Corps de l’article

Le Nouveau Management Public (NMP, Osborne et Gaebler, 1992) s’est répandu sous des formes diverses, dans le monde entier. Si certains pays l’ont mis en oeuvre, parfois d’une manière brutale dès le début des années quatre-vingts (Grande Bretagne, Nouvelle Zélande, Australie…), d’autres pays comme la France ont plutôt incorporé, de manière incrémentale, des dispositifs de gestion de l’activité publique inspirés des principes de base de ce mouvement général.

Durant la même période, les organisations publiques, au même titre que les entreprises, ont connu une montée des pathologies liées au travail (stress, harcèlement, épuisement professionnel). La dégradation des indicateurs de santé au travail dans le secteur public est observée dans de nombreux pays (Korunka, Scharitzer, Carayon & Sainfort, 2003; Kirkpatrick et al., 2005). Ainsi, l’idée que les réformes engagées auraient des conséquences humaines négatives potentiellement élevées se développe aussi bien parmi les acteurs de terrain[1] que dans la littérature scientifique (Pollitt, 2000, 2002). Ces conséquences humaines auraient alors à leur tour un effet négatif sur les effets des réformes engagées en termes de performance (Noblet et Rodwell, 2009).

Si les discours sur l’impact délétère du NMP sont relativement répandus, il n’existe pas de recherche ayant tenté de mesurer le lien entre les changements liés au NMP et l’épuisement professionnel. Notre article se propose donc d’examiner précisément l’impact de ces évolutions sur l’épuisement professionnel, dans le cadre théorique des exigences-ressources au travail, qui considère que la souffrance est le résultat d’un accroissement des exigences et d’une perte de ressources (Demerouti, Bakker, Nachreiner and Schaufeli, 2001). Dans ce cadre, la mise en oeuvre de changements liés au NMP peut être analysée comme ayant des conséquences sur la charge de travail et le climat de violence psychologique, susceptible de favoriser une aggravation de l’épuisement professionnel.

Pour analyser cette relation, nous présentons les résultats d’une enquête menée dans une collectivité territoriale française centrée sur la perception par les agents de changements liés au NMP.

Dans un premier temps nous présentons le modèle de notre recherche et son ancrage théorique, puis nous présentons la méthodologie de la recherche avant d’exposer et discuter les principaux résultats.

L’impact du NMP sur la souffrance au travail[2]

Le NMP, de la réorganisation à la restructuration des organisations publiques

L’expansion du NMP

Dans la plupart des pays développés, les organisations publiques sont soumises à des injonctions destinées à faire évoluer leurs modes de fonctionnement, en lien avec l’adoption de pratiques rattachées au secteur privé. Le NMP est ainsi devenu un concept dominant en ce qui concerne la réforme des organisations publiques (Politt & Bouckaert, 2004). Bien qu’implanté depuis la fin des années 1970, ce mouvement a connu une diffusion longue et mondiale. Certes, ce mouvement est aujourd’hui largement interrogé (Pollitt, 2000). De nombreux chercheurs évoquent l’émergence potentielle d’une ère post-NMP. De nouveaux concepts émergent ainsi : la nouvelle gouvernance publique (Osborne, 2006), l’Etat néo wébérien (Cepiku et Meneguzzo, 2011) ou la Gouvernance de l’ère digitale (Dunleavy et al. 2006)… Malgré ce foisonnement conceptuel et les amendements dont il a pu faire l’objet dans les pays précurseurs, le NMP continue à se diffuser mondialement, notamment dans les pays qui y accèdent nouvellement (Diefenbach, 2009, Dunleavy et al. 2006), pays dont la France fait vraisemblablement partie (Desmarais, 2008; Huron, 2011).

Inspiré des théories du public choice qui mettent l’accent sur les effets pervers de l’intervention publique et considèrent que la solution aux problèmes sociaux réside plutôt dans le marché, ce mouvement a pris des figures très différentes d’un pays à l’autre. Il existe cependant des composantes majeures du NMP qui se retrouvent de manière systématique dans les réformes publiques et qui renvoient à la recherche d’une performance accrue, tant qualitative que quantitative (Politt, 2002). On peut ainsi estimer qu’il existe trois composantes majeures des réformes liées au NMP dont la recherche de performance constituerait un dénominateur commun :

  • Managerialisme. La recherche de performance s’articule dans un premier temps autour de la recherche d’une meilleure maîtrise du coût des actions publiques. Si la réduction drastique des moyens de l’action publique est le fait essentiellement des expériences les plus précoces en matière de NMP, la réduction des coûts demeure une dimension essentielle de ce mouvement. Directement issue de la théorie des choix publics (Niskanen, 1971), elle renvoie à l’idée que la recherche de performance peut être déconnectée des moyens alloués aux organisations publiques (Boyne, 2003). La recherche de réduction des moyens est donc une constante du NMP (Kirkpatrick et al., 2005) en lien avec l’orientation client (Diefenbach, 2009).

  • Responsabilisation. La recherche de performance est dans un second temps associée à la responsabilisation, ou l’accent sur la responsabilité des acteurs et des structures. Cet axe se traduit par la création de structures autonomes, redevables (accountability) de leurs actions et de leurs coûts, qui se prolonge par la recherche d’autonomisation des managers (Barberis, 1998). La responsabilisation renvoie ainsi à la généralisation dans les organisations publiques des pratiques de management par objectifs et de reporting.

  • Contractualisation. La recherche de performance associée au NMP renvoie également à la remise en question des reconfigurations organisationnelles. Si les organisations de petite et de grande taille ont été tour à tour valorisées comme source de performance publique (Boyne, 2003), la tendance actuelle renvoie davantage à l’insertion des organisations publiques dans des réseaux d’acteurs multiples, à travers par exemple les partenariats public/privé. Ainsi le NMP conduit-il à inclure l’action publique et le travail public dans des réseaux élargis de parties prenantes.

L’analyse de la littérature sur le NMP nous amène donc à considérer que celui-ci provoque des évolutions qui portent à la fois sur une mise en avant de la notion de contrôle des moyens et d’une évaluation de celle-ci, mais aussi sur la responsabilisation des acteurs et sur la prise en compte croissante des parties prenantes.

Ainsi délimité, le NMP soulève aujourd’hui autant de questions qu’il a prétendu en résoudre. De nombreux chercheurs remettent en cause l’efficacité réelle des dispositifs mis en place (Boyne, 2003, Diefenbach, 2009). La question des effets sur la santé au travail est ainsi une des dimensions essentielles des conséquences négatives associées au NMP.

La face cachée du NMP

Les organisations publiques sont concernées par une montée des risques psychosociaux, au même titre que le secteur privé. Certes, le thème y revêt une coloration spécifique, en raison de la tension existant dans les services publics entre la conception de l’Etat providence et les impératifs d’efficience qui deviennent prééminents. En effet, la question de la souffrance au travail revêt une dimension ambiguë dans le secteur public, dimension qui en fait un sujet potentiellement tabou dans le débat public. D’un côté, les salariés des organisations publiques peuvent se sentir privilégiés, étant à l’abri d’un certain nombre de pressions économiques et bénéficiant souvent d’une certaine sécurité de l’emploi. D’un autre côté, les organisations publiques sont souvent sommées d’être de bons employeurs. Certains pays ont fait de la nécessité d’être « un bon employeur » une règle juridique (c’est le cas pour la Nouvelle Zélande - State Sector Act 1988, § 56). En France, c’est plutôt le rôle substantiel de l’Etat dans les relations et négociations sociales qui fonde la représentation commune des organisations publiques comme devant être de bons employeurs[3]. Cette représentation n’a pas de fondements juridiques mais conditionne partiellement l’image et l’action des organisations publiques[4]. Il est clair qu’elle n’est pas toujours partagée, certaines représentations tendant à opposer bien être des fonctionnaires et satisfaction des clients/usagers (Dupuy, 1998). En conséquence de ces ambigüités et des enjeux complexes qu’elle soulève, la question de la souffrance au travail dans le secteur public apparait comme peu étudiée[5].

Par ailleurs, les recherches empiriques n’apportent pas de réponse claire à la question de l’ampleur de la souffrance au travail dans le secteur public, ce qui semble normal au regard du caractère contextuel des risques psychosociaux et de la diversité institutionnelle et organisationnelle du secteur public, tant entre les Etats qu’au sein d’un même pays. Ainsi, par exemple, une recherche conclut à une relative similitude des niveaux de stress dans les secteurs public et privé en Australie (Macklin et al., 2006), une étude au Luxembourg conclut à un niveau de stress significativement moindre chez les fonctionnaires et les ouvriers de l’Etat, tandis qu’une étude française (sondage ANACT/CSA, 2009) auprès d’un échantillon représentatif de 1000 salariés conclut à un niveau de stress significativement élevé dans le secteur public, les niveaux différenciés de stress entre secteurs étant reliés à des attentes différentes par rapport au travail. Par ailleurs selon Härenstam et al. (2004), en Suède, les changements organisationnels ont plus de conséquences humaines négatives dans le secteur public que dans le secteur privé.

Si les risques psychosociaux se manifestent différemment selon les contextes publics, en raison notamment de caractéristiques spécifiques des métiers exercés et des différences institutionnelles pouvant exister, il apparaît cependant que, dans la plupart des pays, le secteur public soit soumis à une montée des souffrances au travail en lien avec les transformations organisationnelles liées au NMP. En effet, les changements liés au NMP ont pu susciter des améliorations à certains niveaux mais ont également créé des effets négatifs ailleurs, ce qui se traduit notamment par des réductions de la qualité du service rendu, ou par la détérioration du bien être et de l’engagement des salariés (Pollitt, 2000, 2002, Pollitt et Bouckaert, 2004).

Ses effets sur la santé au travail soulèvent des questionnements croissants (Noblet et al., 2006b). En effet, le NMP impose de nouvelles exigences qui pèsent sur les employés publics (Noblet et al., 2006a, Mikkelsen et al., 2000). Ainsi certains travaux empiriques ont montré une élévation des conséquences négatives dans certains contextes dans lesquels des changements liés au NMP ont été introduits. On relève ainsi un impact sur l’élévation du stress (Korunka et al., 2003; Kirkpatrick et al., 2005, p. 176), sur l’insatisfaction au travail (Mikkelsen et al., 2000; Light, 2002; Soni 2004, Farnham, 2003) et la baisse de l’implication organisationnelle (Young et al., 1998). McDonough et al. (2008) ont montré que le contexte de NMP avait des conséquences sur le niveau de stress et la santé des employés. De la même manière, Korunga et al. (2003) ont montré l’impact négatif des modes de gestion inspirés du NMP sur les tensions qui pèsent sur les employés et leur fatigue.

Cependant, les travaux cités ne caractérisent pas réellement l’impact du NMP sur la santé au travail, mais se situent « en contexte de NMP », c’est-à-dire dans des organisations ayant connu des changements récents rattachés par les chercheurs à ce courant. En outre, les processus en oeuvre par lesquels le NMP peut produire des effets négatifs sur la santé des individus nécessitent une exploration complémentaire. Pour améliorer la compréhension des phénomènes qui font que les changements liés au NMP peuvent déboucher sur de l’épuisement professionnel, nous avons mobilisé le modèle « exigences ressources » de Demerouti, Bakker, Nachreiner et Schaufeli (2001).

La compréhension des effets du NMP dans le cadre d’un modèle exigences ressources

Les effets du NMP sur la santé au travail peuvent être appréhendés dans le cadre du modèle des exigences-ressources au travail (Demerouti, Bakker, Nachreiner and Schaufeli, 2001). Celui-ci considère que l’altération de la santé au travail est le résultat d’un déséquilibre entre des exigences excessives du travail et les ressources de l’individu concerné. Les exigences (par exemple charge de travail, pression temporelle, isolement, pression organisationnelle, demandes émotionnelles…) renvoient aux aspects physiques, organisationnels et sociaux du travail. Celles-ci requièrent des efforts soutenus (physiques, cognitifs et/ou émotionnels) et débouchent donc sur des coûts physiologiques et psychologiques. Inversement, les ressources dont disposent les individus (par exemple contrôle sur leur travail, sécurité de l’emploi, soutien social, récompenses…) leur permettent de réduire les effets des exigences du travail et leurs coûts associés (Schaufeli and Bakker, 2004).

La conception de la souffrance psychosociale comme le résultat d’un déséquilibre est largement développée par la littérature. « Le modèle exigences-ressources suppose que l’épuisement professionnel se développe quand les exigences professionnelles sont élevées et les ressources professionnelles limitées » (Edey Gamassou et Lourel, 2008). Quand les exigences du travail augmentent, des efforts compensatoires doivent être mobilisés par les agents afin de maintenir leur niveau de performance. Ces efforts complémentaires sont associés avec des coûts physiques et psychologiques. Ils drainent l’énergie des agents et peuvent déboucher sur de l’épuisement professionnel. En effet, l’épuisement professionnel ou burnout est la situation que rencontre un individu soumis à un épuisement à la fois physique, émotionnel et cognitif (Hobfoll & Shirom, 1993). Il est le résultat d’une situation dans laquelle l’employé est débordé, se sent usé par les pressions qu’il perçoit et incapable d’y faire face (Gil-Monte, Moreno et Neveu, 2006). L’épuisement professionnel est donc une pathologie dont l’origine se trouve essentiellement dans la situation professionnelle. Ce terme est apparu dans la littérature médicale américaine des années soixante-dix pour expliquer des situations dans lesquelles des professionnels très engagés s’effondraient subitement. Aujourd’hui plusieurs mesures du syndrome coexistent, ces mesures permettant d’évaluer un « niveau » d’épuisement professionnel.

La conceptualisation de l’épuisement professionnel est sensiblement différente pour chacune de ces mesures. La mesure la plus utilisée de l’épuisement professionnel est le Maslach Burnout Inventory (Maslach & Jackson, 1981) ou MBI (cette échelle représente 90 % du corpus de recherche selon Schaufeli et Enzmann, 1998). Basée sur trois dimensions, l’épuisement émotionnel, le sentiment de non réalisation de soi et la dépersonnalisation, cette mesure fait l’objet de critiques croissantes en ce qui concerne ses qualités psychométriques et la validité de ses dimensions (Lee & Ashforth, 1996). Le principal reproche à l’encontre de cette mesure est d’intégrer les éléments qui sont des conséquences et non des caractéristiques du burnout et notamment la dépersonnalisation qui est vue comme une stratégie de défense face à l’épuisement (Neveu et Sassi, 2010). De nombreuses mesures concurrentes se développent ainsi. Parmi celles-ci, le Shirom-Melamed Burnout Measure (Shirom & Melamed, 2006) ou SMBM s’organise autour de trois dimensions : la fatigue physique, l’épuisement émotionnel et la lassitude cognitive. Il s’agit d’une échelle courte (14 items), d’usage facile et fondée exclusivement sur des symptômes du burnout. La notion de fatigue physique reprend une des facette du burnout qui a été repérée cliniquement (Cherniss, 1980; Maslach, 1982) et intégrée dans certains instruments d’évaluation. La dimension d’épuisement émotionnel correspond à la notion la plus robuste du MBI (Lee et Ashforth, 1996) qui est commune à la plupart des autres mesures du burnout. Enfin, la troisième dimension, la lassitude cognitive, représente les difficultés ressenties par l’individu à se concentrer et à mobiliser efficacement ses capacités intellectuelles. Le SMBM est la seule mesure de l’épuisement professionnel à intégrer cette facette reconnue cliniquement comme fondamentale. Ainsi le SMBM s’articule autour des symptômes les plus importants de l’état d’usure professionnelle.

Le modèle exigences ressources permet ainsi de comprendre comment se développe l’épuisement professionnel à partir de l’élévation des exigences de travail et parallèlement de l’épuisement des ressources. Il permet de comprendre en quoi les changements liés au NMP affectent les exigences et les ressources qui concernent les individus dans les organisations publiques, ce qui a alors des conséquences sur leur santé.

L’impact des changements liés au NMP sur l’épuisement professionnel

Ainsi, dans le cadre théorique décrit ci avant, nous pouvons considérer que les changements liés au NMP produisent de nouvelles exigences qui contribuent à expliquer la hausse des niveaux d’épuisement professionnel.

Le NMP produit de nouvelles exigences…

Le NMP induit des changements qui affectent les exigences pesant sur les situations de travail. Parmi les six facteurs les plus fréquemment associés à l’épuisement professionnel selon la recension de Maslach (2006) (surcharge de travail, manque de contrôle, récompenses insuffisantes, relations interpersonnelles, manque de justice et conflits de valeurs), la surcharge de travail et la dégradation des relations interpersonnelles semblent les plus présentes en contexte de changements liés au NMP.

Les changements liés au NMP produisent de l’intensification du travail

L’injonction de « faire plus ou mieux avec moins », centrale dans les changements liés au NMP, exprime clairement l’idée d’intensification du travail. Il s’agit en effet de faire davantage avec des ressources (notamment humaines) moindres (Noblet et Rodwell, 2009). Ainsi, un certain nombre de travaux font explicitement le lien entre le NMP et l’extension de la charge de travail (Diefenbach, 2009; Butterfield et al., 2005), en lien avec une pression accrue et une extension des procédures (« red tape »).

Pour Kirkpatrick et al. (2005), les travailleurs sociaux consacrent un temps de plus en plus important aux tâches administratives et notamment à renseigner les systèmes d’information et de gestion. Hoggett et al. (2006) indiquent que le NMP conduit à une formalisation et une bureaucratisation de plus en plus forte qui augmente la charge de travail des agents concernés. De la même manière, Newman et Lawler (2009), montrent que les évolutions liées au NMP à l’hôpital augmentent d’une manière significative l’intensité du travail managérial et infirmier.

Il apparait ainsi que les changements liés au NMP produisent un alourdissement significatif de l’intensification du travail des agents publics. La mise sous tension des organisations publiques dépasse également la question du volume de la charge de travail des agents pour affecter le fonctionnement des collectifs de travail.

Les changements liés au NMP affectent les collectifs de travail et les relations interpersonnelles

Cette atteinte aux collectifs de travail passe à la fois par une dégradation des relations sociales, et par l’émergence de climats de travail délétères.

Louise Morley (2005) a ainsi mis en évidence ce phénomène dans les organisations d’enseignement supérieur. Les mesures liées au NMP conduisent à un climat de compétition qui affecte les relations sociales. C’est ainsi que dans le même contexte Warde, dès 1992 (cité par Morley, 2005) montrait, à la suite de ces mesures, une dégradation de la satisfaction au travail et un déclin de la collégialité. Ce constat a également été développé par Diefenbach (2009) qui souligne la dureté relationnelle induite par les changements associés au NMP. Margaret Vickers (2006) a également évoqué l’accroissement important des incivilités dans les relations interpersonnelles dans les services hospitaliers.

En ce qui concerne l’impact des changements liés au NMP sur les relations avec les usagers, le climat de violence psychologique est envisagé comme une contrainte qui affecte de manière accrue les personnels des services publics (Ginsbourger, 2008). Si dans l’esprit de beaucoup, ces violences sont associées à un phénomène social de montée des incivilités, un certain nombre d’analyses font cependant état d’un lien fort entre la modernisation des services publics et ces nouvelles formes de violence (Ginsbourger, 2008).

La violence sur le lieu de travail peut être appréhendée à travers un ensemble de concepts qui se recoupent mais connotent des formes de violence potentiellement différentes : agressivité, violence (bullying), conflits, harcèlement, comportements dysfonctionnels, ou climat de violences psychologiques (workplace incivility dans la littérature anglo-saxonne) (Sassi, 2011)[6]. Pour notre travail, le concept de climat de violence psychologique, qui inclut les formes larvées de violence, nous a semblé le plus à même de rendre compte de l’existence d’un climat de travail délétère. Celui-ci a été défini initialement par Andersson and Pearson (1999, p. 457) comme « un comportement déviant de faible intensité avec l’intention ambiguë de blesser une cible, en violation des normes de respect mutuel instaurées sur le lieu de travail ». Ce concept, plus large que le harcèlement moral et dépassant la justice interactionnelle (qui concerne le sentiment d’équité perçu par les salariés dans la manière dont ils sont traités par les niveaux hiérarchiques supérieurs) permet de rendre compte de manière globale des violences diffuses que peuvent subir les personnels d’une organisation, de la part de leurs collègues comme de la part des clients ou usagers. Les violences prises en compte ne sont pas nécessairement intentionnelles. Si elles sont d’une intensité moindre que le harcèlement, elles sont en revanche caractérisées par leur fréquence et leur présence dans la durée. Elles peuvent produire une spirale négative susceptible de déboucher sur des violences de plus forte intensité (Andersson and Pearson, 1999). Ces violences reposent sur la rupture délibérée des normes de conduites qui garantissent la qualité des interactions interpersonnelles. Les antécédents du climat de violence psychologique sont de deux types : il existe des antécédents individuels, les plus fréquemment étudiés, mais aussi des antécédents organisationnels. Ainsi, selon Andersson and Pearson (1999), parmi les causes de la montée des violences psychologiques se trouvent les pressions accrues à la productivité, les coupes budgétaires, les réorganisations et restructurations (Neuman et Baron, 1998).

Charge de travail accrue et climat de violence psychologique sont alors susceptibles d’avoir des effets accroissant les niveaux d’épuisement professionnel des agents publics confrontés aux changements liés au NMP.

… qui engendrent une hausse de l’épuisement professionnel

En effet, la charge de travail est l’un des antécédents les plus communément associés à l’épuisement professionnel (Malasch, 2006) et au stress (Karasek, 1979). Il existe un grand nombre de travaux associant la surcharge de travail à l’épuisement professionnel et notamment à la dimension de l’épuisement émotionnel. Une méta-analyse conduite par Lee et Ashforth (1996) a montré, qu’en moyenne, la surcharge de travail associée à la pression temporelle expliquait de 25 à 42 % de la variance de l’épuisement émotionnel (mesuré à travers le MBI).

En ce qui concerne le climat de violence psychologique, celui-ci est également lié à l’épuisement professionnel. « La détérioration des relations interpersonnelles au travail est la principale source de stress à partir de laquelle se développe le burnout » (Gil-Monte, Moreno et Neveu, 2006, p 272). Lim, Cortina et Magley (2008) ont montré que le climat de violence psychologique a pour caractéristique de produire des stresseurs continus qui ont des effets additionnels même s’ils ne sont pas de forte intensité. En conséquence, elles ont trouvé une relation significative entre le climat de violence psychologique et la mauvaise santé mentale des employés.

Il apparaît donc que les changements induits par le NMP sont susceptibles de produire une intensification de l’activité de travail et une dégradation des relations et des collectifs de travail qui eux-mêmes engendrent un épuisement professionnel des agents.

Le modèle

Nous avons retenu ici un ensemble de dimensions issues de l’analyse de la littérature.

Les changements liés au NMP sont envisagé comme affectant les exigences et les ressources de la situation de travail. Ils se caractérisent par trois dimensions : une augmentation du contrôle des moyens, une responsabilisation plus importante des acteurs et une prise en compte plus forte des parties prenantes.

Nous avons défini deux exigences exemplaires des effets du NMP : la charge de travail, élément significatif de l’intensification du travail et le climat de violence psychologique (ou incivilités), élément caractéristique de la dégradation des relations interpersonnelles dans l’organisation.

Nous avons mobilisé une ressource, le soutien social, traditionnellement considéré comme un modérateur des exigences du travail. En effet, la littérature conçoit le soutien social comme une des ressources majeures permettant aux acteurs de faire face aux risques psycho sociaux. Le soutien social a été ajouté en 1990 au modèle de Karasek (Karasek et Theorell, 1990). Selon la théorie de la préservation des ressources (Hobfoll et Shirom, 1993), les salariés qui peuvent se tourner vers un tiers affrontent les situations difficiles dans de meilleures conditions. Selon Hobfoll (2001) les ressources interpersonnelles sont pertinentes qu’elles soient de nature personnelle (amis, famille) ou professionnelle. En effet, les ressources liées à la vie personnelle peuvent se trouver menacées quand la situation de travail devient trop exigeante.

Trois types de soutien ont été évalués : le soutien de la hiérarchie, celui des collègues et le soutien de la famille et des amis. Ces soutiens sont à la fois envisagés dans leur dimension affective et émotionnelle et dans leur dimension instrumentale (aide et information apportée).

L’épuisement professionnel est la variable dépendante.

A l’issue de l’analyse de la littérature, le modèle de recherche est conforme à la figure 1.

Figure 1

Le modèle de recherche

Le modèle de recherche

-> Voir la liste des figures

Méthode

Le terrain

L’organisation dans laquelle cette étude a été menée est une collectivité territoriale importante, un département, qui compte 2723 agents. Les collectivités territoriales en France correspondent aux communes, départements, régions, collectivités à statut particulier et collectivités d’outre mer. En 1982-1983 les lois Deferre ont été à l’origine d’une première vague de décentralisation avec un allégement de la tutelle de l’Etat et l’autonomie de gestion des ressources. En 2005, l’acte II de la décentralisation s’est traduit par un élargissement des compétences décentralisées. Les départements ont été très largement concernés par ces transferts, ce qui a eu des conséquences importantes en termes de croissance des effectifs. Leurs missions sont diverses et tiennent aussi bien à l’action sociale qu’à l’entretien des routes ou aux fonctions logistiques (entretien, nettoyage, cuisine…) des collèges.

Le département dans lequel la recherche a été menée a ainsi vu ses effectifs doubler au cours des quatre dernières années.

L’équipe de recherche accompagne l’équipe de prévention des risques de cette organisation depuis la fin de l’année 2009. Plusieurs étapes ont permis de préparer cette étude :

  • fin 2009 et début 2010 : une analyse approfondie des documents internes a permis de mettre en évidence les principales exigences et ressources présentes dans cette organisation, cette analyse s’est également appuyée sur des entretiens avec les principaux acteurs de la prévention;

  • au printemps 2010, cette première analyse a été proposée et validée par l’ensemble des acteurs de la prévention (élus, DRH, équipe prévention, médecins du travail, assistantes sociales, représentants du personnel, élus de CHS…);

  • à l’automne 2010, un ensemble de rencontres avec ces acteurs ont débouché sur le constat de la nécessité d’une cartographie précise des conditions de travail dans la collectivité à travers un questionnaire diffusé auprès de l’ensemble des agents.

Le modèle de notre recherche est issu de la confrontation de l’analyse de la littérature et de la phase qualitative de notre recherche.

L’administration du questionnaire

Le questionnaire a été administré principalement par voie électronique (à l’aide de la technologie Sphinxonline), mais aussi par l’intermédiaire de questionnaires papier (envoyés à domicile par le service du personnel accompagné d’une enveloppe réponse à l’adresse de l’équipe de recherche) pour les agents ne disposant pas d’accès Internet qui sont de deux types : des personnels travaillant à la voirie et des personnels d’entretien et de service des collèges[7]. Trois relances ont été effectuées, la première par la DRH, la seconde par une organisation syndicale et la troisième par l’ensemble des acteurs (équipe prévention, DRH, médecins du travail, assistantes sociales, représentants du personnel au CHS, délégués du personnel et équipe de recherche).

Cette démarche a permis de collecter 1118 questionnaires exploitables (taux de retour de 41 %). L’engagement des agents dans les réponses a été très fort. En effet, au-delà de la durée moyenne consacrée au questionnaire (52 minutes en moyenne par voie électronique), plus de 870 agents ont renseigné les questions ouvertes textes (soit 77,8 % des répondants).

Les données ont été ensuite traitées à l’aide des logiciels SPSS (v. 16.0) et AMOS (v. 18.0).

Les mesures

Perception des changements liés au NMP

Nous avons créé une échelle pour appréhender la perception qu’ont les individus des changements de leur situation de travail liés au NMP. Le NMP se traduit au niveau macro par des reconfigurations organisationnelles majeures. Cependant, il a des implications au niveau micro dans la perception qu’ont les agents de l’évolution des conditions organisationnelles de leur activité. En effet, la perception individuelle des dimensions organisationnelles influence la construction que les individus font de la réalité (DiMaggio, 1987) et en conséquence les réponses aux exigences des situations de travail (Mikkelsen et al., 2000). Les trois dimensions majeures du NMP issues de l’analyse de la littérature peuvent ainsi avoir une traduction au niveau individuel. L’échelle est donc construite à partir de ces trois dimensions : l’accent mis sur les coûts (ex : « Les contraintes budgétaires prennent une place de plus en plus importante »), la responsabilisation des acteurs (ex : « La responsabilité personnelle de chacun est de plus en plus engagée ») et la prise en compte des parties prenantes (ex : « Nous travaillons quotidiennement avec des interlocuteurs de plus en plus nombreux »). Cette mesure a donné lieu à une analyse factorielle exploratoire suivie par une analyse factorielle confirmatoire dont les résultats sont présentés ci-après.

Soutien social

Le soutien social est traditionnellement divisé en deux catégories : soutien personnel (familles, amis) et soutien professionnel (soutien des collègues et soutien de la hiérarchie). Nous avons étendu cette mesure au soutien des représentants du personnel. Trois dimensions sont mobilisées ici : le soutien des collègues (2 items), celui des représentants syndicaux (3 items) et le soutien social amical et familial (2 items). Les échelles utilisées sont adaptées de Pinneau (1976).

Climat de violence psychologique

Le climat de violence psychologique est évalué à travers l’échelle d’incivilité de Cortina, Magley, Williams et Langhout, (2001). Une analyse factorielle confirmatoire nous a amenés à conserver quatre des sept items (ex : « On a montré peu d’attention à ce que vous dites ou peu d’intérêt pour votre opinion »), les trois autres ayant des qualités de représentation faibles.

Charge de travail

La charge de travail est mesurée à travers trois items adaptés de l’échelle de Caplan, Cobb and French (1975).

Épuisement professionnel

L’épuisement professionnel, ou burnout est évalué ici avec le SMBM (Shirom Melamed Burnout Measure) (Shirom, A., 1989; Hobfoll & Shirom, 1993, échelle traduite en français par Sassi et Neveu, 2010). A l’issue d’une analyse factorielle confirmatoire, les trois dimensions de l’outil de mesure ont été retenues : la fatigue physique (ex : « Je me sens épuisé(e) »), la lassitude cognitive (ex : « Je peine à réfléchir rapidement ») et l’épuisement émotionnel (ex : « Je me sens incapable d’être proche de mes collègues ») pour construire la variable latente d’épuisement professionnel conformément à la littérature. Nous avons ici retenu huit items extraits de cet outil.

Tableau 1

Matrice des corrélations

Matrice des corrélations

-> Voir la liste des tableaux

Les analyses

La méthode par équations structurelles a été mobilisée dans cette analyse avec le logiciel AMOS 18, afin d’évaluer la qualité d’ajustement du modèle d’émergence de l’épuisement professionnel du fait des évolutions du management public aux données collectées. Il s’agissait de vérifier que les relations entre les variables latentes de ce modèle sont significatives. Avant de mobiliser cette méthode, nous avons réalisé un ensemble d’analyses préliminaires : des analyses en composantes principales ont été utilisées pour tester la dimensionnalité et l’homogénéité des échelles de mesure de chaque variable latente du modèle, puis des analyses factorielles confirmatoires ont été menées pour vérifier la validité et la fiabilité des variable latentes (rhô de Jöreskog) et l’ajustement du modèle de mesure de chacune d’entre-elles aux données empiriques (voir tableau 2).

Tableau 2

Synthèse des indices d’ajustement, de fiabilité et de validité des mesures

Synthèse des indices d’ajustement, de fiabilité et de validité des mesures

-> Voir la liste des tableaux

Résultats

Les résultats que nous présentons portent à la fois sur la validation de l’outil de mesure retenu pour évaluer la perception des différentes dimensions du NMP (3.1.), sur l’impact de ces changements sur l’organisation (3.2.) et sur le test de l’impact du NMP sur les exigences et les ressources et sur l’épuisement professionnel des agents (3.3.)

Analyse factorielle exploratoire

Une analyse factorielle exploratoire a été utilisée pour déterminer les facteurs constitutifs de la perception des différentes dimensions du NMP par les agents. Aussi bien le test d’adéquation de Kaiser Myer et Olkin (0,738) que le test de sphéricité de Bartlett (χ221 : 1314.71, p < .000) indiquent que la matrice de corrélation est factorisable (Hair, Anderson, Tatham, & Black, 1998).

Tableau 3

Matrice des composantes après rotation varimax (avec normalisation de kaiser)[8]

Matrice des composantes après rotation varimax (avec normalisation de kaiser)8

-> Voir la liste des tableaux

L’analyse factorielle exploratoire sur les huit dimensions de notre construit de perception du NMP permet de dégager trois dimensions après rotation varimax et élimination d’un item. Ces trois dimensions correspondent à celles ayant présidé à la construction théorique du construit.

Tableau 4

Perception des changements liés au NMP

Perception des changements liés au NMP

-> Voir la liste des tableaux

Les trois facteurs expliquent 70,5 % de la variance totale. Le premier facteur correspond à la dimension de contrôle des moyens, la seconde à la responsabilisation des acteurs et la troisième à la prise en compte des parties prenantes. L’analyse factorielle confirmatoire sous AMOS a conduit à éliminer un item supplémentaire.

Une organisation soumise de manière différenciée aux logiques managériales du NMP

L’analyse des différentes modalités des changements appartenant à la logique du Nouveau Management publique conduit à constater l’importance de leur impact sur les services concernés.

C’est en effet, plus de la moitié des agents qui se sentent affectés par ces évolutions managériales.

Cependant, elles n’affectent pas de la même manière les différents services de cette organisation, montrant par là, que même si les changements en question sont de nature managériale et organisationnelle, ils n’ont pas les mêmes effets sur les agents selon le service auquel ils appartiennent.

Si le service de l’action sociale est exposé à l’ensemble de ces changements, en revanche le service voirie semble plutôt concerné par une augmentation du contrôle des moyens et de la responsabilisation alors que l’administration est confrontée à une complexification des relations avec les différentes parties prenantes. La situation du service de l’éducation, moins que les autres soumis aux contraintes externes est liée à la fois aux métiers concernés (cuisine, ménage…), mais aussi à l’incorporation encore récente de ces agents dans la collectivité. Le cas de la Direction Générale des Services souligne ici l’écart qui peut exister entre les perceptions des conditions de travail de la hiérarchie à travers leur environnement immédiat et la réalité des conditions de travail des différents services.

Une compréhension de l’impact du NMP sur l’épuisement professionnel

Pour évaluer l’impact du NMP sur l’émergence de difficultés psychosociales, nous avons testé le modèle suivant : les évolutions du NMP produisent des effets sur l’accroissement de la charge de travail, les violences psychologiques et nuisent au soutien social, ce qui a des conséquences sur le niveau d’épuisement professionnel (figure 1).

  • L’évaluation du modèle de recherche montre un bon ajustement aux données collectées, les valeurs des différents indices d’ajustement correspondant aux normes communément admises ( ²/ddl = 2.565, GFI = 0.935 et AGFI = 0.920, RMSEA = 0.042, TLI = 0,953, CFI = 0,959).

L’analyse par équations structurelles produit les résultats suivants :

Tableau 5

Moyenne de la perception des changements liés au NMP selon le service d’affectation[9]

Moyenne de la perception des changements liés au NMP selon le service d’affectation9

-> Voir la liste des tableaux

Figure 2

Le modèle de recherche validé (Seuls les liens significatifs à un seuil de p <,000 ont été retenus)

Le modèle de recherche validé (Seuls les liens significatifs à un seuil de p <,000 ont été retenus)

-> Voir la liste des figures

C’est ainsi que notre hypothèse de départ d’une influence des modalités du NMP sur les exigences et donc sur l’épuisement professionnel est confirmée. En revanche, le NMP ne semble pas posséder d’impact sur les différentes dimensions du soutien social qui contribuent à limiter le climat de violence psychologique.

Ainsi, si le NMP ne produit pas en soi de l’épuisement professionnel, il participe du phénomène de dégradation des conditions de travail. Le NPM agit sur le burnout par l’intermédiaire de la charge de travail et de l’augmentation du climat de violences psychologique.

En ce qui concerne le soutien social, il a bien un rôle modérateur, mais pas dans toutes ses composantes. Le soutien des représentants du personnel ne possède aucun impact. Celui des collègues contribue à limiter le climat de violence psychologique. En revanche, le rôle du soutien personnel (amical et familial) semble contribuer négativement (bien que faiblement) à la perception du climat de violence psychologique. Ce résultat, non-conforme au modélisations issues de la littérature, doit être discuté.

Discussion

Cette analyse a permis de montrer l’impact des différentes dimensions du NMP sur les exigences qui affectent les agents de l’organisation concernée.

Si l’idée que les exigences liées au NMP pèsent sur les agents est souvent exprimée dans la littérature, ce travail permet d’apporter des éléments de validation empirique précis. On observe ainsi que le NMP constitue un levier de l’intensification du travail dans les services publics. Les appels à faire plus ou mieux avec moins, qui sont emblématique de l’approche de la performance dans le management public contemporain, trouvent leur conséquence logique dans l’élévation des risques psychosociaux dans les organisations publiques. En effet, de nombreux travaux ont fait le lien entre intensification et dégradation des conditions de travail (Gollac et Volkoff, 1996; Green, 2001; Cartron et Gollac, 2003). Par ailleurs les conséquences de l’intensification sur les performances effectives des organisations posent également question. En voulant améliorer la performance de ces organisations, les changements liés au NMP produisent des effets négatifs sur l’efficacité, en raison d’une hausse de l’épuisement professionnel dont les effets négatifs sur l’absentéisme, la santé des employés et le turn-over ont été largement démontrés. Dans le contexte actuel de pressions économiques fortes qui pèsent sur les secteurs publics en raison de la crise des dettes souveraines, on peut donc se demander si le management des organisations publiques ne devrait pas plutôt développer des méthodes pour accompagner les acteurs à faire moins avec moins !

Les résultats de cette recherche confirment par ailleurs l’existence d’un lien entre la perception des changements liés au NMP et le climat de violence psychologique. Ce résultat confirme l’importance des antécédents organisationnels et institutionnels de la violence interpersonnelle dans les organisations. Les violences interpersonnelles sont souvent considérées, du moins par les acteurs, comme étant essentiellement des comportements déviants liés aux caractéristiques personnelles des individus (Arthur, 2011). Cependant un certain nombre de travaux soulignent l’existence d’antécédents organisationnels et managériaux de ces comportements. Ainsi selon Johnson et Indvik (2001), la hausse du climat de violence psychologique peut résulter d’une organisation du travail insuffisante et de changements organisationnels qui se traduisent par une augmentation des pressions. Jeffrey B. Arthur (2011) a montré empiriquement que le contexte organisationnel a une influence sur le climat de violence : un contexte caractérisé par des systèmes RH focalisés sur un plus grand usage des marchés internes et une autonomie des équipes est associé à une moindre perception de violences psychologiques. On peut donc émettre l’hypothèse que les changements induits par le NMP ont affecté, d’une manière importante, les modes de régulation du travail, remettant probablement en cause le fonctionnement des collectifs de travail. Ce constat rejoint les analyses réalisées par Davezies (2007) selon qui l’intensification a trois conséquences majeures : l’impossibilité pour les salariés de maintenir un travail de qualité, l’émergence et l’accroissement des conflits interpersonnels et des atteintes à la santé (TMS, accidents du travail et aspects psychosociaux). Si le lien entre agressivité interpersonnelle ou climat de violence psychologique a été établi par un certain nombre de recherches (Vigoda, 2002; Marcus et Shuler, 2004), le sens de la causalité fait encore discussion, certaines analyses estimant que les états de stress ou de burnout produisent les comportements agressifs sur le lieu de travail, d’autres mettant l’accent sur la causalité inverse. Quoi qu’il en soit, il va de soi que le climat de violence psychologique et les états de burnout interagissent de manière négative et que ces interactions conduisent à aggraver les deux dimensions.

Si les résultats de notre recherche confortent les analyses issues de la littérature dans leur grande majorité, en revanche, ils posent question en ce qui concerne la structure et le rôle du soutien social. Contrairement aux résultats obtenus par Noblet et Rodwell (2009), dans le terrain que nous avons analysé, les changements liés au NMP n’affectent pas le soutien social. Ce dernier en revanche a un effet significatif sur les limitations de la violence psychologique. Cependant, l’impact de ce soutien n’est pas univoque et il semble même que certaines formes de soutien renforcent la perception de violence psychologique alors que d’autres la limitent. De la même manière, il convient de noter que les représentants du personnel ne constituent pas un soutien, et surtout, élément plus contre intuitif, que le soutien amical et familial affecte négativement la perception d’un climat de violence psychologique. Ce constat rejoint les analyses des chercheurs qui montrent que le soutien social n’intervient pas systématiquement comme modérateur des tensions au travail (Beehr et al. 2010). Beehr et al. (2003) évoquent ainsi le caractère énigmatique du soutien social. Dans de nombreux cas le soutien social allège les tensions, notamment en renforçant l’image positive d’eux même que construisent les individus. Pour des agents confrontés à des violences interpersonnelles, il existe ainsi une menace à l’égard de l’image de soi. Le soutien social est à même de conforter les personnes dans leur image. Dans la période récente le rôle des relations interpersonnelles a ainsi été massivement en avant comme facteur atténuant l’impact des stresseurs. Cependant, un certain nombre de recherches ont observé depuis longtemps que le soutien social pouvait également avoir un effet neutre, voire négatif (Kaufmann et Beehr, 1986). Sassi (2011) réalise le même constat en ce qui concerne le rôle modérateur négatif du soutien exercé par la famille dans la relation entre un ensemble d’exigences professionnelles et le burnout. En effet, certaines interactions peuvent avoir l’effet de mettre l’accent sur les tensions de la situation de travail et de faire prendre conscience aux individus de ces situations, davantage qu’ils ne l’auraient fait spontanément (Beehr et al. 2010). Les individus construisent leurs représentations de leur environnement à travers leurs interactions sociales. Les conversations sur les difficultés, si elles constituent un soutien dans les cas où il existe une réelle prise de conscience de ces difficultés (comme dans le cadre thérapeutique), peuvent avoir un effet délétère dans le cas inverse. Il peut y avoir une accentuation des émotions négatives quand elles sont exprimées auprès de proches qui, contrairement aux collègues et au supérieur hiérarchique, n’ont aucune prise sur la situation de travail. Par ailleurs Martin et Dahlen (2005) ont montré l’existence d’une forte corrélation entre rumination des émotions et stress.

Conclusion

Les résultats que nous avons présentés confortent l’idée d’une « face cachée » du NMP, notamment en ce qui concerne ses effets sur la souffrance au travail. Cette face cachée mine au moins partiellement les résultats des changements organisationnels liés au NMP en termes d’efficacité. Ainsi, il semble indispensable que le management prenne conscience de ces effets et mette en place des dispositifs destinés à pallier les principaux problèmes soulevés. Le management public, focalisé sur l’efficacité, les changements organisationnels et les outils, gagnera à prendre en compte les enjeux humains des changements engagés.

C’est donc désormais le rôle des dirigeants de l’organisation et des managers qu’il convient d’interroger. Leur intervention est nécessaire pour faciliter le soutien social interne qui permet de modérer les conséquences de conditions de travail dégradées. De plus, leur attention doit également porter, en amont, sur les conditions et modalités de mise en oeuvre des changements organisationnels qui par nature, affecte profondément les conditions d’exercice de l’activité de travail.