méthodologie retenue. Dans la seconde partie (2), nous mettons en évidence les principaux enseignements de l’étude empirique que nous confrontons à ceux des travaux antérieurs.

Les fondements sociaux des réseaux d’entreprises : l’apport de la théorie des réseaux sociaux

Même si les chiffres varient selon les sources, le poids des réseaux d’entreprises dans la production et l’emploi des pays développés est aujourd’hui d’une importance majeure. Le réseau constitue une forme particulière d’organisation économique, répondant à des finalités stratégiques, et reposant sur des mécanismes de régulation spécifiques (1.1.). Mais les facteurs qui les favorisent sont peu étudiés. Après avoir souligné les apports potentiels de la théorie des réseaux sociaux, nous préciserons notre problématique (1.2.). Nous présenterons ensuite le cas sur lequel repose notre analyse et la méthodologie retenue (1.3.).

Les réseaux d’entreprises : des regroupements stratégiques reposant sur des mécanismes particuliers d’organisation 

Les réseaux d’entreprises sont l’objet d’une littérature abondante dont nous ne ferons pas la synthèse ici. Le but de cette section est de justifier notre problématique au regard des travaux antérieurs et de positionner notre terrain de recherche. Fondés sur un intérêt commun à s’associer, à « travailler » à plusieurs, à mener un projet commun, à partager des ressources et connaissances, s’appuyant sur des valeurs communes favorisant une confiance entre ses membres, fonctionnant sur la base de relations croisées et non hiérarchisées, avec un noyau (sans qu’il comporte forcément de firme dominante), les réseaux d’entreprises constituent des formes particulières d’organisation économique. Ils introduisent une hiérarchie au sein du marché, et font « entrer le marché » au sein de l’entreprise (Guilhon et Gianfaldoni, 1990), dépassent la dichotomie classique marché/hiérarchie (Williamson, 1975). Ils regroupent des entreprises juridiquement indépendantes, parfois concurrentes, et reposent sur des stratégies plus complexes que les stratégies conflictuelles classiques, relevant parfois de la « coopétition » (Brandenburger et Nalebuff, 1996; Gnyawali et Madhavan, 2001)

L’article de Rorive (2003), « l’entreprise-réseau : unicité de la formule, diversité des situations », souligne l’hétérogénéité des réseaux d’entreprises. L’objet du regroupement diffère : la coopération peut concerner la production (co-traitance, sous-traitance de spécialité). Elle peut porter sur d’autres fonctions, comme la recherche et l’innovation (cas des pôles de compétitivité) ou des actions commerciales (création de sites Internet communs par exemple). De la même façon, leur mise en place obéit à de multiples raisons. Analysant les réseaux dans l’industrie du Bâtiment, Gianfaldoni et al. (1997) montrent que des raisons commerciales (baisse des marchés potentiels et des marges espérées, concurrence accrue, exigences technico-commerciales), productives (recentrage sur les activités les plus stratégiques, planification et délégation de la production) et financières (repositionnement sur de nouvelles formes d’investissement et captation des profits) expliquent la désintégration verticale des activités. La forme juridique et la labellisation du réseau par les pouvoirs publics sont d’autres critères de distinction. Souvent, les réseaux sont de simples associations visant la mise en commun de quelques moyens pour accroître la visibilité commerciale des partenaires. Soutenus par les pouvoirs publics, les réseaux labellisés sont d’une autre nature. Ils permettent d’émarger à des dispositifs et aides spécifiques (soutien à l’innovation et à la formation des salariés, aide au développement …). Il ressort toutefois de la littérature deux grandes catégories de réseaux d’entreprises :

  • la première regroupe les réseaux « dominés », « centrés » autour d’une grande firme-pivot, résultant en partie de l’externalisation de ses activités (Pichault, 2002; Assens, 2003). On parle d’entreprise-réseau. Pour Assens (2003), le « réseau star est constitué d’une grande entreprise pilote autour de laquelle gravite une constellation de sous-traitants spécialisés. Pour la firme-pilote, l’externalisation des fonctions succède ainsi à l’organisation centralisée et verticale, anciennement fondée sur le principe de l’intégration. L’entreprise pilote centralise les décisions et coordonne les tâches par différents moyens, soit par un service d’achat ou par un cahier des charges […], soit par des systèmes d’information et des procédures […] ». Le cas de Benetton est sans doute l’un des plus connus.

  • la seconde regroupe les réseaux « communautaires », constitués d’entreprises de poids équivalent (Assens, 2003). On parle ici de réseaux d’entreprises, principalement constitués de PME, même s’ils peuvent inclure des entreprises de plus grande taille ou des laboratoires publics. Les finalités sont variées : économies d’échelles, renforcement du pouvoir de négociation et de la visibilité commerciale, accès à des ressources ou à des compétences spécifiques, co-réalisation de produits, partage des risques liés à des investissements, etc. À la différence des réseaux centrés, le pouvoir de décision est partagé entre les membres. Boulanger (1995) distingue les réseaux fédérés (le pouvoir remonte des membres vers la tête du réseau, via un système d’élections et de représentation), les réseaux associés (le pouvoir est latéral avec une répartition équilibrée entre les membres) et les réseaux maillés (le pouvoir est polycentré et réparti parmi des entités différentes unies par des rapports de coordination).

Nous nous intéressons dans cet article aux réseaux de type « communautaire ». D’une part, parce qu’ils reposent sur des relations sociales et des mécanismes de régulation nécessitant des ressources particulières, et, d’autre part, parce qu’ils impliquent des PME. La façon dont celles-ci parviennent à trouver des réponses collectives à des problèmes de gestion nous intéresse au premier chef.

Les sciences de gestion s’intéressent surtout aux finalités stratégiques et aux relations entre les membres des réseaux. Depuis l’article fondateur de Miles et Snow (1986), plusieurs perspectives de recherche se développent, abordant plutôt, selon les cas, les motifs de la création, les avantages recherchés, l’apprentissage organisationnel, les formes organisationnelles et stratégiques, ou le lien entre organisation et performance des réseaux (El Herelli, 2007). Mais des dénominateurs communs se dégagent. Pour Assens (2003), « un réseau est toujours composé de noeuds, c’est-à-dire de points d’interconnexion capables d’émettre ou de recevoir des communications, capables de participer aux échanges ou de structurer les flux de transport. Ces noeuds sont reliés par des connexions qui traduisent la nature des échanges, leur périodicité, leur force, leur densité, etc. Enfin, les noeuds occupent des positions susceptibles d’évoluer […] ». L’auteur met en évidence trois principes « immuables » : l’autonomie, l’interdépendance, et l’éloignement des noeuds qui donnent un cadre à l’analyse des relations au sein des réseaux, que nous approfondirons ensuite. Bien qu’autonomes et dotés d’une initiative propre, les noeuds (acteurs, firmes) sont reliés par un dénominateur commun, un actif spécifique, conférant une stabilité à l’ensemble et rendant les membres solidaires. L’éloignement crée des décalages dans l’activation des membres, et permet au réseau d’opérer des échanges à distance lorsqu’une action collective est nécessaire.

La littérature fait ressortir deux « invariants » (Geindre, 2005). Le premier est la centralité de la coopération; le réseau est un mode de gouvernance particulier visant à favoriser la coopération parmi les membres autour d’objectifs communs (réduction des coûts de transaction, accès à des ressources financières, accroissement de la flexibilité, etc.). Le second est le rôle de la confiance. Principal mode de coordination, elle permet l’acceptation d’une prise de risques par les partenaires (Thorelli, 1986; Powell, 1990). Elle n’exclut pas l’instauration de mécanismes de coordination, mais ceux-ci dépendent du type de réseau. Si on considère, comme Assens (2003), que le cycle de vie d’un réseau interentreprises comporte trois grandes étapes (création, extension, maturité et déclin) auxquelles correspondent, comme le montre Larson (1992), une évolution des relations (« preconditions for exchange history », « conditions for creation », et « integration and control »), la confiance entre dirigeants est-elle la condition préalable de sa création et le déterminant principal de sa gouvernance, comment le suggèrent la plupart des travaux ? La théorie des réseaux sociaux fournit une grille de lecture transversale. Les spécialistes de l’entrepreneuriat (Fourcade, 1991; Fourcade et Marchesnay, 1997; Chabaud et Ngijol, 2004) soulignent l’importance des relations sociales de proximité des dirigeants (famille, amis, territoire) dans le développement des PME. Le rôle de ces réseaux sociaux doit être situé dans une démarche entrepreneuriale. Les partisans d’une approche des réseaux d’entreprises par les réseaux sociaux ont montré que les échanges économiques reposent sur des relations interpersonnelles favorisant le partage de l’information et la production de capital social (Ferrary et Pesqueux, 2004) et que l’encastrement du réseau dans un ensemble de relations -souvent amicales- entre les membres- explique pour beaucoup son existence (Uzzi, 1996). Mais selon Ferrary (2006), si l’analyse des réseaux a mis en évidence dans de nombreux secteurs économiques l’importance du lien social, elle explique rarement la genèse de cette socialisation.

Nous souhaitons, analyser à la fois les conditions de production et l’influence du capital social sur l’émergence et l’institutionnalisation d’un réseau d’entreprises, pour identifier les facteurs structurels, relationnels et cognitifs pouvant aider leur développement et leur pérennité. Nous nous intéressons surtout aux liens tissés par les membres du réseau et aux ressources qui en résultent. Nous accorderons une attention particulière à l’animateur du réseau et aux pouvoirs publics. Les intérêts de ce travail sont théoriques : la grille retenue conduit à relativiser l’influence et la place respective des facteurs structurels, cognitifs, et relationnels, telle que définie dans les travaux antérieurs. Nos préoccupations sont aussi pratiques : comment guider les pouvoirs publics dans le soutien aux réseaux et orienter les pratiques des animateurs ? C’est dans cette perspective que nous proposons de mobiliser la théorie des réseaux sociaux.

Réseaux d’entreprises et capital social : cadrage théorique et problématisation

L’étude des étapes du cycle de vie des réseaux d’entreprises conduit à constater un manque de connaissances sur les facteurs et mécanismes de leur construction, probablement parce qu’ils émergeraient spontanément et créeraient des mécanismes de régulation autonomes, fondés sur la confiance. L’analyse des districts et des systèmes industriels locaux, menée initialement par des géographes et des sociologues, s’est focalisée sur les capacités de développement endogène et spontané d’espaces géographiques spécialisés dans une activité industrielle (Raveyre, 2006). En management, c’est à travers la répétition et la récurrence des échanges entre entreprises fondatrices que se dessine une organisation très informelle et de petite taille, le réseau communautaire (Larson, 1992). Dans leurs phases de constitution et de développement, les réseaux semblent en effet fonctionner en autonomie, avec un ordre collectif qui émergerait peu à peu des interactions individuelles non programmées, le mécanisme de coordination étant l’ajustement mutuel (Assens, 2003). Dans son analyse du cycle de vie du réseau, Assens (2003) n’envisage pas explicitement la présence de structures de soutien. Le socle de la création du réseau est constitué par des relations entre membres fondateurs et leur réputation, inspirant confiance aux nouveaux membres. Pourtant, McEvily et Zaheer (2004) proposent un modèle de développement des réseaux montrant que les réseaux inter entreprises peuvent être créés grâce à l’intervention d’institutions de soutien à travers notamment la mise en place d’actions favorisant :

  • l’identification d’intérêts communs pour développer un sentiment d’interdépendance,

  • le développement d’une confiance mutuelle et d’attentes partagées,

  • l’acquisition d’un niveau d’influence important,

  • la consolidation des réseaux : espaces et temps dédiés aux rencontres qui donnent l’opportunité aux entreprises d’inter agir régulièrement.

Ce modèle montre que les institutions de soutien peuvent jouer un rôle majeur dans la formation des réseaux, ce qui ouvre une nouvelle perspective sur leur genèse. En d’autres termes, si le développement de la confiance doit être soutenu, la confiance ne suffit pas; même peu formalisée, une structuration des relations et des activités y est nécessaire. Au-delà des actions, la réputation et la légitimité des institutions de soutien permettent aux dirigeants de dépasser leurs réticences et favorisent leur engagement (McEvily et Zaheer, 2004). Dans cette lignée, les résultats de l’étude approfondie d’un réseau inter organisationnel de Soto Maciel (2007), précisent les principaux déterminants du réseau en montrant aussi que les actions des institutions locales initient la démarche de création du réseau formel. Au-delà, ces résultats soulignent l’influence de l’animateur dans la promotion du travail collectif, l’identification des intérêts communs, la réduction de comportements méfiants et suspects, l’utilisation d’un système d’information et de communication efficace. Ainsi, les actions pouvant constituer des modes d’intervention pertinents pour la construction des réseaux inter organisationnels reposent sur les institutions et sur l’animation du réseau avec l’émergence d’un acteur-clé, son animateur. Bien que la théorie du capital social se fonde sur l’idée d’une spontanéité et d’un engagement volontaire (Picq et Baret, 2005), l’analyse des mécanismes d’émergence des réseaux inter-organisationnels nous montre que l’on peut agir sur le capital social.

L’analyse des réseaux d’entreprises s’appuie de plus en plus sur la sociologie des réseaux et la théorie des réseaux sociaux. Elle s’intéresse aux objets sociaux intermédiaires entre l’individu et la société. En management, c’est un outil d’analyse des relations de coopération entre organisations (Baret et al., 2006). Comme le rappelle Huault (1998), « depuis Polanyi (1944) qui a introduit l’idée d’encastrement de l’action économique dans la société, on distingue quatre types d’encastrement : encastrement cognitif, encastrement politique, encastrement culturel et structural ». Les travaux de Granovetter (2000), inscrits dans ce dernier type d’encastrement, sont à l’origine du concept « d’embeddedness »; les comportements sont dépendants des réseaux sociaux dans lesquels s’insèrent les individus (Granovetter, 1985, 2000). La littérature distingue deux grandes approches des réseaux sociaux : celles basées sur les relations dyadiques et celles basées sur l’analyse structurale. Les premières mettent l’accent sur les relations dyadiques entre Ego (i.e. la personne focale dont on étudie le réseau de relations) et un alter (contact) donné. En s’intéressant surtout aux relations dyadiques, Granovetter (1973), montre que certains types de liens ou contacts auxquels ils permettent d’accéder seront plus à même de profiter aux individus et de donner accès à des ressources. La force d’un lien peut se définir comme une combinaison de relations sociales fréquentes, durables, un engagement émotionnel, une intimité partagée et des services réciproques. Pour cet auteur, l’utilisation des liens faibles est avantageuse, car ils procurent des relations avec des individus aux caractéristiques différentes, donnant ainsi accès à des informations et à de l’influence difficilement accessible par ailleurs. Les travaux sur les ressources sociales de Lin et al. (1981) s’appuient sur la théorie de la force des liens pour montrer, dans un contexte de mobilité sociale et de processus d’acquisition de statut, que ces ressources sont liées à l’usage de contacts ayant des liens faibles plutôt que forts avec le chercheur d’emploi. Les secondes insistent sur la structure des relations dans laquelle la personne focale est encastrée. Burt (1992), par exemple, s’intéresse à l’efficacité de la structure d’ensemble du réseau personnel de l’individu. Selon lui, c’est la structure riche en trous structuraux qui offre le plus d’opportunités de capital social exploitables. Les « trous structuraux » désignent l’absence de relations entre des contacts non redondants et permettent un accès à des personnes ou des ressources différentes. Contrairement à Burt, Coleman (1988, 1990) argue que ce sont surtout les structures « fermées » qui apportent des bénéfices et favorisent l’existence des formes différentes de capital social : des normes sociales, mais aussi de la confiance à l’origine des obligations et attentes sociales, et de la réputation d’un individu.

Nous considérons que le développement d’un réseau repose non seulement sur les relations dyadiques entre partenaires, mais plus largement sur les ressources collectives produites par l’ensemble des parties impliquées.

Après avoir été développé en sociologie dans un premier temps (Coleman 1988, 1990), puis en sciences politiques (Putnam 1995), l’introduction du concept de capital social en gestion est assez récente (Adler et Kwon, 2002; Nahapiet et Ghoshal, 1998) et trouve son application dans l’analyse des réseaux sociaux. C’est en 1980 que Bourdieu le définit comme « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisé d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ». Il recouvre l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont accessibles grâce à des réseaux sociaux (Burt 1992; Putnam 1995; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Ensemble d’éléments sociaux qui produisent des résultats (Coleman, 1988), le capital social est à la fois la relation et la ressource qu’elle procure. Comme l’indique Lin (1995) à ce sujet, cette conceptualisation relie le concept, capital social, aux résultats. Pour vérifier que les relations constituent du capital social, il faut aussi s’assurer qu’elles sont efficaces (ressources produites et/ou partagées). Si le capital social est une ressource individuelle ou organisationnelle, se pose la question des bénéfices procurés. Par exemple, le capital social améliore l’efficience des actions : diffusion d’information, réduction de l’opportunisme dans les relations entre membres du réseau et diminution des coûts de transaction (Josserand, 2004). Il favorise le développement du capital intellectuel (Nahapiet et Ghoshal, 1998; Adler et Kwon, 2002), les innovations (Bouty, 2000; Powell et al., 1996) et le transfert de connaissances entre organisations (Inkpen et Tsang, 2005).

La distinction entre capital social « subi » et « construit » est utile à ce niveau : certaines interactions sont imposées alors que d’autres demandent un investissement personnel (Arrow, 1999). Adler et Kwon (2002) défendent l’idée que le capital social dépend de l’effort de construction des réseaux sociaux et de sa mesure. Ainsi, le capital social résulte de la présence concomitante d’un réseau de contacts interindividuels, d’une forme de bienveillance dans les relations sociales, d’une motivation à l’échange et d’une ressource utile à partager (Adler et Kwon, 2002). L’importance des investissements réalisés et des ressources qui peuvent s’échanger nous conduisent à essayer de comprendre comment les organisations peuvent favoriser l’émergence puis le développement du capital social au sein d’un réseau, sachant que la façon dont le capital social est développé et maintenu reste très peu explorée (Leenders et Gabbay, 1999 dans Josserand 2004; Baum et al. 2000; Maurer et Ebers, 2006; Ventolini, 2007).

Dès lors, comment conceptualiser le capital social ? L’approche multidimensionnelle admise dans la littérature (Nahapiet et Ghoshal 1998; Maurer et Ebers, 2006) permet d’affiner l’analyse conceptuelle. Transposant le concept de capital social dans le champ du management, Nahapiet et Ghoshal (1998) identifient trois dimensions :

  • la dimension structurelle représente les liens du réseau, sa configuration et l’organisation appropriée qui permet le transfert du capital social d’un contexte à un autre. Cette dimension rejoint l’analyse structurelle issue de la sociologie des réseaux sociaux. Les propriétés structurelles du réseau social sont appréhendées comme des facteurs de développement des dimensions relationnelles et cognitives (Krackhardt, 1992; Boisot, 1995).

  • la dimension relationnelle se réfère à la nature des relations inter individuelles dans le réseau : relations de confiance, normes et sanctions, obligations et attentes réciproques, et identification sociale. Cette dimension s’inspire essentiellement des travaux de Coleman (1990) et de Putnam (1995).

  • la dimension cognitive correspond aux représentations partagées, interprétations et systèmes de compréhension réciproques. Nahapiet et Goshal (1998), dans une approche gestionnaire, ont ajouté cette dimension pour relier capital social et capital intellectuel.

À l’issue de leurs travaux, Nahapiet et Ghoshal (1998) préconisent d’envisager les relations entre les différentes dimensions. Bien qu’elles puissent être isolées au niveau de l’analyse, elles sont inter reliées et simultanément présentes dans les réseaux sociaux. Mais selon Nahapiet et Ghoshal (1998), les dimensions du capital social ne se renforcent pas mutuellement. Contredisant les travaux de Krackhardt (1992) et de Boisot (1995), ces auteurs expliquent d’ailleurs qu’un réseau efficace au niveau de sa structure n’est pas forcément le meilleur moyen de développer un capital social fort aux plans relationnel ou cognitif. Constatant la primauté de la dimension structurelle dans les travaux issus de la sociologie des réseaux (Coleman, 1988; Burt, 1992; Lazega, 1998) et suite aux préconisations de Nahapiet et Ghoshal (1998), nous retenons une conception multidimensionnelle du capital social, qui nous semble plus précise et mieux appropriée aux sciences de gestion. La construction du capital social est dépendante des facteurs favorisant les relations sociales. Ces conditions favorables au capital social, dont les caractéristiques sont proches de relations sociales intra organisationnelles, peuvent aussi être envisagées dans les réseaux inter-organisationnels (Nahapiet et Ghoshal, 1998) :

  • le temps : Le capital social dépend de la stabilité et de la continuité de la structure sociale. Ainsi, les relations stables et durables sont étroitement liées à d’importants niveaux de confiance et de coopération (Granovetter, 1985; Putnam 1993)

  • l’interdépendance : le capital social est réduit par les facteurs qui limitent la dépendance des individus. L’interdépendance favorise la relation et le transfert de ressources entre les partenaires.

  • l’interaction : l’interaction est une pré-condition au développement et au maintien d’un capital social fort.

  • la délimitation est un facteur de développement du capital social notamment dans ses dimensions relationnelles et cognitives. Le développement de normes, d’identité et de confiance sont favorisés par la fermeture du réseau (Coleman, 1990), comme l’instauration de codes et de langages communs basée sur l’existence d’une réelle délimitation (Nahapiet et Ghoshal, 1998).

La théorie du capital social offre une grille d’analyse originale du développement des réseaux d’entreprises. Elle suggère d’une part que les relations sociales jouent un rôle central, et d’autre part que le capital social ne va pas de soi, et peut être soutenu (McEvily et Zaheer, 2004). La création et le maintien de certaines de ses formes, notamment les dimensions cognitives et relationnelles, supposent de réels investissements plus ou moins conscients et des conditions favorables aux relations sociales (Nahapiet et Ghoshal, 1998). Nos objectifs sont d’analyser comment se construit le capital social pour identifier les facteurs favorisant le développement des réseaux d’entreprises, afin d’aider les dirigeants d’entreprises et les pouvoirs publics dans l’élaboration de politiques de soutien aux entreprises et aux salariés. Nous tenterons de répondre au questionnement suivant :

Comment se construit le capital social dans les réseaux communautaires dans les principales phases de leur développement (émergence et institutionnalisation) ? Quelles sont les conditions (durée, interdépendance, interaction et délimitation) qui lui sont favorables ? Et comment agir sur ses différentes composantes (structurelle, cognitive et relationnelle) ?

L’étude d’un réseau « communautaire » de PME présentée au point suivant nous permettra d’apporter des éléments de réponse à la problématique soulevée. Elle s’appuie sur une opérationnalisation du capital social préconisée par Nahapiet et Ghoshal (1998).

Le terrain et la méthodologie de l’étude

La recherche porte sur un réseau d’entreprises spécialisées dans la filière du travail des métaux, labellisé SPL (Système Productif Local) en 1999, le réseau CAMDIB. Notre principal objectif étant d’analyser la construction du capital social, dans ses dimensions structurelle, cognitive, et relationnelle, nous nous sommes attachés à construire une grille d’analyse permettant d’opérationnaliser ces facettes. La méthodologie est qualitative et multi-acteurs; nous avons interrogé les principales parties prenantes du réseau, c’est-à-dire ses membres, la structure chargée de l’animation, et les acteurs-tiers, essentiellement les pouvoirs publics ayant joué un rôle dans sa création et son développement.

Le réseau CAMDIB a été créé en 1996, sous la forme d’une association, autour de quatre métiers principaux : tôlerie-emboutissage-chaudronnerie, mécanique, traitement de surface, mobilier urbain d’éclairage auxquels s’ajoutent des prestations complémentaires (exemple : les interventions sur bois). Son territoire est délimité par le bassin d’emploi de Béziers[2], territoire qui correspond au périmètre d’action des acteurs publics et parapublics impliqués dans sa création et son développement. Géographiquement, le réseau s’étend sur une quarantaine de kilomètres, même si la moitié des entreprises sont situées sur Béziers même. Deux facteurs concomitants en ont favorisé la création : l’initiative des pouvoirs publics et une dynamique locale. En 1995, la Direction des Services Économiques et de l’Emploi, le Conseil Général de l’Hérault et la DRIRE[3] commandent une étude au cabinet Almatec. Ses conclusions mettent en évidence les filières jugées porteuses et susceptibles de constituer des éléments moteurs du développement du bassin. Le secteur de l’industrie des biens d’équipement et particulièrement ceux de la filière « travaux des métaux »[4] et mécanique ont un poids majeur en termes d’emploi et de valeur ajoutée. L’association est donc née d’une double volonté :

  • celle des pouvoirs publics (DRIRE, Union Européenne, État, Région Languedoc Roussillon et Conseil général de l’Hérault) et des acteurs institutionnels locaux (Chambre de Commerce et d’Industrie, MEDEF[5]).

  • celle des 13 industriels membres fondateurs conscients de l’intérêt de leur regroupement pour pallier leur isolement, leur petite taille et leur dépendance vis-à-vis d’un grand donneur d’ordre unique.

Ce réseau a été créé dans une perspective défensive liée à la prise de conscience d’un risque. CAMDIB a obtenu la « labellisation » SPL[6] en 1999. C’est un aspect central de son histoire, puisque la labellisation permet d’obtenir des soutiens spécifiques des pouvoirs publics. Connu pour être le plus ancien des SPL régionaux, CAMDIB est un SPL dynamique : le nombre d’entreprises du réseau a plus que doublé (30 entreprises aujourd’hui), le chiffre d’affaires s’est accru significativement (environ 85 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel) et 225 emplois ont été créés en 10 ans. CAMDIB compte actuellement 850 emplois soit prés de 20 % des effectifs du secteur du travail des métaux du Languedoc Roussillon et génère 18 % du chiffre d’affaires de ce secteur en région. Concernant le pilotage du réseau, il faut distinguer la présidence, assurée à tour de rôle par les dirigeants-membres, et l’animation, confiée à un cabinet extérieur qui a un rôle déterminant dans le développement du réseau. Associé dés son initiation, en réalisant une étude sur le positionnement économique du biterrois, il anime le réseau depuis sa création.

La méthodologie retenue est qualitative et multi-acteurs. Notre travail porte sur un cas unique analysé en profondeur. Notre principal objectif était de rencontrer les acteurs membres du réseau et les acteurs-tiers extérieurs au réseau ayant joué un rôle dans la construction du capital social. Il était aussi important de comprendre l’histoire du réseau.

Le recueil des données

La recherche a été alimentée par différentes sources de données qui sont liées entre elles, chacune ayant été traitée spécifiquement.

Données primaires 

La collecte des données discursives se fonde sur 40 entretiens auprès des membres du réseau (11 chefs d’entreprise, DRH d’une entreprise du réseau, Président), du Directeur de l’usine « grand donneur d’ordre », de représentants d’acteurs publics locaux (Chambre de Commerce et d’Industrie, DRTEFP[7], DRIRE, ANPE, Maison de l’Emploi, Conseil régional Languedoc Roussillon, Communauté d’agglomération, Mairie, Sous-préfecture), du Cabinet conseil qui anime le SPL, de responsables syndicaux et de représentants des deux autres réseaux locaux.

Les thèmes du guide d’entretien ont été définis à partir des concepts mobilisés. Plus précisément, l’objectif des entretiens était que les membres du réseau, institutions et animateur puissent exprimer précisément leurs représentations à partir des trois dimensions du capital social (Nahapiet et Ghoshal, 1998).

Tableau 1

La grille de lecture des représentations des dimensions du capital social des membres de CAMDIB

La grille de lecture des représentations des dimensions du capital social des membres de CAMDIB

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Les récits de l’animateur, en tant que mémoire organisationnelle du réseau, constituent un matériau très utile, en particulier pour appréhender l’évolution du réseau

Données secondaires internes 

En complément aux données primaires, nous avons recueilli des données secondaires internes organisationnelles fournies par le Cabinet Almatec (comptes-rendus de réunions, documents d’études, rapports…), et externes : supports de communication des organismes et institutions extérieurs au réseau, données journalistiques (presse régionale : PQR et presse économique, et nationale). Le recueil des données secondaires répond à deux objectifs principaux :

  • compréhension : la documentation est une source essentielle de la chronologie (Wacheux, 1996); elle aide à reconstituer les évènements qui ont marqué l’historique du réseau et à repérer les moments-clés de son évolution; elle permet aussi d’obtenir des données chiffrées sur ses pratiques et ses résultats (embauches, évolution du chiffre d’affaires, actions réalisées, dépenses de formation…).

  • validation : les données secondaires ont été systématiquement rapprochées des discours des acteurs interrogés pour mieux comprendre ces discours et leurs écarts par rapport aux faits et aux pratiques et de les objectiver.

L’analyse des données

Afin d’analyser les discours et les représentations des acteurs du réseau et des parties prenantes externes, les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique (Bardin, 1996).

L’analyse du contenu des entretiens

Nous avons élaboré notre plan de codage à l’aide des thèmes de la grille d’entretien (Huberman et Miles, 1991). Puis nous avons catégorisé les unités d’analyse retenues selon le critère de l’analogie (Bardin, 1996). Dans un troisième temps, nous avons opéré des allers-retours entre les concepts mobilisés et le matériel empirique afin de proposer une interprétation du contenu des entretiens. Cette analyse a révélé l’importance de certains thèmes dans les discours.

L’analyse des données secondaires

S’agissant de structurer diverses informations par rapport aux questions de recherche (Wacheux, 1996), les données secondaires ont été traitées selon le même mode que les données primaires : codage, catégorisation et interprétation. Cette analyse nous a ainsi conduits à affiner les premiers résultats de la recherche.

De plus, des contacts réguliers avec l’animateur du réseau ont permis d’ajuster, d’étoffer les informations collectées lors de l’étude initiale et de réaliser un suivi du réseau. L’objectif était de mieux appréhender l’évolution du réseau (Angot et Josserand dans Thiétart et al., 2007). Cette ouverture méthodologique, au sens de Wacheux (1996), contribue à mieux contextualiser l’étude, à en enrichir les résultats et à renforcer leur validité. Les résultats obtenus ont également été confrontés au regard des membres du réseau et des pouvoirs publics lors des restitutions (une dizaine au total) réalisées entre juin 2006 et avril 2007. Ce retour auprès des acteurs visait à satisfaire au critère d’acceptation interne de la recherche (Wacheux, 1996). Les données sur les dimensions du capital social sont obtenues en croisant les représentations des dirigeants, le récit de l’animateur et les discours des institutions de soutien au moment de l’émergence du réseau et lors de son institutionnalisation. Les conditions favorables à la construction du capital social sont conjointement identifiées.

Les enseignements de l’étude du cas CAMDIB pour la construction du capital social

Les résultats de notre étude conduisent à mieux cerner les logiques opérationnelles de création et de mobilisation du capital social. Pour des raisons de clarté et relativement aux travaux sur le cycle de vie des réseaux nous présentons les résultats en deux étapes principales (émergence et institutionnalisation). En référence à la typologie d’Assens (2003), la première étape concerne la création du réseau et la deuxième étape intègre l’extension et la maturité. La construction du réseau a été initiée par des actions de mise en relation et de prévention qui ont favorisé l’émergence du capital social (2.1.). Une fois ce seuil franchi, se sont développées des actions collectives aux incidences notables au niveau du capital social (2.2.). Les résultats obtenus sont ensuite discutés (2.3.).

Le management du capital social en phase d’émergence du réseau 

Si dans la littérature, les alliances sont naturelles du fait de la répétition de relations marchandes qui favorisent l’émergence de relations sociales plus larges impliquant les dimensions affectives et normatives (Baret et al., 2006), CAMDIB a été créé ex-post par l’intervention des pouvoirs publics (McEvily et Zaheer, 2004), comme c’est le cas pour d’autres réseaux territorialisés. Ainsi, pour le contexte spécifique de notre cas, le capital social ne préexiste pas. Malgré une proximité essentiellement géographique, les entrepreneurs fondateurs du réseau ne se connaissent pas. Le réseau n’a pas émergé sans réticences, ni sans questionnements. Et au départ, toutes les conditions semblaient réunies pour que CAMDIB ne voie pas le jour : « l’individualisme » des dirigeants, leur absence de « recul », leur positionnement comme concurrents avant même de se connaître, des « méfiances » fortes vis-à-vis des filiales d’un groupe, (adhérentes à CAMDIB), perçues comme des menaces pour les TPE, le positionnement des acteurs institutionnels parfois ambigu, une région, le biterrois a priori « repliée » sur elle-même (Eggrickx, 2000). C’est par l’intermédiaire des institutions de soutien que les opportunités d’interaction ont pu se développer. Ainsi, dans cette phase que nous avons qualifiée d’émergence du réseau, les mises en relations sont fortement favorisées (réunions sur la base d’un diagnostic territorial de la filière des métaux, visites d’entreprises, actions collectives initiales : commerciales, techniques et organisationnelles…). Si elles dépendent du bon vouloir des entrepreneurs qui perçoivent la crise comme une réelle incertitude, elles sont aussi déterminées par les interventions des pouvoirs publics et de la société de conseil chargée, dès le départ, de l’animation du réseau.

Trois éléments ont joué un rôle-clé lors de la création :

  • une étude réalisée en 1996 par le cabinet Almatec pour la DRIRE, le conseil général de l’Hérault et la direction des services économiques et de l’emploi, qui révèle que le biterrois est le premier pôle industriel de l’Hérault grâce à la filière métaux et qui légitime le rôle de la société de conseil pour l’animation du réseau.

  • la dépendance de cette filière vis-à-vis d’un grand donneur d’ordre en difficulté implanté sur le territoire et acteur mondial de la production de biens d’équipement gaziers et pétroliers. À partir de 1996, les difficultés de l’industrie pétrolière ralentissent son activité ce qui induit une réduction de ses effectifs (555 emplois en 1995, 490 en 1998, 400 en 2000) et des travaux sous-traités et pose la question du devenir des industriels sous-traitants.

  • la volonté des acteurs locaux (MEDEF – Chambre de Commerce et d’Industrie) et des pouvoirs publics (DRIRE, Région Languedoc Roussillon, Conseil général de l’Hérault) de mettre en oeuvre des solutions pérennes pour ce territoire en manque de projet au regard des moyens financiers communautaires disponibles (FEDER[8] – FSE[9]).

Les premières actions sont des réunions impulsées par la DRIRE, des visites d’entreprises afin que les dirigeants de CAMDIB se connaissent et nouent des relations pour rompre leur isolement. Elles ont permis de dépasser les méfiances initiales et de construire des comportements partenariaux. Ces actions initiales constituent de véritables vecteurs de socialisation et des opportunités d’interactions. Peu à peu, des modalités de fonctionnement propres au réseau se sont alors instaurées : règles d’entrée (toute adhésion nouvelle doit être approuvée à l’unanimité), rythme des réunions (bimestrielles), philosophie et orientation des actions. Les actions initiales de prévention ont aussi permis de sentir, d’exprimer et d’anticiper les risques liés aux difficultés d’un grand donneur d’ordres (trop forte dépendance et nécessité de se diversifier) et de rassurer les dirigeants. Elles ont conduit à une analyse critique de la situation, à la formulation d’une problématique collective et les possibilités d’interdépendance y sont envisagées. Ces actions ont structuré les aspects commerciaux et organisationnels, les ont fait évoluer, avec notamment, la « nécessaire mise à niveau des entrepreneurs et de leurs entreprises », comme le notent ces chefs d’entreprise : « je faisais mon commerce en tapant sur l’épaule de mon client »… « Je suis passé de la petite épicerie à l’état d’entreprise industrielle ». Cette mise à niveau des entrepreneurs est un préalable au développement de la composante cognitive du capital social.

Les premières actions de CAMDIB ont concerné les aspects commerciaux, le développement de coopérations autour de produits, l’information et la communication.

  • cinq actions commerciales, réalisées dès le départ, pour le développement de nouveaux marchés,

  • trois actions de coopération autour de produits spécifiques,

  • deux actions d’organisation : intégration de nouvelles technologies de gestion de l’information en interne (GPAO, qualité, intranet) et en externe (Internet, EDI).

Ces actions ont représenté un investissement de plus de 6,09 millions d’euros sur 4 ans, co-financé par le FEDER et l’État par l’intermédiaire de la DRIRE. En phase d’émergence du réseau, des institutions ont favorisé l’identification et la mise en relation des entreprises d’une même filière. La société de conseil chargée de l’animation dès son démarrage par les dirigeants fondateurs et légitimée dans ce rôle par les pouvoirs publics, fortement sensibilisée à la problématique des districts industriels et ayant une bonne connaissance du tissu économique local (diagnostic préalable à la constitution du réseau), est aussi un acteur important. C’est un véritable constructeur de projets et un coordinateur d’actions pédagogiques collectives (exemple : détection des besoins de formation des dirigeants, actions d’organisation, mise à niveau des entreprises, actions commerciales…) favorisant l’émergence d’une capacité d’intercompréhension, de valeurs communes, de références collectives et de problématiques partagées. L’animateur fait passer progressivement les membres du réseau d’une logique où les intérêts individuels priment à une logique basée sur le partage des représentations et la construction d’un intérêt collectif. Ses actions ne peuvent toutefois être isolées du rôle des autres intervenants, certains ayant un rôle clé dans la gouvernance du réseau, comme les présidents successifs qui constituent la « tête de réseau » et assurent son pilotage. Il importe que cette instance de pilotage bipolaire (les dirigeants d’un coté et la société de conseil chargée de l’animation) intègre rapidement les enjeux coopératifs pour développer de véritables capacités du réseau. L’animateur favorise et accompagne cette intégration. Le soutien et l’ingénierie de la société conseil permettent aux dirigeants, qui disent n’avoir ni les moyens ni les ressources nécessaires à une telle structuration, de bénéficier d’une large expertise. Le temps joue ici un rôle non négligeable.

Ainsi, au-delà des dimensions structurelles du capital social qui devraient être prépondérantes en phase d’émergence du réseau, les dimensions relationnelle et cognitive ne sont pas pour autant délaissées.

Le tableau suivant synthétise pour chaque dimension les facteurs qui favorisent le développement du capital social en phase d’émergence du réseau.

Tableau 2

Emergence du réseau communautaire et management du capital social

Emergence du réseau communautaire et management du capital social

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Le management du capital social en phase d’institutionnalisation du réseau 

Durant cette phase, une capacité d’influence conséquente a été atteinte (McEvily et Zaheer, 2004) grâce à l’accroissement du nombre de participants (le nombre d’entreprises a plus que doublé). Ce qui permet de concrétiser des actions collectives d’envergure[10] et de renforcer le capital social. Ces dernières agissent conjointement sur la consolidation du SPL : par le renforcement de lieux et de temps dédiés aux rencontres qui donnent l’opportunité aux entreprises d’inter agir régulièrement, d’accentuer ces interactions autour de projets collectifs et de fortifier le sentiment d’interdépendance (McEvily et Zaheer, 2004; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Elles contribuent aussi à la délimitation du réseau (Nahapiet et Ghosal, 1998) : ses membres s’engagent dans les actions collectives et doivent respecter leurs engagements.

Nous développons, à titre d’exemple, deux actions phares focalisées sur le développement des compétences individuelles et collectives.

Cette étape, essentiellement dédiée au développement de projets collectifs pour accompagner la stratégie, favorise le développement du capital social dans ses composantes structurelle, relationnelle et cognitive. Si dans le cas étudié, le temps se révèle être une condition incontournable au renforcement du capital social (Nahapiet et Ghoshal, 1998), les actions collectives y contribuent largement. Elles viennent renforcer les échanges entre dirigeants des entreprises du réseau mais aussi entre salariés, permettant au capital social de « descendre d’un cran ». Ces interactions entre salariés conduisent à un partage des représentations du métier de CAMDIB et à l’élaboration de cadres de références communs, par des processus collectifs de résolution de problèmes, comme le souligne un dirigeant : « Un technicien de F va discuter avec un technicien de S sur un problème. J’imagine qu’au téléphone… ils se parlent sur la façon dont ils travaillent, leurs problématiques, l’ambiance du site etc. C’est tous les jours… Je suis sûr que ce matin… Une personne de chez F aura appelé un technicien de chez A et de chez S ». À l’instar des résultats de Picq et Baret (2005), la formation fait émerger le capital social des salariés en suscitant les interactions dans et en dehors des stages.

Même si des relations marchandes existent au sein du réseau (les échanges avec les autres entreprises sont privilégiés), les dirigeants soulignent fréquemment l’absence de concurrence, bien qu’elle reste possible. Une confiance s’est instaurée entre membres, favorisant les échanges d’informations stratégiques et l’analyse collective des projets stratégiques : « le réseau est un caisson de résonance » explique ce chef d’entreprise. Cet échange d’information et de ressources stratégiques constitue un indicateur important de la dynamique des échanges au sein du réseau et de la confiance qui s’y établit.

Le réseau permet aussi de développer l’entraide; les dirigeants l’affirment : sans le réseau trois entreprises auraient disparu et avec elles, de nombreux emplois. Les aides prennent différentes formes et favorisent l’échange de ressources de nature économique : possibilité d’étalement des paiements d’un client membre du réseau, discussion avec un banquier commun en cas de difficultés, conseils sur des projets (développement international par exemple), établissement ou analyse des documents comptables de fin d’exercice, prêts de salariés, etc. L’animateur joue ici un rôle primordial en organisant l’entraide et allouant les ressources financières nécessaires. Les phénomènes que nous avons décrits nous amènent à envisager la force des liens et l’importance de la délimitation du réseau. CAMDIB est perçu par les dirigeants comme un réseau où les relations sont plutôt solides et basées sur des relations d’échange, de confiance et d’entraide. Dans notre cas, ces indicateurs apparaissent clairement et l’entraide participe à cet engagement émotionnel fort. Notons toutefois qu’une trop forte entraide peut insensiblement dévier l’objectif premier du réseau et devenir sa principale finalité (Huault, 2004). Une forte solidarité peut également être la source d’une diminution de l’innovation. (Portes 1998; Gargiulo et Bernassi, 1999 dans Ballet, 2004). Indéniablement, l’entraide au sein de CAMDIB répond à un besoin de pérennisation d’une relation économique entre deux ou plusieurs entreprises du réseau; en d’autres termes, une entreprise en difficulté représente la disparition potentielle d’un marché. Enfin, elle constitue une véritable obligation pour les membres du réseau qui la considèrent comme naturelle.

Grâce à ces liens forts, les échanges d’informations et surtout les partages de connaissances sont nombreux, que ce soit dans les réunions bimensuelles entre dirigeants, de façon formelle dans le cadre des actions collectives, ou informelle lors d’échanges ponctuels entre dirigeants. Des échanges de connaissances liées aux pratiques organisationnelles, aux pratiques de gestion des ressources humaines (GRH), se sont développés en offrant des bases solides à l’émergence d’une GRH de réseau, facteur d’innovation sociale. Par exemple, au-delà des outils et des pratiques de GRH qui ont pu être transférés, de nouveaux enjeux apparaissent autour du renforcement du dialogue social et de la mise en place de nouvelles relations d’emploi permettant une mutualisation des ressources humaines, l’accessibilité au capital humain (accès des lycéens aux plates formes d’apprentissage) et une gestion de l’emploi progressivement élargie au réseau. Les ressources échangées portent aussi sur les savoir-faire techniques, les échanges de bonnes pratiques (exemple : logiciels utilisés) et sur des conseils directement liés à la production. Ils se déclinent aussi au niveau de l’encadrement et des salariés. Selon un chef d’entreprise, « de nombreuses compétences se trouvent dans ma société et proviennent des membres du réseau ». Le réseau permet ainsi l’échange de ressources complexes et difficiles à spécifier comme le soutien social, le soutien affectif et surtout la connaissance (Adler et Kwon, 2002). Le réseau facilite aussi l’échange de ressources plus matérielles avec par exemple, la mutualisation de l’UGV. La stratégie de diversification a donc porté ses fruits. Le réseau est aujourd’hui un acteur important, voire incontournable, de la filière au niveau régional. Une entreprise, par exemple, pratique à présent la vente à distance auprès des non professionnels, une autre fabrique des cheminées et des bateaux et plus seulement des planchers d’échafaudages. Les marchés se sont élargis, les gammes de produits se sont étoffées, des économies d’échelles ont été réalisées, les compétences se sont renforcées autour du pari gagné de la diversification. Récemment, le réseau a décidé de nouvelles orientations stratégiques axées en particulier sur son développement international. Ces différentes ressources produites par le réseau sont des indicateurs du capital social qui s’y développe. Dans ce type de réseau territorialisé, constitué de PME, les liens forts et la délimitation précise du réseau favorisés par les actions collectives, permettent de dépasser les simples échanges d’informations pour réaliser un travail de fond aux niveaux stratégique, financier, commercial, organisationnel et humain.

Si le rôle de l’animateur est prépondérant dans l’institutionnalisation du réseau, il ne faut pas perdre de vue que le capital social se construit lentement par la mise en évidence d’intérêts communs, l’élaboration de projets et la réalisation d’actions collectives. L’animateur doit savoir jongler entre performance économique et déploiement du capital social, logiques entremêlées. Les entrepreneurs agissent principalement dans la sphère économique, avant d’envisager l’importance de la relation et des ressources qu’elle procure. Toutes les actions qu’ils mènent visent des effets sur la performance économique de l’entreprise. Même si certains y sont intuitivement sensibles, l’animateur doit réussir le pari de favoriser cette performance en intégrant le capital social comme un élément de la dimension stratégique des actions du réseau. Sans parler de la dimension structurelle du capital social, plus apparente, la partie immergée et peu visible des actions de l’animateur consiste à faire franchir aux membres du réseau des seuils relationnels et cognitifs qui vont se muer peu à peu en véritables ressources stratégiques. Son rôle est d’apporter des éléments de réponse au questionnement suivant : comment construire la relation et bâtir des images communes du réseau ? C’est surtout par des projets et au cours de l’action, que ces deux dimensions de capital social se renforcent. Les actions communes amènent peu à peu les entrepreneurs à voir l’autre différemment, à envisager d’agir à ses côtés et à comprendre les enjeux de l’interdépendance en dépassant les seules stratégies défensives. Il s’agit de passer de la concurrence à la coopération et d’organiser la confiance et ce qu’elle sous-tend : entraide, soutien personnel, transfert de connaissances tacites et influence sociale.

Le tableau ci-dessous synthétise pour chaque dimension du capital social les facteurs qui favorisent le renforcement du capital social en phase d’institutionnalisation du réseau.

Tableau 3

Institutionnalisation du réseau communautaire et management du capital social

Institutionnalisation du réseau communautaire et management du capital social

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Discussion

Si en management c’est à travers la répétition et la récurrence des échanges qu’un ordre collectif (réseau communautaire) émergerait des interactions individuelles non programmées entre entreprises fondatrices (Larson, 1992; Assens 2003), notre cas apporte une compréhension différente de l’émergence de ce type de réseau. En référence aux travaux de Mc Evily et Zaheer (2004), qui démontrent que les réseaux méritent d’être accompagnés et de Soto Maciel (2007), sur les principaux déterminants du réseau, notre recherche indique que les institutions de soutien ont fortement contribué à la mise en réseau en initiant la réalisation d’un diagnostic du territoire et les premières rencontres entre les acteurs concernés. Le cas montre en outre que la réputation et la légitimité de ces institutions permettent de dépasser les réticences initiales des entrepreneurs et favorisent leurs engagements, suivant en cela les conclusions de McEvily et Zaheer (2004). Ces actions ont permis la mise en relation d’entrepreneurs qui ne se connaissaient pas et qui n’avaient aucune raison de se connaître. Elles ont aussi favorisé l’accélération des échanges en proposant un diagnostic du territoire et de la filière des métaux qui a détecté un certain nombre de risques. La logique défensive retenue, en réponse à une menace perçue, a facilité la prise de conscience et l’engagement des entrepreneurs. Comme le note Soto Maciel (2007), ces éléments traduisent l’impact d’un contexte de crise dans la formation des réseaux inter-firmes. Dans le cas étudié, le diagnostic a aidé à structurer les liens en identifiant les entreprises susceptibles de constituer le réseau et de partager des intérêts communs. Ainsi, le modèle de formation des réseaux proposé par McEvily et Zaheer (2004) est corroboré et les principales étapes qui concernent la reconnaissance d’intérêts communs, le développement de la confiance mutuelle et des attentes partagées, l’atteinte d’un niveau important d’influence, et la consolidation du réseau, se révèlent pertinentes, dans le contexte français (Soto Maciel, 2007) et pour le SPL étudié.

Bien que les institutions agissent fortement en amont en exprimant leurs attentes lors de la création du réseau et contribuent à faire essentiellement émerger la dimension structurelle du capital social, elles ont rapidement besoin d’un d’intermédiaire pour « animer la mise en relation » en lui donnant du sens. Dans le cas de CAMDIB, les actions des institutions de soutien ne suffisent pas à elles seules pour développer le capital social. Leur positionnement est paradoxal et leur rôle évolue avec le réseau. Si ces institutions expriment leurs attentes du fait de leur rôle dans l’initialisation du réseau, favorisant les rencontres et les échanges (réunions, aides et accords) et le financement d’actions collectives, elles imposent, en phase d’institutionnalisation, des attentes de résultats d’autant plus fortes que les actions sont collectives et supposent des investissements lourds. Ces contraintes impliquent de nombreux ajustements au niveau du réseau, avec la crainte de voir disparaitre les soutiens financiers en cas de mauvais résultats. Si nous admettons, à l’instar de Forgues et al. (2006), que les résultats produits par les relations inter-organisationnelles sont à leur tour les déterminants des développements futurs de ces relations, nous comprenons l’intérêt d’une aussi forte focalisation sur les résultats. L’animateur a un rôle-clé à ce niveau, que l’on peut qualifier de « traducteur », étant un relais entre le réseau et ses membres et les institutions. Il utilise, par exemple le levier des résultats et de leur traduction au sein même du réseau pour le légitimer, ainsi que le capital social qui y est produit. Progressivement, pour les entrepreneurs, la relation prend de la valeur puisqu’elle permet d’en créer : les résultats économiques et sociaux sont présentés et expliqués autour des enjeux du réseau.

Cette recherche confirme en ce point, les résultats de Soto Maciel (2007), selon qui l’animateur est un facteur déterminant du réseau, et complètent ceux de McEvily et Zaheer, (2004). Les institutions initiatrices de réseaux ont besoin de relais du fait de leur position extérieure qui les oblige à faire reposer sur les acteurs du réseau les résultats attendus. Pour un représentant des pouvoirs publics, si l’utilité des pouvoirs publics pour impulser les mises en relation n’est plus à démontrer, les cadres administratifs dans lesquels ils fonctionnent sont contraignants (rapport au temps différents, passage d’une logique de moyens à une logique de résultats). De plus, les acteurs compétents et sensibles aux enjeux des réseaux inter firmes sont encore rares et ont peu de moyens pour se mobiliser, d’où l’enjeu d’un accompagnement spécifique et indépendant. Outre ce rôle d’interface avec les institutions de soutien, l’animateur a un rôle prépondérant dans la création et la mobilisation du capital social. Sa légitimité, son impartialité et son indépendance sont des qualités essentielles, sachant que les membres du réseau sont initialement très réticents et que l’animateur agit dans un environnement mouvant où jeux d’acteurs et dispositifs sont entremêlés. Ses actions sont déterminantes pour l’émergence et l’institutionnalisation du réseau puisqu’il facilite l’identification des intérêts communs (ce qui implique une connaissance fine des entreprises du réseau), rassure les dirigeants et élabore avec eux des principes de fonctionnement et des règles de décision : représentativité égale des entreprises, respect des engagements, confidentialité, entraide et soutien social qui réduisent les comportements opportunistes et méfiants. Comme le capital social est à la fois la relation et la ressource qu’elle procure et afin de vérifier que les relations constituent du capital social, il doit aussi s’assurer qu’elles sont efficaces (ressources produites et/ou partagées) (Lin, 1981). La publicisation des résultats qu’il organise dans et à l’extérieur du réseau favorise l’actualisation, le maintien et le développement futur du capital social.

Ce cas montre aussi que les actions collectives pilotées par l’animateur créent un sentiment d’interdépendance et participent à la délimitation du réseau. Elles constituent aussi en phase d’institutionnalisation, de réelles opportunités d’interactions inscrites dans la continuité des actions initiales : visites d’entreprises, réunions formelles… Ce constat rejoint celui de Soto Maciel (2007) pour qui les actions collectives reconnues et financées par les pouvoirs publics constituent un facteur déterminant du réseau. Cette étude souligne donc l’importance des actions collectives pour le développement et le renforcement du capital social car elles donnent du sens au réseau tout en stimulant les conditions favorables, telles que définies par Nahapiet et Ghoshal (1998) à son développement. En élaborant des projets communs sur la base d’intérêts partagés, la dimension cognitive du capital social est ainsi favorisée. Les projets et les actions en découlant sont propices aux échanges de points de vue, aux ajustements et, progressivement, au partage de représentations, au développement d’une histoire partagée et à l’instauration de mécanismes de compréhension réciproques. Ces échanges nécessitant de nombreuses interactions, la dimension relationnelle du capital social est aussi favorisée. Même si le développement des dimensions relationnelles et cognitives est souvent imputé aux propriétés structurelles du réseau social, (Krackhardt, 1992; Boisot, 1995), le cas étudié montre aussi que l’intervention de l’animateur et les actions collectives concrétisées grâce aux financements publics ne sont pas négligeables. Il semble donc impératif, au-delà de sa structure, d’accompagner le réseau et de guider ses membres pour agir conjointement sur les dimensions cognitives et relationnelles du capital social. La structure du réseau n’est donc pas le seul moyen de développer un capital social fort du point de vue relationnel ou cognitif (Nahapiet et Ghoshal, 1998). Le temps, la création de conditions favorables aux opportunités d’interactions, d’interdépendance et de délimitation du réseau supposent de réels investissements plus ou moins conscients (Nahapiet et Ghoshal, 1998). Si les composantes structurelles et relationnelles sont issues du concept construit en sociologie, l’apport original de Nahapiet et Ghoshal (1998) est d’introduire pour la gestion la dimension cognitive du capital social. Cette dimension relève de la connaissance et facilite la mise en évidence du lien entre capital social et construction du capital intellectuel. Ces investissements concrétisés par des actions collectives d’envergure (plan quadriennal de formation et plate-formes d’apprentissage) utilisent la GRH comme principal levier du capital social et de sa dimension cognitive. Nos résultats confirment l’intérêt de cette dimension sur laquelle il est possible d’intervenir. Alors que la tendance est à une individualisation de la GRH (Pichault et Nizet, 2000) et à un accès encore limité des PME à la GRH (d’Amboise et Garand 1995), les actions qui produisent du capital social s’appuient sur des démarches collectives, unissant des PME sur un territoire et ont une visée plus stratégique qu’opérationnelle. Les investissements réalisés supposent également une certaine stabilité.

Conclusion

À l’heure ou les pouvoirs publics s’interrogent sur les conditions de réussite des réseaux d’entreprises labellisés, nos résultats proposent un éclairage complémentaire sur la construction des réseaux et plus spécifiquement sur l’émergence et la mobilisation du capital social. Le réseau étudié n’est pas apparu spontanément. Sa création doit davantage à l’impulsion donnée par des acteurs publics qu’aux relations préalables entre membres fondateurs. Les mécanismes de création du réseau et d’émergence du capital social semblent être plus variés et plus complexes que ne le laisse penser la littérature.

L’originalité de notre recherche est le recours à la théorie du capital social comme cadre d’analyse. À notre sens, la question du capital social doit être explicitement posée au moment de la création des réseaux communautaires, car, si leurs finalités sont variées (Assens, 2003), leurs résultats reposent en partie sur le capital social qui s’y constitue et les nombreuses ressources auxquelles il donne accès (Josserand, 2004; Nahapiet et Ghoshal, 1998; Adler et Kwon, 2002; Bouty, 2000; Powell et al. 1996; Inkpen et Tsang, 2005). Nos résultats indiquent aussi l’intérêt de l’approche managériale et multidimensionnelle du capital social développée par Nahapiet et Goshal (1998). Les actions collectives des réseaux inter-organisationnels sont essentielles et viennent renforcer les trois dimensions du capital social. Il s’agit certes de faciliter la dimension structurelle; mais il importe d’accompagner en continu la construction du capital social pour agir sur ses composantes relationnelle et cognitive. Celles-ci sont favorisées par les conditions mises en évidences par Nahapiet et Ghoshal (1998) : le temps, les interactions, les interdépendances et la délimitation, et permettent, en renforçant les liens et le partage des représentations, de dépasser les échanges d’information pour accentuer les apprentissages, la mutualisation et les échanges de connaissances (Adler et Kown, 2002). Il semble ainsi possible de « gérer » le capital social au sein de réseaux d’entreprises. L’analyse du rôle d’un acteur-clé, l’animateur, véritable « homme-orchestre » du réseau et « architecte » du capital social, ouvre de nouvelles perspectives en management. Sans lui, les actions des institutions de soutien ne suffisent pas. D’autant que les dirigeants de PME n’ont souvent ni les moyens ni les ressources pour s’engager spontanément dans de tels investissements relationnels. Nos résultats complètent sur ce point ceux de Mc Evily et Zaheer (2004). Les actions d’accompagnement doivent se centrer sur le développement du capital social que le pilotage du réseau par un animateur peut contribuer à faire émerger et à mobiliser. En la matière, nos résultats sont originaux, offrent des éléments de réponse et des implications managériales quant aux facteurs les plus porteurs.

Malgré ses enseignements, cette étude ne constitue toutefois qu’un propos d’étape et nécessite des prolongements. Nos résultats issus d’un seul cas ne peuvent être généralisés et les réponses apportées devront être confirmées. Dans cette optique, il serait utile de « stabiliser » la définition et la mesure du capital social en sciences de gestion afin de pouvoir réaliser des comparaisons et mieux saisir le rôle des institutions de soutien et de l’animateur. La grille de lecture managériale du capital social développée à partir des travaux de Nahapiet et Ghoshal (1998) et adaptée au contexte d’un réseau « communautaire » mérite d’être affinée. Une recherche comparative plurisectorielle pourrait y contribuer. De même, l’étude de réseaux d’autres pays serait intéressante. Nous sommes conscients que l’émergence du réseau étudié et la façon dont s’est constitué le capital social autour des pouvoirs publics et de l’animateur résultent pour beaucoup de la politique publique de soutien des réseaux labellisés en France. S’agit-il d’une particularité, ou bien peut-on trouver des éléments de convergence dans d’autres contextes politico-culturels ?

Le rôle des animateurs, pilotes de réseau (Loubaresse, 2008), reste à compléter du point de vue du management du capital social. Il serait, par exemple, intéressant d’étudier la construction et le développement du réseau social de l’animateur et d’établir un parallèle avec celle du réseau inter organisationnel qu’il anime. Cet animateur peut-il être considéré comme un véritable entrepreneur ou « inter-preneur » (terminologie utilisée par France Cluster) spécialiste de la relation et des ressources qu’elle procure au sein d’un réseau inter-firmes ?