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La performance publique est aujourd’hui au coeur des préoccupations managériales et politiques françaises. Les impératifs d’efficience économique des organisations publiques, concrétisées par la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique sur les lois de finance et la révision générale des politiques publiques (LOLF et RGPP), pourraient faire oublier aux décideurs les enjeux originels de redistribution sociale et d’éthique de la sphère publique (Rochet 2010). Que la sphère publique ait à rendre des comptes, cela ne fait plu de doute quant à l’enjeu crucial en termes de performance, mais que deviennent alors les valeurs premières de la mission de service public ? Les différents transferts d’outils de gestion ont démontré ces dernières décennies que les privatisations ou réformes de fond avaient obtenu un résultat contraire à celui escompté (Les systèmes publics de la Nouvelle Zélande et la Grande Bretagne par exemple opèrent des retours à des nationalisations massives de services - MacLaughlin et al. 2002). Les concepts de légitimité et d’équité, sont, dans cette recherche[1], intimement rattachés à la notion de performance publique. Il est demandé à la sphère publique d’être performante, de savoir gérer les Hommes et les finances, de comprendre les lois du marché, qu’en est-il alors de sa mission sociale première de redistribution des richesses et de l’équilibre social ?

Nous montrons au travers de cette étude de cas multiples que ces concepts liés aux objectifs premiers de justice sociale peuvent, et finalement doivent, être intégrés aux réformes publiques pour conduire avec succès les démarches de performance globale au sein des organisations, tout d’abord en explicitant notre corpus théorique détaillant les différentes approches de l’équité mobilisées, puis en proposant une méthodologie innovante, basée sur un croisement matriciel de ces approches pour en définir des catégorisations puis des trajectoires décisionnelles.

Nous avons ainsi établi un repérage des théories de l’équité, s’intéressant au champ du management public, et en avons défini des axes de recherche et une méthodologie qualitative multi-sites. Le but étant de démontrer à travers les résultats de ces études de cas, d’une part la place prépondérante des questions d’équité dans les processus décisionnels publics, et d’autre part la possibilité d’identifier et de mesurer ces concepts au sein même des processus décisionnels. La proposition est alors celle d’une vision dynamique de ces processus. Nous montrons que cette justice, sous forme de tensions organisationnelles, peut devenir un objet de gestion, voire un moteur de performance organisationnelle, à condition d’en maîtriser les processus.

Management public et justice : l'équité comme stratégie

Les grands auteurs dans les domaines de la philosophie, du droit, de la sociologie des organisations, ont participé à la redéfinition des missions premières de la sphère publique. Missions inaliénables et inadaptées aux lois du marché[2]. Ces valeurs fondamentales trouvent alors une accroche dans les comparaisons interindividuelles au sein de nos sociétés contemporaines et l’équité est désignée comme une valeur inhérente à ces principes. Or, les théories les plus reconnues définissent ce concept d’équité dans le cadre de confrontations. Deux grandes familles d’oppositions ont ainsi évolué avec le temps. Tout d’abord, une équité « normative » et « positive », regroupant les normes de justice, et définie notamment par John Rawls (1971). Celles-ci se distinguent par leur théorisation idéologique, et se construisent autour de normes sociales définies par et pour le groupe. Puis, une équité que nous qualifions de « pragmatique », se rapportant à ses formes identifiables et mesurables au sein de groupes ou d’organisations; dont la construction se fait par émergence (processus de comparaison, perceptions individuelles, consensus social…), autour de problématiques de terrain et s’illustrant dans l’instant.

Notre objet de recherche est celui d’une analyse en profondeur du concept d’équité au sein d’organisations spécifiques du secteur public en recherche de performance et dans le cadre de processus décisionnels identifiables. Nous avons fait le choix de traiter de la « valeur équité » et non d’une seule de ses facettes, excluant de fait les théories monocritères ou ciblées sur un domaine restreint de la gestion[3]. Nous avons au contraire cherché à synthétiser les différentes théorisations qui ont évolué au sein des principaux domaines des sciences humaines et sociales, en considérant d’une part que ces conceptions sont complémentaires et essentielles, et d’autre part que le domaine de la sphère publique implique ces différentes approches du fait même de sa nature.

Cadre conceptuel

Cette littérature complète sur le thème de l’équité met donc en avant des oppositions majeures qui nous intéressent particulièrement dans le cadre d’une recherche en management public[4]. La synthèse de cette littérature nous a permis de différencier trois types de positionnement :

Premièrement, ces tensions sont intégrées dans une théorie qui est latéralisée (Peretti 2005), et concernent principalement des études organisationnelles, théorisant l’individu dans la structure. On y retrouve des systèmes de comparaison interindividuels fondés sur le salaire (Gazier 1999) ou les rapports à la hiérarchie (Adams et Rosenbaum 1962);

Ensuite, les tensions décrites sont traitées par la méthode purement quantitativiste, proposant des modèles d’analyse de l’équité et la considérant dans sa forme la plus rationalisée. Les propositions de Kolm (1972) pour une normalisation des règles de justice sociale, ou encore celles de Sen (1995) proposant de mieux définir les choix sociaux, amènent les décideurs à suivre des cadres normatifs généraux et macro-sociétaux très intéressants mais peu adaptables aux réalités pragmatiques des organisations publiques et leur management;

Enfin, des approches verticalisées (Nozick 1974) abordent les questions d’équité dans une démarche purement positiviste. Ici, la règle d’équité doit être établie au préalable; qu’elle soit consensuelle (Habermas 1992), définie sur des critères sociaux (Rawls 1971), ou purement déductive (Habermas 1987). C’est cette règle qui servira de référence dans l’attribution de biens et services publics ou dans la sélection individuelle. Elle se résume le plus souvent à un arbitrage entre égalité et équité et ne pose aux décideurs qu’une question d’idéologie du service public, et entre ainsi systématiquement en conflit avec les obligations d’équité pragmatique des décideurs publics.

Figure 1

L’équité et ses tensions – de l’ontologie au pragmatisme

L’équité et ses tensions – de l’ontologie au pragmatisme

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Ces trois différents positionnements (latéralisé, quantitativiste, verticalisé) sur l’équité apportent chacun des éléments essentiels à la compréhension du concept. Séparés, ils ne proposent néanmoins qu’une vision singulière de la construction de l’équité. En revanche, l’hypothèse que l’on fait ici est que ces théories peuvent être intégrées à une matrice globale, croisant les principaux préceptes édictés. Cette matrice peut alors être considérée comme un outil d’analyse de l’équité au sein des processus managériaux.

Les tensions sont globalement fondées sur des visions, soit arithmétiques soit philosophiques (morales et politiques), ou obligent le décideur à réfléchir sur une approche par le Droit, où la gestion de l’équité revient à celle de l’institution et de la règle. Ces théorisations sont intéressantes mais ne suffisent donc pas au gestionnaire en l’état. Leur caractère unidirectionnel empêche la gestion des tensions normatives et pragmatiques, ou participe à leur amplification. Le décideur apparaît comme arbitrant perpétuellement ce qui est considéré comme moral ou juste d’un point de vue sociétal, et ce qui est « la chose juste » à faire dans le contexte de sa propre organisation. Ce dilemme, entre équité normative et équité de l’action engagée, nous semble digne d’une investigation qui laisse place à un recueil de données prenant en compte l’opposition ou la succession de ces phases de décision. Celles-ci faisant tantôt appel à l’une ou l’autre forme d’équité[5].

L’équité est une perception « construite socialement » au sens de Berger & Luckman (1966). Dans cette perspective, il paraît donc difficile d’instrumenter une recherche sur l’équité en laissant de côté son caractère socialement construit, et donc en considérant qu’elle est un fait social objectif et indépendant de son point d’observation. Mais il existe aussi un « univers symbolique » réunissant les représentations objectives de l’équité au-delà de ses constructions sociales propres à quelques sociétés, ou quelques environnements. Une équité perçue comme un ensemble de principes universels ancrés dans la morale (Arnsperger et al., 2000), ou dans l’universalité de l’usage (Kellerhals et al., 1998) pourraient appeler une démarche dite « positive », cherchant donc à prolonger une objectivation admise comme un acquis. A contrario, les théories fondatrices de l’équité dans les années 1960, défendaient une perspective de l’équité ancrée dans le fait social, donc dans le fait « construit », tout autant à l’échelle des individus (Adams, 1965), que de la société (Rawls, 1971). L’équité est liée à une étude des valeurs individuelles et collectives dans la société (Deutsch 1974) et s’intéresse aux spécificités des acteurs concernés. Les décisions publiques ne peuvent donc se passer d’un traitement différencié (Cook 1975), dans l’optique de respecter des enjeux distributifs de la justice sociale. L’équité pragmatique locale ne se partage pas entre les membres de la décision. Les tentatives de gestion de l’équité se sont concentrées sur sa rationalisation (e.g. Young, 1994). Elles se sont donc principalement ancrées dans une perspective prônant une équité perçue comme une norme sociétale et comportementale, et donnant lieu à un ensemble de prescriptions déterministes qui prennent pour acquise la dimension objective de l’équité. Cette perspective ne nous a pas semblé résister aux différences parfois culturelles qui font qu’une même décision publique peut être perçue comme équitable ou inéquitable dans deux systèmes sociaux différents. L’exemple archétypal d’une telle différence peut être celui de la santé en France et aux Etats-Unis, opposant une équité sociale et collective, à une équité économique et individuelle.

Cette recherche doit dès lors respecter ces contradictions propres à la décision équitable dans une organisation : elle fait à la fois recours à un jugement positif de la situation visant à son objectivation, tout en étant le produit d’une négociation et d’une construction sociale d’une réalité partagée que l’on désire « inter-subjectivement » équitable. Désirant construire un instrument de gestion, cette recherche s’inscrit donc dans une démarche positive, tout en respectant les différentes perspectives et les différents chemins qui mènent à la décision équitable dans l’organisation. Elle doit dès lors respecter aussi bien son caractère « construit » que l’invocation de sa nature objective et supra-ordinale par les acteurs lors de leur prise de décision. On pourrait sans doute parler d’un « positivisme aménagé » (Baumard et Ibert, 1999).

Concrètement, « le décideur » fait face à de multiples tensions, par exemple entre l’accès et l’usage, entre la morale et l’usage, ou encore entre l’accès et la morale. Ces tensions sont gérées par le décideur dans la contrainte d’une décision publique, où il doit également s’assurer de la non-rivalité, de la non-exclusivité et de l’intérêt général des décisions prises. En d’autres termes, étudier d’une part l’équité, puis ensuite, dans le cadre d’une catégorisation dissociée, la décision publique, n’aurait aucun sens, et produirait certainement des biais d’interprétation. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’étudier, via notre catégorisation, l’ensemble des relations conjointes des dilemmes d’équité et des dilemmes de la décision publique sous la forme d’une instrumentation regroupant les phénomènes au sein d’une matrice.

Méthode et cadre de recherche : analyse qualitative comparative

Le fait de se focaliser sur des processus de décision implique une analyse longitudinale; notre idée n’étant pas de comprendre une situation « photographique » mais bien de chercher à expliquer le cheminement de la décision. Pour Simon (1976) la prise de décision n’est pas significative si l’on ne s’intéresse pas au processus qui l’a construite. Il s’agira donc ici de discerner tout au long de chemins de décisions, au terme d’incidents critiques (Flanagan 1954)[6], quelle a été l’implication de critères d’équité. De cette manière nous pourrons suivre chaque étape du processus en focalisant sur l’effet intégré par une prise en compte différente de l’équité.

Pour les décideurs, au centre des processus décisionnels et managériaux, différentes définitions connexes vont émerger. L’arbitrage entre préceptes normatifs et enjeux distributifs est alors quotidien (Selznick 1969, Parfit 1993). Plusieurs oppositions sont ainsi au coeur de préoccupations stratégiques et managériales : entre une justice procédurale (Rawls 1971) et libertaire philosophique (Nozick 1974), entre une justice rationnelle (Kolm 1972) ou utilitaire de type économique et éthique (Harsanyi 1985, Sen 1970), entre une justice individuelle et collective (Adams 1965, Boltanski et Thévenot 1991), ou globalement entre une approche ontologique de la justice dans les prises de décision (Deutsch 1985) et son application téléologique (Austin et Hatfield 1975).

L’objectif de notre démarche processuelle et immergée au sein des organisations publiques est de démontrer l’importance de ces arbitrages et la nécessité d’éviter des enlisements dans l’une ou l’autre de ces approches. Nous y voyons là une manière dynamique d’aborder l’idée de justice dans l’organisation et par conséquent les théories de l’équité[7]. Nous avons donc extrait les trois critères de définition des services publics (Samuelson 1954) pour les intégrer à la matrice d’exploration suivante (Miles et Huberman 1991, p. 185). Ces critères sont deux ordres : ontologique (la nature des choses) et téléologique (application et mise en oeuvre).

Non rivalité :

Absence de mise en compétition possible entre les individus

Non exclusivité :

Universalité au sens du bien commun

Intérêt général :

Intérêt de la communauté dans sa globalité, au moins égal à la somme des intérêts particuliers.

Equité d’accès :

Distribution équitable du bien ou du service.

Equité d’usage :

Utilisation équitable des biens ou services publics que peuvent prévoir les usagers.

Equité morale :

Croyances et valeurs partagées des individus.

La spécificité d’une recherche sur l’équité au sein de processus de décision publique réclame à la fois une instrumentation prenant en compte sa dimension inter-organisationnelle et interpersonnelle. Notre approche s’inscrit dans une logique essentiellement exploratoire dont l’abduction (au sens de Koenig, 1993) tient une place importante dans le processus de catégorisation final. C’est donc ici une « exploration hybride » (Allard-Poesi et al. 1999). Pour Baumard et Ibert (1999, p.96) la démarche exploratoire dévoile des éléments nouveaux pour le chercheur, qu’il n’avait pas forcément anticipés. C’est ce que nous nous efforcerons de respecter tout au long de l’étude. Pour étudier les cas sélectionnés à travers la matrice, nous avons alors suivi la démarche de Abbott (1984) proposant d’étudier trois éléments principaux : le niveau d’analyse, les incidents du processus et la période d’analyse. Le fait de nous focaliser sur des processus de décision, implique une analyse longitudinale; notre idée n’étant pas de comprendre une situation « photographique » mais bien de chercher à expliquer le cheminement de la décision. Il s’agit de discerner tout au long de ces chemins de décisions, au terme d’incidents critiques, quelle a été l’implication de critères d’équité. De cette manière nous pourrons suivre chaque étape du processus en focalisant sur l’effet intégré par une prise en compte différente de l’équité[8]. Ainsi, la technique que nous utiliserons devra nous aider à comprendre ces phénomènes dans plusieurs situations, chacune singulièrement différente, afin d’en tirer un maximum d’informations lors du croisement des données recueillies. Les définitions et ces approches multiples de l’équité nous amènent à considérer une étude de plusieurs cas, sur des terrains différents et complémentaires (Eisenhart 1989). Le tableau suivant présente ces différences entre niveaux de décision pour chacun des cas.

Tableau 1

Dispersion des critères d’analyse

Dispersion des critères d’analyse

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Tous les cas que nous choisissons possèdent des critères transversaux quant à l’approche de l’équité et en rapport avec la définition des processus de décision publics et leur champ d’application. Enfin, dans le cadre des préconisations de Lewin (1988), notre choix s’est porté sur des cas extrêmes; c’est-à-dire, dont l’issue de la décision est significative.

Le tableau 2 reprend l’ensemble des critères de sélection des cas.

Tableau 2

Critères de sélection des cas et incidents critiques

Critères de sélection des cas et incidents critiques

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Les entretiens ont été réalisés de manière active et individuelle (Holstein et Gubrium 1995). Nous voulions à la fois garantir l’obtention d’un maximum de données, tout en respectant un panel suffisamment cohérent pour ne pas biaiser l’analyse par manque d’homogénéité dans la population choisie. Le nombre d’interviews n’était pas fixé au départ. Cette phase a pris fin lorsque les nouveaux entretiens n’apportaient plus de précision supplémentaire, évitant de ce fait une saturation théorique (Glaser et Strauss 1967)[9]. Les données secondaires ont aussi largement participé à l’élaboration de cette étude. En effet, les quatre structures investies disposaient toutes d’un nombre conséquent d’informations légales ou de notes internes qu’il est apparu utile d’étudier et de classifier pour en tirer des données primordiales. Pour Yin (1994), ces données permettent notamment de justifier (ou d’infirmer) les données de la phase d’entretiens. Le tableau suivant récapitule et synthétise toutes les données secondaires recueillies pour chacun des cas étudiés.

Tableau 3

Liste des données secondaires pour les 3 études de cas

Liste des données secondaires pour les 3 études de cas

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La méthode que nous avons suivie pour le repérage de moments forts des décisions est celle des « incidents critiques » (Flanagan 1954)[10]. Dans notre étude, l’incident critique s’est caractérisé par un changement évident dans le processus décisionnel. Pour éviter les biais de codage trop importants liés à la subjectivité du chercheur et son sujet de recherche (Baumard et Ibert 1999, p.99), nous avons effectué deux contrôles de fiabilité en ayant recours à un autre codeur (Romelaer 2000)[11].

Pour Abbott (1984, p.376) l’analyse processuelle se définit par son approche temporelle, par le repérage d’événements. Ainsi, ces phases de décision se caractérisent par l’émergence de critères nouveaux au travers d’événements remarquables ou sans qu’il ne soit possible de les établir a priori. Nous repérons les phases à travers des événements distincts, dans des périodes d’activité précises pour chacun des cas. Les décisions que nous étudions nous permettent de définir ces incidents critiques à l’origine du changement de phase directement grâce aux entretiens menés. Cette méthode permet surtout l’analyse de la durée des intervalles de temps entre deux événements, seul l’ordre chronologique est pris en compte (Vandangeon-Derumez 1998). Les événements, ou incidents critiques, de séparation des différentes phases, sont repérés directement par le changement de direction qu’ils impliquent pour la décision initiale.

Ces différentes phases successives dans le temps nous fournissent un nombre important de données. Ces données font, par la suite, l’objet d’un traitement qualitatif visant à les regrouper en les catégorisant de la manière la plus significative et ouverte possible (Glaser et Strauss 1967). Strauss et Corbin (1998, p.101) proposent un codage ouvert, c’est-à-dire, dont les dimensions sont découvertes dans les données elles-mêmes. Conformément à la littérature, les six catégories, que nous avons définies comme principales en début de chapitre interagissent au sein des processus décisionnels. Notre codage ne pouvait se faire par rapport à une liste de six catégories indépendantes, l’apport d’une approche matricielle s’avérait primordiale. Voici donc le cadre de notre analyse (Figure 2) :

A la suite du codage émergent, suivant les règles de codage axial (Strauss et Corbin 1998) et devant permettre de relier les sous-catégories entre-elles de la façon la plus fiable possible (Valette-Florence 1994), nous avons ventilé l’ensemble des données sur les six catégories principales. Nous avons par la suite appliqué le codage émergent des entretiens et des sources secondaires, pour les relier aux deux autres niveaux de catégorisation. Il est à noter que nous avons effectué, comme le préconisent Miles et Huberman (1991), un même codage pour l’ensemble des cas investis[12]. Le schéma ci-après (Figure 3) traduit ces mouvements et dessine le cadre de ces trajectoires d’équité.

Figure 2

Matrice des 6 catégories principales

Matrice des 6 catégories principales

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Figure 3

Cheminement des phases de la décision : trajectoire d’équité

Cheminement des phases de la décision : trajectoire d’équité

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Études de cas et résultats

Nous avons investi trois différents terrains d’application. Le premier cas « CSDU », décrit la volonté institutionnelle d’implanter un centre de stockage de déchets ultimes dans un parc naturel protégé. Cette décision pour le moins originale, soutenue par une nécessité de répondre à un besoin collectif urgent de stockage de déchets, est menée sans consentement des usagers, et semble aller tout au long du processus contre leurs volontés individuelles. Cette confrontation nous intéresse ici particulièrement dans l’étude d’un processus décisionnel complexe. Le second cas « NFL » traite d’une autre décision institutionnelle de construire un ouvrage supplémentaire reliant deux rives de la Loire, afin de faciliter les flux de circulation et l’attractivité du territoire. Cette décision permet de mettre en exergue des hésitations et tergiversations multiples, suivant des changements structurels et politiques, et là encore, confrontant une volonté de bien être collectif à l’avis et l’attente d’une somme d’individualités. La question de la légitimité se pose ici clairement. Le troisième cas, « ASE » approche plus directement la relation à l’usager dans le processus décisionnel. Il s’agit de comprendre quel processus amène le gestionnaire du conseil général à appliquer la décision, en amont, de prise en charge d’individus mineurs en situation de difficultés sociales. En somme l’intérêt est de comprendre quelle est la légitimité du secteur public et la trajectoire en termes de redistribution, entre une décision paraissant urgente et indiscutable, et l’ensemble des contraintes managériales qui en découleront.

Figure 4

Trajectoire d’équité – Cas CSDU

Trajectoire d’équité – Cas CSDU

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Figure 5

Trajectoire d’équité – Cas NFL

Trajectoire d’équité – Cas NFL

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Figure 6

Trajectoire d’équité – Cas ASE

Trajectoire d’équité – Cas ASE

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La régularité observée d’une tension [morale - intérêt général] devient plus forte au fur et à mesure que la décision progresse. La quête d’une normalisation de l’équité au détriment de sa dimension pragmatique est contreproductive en matière de gestion. La décision entre tout au long du processus dans un cycle d’auto-justification de l’autorité publique, pour le bien-être de la collectivité. L’absence de véritable réflexion sur sa mise en oeuvre, qui irrite les usagers et les élus des collectivités voisines, démontre la focalisation sur l’idéologie du service, et par la même, l’absence d’engagement pragmatique. Pour Folger et Cropanzano (1998), l’acceptation d’une décision est liée à la façon dont les décideurs vont communiquer le fruit de leur processus auprès des usagers. Ici, la communication n’est pas au point. On s’éloigne progressivement d’une démarche de gestion.

L’enlisement dans la morale et l’intérêt général ne produit alors aucun effet positif sur une dynamique d’action. Ainsi, on peut en conclure que, lorsque la trajectoire s’éloigne d’une gestion pragmatique de l’équité, sa maîtrise en pâtit. Les tensions contradictoires de l’équité ont été ici annihilées en focalisant sur une éthique de l’action publique. En ce sens, ces pressions utiles à la gestion de l’équité ne peuvent être écartées de la décision publique, si l’on veut pouvoir conserver la maîtrise du processus. Les décideurs, s’en étant remis à des justifications de type idéologique, se retrouvent finalement dans une situation de double contrainte (morale et d’intérêt général) qu’ils ont eux-mêmes générée. Le processus décisionnel devient indépendant de la manoeuvre des décideurs. Les décideurs n’ont pas su mettre en liaison l’idée d’un service public d’intérêt général, la moralisation de son déploiement, et la gestion de sa cohésion en termes de faisabilité technique mais aussi de rapport aux usagers. Ces derniers, en exerçant leur pouvoir et leur pression sur les hommes politiques du processus, ont su, à leur tour, entraîner la décision dans une impasse.

Les tiraillements entre élus et gestionnaires n’ont fait qu’aggraver une situation vouée à l’échec. Le cheminement de la décision a très mal débuté, en focalisant sur des éléments politiques, reléguant alors au dernier plan les préoccupations managériales. Ainsi cette trajectoire est non seulement dictée par la réalité du terrain, mais elle est aussi très confuse dans sa gestion. Les tensions dichotomiques qui constituent l’essentiel de la conception d’une équité distributive sont ici abordées de manière anarchique, au gré des événements. Cet échec est intimement lié à l’incapacité des décideurs d’harmoniser et de manager leur propre décision.

Les logiques d’équité évoluent ici d’une approche procédurale aux considérations et conditions multiples de son application. D’une volonté de désengorger une zone géographique, les pouvoirs publics en ont fait celle de leur rapport à l’usager. Ainsi, entre le début du processus et les débats d’aujourd’hui, la décision a changé trois fois de sens. L’idée de construction d’un nouveau pont revient après avoir transité par des celle de bacs de transports. Ce processus a muté plusieurs fois pour revenir quasiment au même point de départ. Les différentes parties prenantes, l’environnement extérieur, et la pression politique et médiatique, y ont joué un grand rôle.

Ces changements radicaux de direction dans la prise de décision nous intéressent particulièrement en termes d’équité, puisque se confrontent ici les enjeux individuels et collectifs, les principes de bien-être et d’efficacité, et ceux de performance et de justice. L’enchaînement des phases montre que les régularités observées sont très changeantes d’une étape à l’autre. Le processus a évolué. Cependant, la traduction de cette évolution apporte d’autres éléments de réflexion. Tout d’abord, la focalisation première sur l’accès au service, en termes d’universalité principalement, témoigne d’une approche particulière d’une mission de service public. En effet, la volonté politique d’affirmer une prise de position a dépassé le cadre d’une idéologie publique. Ici l’intérêt général n’est pas mis en valeur dans l’analyse des propos des décideurs. Cet élément ne viendra en fait qu’après l’intervention des usagers et des experts, pour faire pression sur la décision[13].

Lors de la phase décisionnelle suivante, bien que la trajectoire évolue dans le processus, celle-ci conserve tout au long de la décision les mêmes éléments centraux de réflexion. L’universalité, l’efficacité, et surtout les enjeux électoraux, suivent la trajectoire dans ses déplacements. Ainsi, il ne faut pas ici concentrer toute l’analyse sur le chemin de la décision. L’opacité des propos des décideurs participe dans ce cadre à brouiller les pistes. En revanche, l’écoute des usagers et des gestionnaires du projet est beaucoup plus claire. Elle permet alors de comprendre les enjeux qui se trament derrière le projet.

Le fait d’avoir parcouru des phases évolutives ne remet pas en cause l’ineffectivité de la décision. Ici, on s’aperçoit que la trajectoire suit un cheminement évident, traduisant l’évolution des intérêts des décideurs au fur et à mesure de leurs confrontations au terrain (usagers, faisabilité technique et financière). Dans ce cadre, la trajectoire débute sur une problématique d’accès mais se confronte très vite aux impératifs du terrain [interaction usage – non-exclusivité]. Elle entre ainsi dans une phase longue de tergiversations décisionnelles et considérations éthiques, [morale - intérêt général], en conservant toujours un lien fort à l’idée d’usage du service [usage – intérêt général]. L’aboutissement de la décision revient au point de départ. La question du pont revêt ici définitivement un caractère politique. L’accès est une nouvelle fois le centre des débats.

Apparaissent alors de nouveaux enjeux décisionnels. Il s’agit maintenant de « faire en sorte que la décision soit adoptée par tous ». L’enjeu politique revient après avoir fait l’objet de tensions. Dans cette troisième phase, et jusqu’à la quatrième, l’idée d’équilibre traduit ces nombreuses hésitations et oppositions, qui dirigent désormais la trajectoire, et l’enlisent. Comme le soulignaient déjà Karniol et Miller (1981), la durée du processus intervient dans les rapports à la justice sociale et à ses normes distributives, en termes d’intentionnalité, de légitimité et de cohérence. Ici, les décideurs sont prêts à accepter toutes les solutions, pourvu que leur électorat s’y retrouve. Leur image est en jeu, et leur pouvoir est menacé. La gestion du terrain a donc échappé aux élus, qui, une nouvelle fois, concentrent leurs efforts sur la politique qu’ils devront mener. En conclusion cette trajectoire d’équité, qui s’impose aux décideurs, empêche la véritable construction du projet.

L’équité comme décision morale de prise en charge et enjeu collectif et sociétal, est progressivement transformé ici en considérations matérielles et logistiques. L’idée de l’ASE est celle d’une prise en charge d’individus dont la cellule familiale ne peut assurer le développement. L’interaction [morale - intérêt général] est largement prédominante dans la première phase du processus. En revanche, l’ordonnance législative ayant eu son effet, les responsables de l’ASE au Département disposent de peu de critères de choix pour effectuer les placements. Ils réfléchissent en termes d’équité d’accès dans les centres spécialisés, et en fonction de critères d’adéquation différentielle des individus. L’équité n’est donc plus discutée, mais dès la seconde phase décisionnelle sa gestion reposera sur la sélection individuelle, au niveau de l’accès au service et de la capacité de l’accueil. La non-rivalité du service est assurée, non pas par la structure elle-même, qui justement dispose d’une capacité limitée, mais de l’idéologie même de la mission. Cette non-rivalité du service proposé est alors assurée directement par les représentants de l’Etat (juge et élus) qui devront assurer la prise en charge de l’enfant. Ainsi, bien que la seconde phase bascule dans un individualisme pragmatique, la responsabilité reste collective. Enfin, la troisième et dernière phase montre un nouveau type de tension. Les directeurs de structures entrent en négociation active avec l’ASE, profitant de leur position de soumission forcée pour demander une révision de leur tarification. Cet échange est vécu par les responsables de l’ASE comme une entorse à leur mission de service public. Mais surtout, cela constitue une nouvelle approche de la problématique. Désormais, la question est celle de compensations financières aux efforts supplémentaires fournis. Chaque nouvelle décision devient un moyen de pression pour les directeurs envers le Département. La relation aux structures ne peut plus s’exercer dans des conditions d’égalité, au niveau de la tarification. L’ASE se trouve alors dans l’obligation de procéder à des auditions, des négociations, qui produiront des systèmes à vitesse variable. L’équité prend ici un caractère purement pragmatique. La capacité individuelle des structures, mais aussi le pouvoir de négociation et les effets de réseau, prennent un poids considérable dans la relation.

Pourtant, bien que l’équité soit soumise à de nouvelles mesures, la décision initiale n’est pas transformée. La question purement technique et financière de l’usage ne remet donc pas en cause l’intégrité de l’ordonnance de départ. La trajectoire de ces phases montre la linéarité de ce processus. Dans ce cadre, cette trajectoire corrobore la théorie des sphères de justice de Walzer (1983) où l’« indépendance » des interactions empêche justement les tensions de perturber la construction de l’équité. Le placement des enfants dans des centres sociaux relève du domaine public puisqu’il est directement axé vers l’intérêt général. Bien que l’on traite ici de la situation d’individus en particulier, au cas par cas, leur situation sociale relève d’un choix collectif si l’on considère que leur noyau familial ne les assume plus. L’arbitrage entre les ressources (Rawls 1985) et les besoins (Kolm 1972) est ainsi très présent tout au long du cas. Il est soumis à l’appréciation des travailleurs sociaux. Ici les occurrences suivent les phases et évoluent sans s’entrechoquer. Les processus suit une trajectoire déterminée et ne souffre d’aucune hésitation insistante, et de fait bloquante. Ici ce n’est plus l’aspect ontologique du service public qui est discuté ici mais son application pragmatique en fonction des attentes, des besoins et des capacités de chacun. Dans cette configuration, les phénomènes et les obligations de gestion ne peuvent plus changer le mode de réflexion global. La mission de service public sera bel et bien assurée, quelles qu’en soient les conséquences pour la structure d’accueil. Les établissements sont des moyens de parvenir aux résultats que l’on s’était fixés auparavant, et ne peuvent en ce sens modifier après coup l’objectif initial. La prise en compte de critères d’équité normative et distributive reste donc immuable. Cette trajectoire suit un cheminement maîtrisé à l’avance, les attentes et les réactions des structures d’accueil étant répétitives.

Conclusion : les trajectoires d'équité : une lecture dynamique

La proposition faite ici est celle d’une vision dynamique des processus décisionnels publics et de l’approche de l’équité au sein de ceux-ci. Nous montrons que les tensions organisationnelles, intégrant ici une vision de la justice comme équité, peuvent devenir un objet de gestion, voire un moteur de performance organisationnelle, à condition d’en maîtriser les processus. Notre démarche personnelle a consisté à ne pas opposer les dimensions positive et pragmatique classiques ou historiques, mais plutôt à les intégrer dans une étude dynamique de la gestion de l’équité dans les terrains étudiés. Il ne s’agit pas d’éliminer de la réflexion les oppositions qui fondent les théories de l’équité (efficacité / justice sociale; individuel / collectif; normatif /pragmatique;…), mais d’observer leur mobilisation dans les logiques d’action.

Nos observations ont alors conforté l’idée que la définition de l’équité ne peut être unique, et que sa gestion doit être adaptable, évolutive, maitrisée au sein des processus. Ces tensions ne sont pas des fatalités mais doivent au contraire servir les décideurs. Dans le cadre de transitions repérées, d’une phase à l’autre, d’une approche à l’autre de l’équité, nous posons les questions suivantes de trajectoires de succès ou d’échec. En termes managériaux, cette vision par trajectoires correspond plus directement à la réalité des décideurs, des managers, des élus. Cette recherche apporte un éclairage sur le fait que les situations d’échec concernent des trajectoires d’équité émergentes, enlisées dans des considérations pragmatiques. En d’autres termes, en focalisant sur l’application purement gestionnaire d’une décision, sans avoir au préalable déterminé la démarche stratégique à suivre en termes de production d’équité, alors, il semble que l’échec décisionnel soit prévisible, et engendre un échec en termes de performance globale. Par ailleurs, le respect d’une norme de justice établie, dès l’entame du processus afin de cadrer la trajectoire dans la durée, semble être un facteur de réussite décisionnel et managérial.

Les théories de l’équité fondées uniquement sur des rapports rationnels (Habermas 1970), et des normes sociales immuables (Nozick 1974), ne sont pas appropriées à la gestion des tensions perpétuelles dont le management fait l’objet[14]. La mesure de l’équité ne se fait plus en fonction des effets comparatifs, mais par l’analyse des causes et des conséquences collectives qu’elle implique. Pourtant l’impossibilité d’une adéquation entre utilités individuelles et collectives n’est pas vérifiée. Cet article montre ainsi que la connaissance et l’analyse des tensions managériales constituent déjà une gestion, alors que les démarches prescriptives qui imposent des lignes de conduite créent l’inertie et accentuent les tensions. En ce sens l’approche de la justice sociale dans les organisations publiques diffère largement des cadres plus rigoureux de l’analyse des marchés financiers ou de la gestion des ressources humaines (Adams 1965, Austin 1977), qui peuvent proposer des guides de gestion appliquée de l’équité pour l’organisation. L’objet de la stratégie décisionnelle et organisationnelle du manager public n’est pas de se réfugier derrière le paravent confortable de la quantification, mais bien de développer une démarche d’encadrement des questions d’équité répondant aux attentes ambiguës des usagers. Ainsi, l’équité peut difficilement être réduite à une norme. Elle est mobile, versatile, et peu maîtrisable. Néanmoins, nous avons compris ici qu’elle était inscrite dans un processus identifiable. Il appartient donc au décideur d’identifier et de maîtriser sa trajectoire afin d’en conserver le contrôle.

Nous préconisons ainsi de maîtriser le sens de la trajectoire plutôt que son utilité. Nous opposons le concept de trajectoires aux théories utilitaristes de la justice (Kolm 1972, 1997), influencées depuis les études menées par l’économiste utilitariste libéral John Stuart Mill (1962 : 1°éd.1861). Ces théories proposent dans l’ensemble une rationalité de l’équité reposant sur des critères prédéfinis et une rationalisation de sa mesure. Cette vision « photographique » et immuable étant paradoxalement peu propice à l’action. Ces théories rationalisent le concept d’équité au point de le rendre à la fois insensible aux évolutions internes de l’organisation et aux influences extérieures.

Cet article montre enfin que l’opposition aux théories utilitaristes et conséquentialistes ne justifie pas pour autant que l’on fasse l’apologie de stratégies émergentes. Les résultats montrent que ces stratégies non-contrôlées engendrent une escalade de l’engagement qui se fait toujours au détriment de la tension dialectique entre les dimensions morale et pragmatique de la décision publique. La question de la distributivité de la justice est soulevée[15]. L’équité est une mission de service public, qui nécessite une gestion stratégique. Elle n’est donc pas seulement un outil de gestion, mais plutôt une finalité du service public. Mais elle est confrontée à la nature et la composition du processus décisionnel qui l’intègre. Lorsque le nombre de décideurs augmente, les questions d’équité pragmatique sont laissées pour compte, et la trajectoire devient purement normative. Ainsi, plus le nombre d’acteurs est grand, plus la trajectoire se dirige vers une position normative. De fait, la trajectoire répond à une logique autonome, et l’équité revient à une définition par des normes, qui en constituent le dernier dénominateur commun. Cette maîtrise de la trajectoire ne peut donc s’opérer que lorsque l’on gère cette tension normativité – pragmatisme. Dans le cas contraire, si la tension est mise à l’écart, par stratégie d’évitement par exemple, la trajectoire ne peut plus être gérée, menant éventuellement à des situations de non-équité.

En matière d’équité, nous pouvons ainsi dire qu’à toute approche quantitative, mesurée ou calculée, s’oppose une dimension morale dont la mesure est plus difficile à établir. Les différents critères de l’équité parviennent à s’équilibrer, dans les situations de succès, afin de rendre les tensions productives. Lorsqu’elles ne sont pas gérées, la décision produit un cas d’échec. Dans la plupart des cas, la morale est en perpétuelle opposition à la logique de performance voulue en termes d’accès; l’intérêt général se trouve en contradiction avec les critères d’efficacité de l’usage; les enjeux politiques viennent parfois se substituer à ceux de la société, et les décideurs quittent leur rôle de manager pour prendre celui d’homme public. Dans ce contexte où les acteurs détiennent tour à tour des rôles primordiaux, l’analyse de l’équité ne peut être unilatéralement fondée sur les données quantitatives, des rapports interindividuels ou encore des règles et normes établies. Ces trois éléments à la fois sont au coeur de la réflexion, et la gestion de l’équité passe nécessairement par l’ensemble de ces critères. Il s’agit ici d’une vision dynamique de l’équité, changeante, inscrite dans une trajectoire repérable. On ne pourra donc parler de gestion de l’équité si sa trajectoire n’est pas maîtrisée d’un bout à l’autre de la décision. L’équité est toujours présente dans les rapports à la décision publique, encore faut-il ne pas la subir pour qu’elle participe au succès. Elle est une association de l’ontologie de la norme décisionnelle et de la téléologie du pragmatisme de l’action.