Corps de l’article

L’accompagnement entrepreneurial constitue une pratique de plus en plus étudiée, à la fois par le monde académique mais également par les institutions politiques, notamment dans le souci de mesurer son efficacité (Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013). Des recherches ont montré que les entreprises accompagnées étaient caractérisées par un taux de survie supérieur à celui des entreprises non accompagnées (Paturel et Masmoudi, 2005). L’accompagnement entrepreneurial a pour vocation d’apporter des conseils stratégiques, juridiques et financiers indispensables au futur entrepreneur (Dokou, 2001) et permet à ce dernier de trouver des sources de financement et de pérenniser son activité en comblant des insuffisances stratégiques (Gasse et Tremblay, 2007; Dokou, Gasse, Abiassi et Camion, 2004). Néanmoins, il serait actuellement caractérisé par une standardisation des méthodes et des outils qui ne prennent pas en compte les spécificités des entrepreneurs (Maâlaoui, Bouchard et Safraou, 2014; Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013; Verzat, Gaujard et François, 2010).

Concernant l’entrepreneuriat féminin, la question de l’accompagnement est d’autant plus importante que les créatrices potentielles continuent de faire face à certaines difficultés. Bien que de plus en plus diplômées, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à créer (Kirkwood, 2009; Mueller et Dato-On, 2008). Par ailleurs, le choix du secteur d’activité reste fortement influencé par des réalités de genre (Lebègue, 2011; Shirokova et Tsyganova, 2010; Kirkwood, 2009; Bell, 2009; Cornet et Constantinidis, 2004). Les femmes exercent principalement dans le commerce de détail et les services à la personne et aux entreprises. En moyenne et relativement à leurs homologues masculins, elles dirigent des entreprises de plus petite taille, avec moins de financements de départ et moins de profits (Jennings et Brush, 2013; Fouquet, 2005). Elles affichent également des intentions de croissance plus faibles que les hommes (Davis et Shaver, 2012; Carrier, Julien et Menvielle, 2006) et font face à quatre préoccupations principales : le financement, le besoin d’amélioration des compétences par la formation, une intégration plus difficile des réseaux d’affaires et la conciliation travail-famille (Carrier, Julien et Menvielle, 2006). Ces difficultés impliquent de développer des réflexions académiques et institutionnelles sur ce que doivent être les contenus et les modalités d’encadrement en matière d’accompagnement entrepreneurial de la femme.

L’accompagnement différencié selon le genre a fait l’objet de peu de recherches académiques (Byrne et Fayolle, 2010; Orser et Riding, 2006), en dépit de l’accroissement des pratiques dans le domaine de l’entrepreneuriat féminin. Un manque de consensus se dégage concernant son efficacité. A la fin des années 90, Lee et Rogoff soutenaient que les femmes n’avaient pas besoin de programme de formation spécifique dans le domaine de l’entrepreneuriat et confirmaient ainsi les travaux antérieurs de Birley, Moss et Saunders (1987). Des recherches récentes ont cependant attiré l’attention sur les vertus d’un accompagnement au féminin (Richomme-Huet et D’Andria, 2013; Kirkwood, 2009), notamment pour les femmes dont le projet entrepreneurial ne répondrait pas aux critères d’innovation technologique de nombreux incubateurs demeurant encore majoritairement masculins (Marlow et McAdam, 2012). Certaines femmes s’engagent en effet en priorité dans des activités tertiaires car celles-ci permettent de trouver un équilibre entre professionnelle et vie familiale (D’Andria, 2014). Le choix d’un accompagnement au féminin s’explique alors par le fait que la femme potentiellement créatrice “se sentira plus à l’aise pour poser toutes les questions à d’autres femmes, notamment celles ayant trait à la conciliation entre sa vie professionnelle, personnelle, sociale et familiale” (Mione, 2006, p.41).

Les recherches académiques ont privilégié les approches individuelles de l’accompagnement entrepreneurial, c’est-à-dire les approches basées sur le développement du potentiel du porteur de projet, grâce à la mise en place d’une relation dyadique entre accompagnateur et accompagné (coaching, mentorat, etc.). Les approches dites collectives, autrement dit réalisées en groupe restreint, ont été fort peu étudiées. Dans cet article, nous proposons de porter l’attention sur une forme particulière d’accompagnement entrepreneurial de la femme combinant à la fois une approche genrée et une approche collective de l’accompagnement en phase ante-création. Pour plus de facilité dans l’analyse, nous utiliserons l’acronyme « ACAF » pour désigner la pratique d’Accompagnement Collectif Au Féminin que nous avons eu l’opportunité d’analyser. Ce soutien spécifique de la femme entrepreneur procède de l’organisation d’ateliers collectifs composés uniquement de femmes potentiellement créatrices et animés par une femme entrepreneur. Notre recherche a pour principal objectif d’identifier les avantages distinctifs et les limites de l’ACAF, relativement à d’autres formes d’accompagnement de la femme entrepreneur excluant une différenciation selon le genre.

L’accompagnement différencié selon le genre est préconisé afin d’atténuer le manque de confiance en soi de certaines femmes et de lever des freins de nature psychologique (Richomme-Huet et D’Andria, 2013; Byrne et Fayolle, 2010; Kirkwood, 2009). Il répondrait à certains besoins spécifiques des femmes tels que l’évaluation des capacités entrepreneuriales et l’établissement de la confiance en soi (Kirkwood, 2009; Orser et Riding, 2006). La peur de l’échec au démarrage de l’entreprise se révèle plus sensible chez la femme, même dans le cas de la création d’entreprise innovante (Bpifrance Le Lab, 2014). En conséquence, l’ambition de notre travail, consacré à l’analyse approfondie d’un dispositif genré d’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice, est de répondre à la question de recherche suivante : Quels sont les avantages et les limites de la différenciation selon le genre dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice ? De façon plus précise, nous structurerons notre analyse autour des deux interrogations suivantes :

  • Quel est le rôle de l’ACAF dans la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise ?

  • Quel est le rôle de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice ?

Pour répondre à l’ensemble de ces interrogations, nous avons mis en oeuvre une démarche abductive destinée à identifier les enjeux, pour la femme potentiellement créatrice, du recours à l’ACAF et à mieux appréhender la dynamique interactionnelle générée par ce type d’accompagnement. Analyser de façon approfondie les apports de l’ACAF relativement à d’autres formes d’accompagnement entrepreneurial de la femme en phase ante-création, répond également, selon nous, à l’objectif de clarification de l’offre française étendue d’accompagnement, dans une perspective de meilleure qualité et de lisibilité des services proposés (Messeghem, Sammut, Thoreux, Swalhi et Bakkali, 2014; Siegel, 2006). Les créatrices d’entreprise ne constituant pas un groupe homogène (Constantinidis, 2010), il est important de vérifier l’adéquation de l’ACAF à leurs besoins et à leurs objectifs en phase ante-création, par l’identification de ses avantages distinctifs et de ses limites.

Cet article sera organisé en trois parties. Dans un premier temps, nous présenterons le cadre théorique de notre recherche issu d’un croisement entre travaux consacrés à l’accompagnement différencié selon le genre et travaux de psychologie sociale consacrés aux apports de la dynamique de groupe restreint en matière d’apprentissage et d’engagement individuels. Dans un deuxième temps, nous préciserons les modalités de notre dispositif méthodologique basé sur une approche qualitative de nature abductive, afin d’analyser en profondeur les avantages distinctifs et les limites de l’ACAF. Trois modalités ont été mises en oeuvre : entretiens semi-directifs, observation non participante et expérimentations en univers féminin et en univers mixte. Dans un troisième temps, nous synthétiserons les résultats de notre recherche et les enrichirons d’éléments de discussion.

Avantages et limites de la différenciation selon le genre dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice

Tout d’abord, nous contextualiserons notre recherche consacrée à l’ACAF par la présentation d’exemples concrets d’accompagnement spécifique dédié aux femmes potentiellement créatrices, lesquels ont tendance actuellement à se multiplier. Ensuite, nous nous attacherons aux enjeux de l’accompagnement au féminin dans la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise. La sensibilité de certaines femmes potentiellement créatrices aux stéréotypes de genre fera l’objet d’une attention particulière. Enfin, nous insisterons sur les apports de la dynamique de groupe restreint dans l’accompagnement entrepreneurial de la femme en y intégrant l’importance de la mixité, à la fois en terme de partage d’expériences entrepreneuriales et de développement de réseaux d’affaires. Envisager le rôle de la mixité dans l’accompagnement entrepreneurial des femmes permet de mieux appréhender les limites du recours à l’ACAF.

La multiplication des pratiques d’accompagnement entrepreneurial au féminin

Compte tenu de la variété des profils des accompagnés, il semble important de renouveler les pratiques pour un accompagnement spécifique selon le porteur et la nature de son projet (Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013). Pour Sammut (2003), « l’accompagnement n’est pas carcan, il s’agit simplement de provoquer une impulsion, de tracer un cadre de réflexion, de créer des habitudes, de montrer que la réalité n’est pas toujours logique » (p.162). Il doit même gagner en spécificité selon les besoins et l’âge du porteur de projet (Verzat, Gaujard et Francois, 2010). A titre d’illustration, Maâlaoui, Bouchard et Safraou (2014) ont particulièrement insisté sur les enjeux de la mise en place d’incubateurs dédiés aux seniorpreneurs, pour un accompagnement psychologique et technique spécifique. L’accompagnement différencié selon l’âge permet dans ce cas particulier de « surmonter les profondes remises en cause psychiques et professionnelles, l’exclusion, le sentiment d’inutilité ainsi que l’isolement » (p.57). D’autres auteurs préconisent une approche genrée de l’accompagnement entrepreneurial. L’accompagnement différencié selon le genre s’est développé de manière importante ces dernières années et apparaît parfois faute de structures et de réponses adaptées aux besoins et aux attentes de certaines femmes entrepreneurs tels que ceux relatifs au souhait de concilier vie privée-vie professionnelle[1] (D’Andria, 2014; Richomme-Huet et D’Andria, 2013). L’encadré 1 ci-dessous récapitule un ensemble d’initiatives de soutien entrepreneurial destinées de façon spécifique aux femmes.

En novembre 2011, la Commission européenne a lancé un programme de mentorat au féminin : « European Network of Mentors for Women Entrepreneurs ». Deux cents femmes chefs d’entreprise ayant réussi ont été choisies pour accompagner des femmes de dix-sept pays européens dans leur projet de création. Il s’agit d’un accompagnement spécifique réalisé par des femmes pour des femmes et mis en oeuvre grâce au développement d’une plateforme électronique. Selon le rapport de la Commission européenne « Encouraging women entrepreneurs », ce programme a été instauré pour cinq raisons[2] :

  1. Les femmes attachent de l’importance aux conséquences familiales que peut avoir la création de leur entreprise et notamment à l’impact financier sur la famille.

  2. Lors de la création, les femmes gardent souvent leur emploi. Elles sont plus prudentes et plus sensibles que les hommes à l’échec.

  3. Les femmes se lancent définitivement dans l’entrepreneuriat après une période d’essai plus longue.

  4. Les femmes ont tendance à utiliser moins de capital que les hommes lors de leur création.

  5. Les entreprises créées par des femmes ont une croissance plus faible que celles créées par des hommes mais plus stable avec moins de risques d’échec.

Les enjeux de l’accompagnement au féminin dans la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise

Plus de trente ans de recherches académiques sur l’entrepreneuriat féminin montrent que la création d’entreprise est influencée par des différences de genre (Schneor et Jenssen, 2014; Jennings et Brush, 2013). L’accompagnement différencié selon le genre est préconisé afin d’atténuer le manque de confiance en soi de certaines femmes et de lever des freins de nature psychologique (Richomme-Huet et D’Andria, 2013; Byrne et Fayolle, 2010; Kirkwood, 2009). Il est, dans cette perspective, sous-tendu par une approche psychologique du processus entrepreneurial (Pluchart, 2012). De façon plus précise, Cornet (2014) établit un lien entre approche genrée d’une politique socio-économique et stéréotypes sexués. Lorsqu’une politique est appréhendée selon l’impact genré, cela revient à déterminer « la façon dont cette politique va renforcer ou non des stéréotypes sexués » (p.56). L’étude des stéréotypes de genre dans le domaine de l’accompagnement entrepreneurial de la femme est d’autant plus importante qu’ils peuvent être à l’origine d’un phénomène d’autocensure. Peur de l’échec et aversion au risque sont à l’origine de freins en matière d’entrepreneuriat féminin (Bönte et Piegeler, 2013; Shirokova et Tsyganova, 2010; Grilo et Irigoyen, 2006). Pour certaines femmes, la projection dans l’activité entrepreneuriale et la construction d’une identité de femme entrepreneur impliquent de déconstruire au préalable des stéréotypes de genre.

Le manque de confiance en soi : un frein à l’entrepreneuriat féminin

Koellinger, Minniti et Schade (2007) définissent la confiance entrepreneuriale comme la croyance subjective que l’on dispose de compétences suffisantes pour démarrer une affaire. Pour ces auteurs, la confiance dans ses capacités entrepreneuriales est un déterminant majeur dans la décision d’entreprendre. D’autres chercheurs mobilisent le concept d’auto-efficacité entrepreneuriale (Mueller et Dato-On, 2008; Zhao, Seibert et Hills, 2005) pour désigner l’évaluation que fait l’individu de sa capacité à entreprendre. Le processus entrepreneurial « est éminemment subjectif. Il s’ancre dans le « concept de soi », défini comme la manière dont l’entrepreneur se perçoit et l’estime qu’il a de lui-même » (Verzat, Gaujard et Francois, 2010, p. 61). La confiance en ses compétences entrepreneuriales et la connaissance d’autres entrepreneurs constituent des caractéristiques cruciales des femmes et hommes impliqués dans le démarrage d’une entreprise. Selon Langowitz et Minniti (2007), il existerait une corrélation fortement positive et significative entre la confiance en soi, la perception d’opportunités et la probabilité de créer une entreprise. Les hommes auraient des perceptions plus optimistes et donc des incitations plus fortes à créer leur entreprise. La principale différence serait la façon dont les hommes et les femmes se perçoivent eux-mêmes dans leur environnement.

Les perceptions individuelles jouent un rôle important dans le comportement entrepreneurial des femmes (Minniti, 2010). Le processus de création d’une entreprise peut être assorti d’une phase de doutes qui « se manifeste très concrètement par une incertitude sur la suite à donner à l’entreprise : l’entrepreneur envisage l’éventualité d’arrêter » (Valeau, 2006, p. 38). Cette phase de doutes peut s’expliquer par un manque de confiance en soi nécessitant alors le recours à un accompagnement spécifique selon le genre, afin de lever des barrières psychologiques, émotionnelles ou affectives (Pluchart, 2012; Byrne et Fayolle, 2010) et d’accroître les ambitions de la femme (Kirkwood, 2009). La phase d’émergence de l’idée à l’origine du projet entrepreneurial est également génératrice de doutes chez les créateurs-trices. Le manque de confiance en soi de certaines porteuses de projet accentue les incertitudes, ce qui rend fondamental le soutien et les conseils de l’accompagnateur-trice dans cette période sensible.

Pour Shirokova et Tsyganova (2010), le manque de confiance en soi constitue une différence de genre en matière d’entrepreneuriat et peut être amoindri via des programmes de formation à la création d’entreprise. Dans leur recherche, l’impact de la formation sur l’activité entrepreneuriale est apparu plus important chez les créatrices que chez les créateurs. Ainsi, les spécificités du porteur de projet et de la phase ante-création peuvent justifier un accompagnement spécifique. Kirkwood (2009) recommande la mise en place de programmes d’accompagnement au féminin, le réseautage au féminin ainsi que la diffusion de modèles de réussite entrepreneuriale au féminin pour accroître la confiance de la femme dans ses capacités entrepreneuriales. L’auteur encourage une focalisation plus grande des programmes de formation sur la construction de la confiance en soi plutôt que sur le développement de compétences techniques. Cornet (2014) rappelle la nécessité de « penser une politique de soutien à l’entrepreneuriat en mettant en avant des entrepreneurs hommes mais aussi des femmes impliquées dans tous les secteurs d’activité, y compris ceux et celles qui sont dans des secteurs fortement féminins ou masculins » (p.61).

Impact de l’accompagnement au féminin sur les antécédents du manque de confiance en soi de la femme entrepreneur

L’entrepreneuriat continue d’être perçu comme une activité masculine (Gupta, Turban, Wasti et Sikdar, 2009; Gupta et Bhawe, 2007). Selon Cornet (2014), le genre est sous-tendu par des constructions sociales et culturelles du féminin et du masculin, avec une dévalorisation des caractéristiques dites féminines et une survalorisation des caractéristiques perçues comme masculines. L’activité entrepreneuriale est impactée par les croyances sociétales. Ces croyances font que certaines femmes ne s’identifient pas à l’entrepreneuriat et ne recherchent pas d’opportunités d’affaires (Minniti et Naudé, 2010). En plus de la déconstruction des stéréotypes de genre, l’accompagnement au féminin a pour vocation de surmonter deux autres barrières : le sentiment de culpabilité qui peut être éprouvé en cas de difficulté à concilier projet entrepreneurial et vie familiale et la faiblesse du capital relationnel.

Déconstruire les stéréotypes de genre sur l’entrepreneuriat féminin

Gupta et Bhawe (2007) définissent les stéréotypes de genre comme des croyances partagées à propos des caractéristiques et des attributs associés à chaque sexe. Ils reposent sur l’établissement de dichotomies permettant de prédire facilement les comportements caractéristiques d’une catégorie (les hommes sont par nature agressifs, autonomes alors que les femmes sont réputées être gentilles ou d’un grand soutien). Ils fournissent des repères sur ce que les gens sont (stéréotypes descriptifs) ou doivent être (stéréotypes prescriptifs), sur leurs compétences ou leurs incompétences. Les stéréotypes de genre seraient d’autant plus difficiles à déconstruire que les hommes n’associeraient pas de caractéristiques féminines à l’activité entrepreneuriale (Gupta, Turban, Wasti et Sikdar, 2009). Scharnitzky (2012) distingue trois catégories de stéréotypes : l’autostéréotype (ce que les femmes pensent des femmes et ce que les hommes pensent des hommes), l’hétérostéréotype (ce que les femmes pensent des hommes et ce que les hommes pensent des femmes) et le métastéréotype (ce que l’on s’imagine que les autres pensent de nous). Dans le cadre de l’entreprise, les stéréotypes de genre peuvent générer un risque d’autocensure des femmes : « Le stéréotype qui associe les compétences liées à l’autorité et au leadership aux hommes et celles liées à l’écoute et à l’empathie aux femmes, représente un frein pour la confiance en soi des femmes. Il est difficile de se sentir à la hauteur ou même de se projeter sur des fonctions de managers ou de direction quand on sait que les compétences demandées font davantage référence au modèle masculin. Ainsi, les femmes auront tendance, soit à s’autocensurer, soit à se comporter en fonction de ces projections c’est-à-dire adopter des comportements masculins. » (p. 11). Les stéréotypes renvoient à des différences dans les caractéristiques psychologiques des hommes et des femmes (Mueller et Dato-On, 2008) et à une répartition des rôles au sein de la société (exemple de certains métiers qui sont traditionnellement considérés comme plus adéquats pour les hommes). La confiance en soi est assimilée à une caractéristique masculine.

Le concept de menace du stéréotype a été développé en psychologie sociale pour expliquer la diminution de performance de certains groupes sociaux lorsqu’ils ressentent cette menace. Des études ont montré que les femmes obtenaient de meilleurs scores à des tests mathématiques dans des groupes essentiellement féminins (Sekaquaptewa et Thompson, 2003) alors que la performance des hommes resterait inchangée quelle que soit la composition du groupe. La performance des femmes serait affectée positivement par la formulation de consignes non menaçantes en terme de stéréotype (Spencer, Steele et Quinn en 1999). Un environnement non menaçant, sécurisant, peut donc impacter de façon positive la performance de certaines femmes. Pour Désert (2004), les femmes seraient plus sensibles que les hommes à leur entourage social. Elles seraient également plus compétitives lorsqu’elles sont en concurrence avec d’autres femmes ou avec des individus qu’elles ont choisis (Gupta, Poulsen et Villeval, 2013; Bengtsson, Persson et Willenhag, 2005; Gneezy, Niederle et Rustichini, 2003). La compétition mixte, au contraire, renforcerait les différences de genre étroitement liées à un manque de confiance en soi et impacterait de façon négative leur performance (Gneezy, Niederle et Rustichini, 2003).

Lever le sentiment de culpabilité lié à la difficulté à concilier projet entrepreneurial et vie familiale

Le rapport à la vie de famille influence également la décision d’entreprendre chez la femme (D’Andria, 2014). Il l’impacte de façon négative lorsqu’il génère un sentiment de culpabilité lié à la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle (Richomme-Huet et D’Andria, 2013; Carrier, Julien et Menvielle, 2006; Fouquet, 2005; Laufer, 2003; Schindehutte, Morris et Brennan, 2003). Le sentiment de culpabilité est constitutif d’un biais émotionnel et affectif (Pluchart, 2012). Les reproches de la famille peuvent constituer un obstacle au projet entrepreneurial de la créatrice (Constantinidis, 2010). Le manque de confiance en soi qui peut en résulter procède de la croyance de la femme en son incapacité à consacrer suffisamment de temps à son projet entrepreneurial, du fait de la vie de famille. La proximité avec des femmes partageant le même objectif (concilier vie familiale et vie professionnelle) ou ayant des problèmes similaires est rassurante (Richomme-Huet et D’Andria, 2013). Cette proximité permet à la femme potentiellement créatrice de comparer sa situation avec celle d’autres créatrices, de gagner en confiance et d’obtenir le soutien qui peut faire défaut dans la famille (Constantinidis, 2010). Le rôle du conjoint est également mis en exergue dans la littérature en entrepreneuriat féminin en terme d’accompagnement informel (Nikina, Le Loarne et Shelton 2012). Il peut être facilitateur lorsque le conjoint a une conception moderne du rôle de la femme et de l’homme dans la société et dans la famille ou, au contraire, constituer un frein lorsque le conjoint adhère davantage à une vision beaucoup plus traditionnelle et stéréotypée de la répartition des rôles entre homme et femme dans le couple.

Développer l’activité de réseautage

La connaissance d’autres entrepreneurs est une caractéristique des femmes et des hommes impliqués dans la création d’entreprise (Langowitz et Minniti, 2007). Les réseaux d’affaires au féminin se développent : Action’elles, Aix’Elles, Business Woman, CréActives, Cyberelles, Femmes Business Angels, Fédération Pionnières, etc. Richomme-Huet et D’Andria (2013) ont comptabilisé en France 45 structures de soutien à l’entrepreneuriat féminin. Malgré cela, les femmes sont encore peu présentes dans les réseaux d’affaires. Des études expliquent cette situation par le manque de temps dû aux responsabilités familiales, le manque de crédibilité, le coût financier, la distance géographique, le manque d’information mais aussi par les caractéristiques individuelles telles que l’âge, l’origine ethnique, l’éducation et l’expérience professionnelle antérieure (Constantinidis, 2010; Constantinidis, Cornet et Asandei, 2006; Blisson et Rana, 2001). Pour Constantinidis (2010), les représentations sur le genre des femmes entrepreneurs, alimentées par des stéréotypes sexués, expliquent les freins auxquelles certaines sont confrontées en matière de réseautage. Ces stéréotypes découlent de « processus de séparation (ce qui est considéré comme masculin ou féminin) et de hiérarchisation (la valorisation du masculin considéré comme la norme) » (p.131). L’auteur (2010) rapporte par ailleurs l’exemple d’une femme opposée aux réseaux exclusivement féminins mais qui reconnaît « qu’ils peuvent constituer un outil pour former et motiver les femmes entrepreneurs, afin qu’elles puissent prendre confiance en elles et surmonter les difficultés liées à leurs représentations sur le genre » (p.140). Pour certaines femmes caractérisées par une logique de dédoublement, les réseaux féminins seraient complémentaires aux réseaux masculins dans le soutien moral et psychologique qu’ils apporteraient à la femme entrepreneur. Pour d’autres femmes, le recours aux réseaux féminins s’explique par le fait qu’elles se sentent marginalisées et désavantagées par rapport aux hommes. L’apport du réseau féminin réside alors dans la possibilité d’améliorer son affirmation de soi, d’obtenir un soutien qui peut faire défaut dans la cadre de la cellule familiale et de lever, in fine, un sentiment de culpabilité lié à la difficulté à concilier temps entrepreneurial et temps familial. La mise en place de collectifs de femmes repose sur une logique de regroupement affinitaire “par catégorie” afin de “permettre la création d’un entre-soi groupal, libérateur de parole, (re)créateur de confiance en soi et dans le collectif et catalyseur d’action” (Bruna et Chauvet, 2014, p.178).

Les apports de la dynamique de groupe restreint dans l’accompagnement entrepreneurial de la femme : le rôle de la mixité

Dans un premier temps, nous nous attacherons aux bienfaits de la dynamique de groupe restreint dans le passage à l’acte entrepreneurial. Dans un second temps, nous étudierons le rôle de la mixité dans l’accompagnement collectif des femmes potentiellement créatrices, afin d’identifier les limites de l’accompagnement différencié selon le genre. En effet, les programmes d’accompagnement au féminin subissent des critiques quant à leur efficacité. Ils renforceraient davantage les stéréotypes de genre qu’ils ne les élimineraient (Orser et Riding, 2006). L’accès à des réseaux masculins permettrait alors une déconstruction des stéréotypes en favorisant des moments de partage entre hommes et femmes et, en conséquence, une réduction des tensions (Scharnitzsky, 2012).

Contribution de la dynamique de groupe restreint au passage à l’acte entrepreneurial

L’importance accordée à la dynamique de groupe dans la production du changement et de l’engagement individuel prend ses racines dans les travaux fondateurs de Kurt Lewin (1947). Pour Joule et Beauvois (2002; 1998), cet engagement devant les pairs est d’autant plus puissant qu’il donne lieu à une déclaration publique entraînant l’action future. La dynamique du petit groupe, également appelé « groupe restreint », est caractérisée de la façon suivante par Bales (1999) : « Un petit groupe consiste en un nombre de personnes qui subissent des interactions réciproques, soit au cours d’une réunion « face à face », soit au cours de plusieurs réunions successives, au cours desquelles chaque participant a des impressions ou des perceptions des autres participants suffisamment claires pour qu’il puisse, soit sur le champ, soit lorsqu’il sera interrogé plus tard à ce sujet, faire état de quelques réactions envers les autres personnes, même si ces réactions consistent simplement en un souvenir de présence des autres. » (p. 284). Anzieu et Martin (2013) soulignent que la dynamique des groupes restreints est synonyme de psychologie des petits groupes, afin que chaque membre perçoive les autres et réagisse avec.

Pour De Visscher (2013), la notion de groupe restreint se réfère davantage à un groupe spatio-temporel qu’à un petit groupe limité en terme de taille : « Si le groupe, en « dynamique de groupes », est dit « restreint », c’est moins pour insister sur le petit nombre de personnes qui y participent que pour se référer aux seuls groupes circonscrits spatio-temporellement, ensemble de personnes réunies en un même lieu et en même temps (hic et nunc). […] Dans cet « ici et maintenant », les participants ont la double possibilité d’une perception réciproque et d’une interaction effective directe avec chacun des autres. A partir de ce sort commun expériencié, les échanges interindividuels induisent des relations tant cognitives qu’affectives, une interdépendance des membres, une solidarité, la constitution de normes et croyances spécifiques, de signaux, de rites et codes propres. » (p. 60-61). En d’autres termes, la dynamique de groupe influence les représentations et les actions individuelles.

Richomme-Huet et D’Andria (2013) font la distinction entre accompagnement individuel et accompagnement collectif : elles mettent en avant le rôle de l’accompagnement collectif en groupe restreint dans le partage d’expériences entrepreneuriales en matière de création de site internet, de référencement, de marketing, de protection de la marque, de communication, de développement personnel, etc. Ce type d’accompagnement collectif semble davantage porter sur le développement de compétences entrepreneuriales sur un plan technique. Pour ces auteurs, la dimension collective de l’accompagnement entrepreneurial se réfère à un accompagnement standardisé permettant de « mettre l’entrepreneur dans les meilleures conditions matérielles » (p.101) relatives à la formation, au suivi, au financement et à l’hébergement du projet entrepreneurial. La dimension individuelle de l’accompagnement, via le mentorat, le tutorat ou le coaching, aurait davantage pour objectif de « révéler le potentiel entrepreneurial et rendre autonome, dans les meilleures conditions immatérielles » et agirait comme un guide, une maïeutique, un catalyseur, etc. Dans notre recherche, nous nous distinguons de cette approche en conférant à la dimension collective de l’accompagnement une vertu psychologique libératrice, grâce à la bienveillance et à l’empathie mises en oeuvre par l’ACAF. Dans leur étude, le besoin d’accompagnement différencié provient essentiellement de la maternité pour des femmes devenant entrepreneur au cours de leur grossesse ou dans la période préscolaire de leur(s) enfant(s).

Fabbri et Charue-Duboc (2013) envisagent une forme collective d’accompagnement entrepreneurial basée sur la domiciliation partagée au sein d’un espace appelé « La Ruche » et animée par une dynamique d’apprentissage collectif. Bien que l’objectif de cette forme d’accompagnement se limite à la mise à disposition d’un lieu physique de domiciliation de la nouvelle entreprise et d’un lieu de travail (les entrepreneurs hébergés ne cherchant pas de soutien direct à leur activité entrepreneuriale), les auteurs insistent sur l’importance de la dynamique interactionnelle générée par la co-localisation d’entrepreneurs sociaux en pré ou post-création, afin de rompre l’isolement et d’accéder à des opportunités de rencontres et d’échanges. La bienveillance et la confiance réciproque qui caractérisent ce lieu de vie professionnelle partagé constituent des moteurs d’apprentissage collectif par la co-construction, grâce à la programmation d’évènements et de rencontres. « La figure de l’accompagnateur disparaît au profit du collectif formé par les entrepreneurs (p.86). »

Enfin, Fayolle et Schmidt (2014) rappellent l’importance, dans l’accompagnement entrepreneurial, de la prise en considération du plan humain, de l’écoute attentive, du questionnement candide et de l’esprit de bienveillance. Ces variables de contexte vont influencer de façon positive des variables dispositionnelles ou de personnalité telles que le bien-être psychologique, l’estime de soi, le sentiment d’efficacité personnelle, le locus de contrôle et l’optimisme qui peuvent être considérés comme des indicateurs de réussite d’une formation et d’un niveau de performance atteint (Gillet, Gilibert et Girandola, 2013).

Le rôle de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice

Selon Constantinidis (2010), certaines femmes évoluent dans une logique réticulaire d’assimilation en rejetant les réseaux féminins qu’elles identifient à des ghettos et en investissant des réseaux majoritairement masculins pour accéder à de l’information professionnelle et nouer des contacts d’affaires. Elles percevraient les hommes entrepreneurs « comme plus disponibles, plus organisés et/ou plus méthodiques que les femmes entrepreneures » (p.134). D’autres femmes insistent sur l’importance des réseaux mixtes pour « découvrir la manière dont les hommes travaillent [et leur faire prendre conscience] des problèmes rencontrés par les femmes » (p.137). La complémentarité des façons de voir et la richesse des expériences sont, pour ces femmes, les facteurs explicatifs de l’intégration de réseaux mixtes. La constitution d’un réseau relationnel pertinent représente un levier de croissance deux fois plus important pour la femme créatrice d’entreprise innovante que chez son homologue masculin (Bpifrance Le Lab, 2014), tout comme la cohésion de l’équipe.

Mixité des compétences et confiance entrepreneuriale

Mueller et Dato-On (2008) plaident pour un modèle androgyne de l’entrepreneuriat, en s’appuyant sur les travaux de Bem (1974) qui a proposé un instrument de mesure de la masculinité, de la féminité et de l’androgynie, le BSRI (Bem’s Sex Role Inventory). En début de processus entrepreneurial, la performance de l’entrepreneur participe principalement de la créativité et de l’innovation, ce qui implique à la fois des compétences masculines et féminines. Par la suite, l’entrepreneur, homme ou femme, devra disposer d’une capacité de persuasion et de leadership, capacité associée généralement à une caractéristique masculine. La confiance entrepreneuriale d’un individu serait donc impactée tantôt par la détention de compétences masculines tantôt par la mise en oeuvre de compétences féminines. Les auteurs ont démontré, dans le cadre de leur recherche, que le sentiment d’auto-efficacité entrepreneuriale n’était pas impacté par le genre, les invitant à penser que les temps sont en train de changer.

Gupta et Bhawe (2007) préconisent de valoriser, dans les programmes de formation entrepreneuriale et dans les médias, des caractéristiques entrepreneuriales neutres, autrement dit qui soient communes aux hommes et aux femmes, afin d’encourager ces dernières à s’engager davantage sur la voie de l’entrepreneuriat. Dans l’étude de Cornet et Constantinidis (2004), 40 % des femmes interrogées étaient en demande de plus de mixité en matière de formation permanente, afin de gagner en confiance et de s’exprimer plus facilement. Seulement 20 % des femmes interrogées se sont déclarées favorables à des groupes spécifiquement féminins. La recherche de diversité dans le partage d’expériences entrepreneuriales, à travers la participation de la femme potentiellement créatrice à un groupe mixte, permet d’éviter les effets négatifs de la pensée de groupe (Janis, 1972). Ces effets négatifs sont liés à la recherche d’un consensus pour préserver la cohésion du groupe et éviter les sources de conflit potentiel, par un mécanisme d’autocensure des voix discordantes. Cette pensée de groupe, privilégiée dans un souci de bienveillance et d’empathie mais susceptible d’être renforcée par des complicités de genre, peut empêcher d’appréhender de manière réaliste le potentiel d’un projet entrepreneurial.

Environnement mixte et déconstruction des stéréotypes de genre

Selon Scharnitzky (2012), un environnement mixte améliorerait la réduction des stéréotypes de genre. Dans le cadre de son étude menée auprès de plus de 1200 salariés évoluant dans différentes organisations, il aboutit aux conclusions suivantes :

  • Dans un environnement mixte, les femmes ont une vision des hommes moins négative.

  • Dans un environnement féminin, la vision des femmes envers les hommes est la plus négative.

  • Les femmes auraient également une meilleure image d’elles-mêmes dans un environnement mixte.

  • Pour les hommes, la mixité améliore fortement l’image qu’ils ont des femmes mais elle impacte également de façon importante l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.

Il en déduit que la mixité des rapports entre hommes et femmes génère des stéréotypes plus positifs et favorise la coopération entre les hommes et les femmes et la réduction des tensions. Il plaide par ailleurs pour la promotion d’un modèle androgyne du manager, le manager idéal, homme ou femme, devant disposer à la fois de compétences réputées traditionnellement comme masculines (charisme, leadership, impartialité, capacité de décision, …) et de compétences réputées traditionnellement comme féminines (relationnel, empathie, écoute, organisation, savoir, …). En terme de communication interne, et pour faciliter les projections des femmes à des postes à responsabilités, il semble essentiel, selon lui, de valoriser des compétences perçues comme masculines et féminines (ou « compétences mixtes ») et, in fine, de faire émerger des représentations androgynes des qualités managériales. L’auteur préconise que les hommes participent aux actions de coaching et de mentoring des femmes, organisées dans le cadre de réseaux féminins, « notamment pour permettre aux femmes d’ajuster la perception que les hommes ont envers elles, qu’elles croient négative alors qu’elle est plutôt bonne en réalité » (p.21). La déconstruction des stéréotypes de genre passerait donc par des moments de partage entre hommes et femmes, la mixité ayant aussi un rôle à jouer dans l’accompagnement psychologique et émotionnel des femmes qui sont sensibles aux stéréotypes de genre.

Selon Cornet (2014), les différences de genre sont contextuelles et temporelles et peuvent donc s’atténuer au cours du temps. A titre d’illustration, elle cite le cas de l’évolution des rôles de l’homme et de la femme dans la vie domestique et familiale, l’homme étant de plus en plus incité à y prendre part. Cette évolution des rôles modifie la vision traditionnelle de la répartition des tâches dans la sphère familiale : « Il est perçu, dans nos sociétés, de plus en plus comme « normal » qu’un homme demande des aménagements de son temps de travail pour des raisons familiales (garde partagée, etc.) mais cela est loin d’être vrai dans tous les pays du monde » (p.58). Certaines situations de genre ont donc tendance à s’estomper pour faire place à une interchangeabilité dans la répartition des rôles entre hommes et femmes. Pour Scharnitzky (2012), « Le rôle du père évolue, il souhaite aujourd’hui s’investir autant que la femme dans sa vie familiale et tend à avoir les mêmes préoccupations relatives à un équilibre vie privée-vie professionnelle. » (p.18). En 2001, Fitzgerald et Winter insistaient déjà sur certaines similarités de situation dans le cas du travail à domicile. Dans cette recherche, l’équilibre entre temps dédié au travail et temps dédié à la famille constitue une préoccupation commune aux hommes et aux femmes et la femme ne serait pas plus sensible que l’homme à la recherche de cet équilibre.

La construction de notre cadre théorique a nécessité le croisement de deux types de littérature académique : une première littérature dédiée aux enjeux de la différenciation selon le genre dans l’accompagnement entrepreneurial de la femme et une seconde littérature empruntée à la psychologie sociale et consacrée aux apports de la dynamique de groupe restreint en matière d’apprentissage et d’engagement individuels. Ce cadre théorique nous a permis de formuler quatre propositions de recherche afférentes aux avantages distinctifs et aux limites de la différenciation selon le genre dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice.

  • P1 : Dans la phase ante-création, l’accompagnement en groupe exclusivement féminin convient davantage aux femmes éprouvant un manque de confiance dans leurs capacités entrepreneuriales.

  • P2 : L’accompagnement en groupe exclusivement féminin facilite, pour la femme potentiellement créatrice, la déconstruction de stéréotypes de genre sur l’entrepreneuriat féminin.

  • P3 : L’accompagnement en groupe exclusivement féminin atténue, pour la femme potentiellement créatrice, le sentiment de culpabilité lié à la difficulté à concilier projet entrepreneurial et vie familiale.

  • P4 : Dans la phase ante-création, l’accompagnement en groupe mixte convient davantage aux femmes animées prioritairement par la recherche d’expériences entrepreneuriales diverses et le développement de réseaux d’affaires.

Méthodologie de la recherche : une approche abductive qualitative

Notre recherche sur l’ACAF vise à mieux appréhender son « effectivité » (Pluchart, 2012; Paturel, 2000), à travers l’étude de ses apports pour des femmes potentiellement créatrices. Elle n’a cependant pas pour ambition d’évaluer son « efficacité », liée à la pérennité des entreprises accompagnées, ou bien encore son « efficience », mesurée par la facilité et la rapidité d’accès aux ressources apportées aux créateurs. Dans cette recherche, nous nous concentrons sur les avantages distinctifs et les limites de l’ACAF perçus par les femmes potentiellement créatrices. Très peu de travaux ont été consacrés à cette forme particulière d’accompagnement entrepreneurial combinant à la fois différenciation selon le genre et dynamique collective. Notre recherche, de nature exploratoire, s’est appuyée en conséquence sur une démarche abductive, afin d’améliorer la production de sens et d’aboutir à de nouvelles articulations théoriques entre des concepts. La démarche abductive permet en effet, via des allers-retours fréquents entre les données brutes et les connaissances académiques, un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les choses (Koenig, 2013; Dubois et Gadde, 2002) et une proposition de cadre conceptuel qui, pour tendre vers la règle ou la loi, devra être testée par la suite sur une plus grande échelle (Charreire et Durieux, 2014). On ne parle pas de vrai ou de faux, “l’abduction ne porte que sur le possible” (Dumez, 2012, p.5).

Une demarche abductive

Notre recherche est fondée sur une démarche abductive. Charreire et Durieux (2014) parlent à cet égard d’“exploration hybride” pour désigner la production de connaissances basée sur des allers-retours entre observations empiriques et connaissances théoriques : “Le chercheur a initialement mobilisé des concepts et intégré la littérature concernant son objet de recherche. Il va s’appuyer sur cette connaissance pour donner du sens à ses observations empiriques en procédant par allers-retours fréquents entre le matériau recueilli et la théorie. La démarche est abductive dans ce cas.” (Charreire et Durieux, 1999, p.69). Le recours à cette démarche, qui se situe entre l’exploration et le test, est justifié dans le cadre de notre recherche par différents motifs :

  • Notre recherche est exploratoire : notre objectif est d’élaborer de nouvelles articulations théoriques entre des concepts (différenciation selon le genre et accompagnement collectif de la femme entrepreneur) et non de mettre à l’épreuve un ensemble d’hypothèses (Charreire et Durieux, 2014). Par conséquent, la déduction pure est exclue.

  • Des retours fréquents à la théorie se sont imposés en raison du grand nombre de données collectées : ces retours à la théorie facilitent la mise en ordre du matériau empirique recueilli ainsi que la production de sens. L’importance du matériau empirique s’explique par la rareté des travaux antérieurs consacrés à la différenciation selon le genre dans l’accompagnement collectif de la femme entrepreneur. La collecte de données nombreuses et de différentes natures nous contraint à structurer régulièrement notre système d’observations par des retours fréquents à la théorie.

  • L’induction pure est exclue. Elle suppose en effet d’explorer un phénomène en faisant table rase des connaissances antérieures sur le sujet (Charreire et Durieux, 2014). Or, pour mener à bien notre investigation sur les avantages distinctifs et les limites de l’ACAF, nous avons tiré profit de travaux antérieurs consacrés respectivement à la différenciation selon le genre dans l’accompagnement entrepreneurial de la femme et à la dynamique de groupe restreint en psychologie sociale.

Le recueil de donnees qualitatives : une approche multi-méthodes pour une analyse approfondie de processus

Afin d’analyser en profondeur les avantages distinctifs et les limites de l’ACAF et de procéder à des comparaisons entre groupe genré et groupe mixte, nous avons combiné différentes méthodes de collecte de données qualitatives, particulièrement éclairantes dans l’exploration de phénomènes entrepreneuriaux car elles permettent de saisir les processus dans leur complexité et dans la diversité de leurs contextes (Hlady-Rispal et Jouison-Laffitte, 2015; 2014). Pour Eisenhardt (1989), la méthodologie qualitative est particulièrement utile lorsque le phénomène étudié a fait l’objet de peu de travaux antérieurs et que la finalité de la recherche entreprise réside dans la construction théorique et non pas dans le test.

Trois étapes ont encadré notre analyse de processus. La première a consisté à réaliser des entretiens semi-directifs, entre octobre 2012 et avril 2013, auprès de femmes ayant bénéficié d’un ACAF, dans le cadre de l’incubateur « Normandie Pionnières » qui anime et développe un réseau d’accompagnement au féminin à la création d’entreprises[3]. La deuxième étape s’est appuyée sur une démarche d’observation participante, via notre immersion dans un dispositif d’ACAF. Cette deuxième étape nous a permis de mieux identifier les spécificités de fonctionnement, d’animation et d’interactions mises en oeuvre dans le cadre du jeu collectif du GonoGo©. La troisième étape, mise en place entre mai et juin 2014, a consisté à organiser deux expérimentations, afin d’isoler, dans l’ACAF, les effets du genre des effets de la dynamique de groupe restreint et de mieux appréhender le rôle de la mixité dans l’accompagnement collectif des femmes entrepreneurs. Nous souhaitions neutraliser, dans la mesure du possible, l’impact du genre dans l’ACAF, pour mieux identifier sa valeur ajoutée et ses limites, relativement à d’autres formes d’accompagnement excluant la différenciation selon le genre. A cette fin, nous avons choisi de tester le jeu collectif du GonoGo©, habituellement pratiqué en univers exclusivement féminin, en univers mixte. La collecte de données primaires a été complétée par une analyse de données secondaires (site internet de l’association, brochures et articles de presse dédiés à son activité, etc.), dans un souci de triangulation.

Les entretiens semi-directifs : pour une confrontation des points de vue

Afin de confronter les points de vue dans le domaine de l’ACAF, nous avons réalisé trente entretiens semi-directifs auprès d’accompagnateurs-trices et d’accompagnées et multiplié en conséquence les études de cas. L’étude de cas multiple autorise en effet l’exploration en profondeur d’un objet de recherche en favorisant l’accès à des perceptions d’acteurs. La confrontation de points de vue favorise le repérage de régularités en faisant varier les caractéristiques contextuelles de la recherche (Thietart et al., 2014; Yin, 2013; Hlady-Rispal, 2002). Pour isoler les spécificités et les enjeux de l’ACAF relativement à l’accompagnement non différencié, nous avons par ailleurs interviewé des accompagnateurs (hommes et femmes) intervenant dans des structures d’accompagnement mixte ainsi que des femmes entrepreneurs ayant eu recours à un accompagnement non différencié.

Parmi les vingt femmes accompagnées ou en cours d’accompagnement entrepreneurial interrogées, douze ont témoigné de leur expérience en matière d’ACAF et huit autres ont été sollicitées pour témoigner de leur expérience en matière d’accompagnement mixte. Cette diversité de profils répondait à l’objectif de mieux cerner les particularités des femmes qui se sont engagées dans un ACAF, relativement à d’autres qui se sont tournées vers un accompagnement mixte. Certaines femmes avaient par ailleurs eu l’occasion d’être accompagnées à la fois par Normandie Pionnières et par une ou plusieurs structures mixtes. Elles étaient donc en mesure de nous donner des éléments de comparaison et de nous aider dans l’identification des spécificités de l’ACAF. Les femmes ayant bénéficié d’un accompagnement entrepreneurial, au féminin ou mixte, ont été interrogées sur leurs motivations à se lancer dans la création d’entreprise, sur l’état d’avancement de leur projet, sur les raisons pour lesquelles elles avaient choisi de s’orienter vers un accompagnement au féminin ou mixte et sur les apports de cet accompagnement. Les accompagnateurs et accompagnatrices, quant à eux, ont été mobilisés pour répondre à des questions portant sur les différences observées, au niveau de l’accompagnement, entre hommes et femmes et sur les spécificités de l’accompagnement au féminin, relativement à celles d’un accompagnement non différencié selon le genre.

L’analyse de cette première série de données primaires a produit des résultats qui ont été discutés par la suite à l’occasion d’une table-ronde que nous avons organisée avec le soutien de cinq professionnels de l’accompagnement entrepreneurial. Les deux tableaux ci-dessous précisent les caractéristiques de nos entretiens semi-directifs.

Tableau 1

Une comparaison entre ACAF et accompagnement mixte

Une comparaison entre ACAF et accompagnement mixte

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 2

Une comparaison entre ACAF et accompagnement mixte

Une comparaison entre ACAF et accompagnement mixte

Tableau 2 (suite)

Une comparaison entre ACAF et accompagnement mixte

-> Voir la liste des tableaux

Observation participante et design expérimental : l’immersion dans un dispositif d’ACAF

L’observation participante « implique de la part du chercheur une immersion totale dans son terrain, pour tenter d’en saisir toutes les subtilités » (Soulé, 2007, p. 128). Ainsi, la participation à un dispositif d’ACAF nous a permis de « vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir comprendre certains mécanismes difficilement décryptables » (p. 128). Il s’agissait notamment de mieux appréhender la dynamique interactionnelle générée par un dispositif d’ACAF. Cette observation participante peut être qualifiée de « clandestine » ou de « couverte » (Soulé, 2007) car seule l’animatrice avait été informée de nos objectifs de recherche. Celle-ci a souhaité que nous participions sans exposer ces objectifs, afin de ne pas perturber la dynamique de groupe recherchée. Des notes ont été prises tout le long de l’atelier. L’intérêt de cette méthode réside dans le fait que le chercheur ne dévoile pas ses intentions réelles et permet ainsi d’observer in situ les comportements du groupe et des individus. Selon De Sardan (2001), il s’agit de comprendre les processus sociaux dans leur contexte naturel sans générer de biais qui auraient pu s’installer si les objectifs du chercheur et son statut avaient été présentés.

Pour mettre en oeuvre cette démarche d’observation participante, nous avons sollicité de nouveau l’association Normandie Pionnières, créée à l’origine par un homme : Pierre Gilles. Celui-ci « trouvait que les femmes étaient insuffisamment accompagnées dans leur envie d’entreprendre »[4], indique Florence Canler, consultante dans l’accompagnement des dirigeants et co-fondatrice de Normandie Pionnières. Florence Canler a développé le coaching « J’y vais/J’y vais pas » (Go/No Go : je crée/je renonce à créer) parce que « les femmes manquent de confiance en elles et sont insuffisamment armées pour aller chercher des financements. Et on tombe dans le syndrome du petit projet ». Normandie Pionnières propose un parcours d’accompagnement à la création d’entreprises qui revêt un caractère original grâce à l’utilisation d’un jeu coopératif : le GonoGo©. Ce dispositif est structuré autour de deux ateliers de trois heures (voir la figure 1 ci-dessous) qui se déroulent entre femmes et sont animés par une femme spécialisée en développement personnel. Les participantes sont toutes en phase ante-création de leur projet entrepreneurial (phase de réflexion sur l’idée de création). Pour ce qui nous concerne, nous avons participé à un atelier composé de quinze femmes potentiellement créatrices. Chacune de ces femmes se verra attribuer un code pour les extraits d’entretien figurant dans la présentation et l’analyse de nos résultats : « Cas GNG 1 », « Cas GNG 2 », etc. Le parcours d’accompagnement se poursuit par une phase de soutien technique composé des ateliers 3 à 9 qui permettent d’appuyer la future chef d’entreprise dans la réalisation de son étude de marché et la définition de son modèle économique. Au total, le dispositif d’accompagnement repose sur dix étapes réalisées en quatre mois et complétées par des suivis individuels effectués par des coachs majoritairement féminins.

FIGURE 1

Méthodologie de l'accompagnement au féminin en 10 étapes chez Normandie Pionnières

Méthodologie de l'accompagnement au féminin en 10 étapes chez Normandie Pionnières

-> Voir la liste des figures

Le GonoGo© est un jeu coopératif inspiré de la philosophie du Tao. Il a été développé par les journalistes du magazine Actuel. C’est un jeu « qui permet de vivre avec les autres une aventure à l’intérieur de soi »[5]. L’objectif de ce jeu collectif est le mieux-être. Les joueurs forment alors une communauté dans une atmosphère conviviale où « respect d’autrui, écoute, échange, engagement sont autant de voies menant vers une nouvelle forme de relation d’aide, ludique mais concrète et surtout réciproque ». Le jeu est un échange collaboratif, participatif, qui permet à chaque joueur « d’éclairer l’autre et d’être éclairé par lui » et « de se reconnaître dans un nous collectif ». C’est Florence Canler qui s’est inspirée du jeu du Tao pour créer le jeu du GonoGo© et faciliter le passage à l’acte de création. Ce jeu conduit les futures créatrices à se questionner sur leurs forces, leurs faiblesses, leurs soutiens mais également leurs ressources. Introspection de la créatrice et de son projet, il s’agit de lever les doutes et de l’accompagner dans sa décision entrepreneuriale. La créatrice potentielle voyage dans plusieurs univers (forces, faiblesses, opportunités, menaces), à chaque étape tire une carte sur laquelle figure une question et y répond le temps d’un sablier. Les autres participantes interviennent ensuite pour donner leur ressenti. Ces ateliers collectifs donnent à la femme potentiellement créatrice l’occasion de parler en public de son projet entrepreneurial. A la fin du jeu, chaque participante doit répondre à la question suivante : « Est-ce que je crée mon activité ou pas ? ». Lorsqu’elle répond devant le collectif de façon positive à cette question, elle prend un engagement qui la fait avancer sur le chemin du passage à l’acte et dans sa prise de décision finale.

Notre collecte de données primaires a été finalisée par l’organisation de deux ateliers mixtes en mai et juin 2014, afin de mieux identifier les avantages distinctifs et les limites de l’ACAF. Ces ateliers ont consisté à tester le jeu du GonoGo© en groupe mixte, composé de trois hommes et de trois femmes. Ils ont été animés par Florence Canler, créatrice du jeu, habituellement utilisé en univers exclusivement féminin. Le recrutement des participants s’est effectué auprès d’organismes accompagnant à la création d’entreprise : Chambre de Commerce et d’Industrie de Caen, Business Innovation Center de Synergia, Pôle-emploi, etc. A l’issue des ateliers, les douze participants, hommes et femmes, ont été interrogés sur les apports de cette forme d’accompagnement collectif. L’organisation de ces ateliers mixtes nous a permis de procéder à des comparaisons entre les apports de l’ACAF et les ceux de l’accompagnement collectif non différencié, à partir de l’analyse des perceptions de tous les participants interrogés. Le rôle de la mixité dans l’accompagnement entrepreneurial en groupe restreint a pu, en conséquence, être appréhendé, autorisant ainsi une identification des avantages distinctifs et des limites de l’accompagnement au féminin. La mise en place d’un design expérimental permet une mise en oeuvre en situation réelle (Wacheux, 1996), dans une logique de compréhension de la réalité (Thiétart et al., 2014). Cependant, les études réalisées sous forme d’expérimentations révèlent la difficulté ou l’impossibilité de contrôler toutes les variables (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999), le chercheur en sciences de gestion est donc plus souvent en situation de quasi-expérimentation (Campbell et Stanley, 1963). Par le passé, le design expérimental a notamment été utilisé pour tester l’influence des stéréotypes de genre en matière d’entrepreneuriat féminin (Gupta et Bhawe, 2007).

Le processus de categorisation des données empiriques : utilisation d’un codage a visee theorique

Le processus de sélection, de centration, de simplification et de transformation des données brutes collectées (Miles, Huberman et Saldaña, 2013) repose, dans le cadre de notre recherche, sur un codage à visée théorique, particulièrement adapté à une démarche abductive. Ce type de codage permet en effet de “coupler [les approches inductive et déductive], afin de procéder de manière plus itérative. Il s’agit alors de favoriser des “allers et retours” entre les données recueillies et les interprétations successives du chercheur” (Point et Voynnet-Fourboul, 2006, p.64). Le codage à visée théorique permet l’élaboration de réponses provisoires, dans le cadre d’un essai de conceptualisation d’un phénomène relativement peu étudié, autrement dit dans un contexte de théorisation en progression (Mucchielli et Paillé, 2005). Le chercheur combine alors catégories prédéfinies, issues de sa revue de la littérature, et catégories émergentes, issues de la phase de collecte de données empiriques, pour transformer ses données primaires. Les codes sont des concepts qui confèrent aux données une signification (Hlady-Rispal et Jouison-Laffitte, 2015), facilitant ainsi l’étape de théorisation. Pour ce qui concerne notre recherche, l’unité de texte la plus souvent retenue est la phrase ou un groupe de phrases, afin de préserver au maximum le sens et la complexité des données (Point et Voynnet-Fourboul, 2006). Par ailleurs, l’utilisation du logiciel d’analyse qualitative NVivo (QSR NUD*IST version 6) a facilité le processus de catégorisation de nos données empiriques. Ce type de logiciel constitue en effet un support utile à l’étape de théorisation (Bournois, Point et Voynnet-Fourboul, 2002). Enfin, la construction de matrices inter-sites a facilité le processus final de condensation et d’analyse des données brutes collectées (Miles, Huberman et Saldaña, 2013) par l’identification de relations récurrentes explicatives entre concepts. La mise en évidence de causalités intersites permet en effet d’atteindre un niveau plus élevé de validité externe. Des extraits de matrices inter-sites seront présentés ci-après.

Notre dispositif de codage final a consisté à définir une catégorie centrale pour chaque sous-question de recherche et à identifier des liens de causalité avec des catégories secondaires. Le concept de “manque de confiance en soi” constitue la catégorie centrale permettant de transformer les données brutes collectées relatives à la sous-question des avantages distinctifs de l’ACAF dans la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise. En lien avec cette catégorie centrale, deux catégories secondaires ont émergé du terrain spécifique étudié (l’ACAF), grâce à l’identification d’occurrences inter-sites dans le processus de condensation des données, et ont été confrontées par la suite aux conclusions de la littérature académique : les “stéréotypes de genre sur l’entrepreneuriat féminin” et le “sentiment de culpabilité lié à la difficulté à concilier projet entrepreneurial et vie familiale”. Le traitement de cette première sous-question de recherche est fondé principalement sur la recherche de similitudes, à travers une comparaison constante des données (Glaser, 1992). Pour répondre à la sous-question des limites de la différenciation selon le genre dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice, le concept de “mixité” correspond à notre deuxième catégorie centrale autour de laquelle gravitent les notions secondaires d’accompagnement psychologique, de partage d’expériences entrepreneuriales diverses et de développement de réseaux d’affaires révélées par la phase de design expérimental. Le traitement de cette seconde sous-question de recherche a participé, quant à lui, de la recherche de contrastes dans les données qualitatives collectées (Strauss et Corbin, 1998), afin de procéder à une comparaison entre les apports de l’accompagnement collectif genré et les apports de l’accompagnement collectif mixte.

Présentation des résultats et discussion

Dans un premier temps, nous étudierons le rôle spécifique joué par l’ACAF dans la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise. Nous démontrerons que l’approche genrée, sur laquelle il repose, est particulièrement adaptée aux besoins de la femme sensible aux stéréotypes de genre sur l’entrepreneuriat féminin et sur le rôle de l’homme et de la femme dans la sphère familiale. C’est l’accompagnement psychologique de ces dernières qui semble distinguer l’ACAF d’autres formes d’accompagnement entrepreneurial basées davantage, quant à elles, sur le développement de compétences techniques. Dans un second temps, nous appréhenderons les limites de l’ACAF en exposant les apports de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice. Certaines femmes sont en effet à la recherche de complémentarités avec leurs homologues masculins, à la fois pour partager des expériences entrepreneuriales diverses et développer une activité de réseautage.

Sur les apports de l’acaf : un accompagnement psychologique pour des femmes sensibles aux stéréotypes de genre

Le manque de confiance dans ses capacités entrepreneuriales apparaît très nettement, dans notre recherche, comme un facteur explicatif du recours à l’ACAF. Il résulte de deux causes principales : l’importance accordée par certaines femmes aux stéréotypes de genre en ce qui concerne l’entrepreneuriat féminin et le rapport à la vie de famille, perçue comme difficilement conciliable avec un projet de création d’entreprise. Participer à un groupe exclusivement féminin, caractérisé par la bienveillance, l’empathie et l’absence de compétition, contribue à la levée de ces freins psychologiques.

Le manque de confiance en soi : principal facteur explicatif du recours à l’ACAF

Les accompagnateurs-trices soulignent la difficulté, chez certaines femmes, à passer à l’acte i.e. à prendre la décision de créer une entreprise. Elles semblent rester plus longtemps dans une période de perplexité, de doutes, alors que les hommes, lorsqu’ils sollicitent des structures d’accompagnement entrepreneurial, ont déjà pris leur décision. « Chez nous [les hommes], c’est le GO tout de suite et d’ailleurs, ça me surprend toujours qu’on dise finalement « Je n’y vais plus. » », nous a déclaré le Directeur d’une pépinière. Des spécificités propres aux femmes ont été avancées au cours de nos entretiens. Certaines créatrices manquent de confiance en elles et revendiquent le besoin d’échanger avec d’autres femmes afin d’être rassurées. Elles se mettent des barrières, s’empêchant ainsi de créer par timidité, par doutes ou par culpabilité vis-à-vis du conjoint et de la cellule familiale.

L’ACAF contribue à lever des freins psychologiques par la mise en place d’un cercle de confiance, au sein duquel les participantes vont exprimer leurs craintes et leurs doutes quant à leur projet entrepreneurial. Ce constat de l’influence de l’accompagnement au féminin dans l’augmentation de la confiance entrepreneuriale vient corroborer les enseignements des travaux menés notamment par Richomme-Huet et D’Andria (2013) et par Kirkwood (2009). La peur de l’échec reste marquée par des différences de genre. Cette observation est conforme aux propos de Shirokova et de Tsyganova (2010). La phase de doutes dans le processus entrepreneurial, évoquée par Valeau (2006), appelle, pour certaines femmes potentiellement créatrices, un accompagnement différencié selon le genre. L’encadré 2 illustre le manque de confiance en soi exprimé par certaines de nos répondantes.

Les antécédents du manque de confiance en soi des femmes ayant choisi l’ACAF 

Le poids des stéréotypes de genre liés à l’entrepreneuriat féminin (crédibilité de la femme entrepreneur moindre que celle d’un homme, écoute masculine limitée, regard de l’homme dépréciateur, acte d’entreprendre nécessairement réservé aux hommes, etc.) accroît le manque de confiance en soi et incite certaines femmes à se diriger vers un accompagnement au féminin. Cette sensibilité de la femme aux stéréotypes de genre, mise en avant par des travaux antérieurs (Minniti et Naudé, 2010; Gupta, Turban, Wasti et Sikdar, 2009; Gupta et Bhawe, 2007), génère un besoin de se retrouver dans un environnement exclusivement féminin, perçu comme bienveillant, empathique et éloigné de tout jugement masculin dépréciateur. Ceci permet d’extérioriser la pression issue du poids accordé à ces stéréotypes et qui aboutissent au risque d’autocensure évoqué par Scharnitzky (2012). Notons par ailleurs le temps consacré par l’animatrice, lors des ateliers GonoGo©, à communiquer aux participantes des exemples de réussite de femmes entrepreneurs, renforçant ainsi le processus d’identification sociale[6] et l’appropriation progressive de l’acte d’entreprendre. La valorisation de modèles féminins de réussite entrepreneuriale, sur laquelle ont particulièrement insisté Kirkwood (2009) et Cornet (2014), contribue à mettre à mal les stéréotypes sur l’entrepreneuriat assimilant ce dernier à une activité masculine.

Le manque de confiance en soi est également renforcé par les difficultés dues à la conciliation des problématiques familiales et entrepreneuriales. Ces difficultés ont été mises en lumière à de multiples reprises dans la littérature académique (Richomme-Huet et D’Andria, 2013; Carrier, Julien et Menvielle, 2006; Fouquet, 2005; Laufer, 2003; Schindehutte, Morris et Brennan, 2003) et expliquées par l’influence de représentations sociales sur le rôle de l’homme et de la femme dans la sphère familiale. Le recours à l’ACAF s’explique, dans cette hypothèse, par la recherche d’une approbation externe quant à la décision d’entreprendre, notamment lorsque le soutien familial fait défaut. Cette situation peut constituer un obstacle au projet entrepreneurial, comme a pu le mettre en évidence Constantinidis, dans ses travaux de 2010. L’approbation externe, obtenue lors de l’ACAF, facilite alors la levée d’un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ses proches et génère un soutien moral qui permet à la femme, encore hésitante, de passer à l’action.

Le tableau 3 ci-dessous synthétise, dans le cadre d’une matrice inter-sites, les antécédents du manque de confiance en soi des femmes interviewées ayant choisi l’ACAF.

Influence de la dynamique de groupe restreint dans l’ACAF

La dynamique de groupe restreint, générée par le jeu collaboratif au féminin, permet de lever des barrières psychologiques. Elle facilite la prise d’un engagement devant les pairs, au sens de Joule et Beauvois (2002; 1998). Chaque participante constate que sa situation n’est pas unique. La comparaison avec d’autres créatrices potentielles va lui permettre de gagner en confiance quant à la faisabilité de son projet entrepreneurial. Rassurée, avec une meilleure estime d’elle-même, elle est alors davantage prête à décider et à passer à l’acte. L’écoute attentive et l’esprit de bienveillance caractéristiques de l’ACAF favorisent ce processus. Echanger en groupe restreint optimise les bienfaits du collectif, via la possibilité d’une perception réciproque et d’une interaction effective directe avec chaque membre du groupe (De Visscher, 2013) :

- « Je pense que, quand même, la femme a besoin de parler, la femme a besoin d’être entendue et de communiquer ses angoisses. L’homme, c’est le contraire, l’homme va plutôt, en période d’angoisse, l’homme ne va pas communiquer de la même façon ses angoisses, il va plutôt se refermer comme une huître, et donc, si la femme sent qu’elle peut pas sortir ça, il y a un truc qui va coincer. »

Cas 8

- « Ce GonoGo©, le fait d’être écoutée et de formuler en disant « J’ai envie de faire ça ! », tout simplement parce qu’elles ne l’ont peut-être jamais formulé auprès de leur famille, et le fait de le formuler, on agit déjà, on est dans l’action. »

Cas 10

- « Le GonoGo©, là, elles viennent en amont, elles discutent entre elles pour savoir si elles y vont ou pas, sans complexes, et peuvent dire finalement « Je me suis plantée ! ». »

Cas 5A

- « Le GonoGo©, je pense que c’est vraiment les expériences des autres femmes qui apportent, enfin, moi, c’est vraiment ça, je trouve, qui rend les choses différentes d’une autre structure d’accompagnement. […] La base du projet doit être entre femmes, on répond à plus de questions entre femmes. »

Cas 27

Sur les limites de l’acaf : le rôle de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement creatrice

Dans cette recherche, l’ACAF est apparu, pour certaines femmes créatrices, comme une phase importante du processus de décision entrepreneuriale, grâce à la levée de freins psychologiques. Toutefois, il est important de souligner que d’autres femmes rejettent ce type d’accompagnement et préfèrent recourir à un accompagnement mixte. Afin d’identifier, dans l’ACAF, les contributions respectives de l’approche genrée et de la dynamique de groupe à la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise, nous avons procédé à des expérimentations en contexte de mixité. Ces expérimentations nous ont permis de neutraliser pour partie l’impact du genre et d’entreprendre une comparaison entre les apports de l’ACAF et les apports d’ateliers mixtes en groupe restreint. A l’issue de ces expérimentations, chaque participant(e) a été interrogé(e) sur ses ressentis vis-à-vis de l’atelier mixte en groupe restreint. Il s’est avéré que l’accompagnement psychologique, recherché dans l’ACAF, pouvait également être mis en oeuvre dans le cadre d’ateliers collectifs mixtes et que certaines créatrices potentielles attachaient beaucoup d’importance à la mixité du groupe pour confronter des points de vue différents et se préparer à intégrer des réseaux masculins. Enfin, l’importance du collectif féminin semble s’amoindrir dans les phases d’accompagnement plus technique liées aux différentes étapes de la construction du business plan.

Tableau 3

Matrice inter-sites dédiée aux antécédents du manque de confiance en soi des femmes ayant choisi l’ACAF

Matrice inter-sites dédiée aux antécédents du manque de confiance en soi des femmes ayant choisi l’ACAF

-> Voir la liste des tableaux

Les apports de la mixité dans l’accompagnement psychologique en groupe restreint

Les ateliers mixtes en groupe restreint, basés également sur l’utilisation du jeu coopératif GonoGo©, peuvent aussi contribuer à la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise. Les hommes et les femmes interrogés à l’issue de ces ateliers insistent particulièrement sur leur caractère bienveillant, empathique et non compétitif. Ce contexte favorise la levée de doutes sur le projet entrepreneurial, l’évocation de préoccupations de l’ordre de l’intime et l’augmentation de la confiance en soi. Ces bienfaits sont ressentis à la fois par des femmes et par des hommes. Une créatrice potentielle a notamment mis en avant le rôle que peut avoir un environnement mixte dans l’accompagnement psychologique du créateur : « Peut-être que le fait d’avoir été avec des femmes lui [en parlant d’un homme ayant participé à un atelier mixte] a permis de sortir des choses plus émotionnelles qu’il ne se serait pas permis s’il avait été qu’en face d’hommes. » Atelier mixte, Créatrice 1.

La difficulté à concilier projet entrepreneurial et vie familiale concerne également certains créateurs. A titre d’illustration, une autre créatrice ayant participé à un atelier mixte nous a confié ses ressentis vis-à-vis d’un créateur confronté à cette difficulté : « [Cet homme], moi je l’ai ressenti avec beaucoup de freins encore, notamment familiaux. » Atelier mixte, Créatrice 6. Cette évolution de la répartition des rôles de l’homme et de la femme dans la sphère familiale a été constatée dans des travaux académiques antérieurs (Cornet, 2014; Scharnitzky, 2012). La recherche d’un équilibre entre les différents temps de vie semble constituer, pour certains auteurs (Fitzgerald et Winter, 2001), une préoccupation commune à l’homme et à la femme. L’accompagnement collectif sous forme de jeu permet de s’éloigner temporairement de la réalité quotidienne des créateurs et des créatrices pour mieux se centrer sur leur bien-être et rompre la solitude inhérente au lancement d’un projet entrepreneurial.

Les apports de la mixité dans le partage d’expériences entrepreneuriales diverses et le développement de réseaux d’affaires

Certaines femmes potentiellement créatrices sont à la recherche de contacts masculins, pour partager des expériences entrepreneuriales et intégrer de nouveaux réseaux. Cette mixité des rapports entre créateurs et créatrices constitue alors une source d’apprentissage individuel par la confrontation des points de vue et la diversité d’expériences. Cette constatation est en adéquation avec les conclusions tirées par Constantinidis en 2010, à propos des facteurs explicatifs de la participation des femmes entrepreneurs à des réseaux mixtes. La mixité permet aussi d’éviter les impacts négatifs d’un environnement exclusivement féminin tels que les effets de la « pensée de groupe », au sens de Janis (1972). Ces effets négatifs sont liés à la recherche d’un consensus pour préserver la cohésion du groupe et éviter les sources de conflit potentiel, via un mécanisme d’autocensure des voix discordantes.

La présence d’une personnalité trop forte au sein du groupe féminin peut également venir contrarier l’esprit de bienveillance et de non compétition recherché. A titre d’illustration, une créatrice potentielle, ayant bénéficié d’un ACAF, cite le cas d’une participante s’étant au final comporté « comme un homme » : « La vie est faite d’hommes et de femmes, je pense que le fait d’être homme ou femme, c’est pas important, c’est le caractère des personnes autour de la table, parce qu’il y avait « X » [en parlant d’une femme], l’homme vraiment, elle peut avoir un effet effaçant pour une femme qui manque de confiance en elle. » Cas GNG 20. Les créatrices potentielles, satisfaites des apports de la mixité de groupe, sont des femmes a priori beaucoup moins sensibles aux stéréotypes de genre sur l’entrepreneuriat féminin que celles ayant choisi un accompagnement au féminin. Le tableau 4 ci-dessous synthétise, dans le cadre d’une matrice inter-sites, les apports de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice. Nous présenterons parallèlement des points de vue d’hommes qui reconnaissent également les bienfaits d’un accompagnement collectif mixte.

D’autres femmes interviewées ne ressentent pas de différences vis-à-vis des hommes et s’opposent à l’accompagnement au féminin. Elles expriment avec insistance une aversion et un rejet de ce type d’accompagnement. Elles refusent de s’isoler entre femmes. Elles ne souhaitent pas être jugées comme différentes et ne ressentent pas de besoin spécifique d’accompagnement. Ce type de réaction a été mis en avant par Constantinidis, dans ses travaux de 2010. L’objectif de ces femmes est de créer dans un contexte de mixité et de complémentarité avec les hommes :

- « Je n’ai pas cette envie de m’isoler entre femmes, mais alors vraiment pas envie, c’est même une réticence profonde, je ne vois pas pourquoi… […] Je pense que les femmes peuvent apporter beaucoup aux hommes et vice-versa dans le domaine entrepreneurial bien sûr. Si il y a des femmes qui se sentent inférieures parce qu’elles ont été éduquées dans cette idée, je ne juge pas, je ne vois pas pourquoi j’aurais besoin d’un accompagnement différent. »

Cas 19

- « Je déteste qu’on puisse me dire « Ben voilà, c’est bien pour une femme. ». Je considère qu’il n’y a pas de raison que ce soit plus difficile pour une femme que pour un homme. […] Peut-être que celles qui pourraient en avoir besoin [d’un accompagnement au féminin] sont celles qui ont le sentiment que, finalement, on a plus de besoins. Finalement, les femmes ont un regard un peu dépréciateur sur elles-mêmes, peut-être que c’est pour un public de femmes qui ont besoin d’avoir plus confiance en elles. »

Cas 20

- « A partir du moment où tu as la motivation, qu’on soit homme ou femme… Donc rien ne justifie un accompagnement au féminin. »

Cas 21

Tableau 4

Matrice inter-sites dédiée aux apports de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice

Matrice inter-sites dédiée aux apports de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice

Tableau 4 (suite)

Matrice inter-sites dédiée aux apports de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice

-> Voir la liste des tableaux

Les apports de la mixité dans l’acquisition de compétences techniques

L’accompagnement revêt plusieurs phases. En ce qui concerne la phase ante-création (réflexion sur l’idée à l’origine du projet entrepreneurial), notre collecte de données primaires a révélé l’importance pour certaines femmes de recourir à l’ACAF afin de faciliter leur processus de décision et de progresser dans la mise en oeuvre de leur projet entrepreneurial. Les stigmates issus des représentations sociales expliqueraient le recours à un accompagnement entre femmes, afin d’éviter le regard masculin qui, selon elles, juge et pourrait nuire à l’objectif du jeu coopératif. Cette phase d’accompagnement ante-création, à réaliser entre femmes par des femmes, permet aux créatrices de gagner en confiance et de passer à l’acte entrepreneurial. Par contre, les phases techniques de l’accompagnement (financières, administratives, commerciales et ressources humaines) peuvent être pratiquées en groupe mixte ou en individuel et ne semblent pas nécessiter de spécificités selon le genre. La phase technique constitue une phase importante dans le montage de la structure. Cependant, dans cette phase, l’intimité n’est pas mise à l’épreuve, il y a moins de risques de vulnérabilité. Les femmes qui ont suivi un accompagnement au féminin réclament même de la mixité à ce stade :

- « La structure juridique avec des hommes, ça ne change rien. »

Cas 24

- « Que ce soit juridique, marketing, on a besoin des mêmes choses. A part le GonoGo©, il n’y aurait pas de soucis pour que les ateliers soient mixtes. »

Cas 23

Conclusion

L’ACAF constitue une forme particulière d’accompagnement de la femme entrepreneur, procédant à la fois d’une approche genrée et d’une approche collective de l’accompagnement. Il participe d’une démarche co-construite, basée sur une logique d’interactions et d’influences sociales réciproques, et génère la mise en place d’un cercle de confiance. Il répond à un besoin d’approbation externe et de soutien moral et psychologique et apporte aux femmes potentiellement créatrices une aide à la décision, dans le cadre d’une bulle protectrice caractérisée par un environnement bienveillant, empathique et non compétitif. De façon générale, le principal apport théorique de cette recherche réside dans l’exploration en profondeur d’une forme particulière d’accompagnement collectif de la femme potentiellement créatrice, basée sur la mise en place d’une approche différenciée selon le genre. Très peu de travaux académiques ont en effet été consacrés soit à l’accompagnement différencié selon le genre de la femme entrepreneur, soit à son accompagnement collectif en tant que dispositif de soutien psychologique à la création. Une recherche académique sur la pratique de l’ACAF enrichit les travaux antérieurs menés prioritairement sur l’accompagnement individualisé en binôme et plaide pour une multiplication des recherches dédiées à l’impact des interactions sociales en groupe restreint sur la prise de décision entrepreneuriale de la femme. Notre recherche invite à ériger davantage l’accompagnement entrepreneurial collectif comme objet de recherche. Pour ce qui nous concerne, notre valeur ajoutée théorique résulte d’une approche comparée entre apports du groupe exclusivement féminin et apports du groupe mixte dans l’accompagnement psychologique de la femme potentiellement créatrice.

Nos travaux s’inscrivent par ailleurs dans le cadre de la littérature dédiée aux enjeux de l’accompagnement différencié selon le genre dans la réduction du manque de confiance en soi de certaines créatrices potentielles (Richomme-Huet et D’Andria, 2013; Byrne et Fayolle, 2010; Constantinidis, 2010; Shirokova et Tsyganova, 2010; Kirkwood, 2009; Orser et Riding, 2006). Cette recherche encourage en conséquence une meilleure prise en considération des freins psychologiques de la femme entrepreneur dans le contenu des différents programmes d’accompagnement entrepreneurial. Elle conforte en ce sens les travaux menés par Valeau (2006) ou Pluchart (2012) consacrés à l’accompagnement psychologique de l’entrepreneur. Nos travaux appellent également à recourir à des méthodes de collecte de données qualitatives originales telles que l’expérimentation, afin de procéder à l’analyse de perceptions issues d’échantillons contrastés. L’identification précise des avantages distinctifs et des limites de l’ACAF permet également de mieux éclairer le choix de la femme potentiellement créatrice en matière d’accompagnement en phase ante-création.

L’analyse approfondie du jeu du GonoGo©, utilisé par l’incubateur Normandie Pionnières au cours de la phase ante-création du processus entrepreneurial, nous a permis de tester les apports d’un accompagnement collectif genré dans la levée de freins psychologiques vis-à-vis de la création d’entreprise. Ce type d’accompagnement est apparu comme particulièrement adapté aux femmes manquant de confiance dans leurs capacités à entreprendre (proposition de recherche n°1). Ce manque de confiance résulte d’une sensibilité importante aux stéréotypes sur l’entrepreneuriat féminin (proposition de recherche n°2) et d’un sentiment de culpabilité lié à la difficulté à concilier projet entrepreneurial et vie familiale (proposition de recherche n°3). L’ACAF favorise la déconstruction de ces stéréotypes, grâce à la mise en place d’un soutien psychologique et émotionnel. Notre étude met également l’accent sur la nécessité de développer les actions pédagogiques dans le domaine des stéréotypes de genre, via la multiplication de formations ad hoc.

Afin d’isoler, dans l’ACAF, les effets du genre des effets de la dynamique de groupe restreint, nous nous sommes interrogés sur le rôle de la mixité dans l’accompagnement collectif de la femme entrepreneur. En effet, certains auteurs ont quelque peu remis en cause les vertus d’un accompagnement genré, au motif que ce dernier renforcerait davantage les stéréotypes qu’il ne les éliminerait, en raison notamment d’une pensée de groupe susceptible de s’installer dans un environnement exclusivement féminin. D’aucuns insistent sur l’importance de mettre en place des moments d’échanges entre hommes et femmes, afin de contribuer à la déconstruction des stéréotypes de genre. Par ailleurs, dans le cadre de nos observations empiriques, il est apparu que certaines femmes potentiellement créatrices recherchaient délibérément à établir des complémentarités avec leurs homologues masculins, pour confronter des points de vue, enrichir leur expérience entrepreneuriale et développer une activité de réseautage (proposition de recherche n°4).

Cet objectif de recherche de diversité semble également partagé par les créateurs ayant participé à des ateliers de GonoGo© mixte. Certains ont même reconnu les bienfaits psychologiques de ces ateliers grâce à l’esprit de bienveillance, d’empathie et de non compétition sur lequel ils reposent. Le besoin d’accompagnement psychologique et émotionnel semble transposable à certains créateurs. La promotion de compétences mixtes en matière d’entrepreneuriat ou d’un modèle androgyne, basé sur le besoin alternatif de compétences réputées traditionnellement comme masculines et de compétences réputées traditionnellement comme féminines, semble devoir être encouragée plus fortement dans les différents dispositifs d’accompagnement entrepreneurial. A cet égard, notre recherche permet d’enrichir et d’approfondir un ensemble de connaissances antérieures dédiées à la valorisation d’un modèle androgyne de l’entrepreneuriat (Mueller et Dato-On, 2008; Gupta et Bhawe, 2007).

S’agissant des limites de notre recherche, celles-ci sont liées principalement à celles de la méthodologie qualitative que nous avons utilisée, afin de mieux caractériser, dans le cadre d’une approche abductive, la contribution de l’ACAF à la levée de freins psychologiques de la femme entrepreneur. Cette approche exploratoire s’est imposée en raison de l’insuffisance de travaux combinant à la fois approche genrée et approche collective de l’accompagnement entrepreneurial de la femme. Pour autant, forts de nos premiers résultats sur ses apports et ses limites, il nous paraît désormais essentiel de mettre en place une démarche quantitative, nous permettant de mesurer l’efficacité de ce dispositif en terme de renforcement de l’intention entrepreneuriale et de création effective d’entreprises, même si cette dernière procède nécessairement de la conjonction de multiples facteurs contextuels et liés à la personnalité de l’entrepreneur. Il s’agirait également d’améliorer la validité externe de nos résultats eu égard à la nécessité d’enrichir notre démarche abductive. En effet, cette démarche consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de tester et de discuter (Koenig, 1993). Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes limités à tester l’effectivité de l’ACAF, à partir de l’analyse de perceptions de femmes ayant bénéficié de ce dispositif particulier. L’analyse de son efficacité, liée à la pérennité des entreprises accompagnées, et de son efficience, mesurée par la facilité et la rapidité d’accès aux ressources apportées aux créatrices, constituent les prochaines étapes de notre programme de recherche. Enfin, des études centrées sur l’âge ou l’expérience professionnelle de la femme permettraient d’entrer dans le détail de l’impact des caractéristiques personnelles de chaque participante sur l’efficacité d’un accompagnement en groupe féminin.