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De nombreuses entreprises familiales agissent régulièrement depuis des décennies, dans la plupart des régions du Monde, d’une manière entrepreneuriale et démontrent une persistance dans des comportements basés principalement sur la poursuite d’opportunités (Stevenson et Jarillo, 1990), la prise de risque, la pro-activité, la capacité d’innovation, l’autonomie et l’agressivité compétitive (Lumpkin et Dess, 1996). La liste de ces entreprises serait vraisemblablement longue, mais simplement pour illustrer notre propos, nous pourrions évoquer les cas de SEMCO au Brésil et CASCADES au Canada.

Par ailleurs, de nombreuses familles engagées dans des affaires témoignent d’un esprit d’entreprendre qui se transmet de génération en génération et diffuse très largement au sein de la famille qui joue alors le rôle d’un incubateur de culture entrepreneuriale (Steier, 2009). Cet état d’esprit qui encourage et facilite les initiatives et les comportements innovants des membres de la famille a pour conséquences, notamment, la création et la reprise d’entreprises. Pour ne donner qu’un seul exemple d’une telle famille, nous pourrions évoquer la famille Mulliez[1] et ses innombrables créations d’entreprises ou d’associations, dans de multiples secteurs d’activités : Auchan, Décathlon, Phildar, Pimkie, Saint-Maclou, Kiloutou, Réseau Entreprendre, etc.

A l’évidence, le croisement du domaine de l’entrepreneuriat avec celui de l’entreprise familiale offre des opportunités de recherches susceptibles d’éclairer des situations et des pratiques, tant familiales qu’entrepreneuriales, encore méconnues mais que nous considérons au coeur de la dynamique de l’entrepreneuriat familial (Aldrich et Cliff, 2003; Brockhaus, 1994; Dyer et Handler, 1994; Rogoff et Heck, 2003; Chrisman et al., 2007). Or, comme l’ont fait apparaître les quelques numéros spéciaux parus sur le sujet (Poutziouris et al., 2004; Heck et Mishra, 2008), les travaux sont encore assez peu nombreux à adresser directement cette thématique et encore plus rares sont les auteurs qui en ont donné une définition ou tenté d’en cerner les contours ou la portée. En conséquence, l’objectif de notre travail est de montrer tout l’intérêt qu’il y aurait à réaliser des recherches au croisement de ces domaines pour suggérer les premières balises d’un champ de recherche encore à développer.

Pour ce faire, nous présentons d’abord, notre modélisation des croisements entre domaines qui donnent naissance à l’entrepreneuriat familial et nous définissons les principaux concepts qui le fondent: famille, entrepreneuriat, entreprise familiale. Par la suite, nous développons la relation famille – entrepreneuriat alors que dans la troisième section nous nous penchons sur les liens entre entreprise familiale et entrepreneuriat. Nous terminons en introduisant chacune des contributions de ce numéro thématique, avant de conclure sur les pistes de recherche que cette première réflexion permet de dégager.

Famille, Entrepreneuriat, Entreprise familiale : clarification des concepts et modélisation des liens

Nous proposons d’étudier l’entrepreneuriat familial dans la perspective d’une double fertilisation croisée, à l’intersection des champs de l’entrepreneuriat et de l’entreprise familiale (cf. Figure 1). Ceci nous amène à considérer comme premier croisement celui de la famille et de l’entrepreneuriat; on s’intéresse alors à l’étude des familles entrepreneuriales (ou familles en affaires) et à la manière dont elles influencent la destinée de leurs membres. Le second croisement met en lien l’entreprise familiale et l’entrepreneuriat et conduit à considérer les entreprises familiales entrepreneuriales, celles qui se montrent capables de se régénérer dans le temps, par l’innovation et la recherche d’opportunités notamment. En situant ainsi notre l’objet à partir de ce double croisement, deux aspects essentiels de l’entrepreneuriat familial apparaissent : 1) les rôles et l’impact des familles entrepreneuriales sur les individus, les organisations et le développement économique; 2) les pratiques d’entrepreneuriat organisationnel dans le contexte des entreprises familiales. Ceci étant posé, il nous faut maintenant préciser ce que nous entendons par : ‘famille’, ‘entrepreneuriat’ et ‘entreprise familiale’.

Figure 1

Modélisation des liens entre les concepts

Modélisation des liens entre les concepts

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La famille

Bien que la famille soit considérée comme l’essence même de l’entreprise familiale et le foyer de l’entrepreneuriat (Rogoff et Heck, 2003), très peu d’auteurs prennent la peine de préciser ce que recouvre le concept de famille (Aldrich et Cliff, 2003; Clark, 2008). La plupart du temps, on ne sait rien de sa composition, l’âge de ses membres ou leur nombre, de sa structure et des rôles de chacun, des obligations qui régissent les relations de dépendance et d’entraide entre ses membres et entre les générations (Bertrand et Shoar, 2006).

Dans le langage courant, la famille renvoie implicitement à un groupe de personnes reliées entre elles par des liens de sang, de mariage ou d’adoption (Rothausen, 1999). Si ces personnes vivent sous le même toit (critère de résidence), cette définition de la famille se superpose à celle de ménage, utilisée dans les études démographiques et les statistiques nationales (Bonvalet et Lelièvre, 1995; Steier, 2009). Elle renvoie à la famille nucléaire ou ‘famille conjugale’ constituée de deux parents de sexes différents et de leurs enfants vivant avec eux, conception de la famille américaine blanche définie par Talcott Parsons qui la caractérise par son individualisme et son isolement par rapport au réseau de la parenté (Déchaux, 2003). Mais, la famille n’est pas une île (Martin, 2001; Nordqvist et Goel, 2008). Ses frontières sont perméables. Les obligations familiales s’étendent souvent au-delà de la famille conjugale, dès lors qu’on tient compte des devoirs de soutien et d’entraide qui relient les générations et les personnes apparentées. C’est dire que la famille étendue peut influencer les membres de la famille nucléaire et vice versa. Il en va de même dans les entreprises familiales où la parenté peut exercer de l’influence sans être actionnaire, ni directement impliquée dans le management de l’entreprise (Anderson et al., 2005).

Plus ou moins inclusive, la notion de famille est fondée culturellement et historiquement. Les obligations de ses membres les uns envers les autres et leurs rôles respectifs varient selon les cultures, voire entre les groupes ethniques (Puryear et al. 2008), ce qui influence notamment les valeurs, les buts et les modes de gestion des entreprises familiales dans le monde (Gupta et al. 2008; Sharma et al. 2007). De même, la notion de famille évolue dans le temps, la famille du siècle dernier ne ressemble pas à celle d’aujourd’hui (Quéniart et Hurtubise, 1998). C’est pourquoi, bien que commode, la définition de la famille nucléaire ou conjugale n’est pas adaptée aux configurations familiales contemporaines, avec les unions libres, les familles recomposées, la monoparentalité, l’homoparentalité ou encore, la polygamie (Rothausen, 1999; Martin, 2001).

En somme, l’emploi du terme ‘famille’ est à géométrie variable et « la définition de la famille dépend du contexte culturel du chercheur comme de ses objectifs de recherche » (Pieper et Klein, 2007, p. 306). Par conséquent, pour éviter les écueils d’une vision ethnocentrée de la famille, il devient impératif de préciser le type de famille sous-tendant les recherches en entrepreneuriat comme en entreprise familiale, afin ne pas amalgamer dans des conclusions générales des réalités diverses et donc incommensurables.

L’entrepreneuriat

Il n’est pas facile de définir l’entrepreneuriat ni de clarifier ce concept, tant la littérature est abondante et offre de multiples points de vue (Fayolle, 2007). Notre modèle renvoie vers deux dimensions de l’entrepreneuriat. Dans la relation famille – entrepreneuriat, c’est la dimension individuelle de l’entrepreneuriat qui est, avant tout, privilégiée. Ce qui nous intéresse ici, principalement, est la création d’entreprise (ou la création d’activité) par des individus avec le concours, au sens large, de leurs familles. Dans la relation, entrepreneuriat – entreprise familiale, c’est la dimension organisationnelle de l’entrepreneuriat qui est prise en compte. L’entrepreneuriat organisationnel (Basso et Fayolle, 2009), sous ses diverses expressions (intrapreneuriat, intrapreneuring, corporate venturing, corporate entrepreneurship, entrepreneurial orientation, entrepreneurial firm, strategic renewal, etc.), fait également l’objet d’une documentation foisonnante. Nous en retenons deux approches complémentaires (Brown et al., 2001) : le management entrepreneurial et l’orientation entrepreneuriale. Le management entrepreneurial privilégie une conceptualisation managériale de l’entrepreneuriat, qui apparaît comme la poursuite et l’exploitation des opportunités d’affaires en dehors des ressources directement contrôlées (Stevenson et Gumpert, 1985; Stevenson et Jarillo, 1986, 1990). Cette conceptualisation intègre les deux dimensions, individuelle et organisationnelle, et s’inscrit dans le paradigme de l’opportunité (Shane et Venkataraman, 2000) qu’elle a, sans doute, contribué à faire émerger. L’orientation entrepreneuriale est très souvent présentée dans la littérature comme un héritage des travaux de Miller (1983) sur la firme entrepreneuriale, même si la formation de ce concept est sujette à discussion, voire à controverse (Basso et al., 2009). De nombreux chercheurs ont contribué à forger ses lettres de noblesse, au premier rang desquels il convient de citer Covin et Selvin (1991) ainsi que Lumpkin et Dess (1996).

L’intérêt des travaux de Lumpkin et Dess (1996), que nous privilégions dans cet article, est d’établir une distinction entre le « comment » (processus qui conduit à l’acte entrepreneurial) et le « quoi » (résultat, c’est-à-dire l’acte entrepreneurial lui-même). Ils différencient donc l’entrepreneuriat des processus qui y conduisent et le définissent comme une « new entry », c’est-à-dire « l’acte de lancer une nouvelle activité ». Pour Lumpkin et Dess (1996, p. 137), l’orientation entrepreneuriale “refers to the processes, practices and decision-making activities that lead to new entry. (…) It involves the intentions and actions of key players functioning in a dynamic generative process aimed at new venture creation. The key dimensions that characterize an EO include a propensity to act autonomously, a willingness to innovate and take risks, and a tendency to be aggressive toward competitors and proactive relatively to marketplace opportunities”. La nouvelle ‘entrée’ désigne n’importe quelle ‘entrée’ qui est ‘entreprise’, pour la première fois, par un individu, une firme ou une petite unité (Lumpkin et Dess, 1996, p. 606). Cet évènement désigne le comportement entrepreneurial, et selon les auteurs, il précise le « processus de recherche d’opportunités » (Stevenson et Jarillo, 1990) et s’échappe de la définition, trop étroite, de « création de nouvelles organisations » (Gartner, 1988).

L’entreprise familiale

Malgré quelques décennies de recherches sur l’entreprise familiale, à ce jour, il n’y a toujours pas de consensus sur la manière de la définir (Poulain-Rehm, 2006; Ibrahim et al. 2008; Phan et Butler, 2008) ce qui n’est guère étonnant quand on considère, d’une part, la difficulté de définir la famille qui la sous-tend et, d’autre part, quand on prend la mesure de l’hétérogénéité des entreprises familiales (Corbetta et al., 2004; Sten, 2007). A la limite, il y aurait presque autant de définitions qu’il y a d’auteurs[2], ce qui laisse penser que certaines définitions découlent des caractéristiques de l’échantillon d’entreprises familiales étudiées et non l’inverse. S’il est largement admis que les entreprises familiales se distinguent d’abord par la dualité famille-entreprise (Lansberg, 1983; Rosenblatt et al. 1985), plusieurs questions ont été abordées autour de leur définition. Comment distinguer les entreprises familiales des entreprises non-familiales ? Est-ce que leur différence en est une de nature ou de degré ? Est-ce que ces entreprises naissent familiales ou le deviennent-elles ? Quelles formes peuvent prendre les entreprises familiales ?

De nombreux travaux ont cherché à identifier les caractéristiques distinctives des entreprises familiales (EF) par rapport à celles qui ne le sont pas. Les nombreuses définitions qui en ont découlé s’appuient toutes sur l’un des trois critères suivants ou sur une combinaison de ceux-ci : (a) l’actionnariat familial (le contrôle), (b) l’implication de la famille dans le management de l’entreprise et (c) le désir de transmettre aux générations suivantes (Litz, 2008). D’après Chua et al. (1999), pour saisir ce qu’est une EF, il ne suffit pas de tenir compte des critères de propriété ou de management familial, il faut aussi prendre en compte les intentions de la coalition dominante contrôlée par la famille et leur vision de l’entreprise par rapport aux générations suivantes. Cependant, la prolifération de définitions témoigne de la difficulté de se représenter les EF et les non-EF comme des catégories discrètes. Par conséquent, certains auteurs proposent plutôt de les envisager sur un continuum dont les extrémités iraient de l’EF pure (où le système familial se superpose complètement à celui de l’entreprise) à l’entreprise managériale (où les deux systèmes sont totalement disjoints) (Astrachan et al., 2002; Klein et al., 2005; Sundaramurthy et Kreiner, 2008). Mais le principal problème demeure d’établir à partir de quel seuil une entreprise sera considérée familiale ou non (Poulain-Rehm, 2006).

On le voit, les définitions par la nature ou le degré d’influence familiale ne permettent pas de résoudre la question de manière satisfaisante d’autant plus que les EF ne forment pas un ensemble homogène d’organisations : elles varient par leur taille, leur âge, leur cycle de vie, la génération en charge, la composition de la famille, etc. (Gersick et al., 1997).

Par ailleurs, on peut aussi se demander si une entreprise nouvellement créée par un entrepreneur peut être considérée familiale. Sinon, à partir de quel moment, le devient-elle ? Pour Chua et al. (2004), une EF serait fondée comme telle par contre, pour Litz (2008), ce ne serait pas nécessairement le cas, le caractère familial pourrait n’être qu’un état provisoire dans la vie d’une entreprise. Ainsi, dans le cycle de vie des entreprises, certaines entreprises sont créées à titre individuel, puis deviennent des EF avec l’implication croissante du conjoint ou de la famille et seraient éventuellement cédées à l’externe, cessant alors d’être considérées comme des EF sauf si c’est une nouvelle famille qui l’acquière et la dirige, amorçant un nouveau cycle familial.

On le voit, la question de la définition des EF reste ouverte et se heurte à la diversité des dimensions en cause. A cela s’ajoute la prise en compte du contexte socio-culturel et institutionnel dans lequel s’insèrent les EF car cela va affecter la conception de la famille aussi bien que son influence sur l’EF (Leaptrott, 2005; Phan et Butler, 2008; Smith, 2008). Par conséquent, divers auteurs suggèrent de recourir à des définitions multicritères qui permettent une finesse plus grande des résultats et de préciser clairement la définition utilisée afin de disposer de résultats comparables parce que fondés sur des critères échantillonnaux homogènes (Brockhaus, 1994; Westhead et Cowling, 1998; Sten, 2007).

Famille et Entrepreneuriat : rôle et impact de la famille sur le processus entrepreneurial

Pour certains auteurs, la famille est une source d’oxygène qui alimente la flamme entrepreneuriale (Rogoff et Heck, 2003). La famille est présente tout au long du processus entrepreneurial : les parents influencent les enfants, les inspirent, leur transmettent des valeurs, façonnent des attitudes favorables au comportement entrepreneurial et les soutiennent lorsqu’ils créent des entreprises (Dyer et Handler, 1994; Saporta, 2002).

La famille : lieu de culture et d’expériences entrepreneuriales

La famille transmet l’esprit d’entreprendre et offre des terrains d’acculturation et d’apprentissage à ses membres (Saporta, 2002). Très tôt, au sein d’une famille dans laquelle oeuvre(nt) un ou des entrepreneur(s), l’exposition à des valeurs, à des situations, à des problèmes, peut conduire des individus d’autres générations à développer une intention d’entreprendre (création de leur propre entreprise, reprise de l’entreprise familiale, etc.) et à renforcer leurs perceptions d’auto-efficacité entrepreneuriale.

L’immersion au sein d’une famille, les expériences familiales, contribuent à influencer les valeurs, les attitudes et les comportements des individus tout au long de leurs vies. Les orientations et les comportements des individus sont influencés par un certain nombre de facteurs personnels et environnementaux. Les chercheurs en entrepreneuriat ont ainsi montré l’importance du statut social des activités et des situations entrepreneuriales dans l’environnement proche des individus (Begley et al., 1997; Schmitt-Rodermund, 2004). En particulier, il a été démontré empiriquement une corrélation entre le rôle des proches comme modèles à émuler, et la préférence pour une carrière centrée sur le travail autonome (Matthews et Moser, 1995; Scott et Twomey, 1988). En outre, Shapero et Sokol (1982) ont avancé que la famille, en particulier le père ou la mère, joue un rôle très puissant en développant la désirabilité et la faisabilité des actions entrepreneuriales. Scott et Twomey (1988) ont constaté que les individus dont les parents possèdent (ou ont possédé) une petite entreprise exprimaient la préférence la plus élevée pour le travail autonome et à l’inverse, la moins importante pour des situations de salariés dans de grandes entreprises. Matthews et Moser (1995) ont quant à eux identifié un lien significatif entre la présence de modèles de référence parentaux entrepreneuriaux et le niveau des intentions entrepreneuriales.

Les expériences entrepreneuriales antérieures apparaissent également comme des facteurs qui peuvent agir sur les intentions et les comportements entrepreneuriaux (Hills et Welsch, 1986; Kent et al., 1982). Ces expériences entrepreneuriales peuvent correspondre à quatre sources d’exposition possibles pour un individu donné (Krueger, 1993) : une présence concrète de l’entrepreneuriat dans sa propre famille, un autre parent ou un ami qui a entrepris, un emploi passé ou présent dans une petite entreprise (qui peut être familiale), et enfin, le fait d’avoir démarré sa propre entreprise. Cette délimitation inclut donc les phénomènes d’émulation des proches. Krueger (1993) tient compte, dans sa recherche, de l’importance quantitative (« ampleur ») et qualitative (« positivité ») des expériences et trouve des liens significatifs entre des expositions entrepreneuriales antérieures positives et les antécédents de l’intention d’entreprendre. Ses résultats sont largement confirmés par la recherche de Peterman et Kennedy (2003) réalisée à partir d’un échantillon de lycéens australiens ou encore celle de Tkachev et Kolvereid (1999) qui concerne des étudiants russes. Plus spécifiquement dans le champ de l’entreprise familiale, une étude de Carr et Sequeira (2007), utilisant la théorie du comportement planifié de Ajzen (1991, 2002), démontre les effets directs et indirects de l’exposition antérieure à des affaires familiales sur l’intention d’entreprendre.

Mais ces travaux montrent que la relation n’est pas toujours positive et Krueger (1993), entre autres, met en évidence le fait que des expositions entrepreneuriales antérieures perçues négativement par des individus, peuvent les détourner de l’entrepreneuriat et donc, vraisemblablement, de l’entreprise familiale.

La famille : lieu d’accompagnement et de soutien de la dynamique entrepreneuriale

La famille constitue un contexte particulier pour l’entrepreneuriat. Elle génère un ensemble idiosyncratique de ressources et de capacités qui va s’avérer très utile lors de la création d’entreprise (Habbershon, 2006). La famille soutient et accompagne le démarrage des entreprises, par des fonds, du temps, des conseils et des encouragements (Saporta, 2002). De ce fait, elle contribue à fertiliser et nourrir des dynamiques essentiellement individuelles, qui concernent certains de ses membres, mais aussi elle peut jouer un rôle non négligeable dans le développement économique du territoire où elle se situe (Poutziouris et al., 1997).

Pistrui et al. (2001), dans leur recherche, s’intéressent aux entrepreneurs chinois, aux entreprises qu’ils créent et développent, ainsi qu’aux forces liées aux familles, qui façonnent le développement des PME en Chine. Les résultats de l’étude suggèrent que les motivations des entrepreneurs privilégient le besoin d’accomplissement dans une recherche d’indépendance et le besoin d’apprentissage autour d’un centrage familial. Satisfaire de tels besoins n’est envisageable qu’avec un soutien, quasi inconditionnel des conjoints. Selon Van Auken et Werbel (2006), le soutien et l’engagement des épouses semblent bien constituer un des facteurs clés de renforcement des motivations et de bon achèvement du processus entrepreneurial; la décision de créer une entreprise pourrait dépendre aussi du degré de partage d’une vision commune entre l’entrepreneur naissant et son épouse sur les buts, les risques et les bénéfices, au sens large, de la nouvelle activité. Dans le même registre, Klyver (2007) montre que l’implication des membres de la famille évolue au cours de la phase de pré-démarrage et démarrage lors de la création d’une entreprise, qu’elle devienne ou non une EF.

La famille peut apporter d’autres types d’appuis et de ressources à ses membres créateurs de leur propre entreprise. Par exemple, l’étude de Au et Kwan (2009) montre que les entrepreneurs chinois recherchent au sein de leur famille les ressources financières initiales plutôt qu’auprès de financeurs externes et ce d’autant plus qu’ils attendent de ce comportement des coûts de transaction plus faibles. L’argent est certes important pour créer une entreprise, mais le capital humain, en général, l’est bien davantage. Le capital humain spécifique développé dans un contexte familial, à travers notamment des expériences professionnelles réalisées au sein des entreprises familiales, apparaît être d’une grande utilité quand les générations descendantes décident de se mettre à leur compte (Fairlie et Robb, 2007; White et al., 2007).

Enfin, la famille, inextricablement liée à la PME, contribue à la dynamique de l’entrepreneuriat local et au développement économique des territoires. Pour n’en donner qu’un exemple, l’étude de Poutziouris et al. (1997) discute de l’impact des entreprises familiales dans les Balkans pour montrer que leur dynamisme entrepreneurial contribue à régénérer des marchés locaux et à stimuler l’économie de marché. Traditionnellement, la famille fournit les fonds, le travail et la gestion qui permettent de mettre sur pied des PME, donc, de ce point de vue, elle soutient activement l’entrepreneuriat. Mais les revenus de la famille proviennent directement de l’activité de ces entreprises familiales. C’est donc le capital familial qui permet le développement d’une économie post-socialiste, avec le retour à une société plus entrepreneuriale. Ce travail montre bien que la relation entre famille et entrepreneuriat peut être aussi étudiée au niveau macroéconomique. On ne traite pas, ici, du fonctionnement interne de l’entreprise familiale, ni de l’articulation entre le système familial et le système d’affaires, mais du lien entre dynamique entrepreneuriale familiale et développement économique[3].

Entrepreneuriat et Entreprise Familiale : déterminants et impact de l’Entrepreneuriat sur l’Entreprise Familiale

Les recherches aux Etats-Unis et en Europe montrent que les entreprises familiales contribuent à la création d’emplois et donc, comme nous venons de le voir, au développement économique et qu’il existe des liens positifs entre ces dernières et les notions de pérennité, performance, profitabilité et entrepreneuriat (Dale et al., 2008; Dyer et Mortensen, 2005; Kellermanns et al., 2008; Poutziouris et al., 2002; Puig et Pérez, 2009). Tout cela souligne à la fois l’intérêt et la nécessité qui résident dans l’exploration des liens entre entrepreneuriat et entreprise familiale. Mieux comprendre pourquoi des entreprises familiales ont conservé leur propension à entreprendre alors que d’autres se sont repliées vers des positions beaucoup plus conservatrices constitue une première famille de questions. Mieux cerner la notion d’entreprise familiale entrepreneuriale, à travers le prisme de l’orientation entrepreneuriale (Lumpkin et Dess, 1996) ou du management entrepreneurial (Stevenson et Jarillo, 1991) en représente une deuxième.

Déterminants de l’entrepreneuriat dans les entreprises familiales

La croissance des entreprises familiales et donc, d’une certaine façon, leur dynamique entrepreneuriale dépend de nombreux facteurs. Pour Kellermanns et al. (2008), le comportement entrepreneurial du dirigeant est essentiel. Ce comportement est influencé par des caractéristiques personnelles telles que l’âge et l’ancienneté dans la firme, ainsi que par le degré d’influence de la famille évalué par le nombre de générations impliquées dans les affaires. L’importance du rôle du dirigeant propriétaire est également soulevée par White et al. (2007) dans leur recherche sur la continuité de l’engagement des dirigeants propriétaires dans leurs affaires et sur la continuité de ces affaires. Des études s’intéressent également au rôle des femmes dirigeantes dans des entreprises familiales et à la façon dont elles peuvent développer des comportements entrepreneuriaux susceptibles d’influencer leurs entreprises (Barrett et Moores, 2009; Hamilton, 2006; Sonfield et Lussier, 2009). Ces travaux rejoignent les résultats des recherches de Miller (1983), par lesquels, entre autres, il est montré que la personnalité des dirigeants est un des moteurs du comportement entrepreneurial de leurs firmes.

Parfois, ce sont les successeurs et les membres de la famille, appartenant à la deuxième ou à la troisième génération, qui vont reprendre le flambeau de l’entrepreneuriat et remettre l’entreprise sur les rails de la croissance et du développement (Fletcher, 2004; Hoy, 2007). Ces successeurs qui agissent comme des entrepreneurs dans leur entreprise familiale sont qualifiés d’interpreneurs par Poza (1988), terme qui fait écho aux travaux de Pinchot (1985) dans le champ de l’entrepreneuriat organisationnel (intrapreneuring).

Le rôle de la culture et plus particulièrement de la culture organisationnelle est également exploré. Zahra et al. (2004) étudient empiriquement l’impact de quatre dimensions de la culture organisationnelle sur le comportement entrepreneurial, défini et mesuré à l’aide du construit de Miller (1983), auprès d’un échantillon d’entreprises familiales et non-familiales. Les résultats de leur travail montrent des différences significatives entre les deux types d’entreprises. La culture organisationnelle des entreprises familiales (centralité du fondateur, emphase sur le contrôle social) influence et renforce beaucoup plus fortement leur comportement entrepreneurial que dans des entreprises non-familiales. Hall et al. (2001) proposent un modèle dans cette perspective par lequel il est avancé que, dans un contexte d’entreprise familiale, certains schémas culturels tendent à préserver une voie traditionnelle de faire des affaires alors que d’autres ont pour effet de faciliter le changement entrepreneurial. Sur cette dualité entrepreneuriat vs conservatisme, Le Breton-Miller et Miller (2008) tentent de réconcilier deux visions opposées des stratégies et des conduites au sein des entreprises indépendantes: celle de ‘l’entrepreneuriat’ qui cherche à maximiser la valeur à travers la croissance et celle de ‘l’entreprise familiale’ qui poursuit des stratégies conservatrices. Ils montrent que le premier type d’entreprise est plutôt dirigé par un propriétaire unique, un créateur qui agit et décide sans aucune dépendance familiale alors que le second est gouverné par de multiples propriétaires et/ou dirigeants appartenant à la même famille. Ces constats corroborent d’autres résultats de recherche qui soulignent l’intérêt d’étudier des configurations ou des types d’entreprises plus homogènes (Miller, 1983).

D’autres travaux, enfin, peuvent privilégier la relation entre origine ethnique et comportement entrepreneurial dans des entreprises familiales (Rodriguez et al., 2009). L’étude de Basu (2004) s’efforce d’évaluer l’impact de cinq communautés ethniques sur les aspirations ‘entrepreneuriales’ de dirigeants propriétaires immigrés d’entreprises familiales au Royaume-Uni. Les résultats de la recherche montrent que l’éducation, l’antériorité familiale et la position dans le cycle de vie de la famille affectent les aspirations lesquelles, à leur tour, influencent les comportements et les pratiques managériales ainsi que la performance entrepreneuriale.

Si, pour certains auteurs, la capacité entrepreneuriale repose sur une hypothèse individualiste implicite qui tend à assimiler l’entrepreneuriat organisationnel à celui du propriétaire-dirigeant, pour d’autres, (Yan et Sorenson, 2003, par exemple), il peut y avoir aussi de l’entrepreneuriat collectif dans les firmes familiales.

L’entreprise familiale entrepreneuriale

L’entreprise familiale est, d’une certaine façon, confrontée aux mêmes défis que la grande entreprise non familiale. En particulier, elle se doit d’instiller le comportement entrepreneurial pour développer des nouveaux produits et services dans des marchés existants ou nouveaux. Pour y parvenir, elle doit s’appuyer sur des compétences techniques appropriées et mettre en place de nouveaux dispositifs (règles organisationnelles, ressources dédiées, etc.). Mais elle doit aussi et surtout changer ses orientations politiques et faire évoluer sa culture organisationnelle pour la rendre plus favorable à la création d’activités et à l’innovation (Brockhaus, 1994).

Rien n’empêche a priori une jeune entreprise familiale d’entretenir sa flamme entrepreneuriale et de maintenir une forte orientation entrepreneuriale. Cependant, avec le temps, de nombreuses entreprises familiales deviennent conservatrices et de moins en moins disposées à assumer les risques associées aux activités entrepreneuriales (Zahra, 2005). Il apparaît donc important de mieux identifier les facteurs corrélés à la prise de risque dans ce contexte d’entreprise familiale. Les résultats d’une étude réalisée sur un échantillon de 209 entreprises familiales manufacturières américaines, montrent que l’engagement de la famille propriétaire facilite la prise de risque entrepreneuriale, alors qu’un long exercice du pouvoir de direction par les fondateurs produit des effets inverses (Zahra, 2005).

L’entreprise entrepreneuriale familiale est celle qui prend des décisions liées à la poursuite d’opportunités et qui agit pour exploiter ces opportunités. Craig et Lindsay (2002) proposent un modèle de l’entreprise familiale entrepreneuriale dérivé de celui de Timmons (1999) dans lequel les notions d’opportunité, de ressource et d’entrepreneur (ou d’équipe entrepreneuriale) apparaissent fortement reliées. Ces auteurs complètent le modèle de Timmons en postulant que la famille et le comité de direction, surtout s’il contient des membres externes, conditionnent le processus entrepreneurial mû par des interactions entre opportunité, ressources et équipe entrepreneuriale.

Plutôt que l’approche de Timmons (1999), privilégiée par Craig et Lindsay (2002), la perspective de l’orientation entrepreneuriale semble s’imposer dans la littérature (Brockhaus, 1994; Kellermanns et Eddleston, 2006; Salvato, 2004). Le terme ‘imposer’ est certainement trop fort pour signifier que quelques articles seulement s’ancrent, la plupart du temps d’une manière indirecte, dans la littérature sur l’orientation entrepreneuriale. Privilégiant la définition de l’entrepreneuriat de Miller (1983, p. 771) : « a multidimensional concept encompassing the firm’s actions relating to product-market and technological innovation, risk taking and proactiveness » et s’intéressant à trois types de firmes entrepreneuriales (founder-centered, sibling-cousin consortium, open family firms), selon la typologie proposée par Gersick et al. (1997), Salvato (2004) s’efforce de déterminer les facteurs susceptibles de jouer un rôle majeur dans l’orientation entrepreneuriale des entreprises familiales. À travers ses résultats, Salvato (2004) montre que l’entrepreneuriat dans des PME familiales est intrinsèquement relié aux caractéristiques individuelles du dirigeant propriétaire, à certains aspects de la relation entre la famille et l’entreprise, à des facteurs de gouvernance et d’organisation et à la structure de propriété. De plus, ces relations varient d’un type de firme à un autre, ce qui confirme, quelques vingt années plus tard, le bien-fondé de l’approche de Miller (1983) basée sur la notion de configuration et de variabilité du comportement entrepreneurial et des facteurs le déterminant en fonction des différents types de configuration organisationnelle. Kellermanns et Eddleston (2006) adoptent également la définition que Miller (1983) donne de l’entrepreneuriat et s’appuient sur la recherche de Salvato (2004) pour étudier le rôle de trois variables, volonté de changement, implication générationnelle et perception des opportunités technologiques sur l’entrepreneuriat dans des entreprises familiales. De plus, ils font l’hypothèse que la planification stratégique peut modérer ces relations. Les résultats qu’ils obtiennent montrent que la volonté de changement et la ‘reconnaissance’ d’opportunités technologiques sont positivement reliées à l’entrepreneuriat, alors que la planification stratégique modère, d’une manière significative, les relations entre l’implication générationnelle, la reconnaissance des opportunités technologiques, d’une part et l’entrepreneuriat, d’autre part. Le fait que, dans leur étude, il n’y ait pas d’impact de l’implication générationnelle sur le comportement entrepreneurial, alors que dans d’autres recherches une relation positive a été observée (Fletcher, 2004; Hoy, 2007; Poza, 1988; Zahra, 2005), peut être expliqué par leur échantillonnage qui ne tient pas compte du facteur d’hétérogénéité, lié à l’éventuelle présence dans l’échantillon final de différents types d’entreprise familiale (Salvato, 2004).

Contribution du numéro thématique à l’Entrepreneuriat Familial

Avec le thème des Journées Doriot 2008 et l’appel à communications pour ce numéro thématique de Management International, notre objectif était d’identifier des travaux au croisement des domaines de l’entrepreneuriat et de l’entreprise familiale et de stimuler le développement d’une recherche interdisciplinaire originale sur l’entrepreneuriat familial. Nous devons admettre aujourd’hui que l’idée était sans doute trop ambitieuse ou prématurée car très peu d’auteurs abordent directement la question de l’entrepreneuriat familial, privilégiant à la place un ancrage fort dans l’un ou l’autre champ de l’entrepreneuriat ou de l’entreprise familiale, là où les communautés scientifiques sont mieux établies et les assises conceptuelles plus solides. Pourtant, comme le présent article introductif l’a montré, le double croisement de ces domaines de recherche semble des plus prometteurs tant par les éclairages qu’il peut apporter à des phénomènes jusqu’ici peu étudiés que par les questions nouvelles qu’il soulève.

Les trois articles qui suivent ont donc été sélectionnés non pas en tant que « meilleurs papiers » issus des Journées Doriot, mais sur la base des pistes originales que les auteurs empruntent et pour leur contribution au développement de ce nouveau champ de recherche.

L’article de Jouini et Mignon (2009, ce numéro) aborde le lien entre la pérennité des entreprises familiales et l’entrepreneuriat par le biais des stratégies d’innovation grâce auxquelles ces entreprises peuvent se renouveler et persister dans la durée. S’inscrivant dans la continuité des travaux sur les ressources et capacités dynamiques des entreprises familiales, ces auteures se demandent : Comment les entreprises familiales développent-elles une culture de prise de risque entrepreneurial calculé conduisant à des innovations spécifiques ? Pour répondre à cette question, elles présentent une recherche originale couplant d’une part, l’analyse de contenu de 15 entretiens de dirigeants d’entreprises hénokiennes sur les liens entre les valeurs familiales et les stratégies d’innovation et, d’autre part, l’analyse en profondeur d’un cas d’entreprise pérenne innovante. Leurs résultats illustrent l’arbitrage constant que les entreprises familiales pérennes doivent faire entre tradition et renouvellement, d’où l’adoption d’une approche prudentielle de la gestion des risques liés à l’innovation. L’originalité de leur contribution tient dans la mise en lumière des processus sous-jacents au développement des stratégies d’innovation, illustrant ainsi comment l’entrepreneuriat familial s’exerce avec prudence dans les entreprises familiales pérennes. Par ailleurs, elles illustrent le lien entre entreprise familiale et entrepreneuriat en portant leur regard sur les entreprises familiales pérennes qui s’avèrent être aussi entrepreneuriales.

Par la suite, l’article de Constantinidis et Nelson (2009, ce numéro) introduit la dimension du genre dans l’entrepreneuriat familial, en interrogeant les conditions sous lesquelles les filles vont considérer de rejoindre l’entreprise familiale de leurs parents et la perception qu’elles ont de leurs possibilités de carrière dans ou en-dehors de celle-ci. Comparant les résultats de deux études exploratoires menées respectivement en Belgique et aux Etats-Unis, les auteures montrent que les filles font face à différents défis lorsqu’elles envisagent de reprendre l’entreprise familiale même s’il y a une acceptation de plus en plus grande des femmes en tant qu’entrepreneures ou chefs d’entreprise, dans la société. Ici, le point d’entrée est le lien entre la famille et l’entrepreneuriat car on traite de l’influence du contexte familial dans le développement des attitudes et représentations que les filles développent envers l’entrepreneuriat familial. Ce papier est intéressant à plus d’un titre. D’abord, il montre qu’il est possible de mobiliser simultanément la littérature sur la succession et le genre dans les entreprises familiales et celle sur l’entrepreneuriat féminin ce qui illustre la fertilisation croisée des deux champs. Ensuite, il fournit un exemple de dialogue fécond entre des chercheurs travaillant dans deux contextes nationaux différents. Enfin, l’article propose un agenda de recherche très riche qui invite à creuser l’influence du genre sur l’entrepreneuriat familial.

Pour leur part, Kansikas et Laakkonen (2009, ce numéro) s’intéressent à la perception que des étudiants Finlandais ont de l’entrepreneuriat familial et de l’idée d’être éventuellement propriétaire d’une entreprise familiale. En analysant le contenu des essais rédigés par les étudiants inscrits dans un cours d’« Introduction à l’entrepreneuriat et aux affaires », ces auteurs mettent en lumière les représentations que les jeunes entretiennent à l’égard de l’entrepreneuriat et présentent une cartographie de celles-ci. Là aussi, c’est le lien entre la famille et l’entrepreneuriat qui est scruté car, sous-jacent aux perceptions des jeunes envers l’entrepreneuriat familial, c’est la capacité du système familial à insuffler l’esprit d’entreprendre qui est questionnée. Ce genre de recherche est important car il interpelle les institutions d’enseignement et fournit des pistes sur le type de programmes académiques à mettre en place pour favoriser le développement d’attitudes favorables à l’entrepreneuriat familial.

A ces quatre contributions originales, s’ajoute une entrevue menée par Alain Bloch et Luis Cisneros avec Danny Miller, chercheur de réputation internationale tant dans les champs de l’entrepreneuriat, de la stratégie que des entreprises familiales où ses travaux avec Isabelle Le Breton-Miller ont permis des percées conceptuelles majeures. Au cours de cette entrevue, il retrace le cheminement qui l’a conduit à s’intéresser aux entreprises familiales et s’exprime sur la notion d’entrepreneuriat familial. En complément de cette entrevue, nous avons inséré la traduction de l’article « Filling the institutional void : the social behavior and performance of family vs non-family technology firms in emerging markets » de Miller et al., paru en 2009 dans le Journal of International Business Studies. Cet article offre un complément pertinent en ce qu’il éclaire le rôle que peuvent jouer les entreprises familiales entrepreneuriales dans les économies émergentes lorsque les autres institutions sont déficientes.

Olivier Germain nous offre ensuite un compte-rendu critique de l’ouvrage Entrepreneurial Family Firms, récemment publié par Frank Hoy et Pramodita Sharma (2010) lequel, bien qu’il s’adresse surtout à des professionnels et praticiens en les enjoignant à agir de manière entrepreneuriale, permet de prendre la mesure des ramifications qui découlent du croisement entre les entreprises familiales et l’entrepreneuriat. Le dossier thématique se clôt sur « Les notes de lecture de la rédaction », réalisées par Louise Cadieux.

Conclusion

Les domaines de recherche de l’entrepreneuriat et de l’entreprise familiale entretiennent, en théorie, des liens étroits qui ne demandent qu’à être renforcés (Dyer et Handler, 1994; Rogoff et Heck, 2003; Poutziouris et al., 2004; Stewart, 2008). Mais force est de constater que l’entrepreneuriat familial en tant que domaine de recherche est largement encore une terre inconnue. Si le thème de « l’entrepreneuriat familial » interpelle et semble faire sens pour un nombre croissant de chercheurs, force est de constater que, malgré l’intérêt qu’il suscite, peu d’efforts ont été accomplis pour tenter de conceptualiser, définir ou borner ce domaine.

Dans cet article, nous avons proposé une première conceptualisation de l’entrepreneuriat familial, en tant que champ de recherches original, résultant du double croisement de domaines jusqu’ici cloisonnés, famille et entrepreneuriat, d’une part, entrepreneuriat et entreprise familiale, d’autre part. Les travaux s’inscrivant dans le premier axe privilégient la dimension individuelle de l’entrepreneuriat, même si certaines recherches peuvent adopter un niveau d’analyse macro-économique. D’une manière différente et complémentaire, les travaux du second axe se situent au niveau organisationnel et considèrent l’entrepreneuriat dans une dimension plus collective. Les concepts d’entreprise entrepreneuriale (Miller, 1983) et d’orientation entrepreneuriale (Covin et Selvin, 1991; Lumpkin et Dess, 1996; Naldi et al., 2007) peuvent alors constituer des cadres théoriques pertinents.

Diverses pistes de recherche ont été suggérées pour explorer et développer le champ de l’entrepreneuriat familial. Elles portent sur la relation entre famille, dynamique familiale et comportement entrepreneurial (Aldrich et Cliff, 2003; Heck et al, 2008). La famille joue un rôle essentiel, exerce des influences multiples sur les individus et sur les firmes (Rosenblatt et al., 1985; Chrisman et al., 2007). Mais, peu nombreuses sont les recherches, dans le champ qui nous intéresse, qui utilisent les résultats d’études sur la famille, dans différentes cultures, dans différents contextes et à travers une pluralité de prismes disciplinaires. D’autres suggestions de recherche visent explicitement à l’identification des attributs et/ou des caractéristiques de la famille entrepreneuriale (Heck et al., 2008). D’autres, enfin, encouragent l’application de concepts et de modèles issus de l’entrepreneuriat organisationnel, pour étudier les comportements individuels et collectifs dans les entreprises familiales. L’agenda de recherche semble déjà très fourni et riche en suggestions, mais nous souhaitons néanmoins en ajouter une, qui nous vient de la compréhension que nous avons des travaux de Miller (1983), repris, dans leur philosophie, par Salvato (2004). Il nous semble, que si nous voulons réellement progresser, dans un champ très hétérogène, comme peut l’être l’entrepreneuriat familial, il convient de rester toujours attentif à la manière dont nous pouvons travailler sur base d’échantillons d’entreprises (et/ou d’individus) plus homogènes. Ici se posent les difficultés d’opérationnalisation des définitions utilisées pour décrire les objets de recherche et de la nécessité d’opter pour une approche transparente. Miller (1983) montre que l’entrepreneuriat s’exprime différemment dans des configurations organisationnelles distinctes. Salvato (2004) observe, d’une manière comparable, des différences dans la façon dont un ensemble de caractéristiques et d’attributs ‘expliquent’ le comportement entrepreneurial dans différents types d’entreprises familiales.

Les recherches à venir sont importantes, car elles devraient servir de fondations, aussi apparaît-il primordial de les concevoir avec la plus grande rigueur conceptuelle et méthodologique possible (Debicki et al., 2009). C’est dire que des efforts devront être consentis pour valider les résultats obtenus jusqu’à maintenant, en recourant par exemple à des échantillons de grande taille (Brockhaus, 1994).

Jusqu’à maintenant, la recherche en entrepreneuriat a pris surtout en compte le point de vue du propriétaire-fondateur ou dirigeant ou bien de la génération qui le suit, sans interroger ou très peu l’entourage et les autres membres de la famille ou, plus généralement, les autres stakeholders (Sten, 2007; Casillas et Acedo, 2007). De fait, cela signifiera de s’intéresser à plusieurs types d’acteurs et de répondants.

Mais, compte tenu de la grande diversité de facteurs intervenant dans l’entrepreneuriat familial du fait de l’entrecroisement des divers systèmes en présence et des relations entre les différents niveaux d’analyse, des approches plus intégrées, holistes seront aussi requises (Olson et al., 2003; Pieper et Klein, 2007; Basco et Rodriguez, 2009). Cela signifie que des études de cas en profondeur et des études longitudinales seront nécessaires pour découvrir les facettes encore inconnues du phénomène de l’entrepreneuriat familial, aux différents niveaux (micro et macro) où il s’exprime (Chrisman et al., 2007). De fait, comme le rappelle Weick (2007), suivant la Loi de la variété requise, pour capter la richesse d’un phénomène, une pluralité d’approches est nécessaire. Le recours aux méthodes historiques, anthropologiques et ethnographiques pourrait être ici pertinent afin de développer des théories enchâssées (grounded theory), embrassant la globalité du phénomène dans son contexte. Dans cette veine, des équipes multidisciplinaires de recherche sont envisageables car elles sont porteuses d’une pollinisation fructueuse (Sharma et al., 2007; Heck et al., 2008; Stewart, 2008).

Des recherches comparant différents contextes culturels et institutionnels sont appelés à prendre de l’ampleur si on veut comprendre comment les valeurs et croyances des familles se transmettent dans l’esprit entrepreneurial et comment celui-ci s’inscrit dans un système social plus large (Brice et Richardson, 2009). Les travaux comparant des contextes culturels et institutionnels nationaux différents ouvrent ici de nouvelles perspectives pour dépasser la vision ethnocentrée et occidentale qui prévaut dans la recherche et enrichir nos modèles (Baker et al., 2005).

D’autres difficultés, de bornage et de délimitation sont également prégnantes. Dans la perspective de l’entrepreneuriat, se pose la question de savoir si une entreprise qui démarre est ou non une entreprise familiale. Or, comme le soulignent de nombreux chercheurs en entrepreneuriat (Cooper et al, 1994; Saporta, 2002; Shapero et Sokol, 1982), les conjoints jouent souvent un rôle important lors du démarrage d’une entreprise, sans nécessairement devenir co-dirigeant (Kirkwood, 2009). A partir de quel moment peut-on parler d’entreprise familiale ou d’entrepreneuriat familial? Est-ce que les membres de la famille qui soutiennent l’initiative entrepreneuriale d’un membre sont nécessairement habités par l’esprit d’entreprendre ? Est-ce qu’ils considèrent que l’entreprise créée est familiale parce qu’ils y donnent un peu de leur temps?

Mais ces difficultés sont classiques, s’agissant d’un champ émergent, et plutôt que de les voir comme des menaces, elles peuvent constituer des opportunités de recherche et autant de possibilités supplémentaires de contribuer, à travers des connaissances nouvelles, à la crédibilité et à la légitimité de ce jeune champ.