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Dans les recherches sur le sujet du Conseil d’Administration (CA), une littérature abondante s’est intéressée à l’étude du lien systématique entre la composition du CA et la performance financière des entreprises (Pugliese et al., 2009; Minichilli et al., 2009, Napoli, 2012; Nekhili et Gatfaoui, 2012). Les résultats de ces études sont souvent mitigés et peu concluants (Charreaux, 2000; Heracleous, 2001; Pye et Camm, 2003; Ravasi et Zattoni, 2006). Certains auteurs, à l’instar de Pettigrew (1992), expliquent que ce lien ne peut fournir une explication du processus et des mécanismes qui lient vraisemblablement les inputs aux outputs (Schilpzand et Martins, 2010). Dans le but de faire progresser nos connaissances sur le sujet, nous nous sommes intéressés à mieux comprendre comment le CA agit dans le développement de la stratégie (Pettigrew, 1992, p. 171; Forbes et Milliken, 1999, p. 489) et par conséquent sur la performance de l’entreprise.

Les travaux sur l’implication du CA dans les processus de formulation, d’implémentation ou de contrôle stratégique restent rares (Roberts et al., 2005; Karoui, 2009; Pugliese et al., 2009; Zhang, 2010). Sur le plan des relations de causalité, bon nombre de chercheurs estiment que les études sur ce phénomène manquent encore d’explications et de modèles conceptuels satisfaisants (Pye et Camm, 2003; Huse, 2005 et 2007). Un nouveau concept émerge donc de la littérature empirique (Pugliese et al., 2009), et fait apparaître la nécessité de présenter des études approfondies de terrain sur l’implication du CA afin d’enrichir la compréhension de ce phénomène. Notre contribution s’inscrit dans cet objectif. Elle devrait permettre de mieux cerner l’impact du CA sur la performance de l’entreprise.

La multiplicité des réformes et publications des codes de bonne conduite, l’évolution du cadre juridique et institutionnel, ainsi que la rareté des travaux empiriques, rendent le contexte français extrêmement intéressant pour effectuer une telle étude. En effet, l’étude du capitalisme français présente un intérêt particulier en ce sens qu’il a été, au cours de son évolution, le théâtre privilégié de réformes sensées en améliorer son fonctionnement. Notre travail consiste à comprendre dans quelle mesure cette instance de gouvernance hautement stratégique que représente le CA pour l’entreprise aurait intérêt à se transformer en redéfinissant le rôle des actionnaires, administrateurs et managers. Pour y parvenir, il nous faut montrer en quoi ces éléments de gouvernance, reflet de l’évolution sociale de nos sociétés, constituent un facteur de performance pour nos entreprises.

Nous avons réalisé, pour ce faire, une étude empirique par questionnaire de recherche adressé aux administrateurs et dirigeants des entreprises du SBF 250 ayant un CA. L’échantillon regroupe 56 observations, soit un taux de réponse de 27,6 %. Les résultats montrent que l’efficacité des interventions du CA dans le processus stratégique n’est pas homogène. En effet, l’implication des administrateurs dans l’étape d’initiation stratégique représente souvent une source de création de valeur, tandis que leur implication dans les étapes de mise en oeuvre et de contrôle semble avoir un effet plutôt contreproductif.

Le papier est structuré en trois parties. La première présente le cadre théorique et l’hypothèse de recherche. La seconde présente l’étude empirique, nos résultats de recherche étant discutés dans la dernière partie.

Cadre théorique et hypothèse de recherche

La performance de l’entreprise est le résultat des efforts des différentes parties prenantes de l’entreprise (Zahra et Pearce, 1989). Etant donné que les membres du CA sont chargés essentiellement des questions stratégiques en termes de prise de décision ou de contrôle, ils sont directement impliqués dans la définition et l’évaluation de la performance de l’entreprise à long terme (Westphal et al., 2005). L’efficacité de fonctionnement du CA pourrait donc contribuer à l’améliorer (Pfeffer, 1972 et 1973; Andrews, 1980; Fama et Jensen, 1983; Pettigrew, 1992; Charreaux et Wirtz, 2006; Huse, 2007, Zhang, 2010). Partant, plusieurs champs théoriques abordent la question.

Cadre théorique : deux approches théoriques du rôle du CA

Du point de vue théorique, les limites de l’approche dominante de la gouvernance, particulièrement la théorie de l’agence (Fama et Jensen, 1983), et la contradiction des résultats à propos du lien entre les bonnes pratiques de la gouvernance et la performance des entreprises ont poussé plusieurs chercheurs à mobiliser des modèles théoriques alternatifs à l’instar de la perspective cognitive (Rindova, 1999; Wirtz, 2011). En effet, nous assistons ces dix dernières années à l’émergence d’un courant de littérature propre au phénomène de l’implication du CA dans la stratégie d’entreprise.

La théorie de l’agence présente la stratégie comme un processus en quatre étapes : initiation, ratification, mise en oeuvre et surveillance (Fama et Jensen, 1983, p. 303). Tandis que les dirigeants sont entièrement responsables de l’établissement et la mise en oeuvre des décisions stratégiques, le rôle du CA se limite à la ratification des décisions et à la surveillance des dirigeants. Le modèle suggère la séparation entre la fonction de gestion des décisions (décisionmanagement) et celle de contrôle des décisions (décision control) et de les confier à des acteurs différents afin de maximiser la réduction des coûts d’agence et de protéger les intérêts des actionnaires (Stiles et Taylor, 2001). Ainsi, les dirigeants prennent la responsabilité de gestion des décisions et le CA prend celle de contrôle des décisions. En effet, la séparation des fonctions pourrait agir comme un frein à l’opportunisme des dirigeants et donc comme un outil de maximisation de la valeur créée (Wirtz, 2008). Malgré la dominance de ce modèle dans les recherches en gouvernance des entreprises depuis plusieurs années, il présente certaines limites dans l’explication du fonctionnement du CA. Par exemple, il ne reconnait pas la contribution du CA dans l’initiation et la formulation des décisions stratégiques. Il ignore l’influence du dynamisme du conseil sur la qualité du processus décisionnel et réduit sa composition en ses caractéristiques démographiques.

La perspective cognitive s’intéresse, quant à elle, à la dimension stratégique de la création de valeur, particulièrement au rôle du CA dans la création des nouvelles opportunités de développement (Wirtz, 2008). Pour ce courant qui a pris de plus en plus d’ampleur dans les recherches sur ce thème, l’entreprise est considérée comme un répertoire des compétences clés (Rouby, 2008). L’analyse de la valeur créée devrait être comprise non seulement en termes de coûts d’agence mais également en termes d’apprentissage organisationnel et de développement des nouvelles opportunités. Dans ce cadre, le CA s’apparente donc à un organe dont le rôle cognitif s’avère crucial dans l’établissement des choix stratégiques (Rindova, 1999; McNulty et Pettigrew, 1999; Forbes et Milliken, 1999). Le CA peut, en effet, soutenir l’imagination du management, stimuler la créativité et le processus d’innovation. Il contribue à la recherche de nouvelles opportunités et alternatives stratégiques (Andrews, 1980). La collaboration mutuelle entre les administrateurs et le Directeur Général dans la formulation et la mise en oeuvre de la stratégie est très importante pour assurer une contribution stratégique efficace du CA (Zahra, 1990, Sciascia et al., 2013). Une telle implication permettrait d’avoir des dirigeants plus efficaces, d’aider à développer de meilleures stratégies et, par conséquent, de réaliser des niveaux plus élevés de performance de long terme (Pye et Pettigrew, 2005; Zhang, 2010; Wirtz, 2011; Bammens et al., 2011).

Malgré la divergence des deux approches théoriques, il est important de noter leur complémentarité dans l’interprétation de la contribution du CA au processus stratégique. Tandis que la théorie de l’agence accorde au CA exclusivement le rôle de contrôle des décisions (ratification et surveillance), la perspective cognitive met en exergue la contribution du CA dans l’initiation stratégique. De plus, l’approche contractuelle insiste sur le rôle de compétences pour une contribution efficace des acteurs décisionnels à la création de valeur, sans expliquer l’origine de ces compétences génératrices de valeur. Les partisans de la perspective cognitive s’intéressent plutôt à expliquer le rôle joué par les connaissances et les phénomènes d’apprentissage individuels et collectifs dans la création de valeur. Dans une logique partenariale élargie, toute entreprise a intérêt à reconnaître que maximiser sa fonction de valeur nécessite l’identification d’un équilibre au niveau de satisfaction des intérêts respectifs de ses parties prenantes (Jensen, 2001; Wirtz, 2008). Afin d’assurer une meilleure performance à long terme, la maximisation de la fonction de valeur prend donc en compte non seulement les considérations disciplinaires mais également des dimensions cognitives.

Littérature sur l’implication stratégique du CA et hypothèse de recherche

La notion d’implication est largement étudiée dans différentes disciplines de recherche telles que la gestion des ressources humaines, le marketing et la psychologie sociale. Sa définition suscite un débat académique important en sciences de gestion depuis plusieurs années. Le mot « implication » est utilisé pour désigner la motivation, l’engagement ou encore la participation active au travail (François-Philip Boisserolles, 2005).

En gouvernance d’entreprise, son utilisation est assez récente et limitée (Pugliese et al., 2009). Dans les recherches sur le CA, l’implication est étroitement liée au processus stratégique et ne peut pas être analysée d’une manière séparée (Pettigrew, 1992; Rindova, 1999; McNulty et Pettigrew, 1999). En effet, Rindova souligne qu’elle représente le « comment » (how), et le processus stratégique le « quoi » (what). Il s’agit d’un processus cognitif qui indique la participation formelle et informelle, individuelle et collective des administrateurs dans un ensemble d’activités relevant de leur responsabilité de service, d’aide stratégique et de contrôle, durant le processus stratégique (Huse 2007; Pugliese et al., 2009; Ghaya, 2013). Ainsi, certains auteurs proposent un ensemble de formes d’implication stratégique du CA. Par exemple, Demb et Neubauer (1992) distinguent entre trois formes : le « Watchdog » (ou CA gardien : implication prononcée dans les étapes de contrôle et d’évaluation), le « Trustee » (ou CA consensuel : participation dans le renforcement des activités de l’entreprise) et le « Pilot » (ou CA directif : participation dans l’orientation de la politique générale de l’entreprise). McNulty et Pettigrew (1999) présentent trois principaux processus de la stratégie : le choix, le changement et le contrôle. Selon le niveau d’intervention du CA, ils proposent trois modes d’implication stratégique : l’implication dans la prise des décisions (« taking decisions »), l’implication dans l’élaboration des décisions stratégiques (« shaping decisions ») et l’implication dans l’établissement du contenu, du contexte et de la conduite générale de la stratégie (« shaping the content, context and conduct of strategy »).

Les travaux empiriques mettant en relation directe l’implication du CA avec la performance de l’entreprise sont extrêmement rares. L’étude de Judge et Zeithaml (1992) est la première à établir directement ce lien. Elle porte sur un échantillon de 42 entreprises américaines parmi les Fortune 500. Ce travail montre que la participation du CA à la prise des décisions stratégiques est positivement liée à la performance financière (mesurée par le ROA moyen sur la période de 1985 à 1989) et à l’âge de l’entreprise. L’implication du CA est mesurée par l’intervention ou non du conseil dans les étapes de formulation et d’évaluation des décisions.

Sans évoquer directement l’implication du CA dans les étapes du processus stratégique, Pearce et Zahra (1991) proposent une typologie des CA en fonction de leur attitude décisionnelle. Ils distinguent entre le CA participatif (qui participe pleinement à la prise de décisions), le CA proactif (qui assure ses fonctions juridiques tout en étant renforcé par un actionnariat actif), le CA gardien (un CA sans pouvoir effectif sur la prise de décisions) et le CA statutaire (qui reflète l’image d’un CA fictif). Il s’agit d’une étude par entretiens menés avec des PDG, administrateurs ou dirigeants dans 72 entreprises américaines parmi les Fortune 500. La performance financière est mesurée par le résultat moyen des trois dernières années (1988-1990). Les résultats de cette étude montrent que le CA participatif est associé au niveau de performance le plus élevé. Il est suivi par le CA proactif, avec ensuite, et à parts égales, le CA gardien et le CA statutaire. Même si l’étude n’évoque pas directement les activités stratégiques que le CA devrait assurer, ces résultats montrent indirectement que plus le CA est impliqué dans le processus stratégique plus il contribue à améliorer la performance financière de l’entreprise. Récemment, Siciliano (2005) confirme ces résultats dans une étude sur un échantillon des établissements de crédit américain. En s’inspirant de l’étude de Judge et Zeithaml (1992), l’auteur établit le lien entre l’implication du CA dans la prise des décisions stratégiques et la performance financière (mesurée par le score moyen d’un ensemble d’indicateurs financiers). Nous proposons, donc, l’hypothèse de recherche suivante :

Hypothèse : l’implication du CA dans les différentes phases du processus stratégique (initiation, mise en oeuvre et contrôle) influence positivement la performance de l’entreprise.

Etude empirique et résultats de recherche

Dans cette section, nous présentons la procédure de collecte des données, la démarche empirique suivie ainsi que l’analyse des résultats de recherche.

Echantillon et procédure de collecte de données

Nous menons une étude par questionnaire pour tester notre hypothèse de recherche. Lorsque la littérature ne présente pas d’échelle de mesure spécifique au concept et au terrain de l’étude, le chercheur est amené à élaborer des échelles en suivant des méthodes scientifiques rigoureuses afin de s’assurer de la représentativité, validité et fiabilité des mesures.

Le processus de construction et de test du questionnaire regroupe trois principales étapes :

  • Phase 1 : Elaboration du questionnaire. Elle consiste à élaborer une version initiale du questionnaire sur la base d’une revue de littérature approfondie ainsi qu’un ensemble d’entretiens[1] semi-directifs conduits auprès de onze dirigeants et administrateurs de différentes entreprises françaises. Le guide d’entretien est composé d’un ensemble de questions ouvertes sur les fonctions du CA dans l’entreprise, son rôle dans la stratégie, les facteurs déterminants de l’implication du CA, et sur la performance de l’entreprise. Une première version du questionnaire a ainsi été élaborée.

  • Phase 2 : Pré-test. Nous avons procédé à un pré-test de cette version lors de la soirée de rentrée du MEDEF[2] Bas-Rhin le 27 octobre 2011, auprès de dix-huit chefs d’entreprise. Les commentaires reçus nous ont aidés à améliorer le questionnaire en clarifiant certaines questions.

  • Phase 3 : Test final. Le questionnaire amélioré a été envoyé à 2500 entreprises françaises sélectionnées sur la base Compass. Le questionnaire a été saisi à l’aide du logiciel d’enquête en ligne le Sphinx. A l’issue de cet envoi, nous avons reçu quatre réponses. Malgré ce faible taux de réponse, les participants ont tous approuvé la clarté et la pertinence des questions de cette version finale[3].

Faisant suite à ce processus, nous avons procédé à l’envoi à grande échelle et la collecte de données.

Nous avons visé les CA des entreprises du SBF 250 ayant un CA, soit 203 entreprises. La première étape d’envoi à grande échelle a été réalisée par voie postale tout au long du mois de janvier et jusqu’à mi-février 2012. Le courrier contenait une fiche expliquant l’étude et ses apports, une lettre sur la confidentialité des données et l’intérêt de l’étude pour le répondant, ainsi qu’un exemplaire du questionnaire. Nous notons que pour chaque entreprise, l’envoi était double (soit à l’attention du PDG et à un autre membre du CA, soit à l’attention du DG et du Président de l’entreprise). Ensuite, une relance par courrier a été effectuée au cours de la deuxième quinzaine de février et au début du mois de mars 2012 pour les entreprises n’ayant pas répondu (ni positivement ni négativement), soit 37 entreprises. Toutefois, aucune entreprise relancée n’a réagi à nos courriers.

Au total, nous avons reçu -64 réponses dont 56 exploitables, soit un taux de réponse de 27,6 %. Ce taux représentatif de la population des entreprises contactées est satisfaisant pour appliquer l’étude empirique.

Les entreprises de l’échantillon ont une moyenne d’âge de 60 ans, un chiffre d’affaires moyen de 5 821 millions d’Euros, et un effectif total moyen de 25070 salariés. Les participants occupent des fonctions différentes et sont répartis comme suit : 12 % occupent la fonction de Président du CA; 22,5 % sont des PDG; 17,3 % sont des DG; 8,6 % sont des administrateurs, et 39 % occupent la fonction de secrétaire général ou de responsable juridique.

Variables de l’étude

Cette étude établit le lien entre deux concepts clés : la performance de l’entreprise et l’implication du CA dans le processus stratégique.

La performance de l’entreprise

Généralement, ce sont les indicateurs financiers qui sont utilisés dans le cadre des recherches en finance et en gouvernance pour mesurer la performance. L’objectivité des indicateurs et la facilité d’accès aux données représentent les principaux arguments d’utilisation de ces mesures. Les données d’ordres économique et social sont beaucoup plus difficiles à récupérer car elles sont soit totalement inaccessibles, soit très coûteuses (Hafsi et Turgut, 2013). Parmi les solutions proposées, l’une consiste à recourir à l’évaluation de la performance par les responsables des entreprises (Gauzente, 2000). L’objectif de l’étude de Gauzente est de démontrer la convergence entre les indicateurs objectifs (principalement financiers) et les indicateurs subjectifs (qualitatifs) de la performance dans le contexte français. Elle propose cinq indicateurs subjectifs présentés dans le tableau 1 suivant.

Dans son étude, l’auteur propose une échelle de cinq items qui représentent les cinq indicateurs subjectifs du tableau ci-dessus et qui indiquent le degré de réalisation des objectifs stratégiques, le degré de maîtrise des coûts, le niveau de sérénité du climat social, la position de l’entreprise sur son marché et son espérance de survie à long et moyen terme. Les données sont collectées par le biais d’un questionnaire envoyé aux dirigeants et cadres supérieurs d’un échantillon de grandes entreprises françaises. Les données objectives sont récoltées sur des bases secondaires et concernent quatre indicateurs financiers : la rentabilité économique, la rentabilité financière, la croissance du chiffre d’affaires et la productivité. Les résultats de l’étude montrent plusieurs corrélations entre les indicateurs subjectifs et ceux plus objectifs, ce qui valide l’hypothèse de la convergence entre les deux types d’indicateurs. En d’autres termes, ces conclusions montrent que les évaluations subjectives des grands responsables traduisent des informations sur la performance réelle de l’entreprise. C’est dans cet esprit que nous proposons de mobiliser cette échelle de mesure dans notre étude empirique.

Tableau 1

Mesure qualitative de la performance de l’entreprise

Mesure qualitative de la performance de l’entreprise
Source. adapté de Gauzente (2000, p. 152) – tableau 2

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L’implication du CA dans le processus stratégique

En se basant sur le cadre théorique mobilisé dans cette étude et une revue de la littérature sur les rôles du CA, nous proposons un portefeuille de 20 activités que les administrateurs sont sensés assurer durant les étapes du processus stratégique (initiation, mise en oeuvre et contrôle). Empiriquement, nous avons appliqué la méthode de l’Analyse en Composante Principale suivie par le test d’Alpha de Cronbach. Avant d’y procéder, il convient de vérifier les conditions d’application de la méthode via le test de précision de l’échantillonnage de Kaiser Meyer Olkin (KMO) qui doit dépasser le seuil de 50 % et le test de sphéricité de Bartlett qui doit être significatif au seuil de 5 %. L’application des deux tests montre des résultats largement dans les limites recommandées avec un indice KMO de 89,4 % et un test de Bartlett significatif au seuil de 1 %. Avec une variance totale expliquée des vingt items qui atteint 72,59 %, trois composantes sont retenues, composantes dont les valeurs totales expliquées sont supérieures à l’unité. La première composante regroupe huit items, la deuxième contient cinq items et la dernière regroupe sept items.

L’implication du CA dans l’initiation stratégique : Elle regroupe huit items, soit l’ensemble des activités d’élaboration des décisions stratégiques. L’Alpha de Cronbach de 0.937 montre la pertinence et la fiabilité de cette échelle.

L’implication du CA dans la mise en oeuvre de la stratégie : Lors de cette étape, le CA est doté d’une mission de soutien au Directeur Général afin de garantir la réussite de sa démarche et de participer à l’identification des solutions en cas de problème de management (Rindova, 1999). Le test de fiabilité révèle une cohérence interne satisfaisante de l’échelle de mesure de cette deuxième dimension de l’implication du CA avec un Alpha de Cronbach de 0.867.

L’implication du CA dans le contrôle : Avec une échelle de sept items, elle regroupe l’ensemble des activités du processus de contrôle et d’évaluation, à savoir la ratification des décisions stratégiques, les activités de contrôle stratégique et financier, l’évaluation de la performance de l’entreprise, ainsi que l’évaluation de la performance du Directeur Général. L’Alpha de Cronbach de 0.933 confirme une bonne cohérence interne de cette échelle.

Le tableau 2 suivant synthétise les trois dimensions identifiées avec leurs items respectifs.

Tableau 2

Dimensions de l’implication du CA dans le processus stratégique

Variance totale expliquée : 72,59

Dimensions de l’implication du CA dans le processus stratégique

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Choix de la méthode empirique : l’analyse discriminante

Afin de répondre à notre objectif de recherche qui consiste à mieux cerner les effets de l’implication stratégique du CA sur la performance d’entreprise, nous avons appliqué la méthode d’analyse discriminante. Cette méthode permet d’identifier la nature des liens de corrélation qui pourraient unir la performance d’entreprise, phénomène à expliquer mesuré par une variable qualitative, et l’implication stratégique du CA.

L’analyse discriminante est l’une des méthodes empiriques explicatives les plus utilisées en pratique (Nakache et Confais, 2003). Elle est souvent appliquée à des études en marketing et en scoring financier (Bardos, 2001). Elle est basée sur une division des observations (ou individus) en un certain nombre de groupes définis a priori. Ce classement préalable est établi en fonction d’une variable privilégiée qui représente le phénomène à étudier. L’objectif consiste, ainsi, à analyser les relations entre ce phénomène et un ensemble de variables explicatives (Nakache et Confais, 2003). Cette méthode s’applique à des « variables à expliquer » de nature qualitative ou nominale (la performance de l’entreprise pour notre étude) et des « variables explicatives » de nature quantitative (les scores des trois dimensions de l’implication du CA).

L’analyse discriminante à deux groupes est très similaire à la régression linéaire multiple. Elle aboutit à des coefficients standardisés de la fonction discriminante qui sont proportionnels aux coefficients Beta de la régression. Ces coefficients permettent d’identifier le poids des variables indépendantes dans la fonction discriminante, et par conséquent le poids de ces variables dans la différenciation entre les deux groupes (de la variable dépendante) (Malhotra et al., 2007, p. 486 – 514). Dans le cadre de notre recherche, nous avons une seule variable dépendante : la performance de l’entreprise. Nous appliquons ainsi l’analyse discriminante à deux groupes. Cette méthode est appropriée à notre échantillon de 56 observations ainsi qu’à l’échelle de mesure de la performance évoluant sur cinq degrés.

Classement des entreprises en termes de performance

En nous référant à l’étude de Gauzente (2000), nous avons proposé de mesurer la performance de l’entreprise par une échelle de 5 items (voir tableau 1). Les entreprises sont ensuite classées en fonction du score moyen de l’échantillon en termes de performance qui est égal à 3,46 (Malhotra et al., 2007). Ainsi :

  • Si le score moyen de l’échelle de performance est supérieur à 3,46, l’entreprise est classée dans le groupe des « Entreprises Performantes » (codé 2).

  • Si le score moyen de l’échelle de performance est inférieur à 3,46, l’entreprise est classée dans le groupe des « Entreprises Peu Performantes » (codé 1).

Nous obtenons la répartition suivante : 26 entreprises, soit 46,4 % de l’échantillon, sont classées dans le groupe des entreprises peu performantes contre 30 entreprises (53,6 %) performantes. Cette répartition équilibrée est appropriée pour appliquer l’analyse discriminante.

Application de l’analyse discriminante : fonction canonique et résultats

Comme la régression linéaire multiple, la méthode de l’analyse discriminante peut être illustrée dans la fonction canonique suivante :

forme: 2063162n.jpg

PERFORMANCE : score discriminant représentant la variable dépendante binaire (1 : Entreprise Peu Performante / 2 : Entreprise Performante).

Implication-initiation : score de l’implication du CA dans l’initiation stratégique.

Implication-mise-en-oeuvre : score de l’implication du CA dans la mise en oeuvre de la stratégie.

Implication-contrôle : score de l’implication du CA dans le contrôle.

Avant d’appliquer la fonction canonique, il est important de vérifier la multi-colinéarité des variables indépendantes. Le tableau 3 présente le test de colinéarité VIF (Variance Inflation Factor) dont les résultats montrent des indices dans les limites recommandées (inférieur à 5), ce qui confirme la non-colinéarité des variables.

Les résultats les plus importants de l’analyse discriminante sont illustrés dans le score de corrélation canonique et le Lambda de Wilks de la fonction canonique (Malhotra et al., 2007). La fonction discriminante permet d’identifier l’articulation entre les différentes variables pour expliquer la différence de performance entre les deux groupes. Le Lambda de Wilks indique la proportion de variance non expliquée par l’appartenance aux groupes. Un Lambda équivalent à 1 indiquerait l’absence de différence entre les groupes pour la variable correspondante. Ainsi, plus le Lambda est faible, plus la différence entre les groupes est importante.

Comme il n’y a que deux groupes, une seule fonction discriminante est estimée. Le tableau montre que la variance totale expliquée par la fonction canonique est de 100 % et la valeur propre qui lui est associée est égale à 0,187. La corrélation canonique de 0,397 indique la force de l’association entre la fonction canonique et l’appartenance aux deux groupes de performance. Par ailleurs, le Lambda de Wilks est d’une grande importance dans l’analyse des résultats. En effet, il n’y aurait aucun sens à interpréter l’analyse discriminante si ce test n’était pas significatif statistiquement (Malhotra et al., 2007, p. 496). Les résultats montrent un Lambda de Wilks de 0.842 significatif au seuil de 1 %.

Nous pouvons ainsi analyser les coefficients de la fonction canonique. Ils sont équivalents aux coefficients Betas d’une régression linéaire multiple (Nakache et Confais, 2003, p.14). Généralement, les variables explicatives dont les coefficients standardisés sont relativement élevés contribuent davantage à la puissance discriminante de la fonction. Ces variables sont considérées, par conséquent, plus importantes par rapport aux autres variables à coefficients faibles (Malhotra et al., 2007, p. 500). La matrice de structure, quant à elle, fournit les corrélations entre les variables indépendantes et la fonction discriminante. Ce sont ces coefficients de corrélation qui permettent de bien définir la fonction discriminante identifiée par l’analyse. En d’autres termes, ils représentent la variance que la variable explicative partage avec la fonction. Ainsi, plus un coefficient de structure est élevé, plus la variable explicative correspondante est importante. Le tableau 5 présente les coefficients standardisés et la matrice de structure.

Tableau 3

Test de multi-colinéarité

Test de multi-colinéarité

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Tableau 4

Résultats de l’analyse discriminante

Résultats de l’analyse discriminante

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L’examen des coefficients standardisés de la fonction canonique montre que l’implication du CA dans l’initiation stratégique est le facteur le plus déterminant dans la différenciation entre les deux groupes de performance, avec un coefficient élevé de 1,782. L’implication du CA dans la mise en oeuvre stratégique vient en seconde position avec un coefficient négatif de (- 0,98), suivie par l’implication dans le contrôle avec un coefficient de (- 0,559). La matrice de structure confirme l’ordre d’importance des trois variables. Le coefficient de corrélation du score de l’implication du CA dans l’initiation stratégique (0,625) atteste de l’importance de cette variable dans la définition de la fonction discriminante. En second rang, nous retrouvons le coefficient de corrélation de l’implication dans la mise en oeuvre (0,246). L’implication dans le contrôle, quant à elle, présente un très faible effet sur la fonction discriminante avec un coefficient légèrement négatif (-0,024). La concordance de l’ordre de classement des poids des variables explicatives établi par les coefficients absolus, les coefficients standards et les coefficients de structure, permet d’appuyer la robustesse des résultats et la validité de l’interprétation des coefficients standardisés de la fonction canonique (Malhotra et al., 2007, p. 502).

Ces résultats confirment la prédominance de l’implication du CA dans l’initiation stratégique sur les autres dimensions en réalisant un impact positif sur la performance de l’entreprise. Cependant, l’implication dans la mise en oeuvre et le contrôle enregistrent des effets négatifs sur la performance, associés à des poids largement inférieurs à celui de l’implication dans l’initiation stratégique (en valeur absolue).

En résumé, le Lambda de Wilks23F attestant la significativité à 1 % de la fonction discriminante permet de confirmer l’influence de l’implication du CA dans le processus stratégique sur la performance de l’entreprise. Nous avons établi l’hypothèse qui suppose l’impact positif de l’implication du CA sur la performance. Cette hypothèse générale est détaillée en trois sous-hypothèses relatives aux différentes dimensions de l’implication du CA. Seule l’hypothèse relative à l’implication du CA dans l’initiation stratégique est confirmée. Les deux sous-hypothèses correspondant aux deux autres dimensions de l’implication sont infirmées.

Evaluation de la validité de l’analyse discriminante

Une dernière précaution statistique reste à prendre. Il s’agit de vérifier le processus de classement des entreprises, prises individuellement, entre les deux groupes de performance. Cette étape de « contrôle » est importante pour tester la robustesse de la fonction canonique et appuyer sa validité empirique. Généralement, c’est la méthode de la validation croisée qui est utilisée pour évaluer la fonction canonique.

La validation croisée de la classification par élimination ou « leave one out » consiste à ré-estimer le modèle discriminant autant de fois que le nombre d’observations (nombre de personnes interrogées de l’échantillon). « Chaque modèle ré-estimé exclut un individu de l’échantillon et sert à prédire les données relatives à celui-ci » (Malhotra et al., 2007, p.503). Lorsque la taille de l’échantillon est réduite, cette pratique permet de donner une idée sur la robustesse de l’estimation de la fonction. Le tableau 6 présente les résultats du test de la validation croisée.

Ce tableau résume le classement des individus dans les deux groupes de performance et fournit le pourcentage total du bon classement pour chaque groupe. Le pourcentage des individus correctement classés dans le groupe des entreprises peu performantes est de 66,7 % et celui des individus classés dans le groupe des entreprises performantes est de 69 %. Le nombre total des individus bien classés est de 38 (18 + 20) sur 56, soit une moyenne de 67,8 %. La validation croisée par élimination distribue correctement 59,3 % des individus dans le groupe des entreprises peu performantes et 65,5 % des individus dans le groupe des entreprises performantes. Cette opération rétablit correctement le classement de 35 individus (16 + 19) sur 56, soit une moyenne de 62,5 %. En général, pour une analyse discriminante de deux groupes, la classification croisée devrait fournir un pourcentage minimal d’individus correctement classés de 50 % (Malhotra et al., 2007). Ainsi, nous pouvons constater que la validité de l’analyse discriminante est jugée satisfaisante.

Analyse des résultats

Les résultats de l’analyse discriminante montrent qu’une forte implication des administrateurs dans l’élaboration des décisions stratégiques représente une source importante de création de valeur pour l’entreprise. Ce résultat confirme les suggestions des partisans de la perspective cognitive (Andrews, 1980; Pettigrew, 1992; Rindova, 1999; McNulty et Pettigrew, 1999; Pye et Pettigrew, 2005; Charreaux et Wirtz, 2006; Wirtz, 2008 et 2011, etc.). Cette dimension de l’implication du CA reflète sa participation à l’identification des objectifs généraux et à l’analyse de l’environnement et des ressources de l’entreprise. La collaboration du CA avec le management dans cette étape cruciale permet de bien choisir les décisions stratégiques et de préserver la performance de l’entreprise à long terme (Rindova, 1999; Demb et Neubauer, 1992; Huse, 2007; Zhang, 2010; Bammens et al., 2011). Toutefois, une forte implication dans les étapes de mise en oeuvre et de contrôle a des conséquences négatives sur la performance de l’entreprise. Ces résultats infirment les suggestions d’avoir un CA fortement impliqué dans le processus de contrôle (Fama et Jensen, 1983; Judge et Zeithaml, 1992) ou encore dans l’étape de mise en oeuvre (Rindova, 1999; Zona et Zattoni, 2007).

Tableau 5

Coefficients standards et matrice de structure

Coefficients standards et matrice de structure

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Tableau 6

Résultats du test de validation de l’analyse discriminante

Résultats du test de validation de l’analyse discriminante

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Empiriquement, ces résultats ne confirment pas ceux des études américaines de Judge et Zeithaml (1992) et de Siciliano (2005) qui mettent en évidence une relation positive entre l’implication du CA et la performance. Nous notons que les auteurs mesurent l’implication du CA par sa participation dans la prise et l’évaluation des décisions stratégiques. Ainsi, notre distinction entre les trois dimensions de l’implication s’avère importante pour bien spécifier les activités qui représentent une source de performance supplémentaire, de celles ayant un effet inverse. Elle introduit en effet une nuance que les études citées n’ont pas. Ces conclusions montrent la spécificité du contexte français qui, malgré son ouverture sur les bonnes pratiques américaines de la gouvernance disciplinaire, se distingue par des pratiques d’une gouvernance plutôt stratégique. En effet, aux Etats-Unis, les pratiques de gouvernance sont centrées sur la discipline financière et la protection des intérêts des actionnaires, ce qui renforce la légitimité du rôle du CA « contrôleur » (Wirtz, 2008). Le capitalisme français, par ailleurs, a connu de forts changements depuis le milieu des années 1980 suite aux différents mouvements de privatisations et d’ouverture du marché financier. A l’origine fortement concentrée, la capitalisation boursière française a connu une forte augmentation de la part des investisseurs institutionnels étrangers et français. Cette composition est très présente dans la capitalisation des grandes entreprises cotées, ce qui a fortement contribué à la promotion des bonnes pratiques de gouvernance américaine. Investisseurs et dirigeants adhèrent à ces meilleures pratiques afin de répondre aux objectifs de rentabilité de leurs clients et de faciliter la mise en oeuvre de leurs propres objectifs stratégiques. Dans ce contexte où les réformes institutionnelles et juridiques se multiplient, l’accent est toujours mis sur l’intérêt social de l’entreprise plus que celui de nature actionnariale (Viénot, 1995; Wirtz, 2008).

L’apport cognitif d’un CA stratège s’avère donc complémentaire aux compétences du Directeur Général dans la conception des options stratégiques. En effet, « la vision du dirigeant n’est pas du tout le seul ingrédient du processus stratégique, et d’autres acteurs, dont les membres du Conseil d’Administration, sont susceptibles de contribuer à l’émergence des opportunités de création de valeur, soit de façon indirecte par leurs questionnements critiques et constructifs, soit de façon plus directe, par l’apport d’éléments de connaissances complémentaires à la vision du dirigeant » (Wirtz, 2008, p. 101).

Par ailleurs, il pourrait également être intéressant de mener cette analyse conjointement avec la situation de la performance de l’entreprise. Il est possible que le mode d’implication du CA représente une réponse à une situation de performance antérieure. En effet, dans une situation de performance élevée de l’entreprise, le CA a tendance à réduire l’attention accordée aux activités de contrôle (Tuggle et al., 2010). Le CA prête ainsi plus d’attention aux activités de l’analyse stratégique et au débat constructif (McNulty et Pettigrew, 1999; Zhang, 2010). Dans le cas inverse de manque de performance, les administrateurs augmentent l’attention accordée aux activités de surveillance, de suivi de mise en oeuvre, de contrôle financier, etc. Or, l’intervention a posteriori ne peut pas toujours être efficace si l’entreprise avait eu plutôt besoin de changement stratégique pour redresser sa situation (Westphal et Bednar, 2005), ce qui pourrait donner une autre explication au lien négatif entre l’implication dans les activités de contrôle et la performance de l’entreprise.

Conclusion

L’objectif de ce papier était d’étudier l’influence de l’implication du CA dans le processus stratégique sur la performance de l’entreprise. Les résultats des tests statistiques montrent que l’implication du CA dans l’initiation stratégique a une forte influence positive sur la performance de l’entreprise, ce qui confirme en partie l’hypothèse de recherche. Néanmoins, l’implication du CA dans la mise en oeuvre et le contrôle a un effet contreproductif. Sur le plan empirique, nos résultats se distinguent de ceux des travaux antérieurs (Judge et Zeithaml, 1992; Siciliano, 2005) par la spécification des dimensions de l’implication du CA qui représentent une source de performance supplémentaire pour l’entreprise, de celles ayant un effet inverse.

La capacité à constamment se transformer constitue une des caractéristiques qui fait la force du système capitaliste à l’oeuvre dans nos économies. Son habileté à récupérer les critiques, tant au niveau social qu’économique, explique certainement sa longévité (Boltanski et Chiapello, 1999). Certains auteurs (DiMaggio et Powell, 1983) considèrent que l’apparition de nouvelles pratiques ne dépend pas de leur efficacité mais témoigne d’un besoin constant de restaurer la confiance entre les actionnaires et les régulateurs gouvernementaux. Ce processus conduit selon les auteurs à un processus d’isomorphisme institutionnel rendant les organisations de plus en plus similaires. Dubreuil dans son premier ouvrage (1931) observait avec malice que les changements, dont avaient fait l’objet les institutions politiques vis-à-vis du principe d’autorité et d’obsolescence (notamment avec l’avènement des démocraties), étaient loin d’être à l’oeuvre dans les entreprises du début de l’ère industrielle. Alternativement vecteur de changement ou force d’inertie, les entreprises constituent un lieu privilégié d’observation de la transformation du système économique. Au sein de celles-ci, l’étude de l’évolution des pratiques comptables est particulièrement significative de ce type d’évolution du système capitaliste (Berland et Chiapello, 2009). Le rôle du CA dans l’élaboration, la mise en oeuvre et le contrôle des stratégies d’entreprise n’échappent pas à cette volonté d’ouvrir le système de gouvernance à une plus grande diversité d’acteurs et de rôle qu’ils sont appelés à jouer. Ainsi, l’actionnaire manager ne semble pas approprié pour la conduite des plans stratégiques en entreprise. En effet, nos travaux conduisent à scinder clairement les deux fonctions et à redonner au manager ses pleines prérogatives de capitaine du navire en matière de mise en oeuvre stratégique.

Par ailleurs, certains auteurs à l’instar de Pettigrew (1992) et Heracleous (2001) critiquent la démarche méthodologique dominante dans les études sur le CA, qui établissent le lien direct entre les inputs (caractéristiques du CA) et les outputs (la performance de l’entreprise), étant donné le caractère indirect du lien qui relie ces deux éléments. Les résultats de notre étude prouvent que c’est le mode d’implication du CA dans la stratégie qui conditionne son impact sur la performance de l’entreprise. En d’autres termes, les études qui identifient des relations positives ou négatives entre certaines caractéristiques du CA et la performance financière devraient être interprétées avec prudence étant donné l’effet nuancé de l’implication du CA sur la performance de l’entreprise. En effet, il serait intéressant dans des futures recherches que ce type d’études soit complété par l’examen du mode d’implication des administrateurs dans l’exercice de leurs fonctions.

Au-delà de ces analyses, l’étude présente certaines limites qui nécessiteraient des approfondissements dans des futures recherches. Nous avons, par exemple, privilégié l’utilisation d’une mesure qualitative de la performance de l’entreprise qui reflète les niveaux stratégique, social et économique. Il pourrait être intéressant de reprendre l’étude avec des indicateurs financiers et objectifs de la performance afin de vérifier la validité des résultats avec de tels indicateurs. Il serait également important d’élargir l’échantillon et d’identifier les formes d’implication du CA des entreprises du SBF 250 afin de les comparer avec celles proposées dans d’autres études à l’instar de celle de McNulty et Pettigrew (1999).

Dans une approche internationale, le modèle de gouvernance français se distingue par sa nature hybride à vocation sociale partenariale fortement inspiré du modèle actionnarial anglo-saxon. Le modèle allemand quant à lui, est fortement partenarial. Il se caractérise par une représentation élevé des salariés au conseil de surveillance et par conséquent par leur forte implication dans les décisions d’entreprise. Afin de mieux comprendre si les résultats de cette étude relèvent des formes actuelles de capitalisme ou sont propres au modèle de gouvernance français, il serait opportun de mener, d’une part, une étude similaire dans le contexte allemand, d’autre part, une comparaison internationale entre les deux modèles.

Enfin, ces tests statistiques qui nous informent sur les relations de causalité entre la participation du CA dans le processus stratégique avec la performance des entreprises françaises ne disent rien quant à la nature des liens qu’entretiennent ces différentes variables. Quel rôle pourrait jouer par exemple la diversité des membres qui composent le CA, son degré d’ouverture à la société civile ou la diversité cognitive des profils qui le constitue (administrateurs d’Etat, énarques, entrepreneurs,..). Une analyse qualitative approfondie serait nécessaire afin de compléter notre travail. D’ore et déjà nos résultats montrent qu’un mode de fonctionnement démocratique où l’actionnaire n’outrepasse pas son rôle de propriétaire et ne s’immisce pas dans le métier de manager est préférable dans une perspective de performance de l’entreprise. Avis aux actionnaires qui se découvriraient des qualités de managers.