Corps de l’article

La collecte de fonds des établissements de santé auprès des particuliers et des entreprises (ou fundraising) est une pratique très ancienne en France et au Québec : en France, dès la fin du 19ème siècle, l’Institut Pasteur faisait appel à la générosité des mécènes pour la construction de ses bâtiments et c’est en 1909 que l’Institut Curie commence à collecter des fonds privés pour financer ses recherches. Dès sa création (1907), l’hôpital Sainte-Justine pour enfants de Montréal lance des campagnes de souscription publique afin de réduire et de combler son déficit (Baillargeon, 2013). Puis, progressivement, l’hôpital devient une affaire de l’État : en France, après la deuxième guerre mondiale, avec la création de la sécurité sociale qui apporte à l’hôpital public des ressources pérennes, une administration et la formation de ses acteurs (Schweyer, 2006; Maillard, 1984) et un peu plus tard au Québec où, dans les années 1960-1970, l’État québécois devient le principal acteur en matière de santé avec l’assurance-hospitalisation visant à donner accès à tous à des soins de santé gratuits dans les hôpitaux (loi sur les services de santé et les services sociaux de 1971). L’État prend aussi le contrôle des hôpitaux du Québec qui étaient auparavant administrés par l’Église (Ferretti, 2011). Malgré ces points communs en termes historique et d’émergence de l’État-Providence, le mécénat hospitalier s’est développé au fil du temps de manière très différente en France et au Québec. Les Fondations hospitalières spécialisées dans la collecte au profit d’un établissement de santé sont légion au Québec et parfois très anciennes (création de la Fondation Justine-Lacoste-Beaubien en 1969, de la Fondation de l’Hôpital général de Montréal en 1973, de la Fondation du CHUM en 1998, etc.). A l’inverse, en France, à l’exception de quelques établissements de santé qui ont mis en place une véritable stratégie de levée de fonds depuis de nombreuses années (Gustave Roussy, Fondation HP-HF, Institut Curie, etc.), le mécénat hospitalier est resté rare jusqu’en 2010. C’est moins vrai aujourd’hui. Cet intérêt des hôpitaux à lever des fonds privés s’expliquerait, entre autres, par la modification de leurs modalités de financement (passage en 2007 à la tarification à l’activité), l’accroissement conséquent de leurs déficits (leur dette aurait triplé en moins de dix ans[1]) et une législation récente favorable[2]. Ainsi ces dernières années, de plus en plus de structures se sont concrètement engagées dans le mécénat et tentent de se professionnaliser (Hospimédia, 2013, 2015).

Cet engagement récent en France des hôpitaux dans la collecte de dons suscite beaucoup de réflexions et de débats parmi les professionnels. Certains sont réticents à ce mouvement, à l’instar de Jacques Touzard (2012), directeur d’hôpital, qui se pose les questions suivantes : « que voulons-nous faire de nos services publics ? Quelle contrepartie offrir aux donateurs sans trahir les missions originelles de l’hôpital public ? Quels sont les problèmes éthiques que cela pose ?, etc. ». A l’inverse, d’autres affichent un engouement fort. C’est le cas de Christian Paire, porte-parole du fonds de dotations créé par la Fondation Hospitalière de France en janvier 2014 et ex directeur du CHUM au Québec : « Il existe un véritable boulevard pour les hôpitaux qui souhaitent s’engager dans le fundraising. Au Québec, où j’ai dirigé un établissement de soins, nous gérions chaque année quelques 125 millions d’euros en caritatif. […] Bien sûr ici [en France] nous considérons que l’hôpital est l’affaire de l’État, mais il n’y a pas de raison qu’il ne redevienne pas une cause citoyenne » (Hospimédia, 2015).

Paradoxalement, alors que le mécénat hospitalier interroge les acteurs de la santé, peu de chercheurs se sont penchés sur cette question. En effet, la majorité des recherches sur la collecte de fonds s’est intéressée aux ONG et aux campagnes de fundraising des établissements d’enseignement supérieurs (Erwin, 2013). Pourtant, lever des fonds dans un hôpital soulève des questions spécifiques. En effet, l’hôpital a un ancrage territorial fort, tout le monde y est soigné un jour ou l’autre, y vit des émotions positives (guérison, accouchement, etc.) ou négatives (maladies, décès). Cette relation particulière de l’hôpital à son territoire et à ses patients entraîne vraisemblablement des spécificités en termes de collecte. Quelques recherches menées aux Etats-Unis les ont étudiées. Il a ainsi été mis en lumière les objectifs du fundraising hospitalier, les facteurs clefs d’efficacité, les modes de recrutement et de fidélisation des donateurs puis les problèmes éthiques engendrés par la collecte de fonds dans un tel contexte.

L’objectif de cet article est dans un premier temps de présenter cette littérature anglo-saxonne (partie 1). Puis, afin d’avoir une vision plus large que celle des États-Unis de ces différentes facettes du fundraising hospitalier, nous avons mené 18 entretiens individuels auprès d’acteurs de la collecte de fonds dans des établissements de santé en France et au Québec (partie 2). Cette mise en perspective des éléments théoriques et empiriques permettra de discuter des facteurs clefs d’efficacité et des conséquences de la mise en place d’une stratégie de collecte de fonds dans des établissements de santé.

La collecte de fonds à l’hôpital : état de l’art

Un nombre limité de travaux a été mené sur la collecte de fonds des établissements de santé. Les thèmes abordés dans la littérature sont : 1/ les motivations à développer le fundraising à l’hôpital; 2/ les types de management et de structures déployés en interne pour améliorer l’efficacité de la levée de fonds; 3/ le marketing relationnel développé envers les donateurs pour qu’ils restent fidèles et 4/ les problèmes éthiques posés par la collecte de fonds à l’hôpital. Les établissements étudiés par les chercheurs étaient principalement des « nonprofit community hospitals » et des « public hospitals » aux Etats-Unis.

1/ En premier lieu, l’intérêt pour l’hôpital de développer la collecte de fonds est d’augmenter ses ressources pour mieux survivre aux crises et pour développer des programmes de recherche, de formation et de services innovants et risqués que les gouvernements ne voudraient pas financer (Herbert, 1962; Haderlein, 2006). Cela peut également contribuer à financer des bâtiments ou des soins que les patients défavorisés ne peuvent pas payer (Herbert, 1962). Déployer des stratégies de levée de fonds aide également à améliorer les relations entre l’hôpital, ses patients et son territoire car cela oblige à développer des relations particulières avec ces différents publics (Greenfield, 1985).

2/ En second lieu, les chercheurs se sont posés la question du type de management et de fonctionnement interne qui améliore l’efficacité et l’efficience de la levée de fonds à l’hôpital. Il est préférable d’avoir un minimum d’implication de la part de la direction générale (Haderlein, 2006). Concrètement, cela se traduit par des rencontres régulières entre la direction et le département de fundraising, par une diffusion régulière en interne d’informations sur l’importance des dons pour l’hôpital, par l’intégration dans les indicateurs financiers de la performance du fundraising, par le développement d’outils de gestion nécessaires pour mieux cerner et améliorer la relation avec les donateurs et par le lancement de projets innovants susceptibles d’attirer les dons. Il est également souligné que l’implication des médecins est utile pour augmenter le nombre et le montant des dons (le médecin peut par exemple informer les patients sur la possibilité de don à l’hôpital) (Stewart et al., 2011).

Des profils de 401 « nonprofit hospitals » ont été comparés et reliés à leur efficacité (montant des dons collectés par donateur) et leur efficience (sommes dépensées pour lever des fonds et dons récoltés en retour de ces dépenses) (Erwin, 2013). Les établissements les plus efficaces et efficients pour lever des fonds sont des hôpitaux de grande taille qui se situent dans des zones géographiques très peuplées et qui sont positionnés sur le plan national et académique. Un nombre élevé de salariés experts sont employés à plein temps et proposent des offres de dons différenciés pour s’adapter aux profils des donateurs (dons en argent, legs, assurances vie au profit de l’hôpital, etc.). Ces établissements ont un pourcentage élevé de dons majeurs (émanant de fondations familiales et/ou de riches mécènes) ce qui laisse penser qu’ils ont développé une expertise forte en termes de marketing relationnel. A l’inverse, les établissements les moins efficaces et efficients pour lever des fonds sont des établissements de plus petite taille situés dans des zones géographiques moins peuplées. Ils ont un personnel à plein temps dédié à la levée de fonds restreint. La faible efficience du fundraising pourrait s’expliquer par le fait que ces hôpitaux emploient du personnel moins expert et que les principales opérations pour lever des fonds sont des campagnes de communication lancées une fois par an dans les médias et des événements (concerts etc.) lourds à organiser en termes de temps. Par ailleurs, leur offre est souvent peu diversifiée (il est essentiellement proposé aux donateurs d’offrir des dons en argent). Toutefois, ces établissements ont un pourcentage élevé de dons de la part des entreprises. Cela s’explique certainement par le fait que sur leur territoire, ces hôpitaux sont des acteurs phares qui attirent les entreprises.

3/ En troisième lieu, des chercheurs se sont penchés sur les outils du marketing relationnel à développer envers les patients et donateurs pour augmenter les dons à l’hôpital. Plusieurs auteurs ont montré qu’accroître les services offerts aux patients (chambre plus agréable, plus grande, accès plus facile au parking, etc.) augmente le nombre et le montant des dons (Sloan et al, 1990; Smith et al., 1995; Franck et al., 1991). Envoyer des informations aux donateurs via des campagnes de communication ou des newsletters sur la manière dont l’hôpital utilise les dons est également important. Toutefois, des chercheurs nuancent ces propos et montrent qu’offrir plus de services aux patients et envoyer des informations aux donateurs ne produisent pas des effets très significatifs à court terme sur les dons récoltés (Smith et al., 2006). Par ailleurs, Waters (2009a et 2009b) met en lumière que les individus donnent d’autant plus à l’hôpital que : ils sont régulièrement remerciés de leur don (via un courrier, une invitation etc.); ils sont rassurés quant à la bonne utilisation et l’affectation de l’argent collecté (l’hôpital doit en apporter des preuves car le donateur n’a pas a priori une confiance aveugle); ils sont informés sur les ressources de l’hôpital, sur la qualité des soins, sur les certifications etc. (via le site Internet par exemple) et ils se sentent impliqués dans les stratégies déployées par l’établissement (via des courriers d’information sur le nouveau projet de l’hôpital par exemple). En résumé, il semble nécessaire de déployer une relation avec le donateur qui va bien au-delà des sollicitations par courrier qu’il reçoit pour donner de l’argent à l’hôpital. C’est d’autant plus important que la cible se compose de grands donateurs (Waters, 2009b).

4/ En quatrième lieu, des chercheurs ont souligné les problèmes éthiques engendrés par le fundraising à l’hôpital. Les limites majeures identifiées sont de différentes natures (Wright et al, 2013; Julian et al, 2014; Chervenak et al, 2010). Tout d’abord, il est à craindre que les traitements et soins prodigués aux patients diffèrent selon leur statut de donateurs ou non et selon le montant de leur don. Ensuite, certains établissements invitent les médecins à s’impliquer dans le fundraising. Or certains patients peuvent se sentir obligés de faire un don si c’est un médecin qui le leur demande et peuvent penser que la qualité des soins va dépendre de leur don. De plus, les médecins peuvent se sentir redevables envers les patients donateurs et se sentir obligés de leur accorder certaines faveurs (un rendez-vous de dernière minute, des visites plus longues, etc.). Pour éviter ces problèmes, il est conseillé de ne pas solliciter les patients qui ont des problèmes de santé mentale, d’offrir des services aux patients donateurs qui ne concernent pas directement le soin et de développer le fundraising en s’appuyant sur des chartes éthiques (Roach et al, 2013). Par ailleurs, si des médecins souhaitent s’impliquer dans la collecte de fonds de leur établissement, ils peuvent le faire auprès de patients qu’ils ne soignent pas. Un autre risque lié au fundraising est le choix des projets et programmes de recherche soutenus par l’hôpital en fonction de leur capacité à attirer des donateurs (Klarman, 1962). Par exemple, il est plus facile d’attirer des dons sur des projets de recherche et de formation que sur d’autres projets. Cela peut alors détourner l’établissement de ses priorités.

En résumé de la littérature sur la collecte de fonds à l’hôpital, peu de recherches ont été menées sur ce thème et aucune n’a été conduite en dehors des États-Unis où le rapport des individus au don est très différent d’autres pays (Buhler, 2007). Or des recherches ont montré que la culture influence les comportements caritatifs des individus (Nelson et al, 2006; Kemmelmeier, Jambor et Letner, 2006; Winterich et Zhang, 2014). Les États-Unis sont le pays où les individus sont les plus généreux au monde en 2013 (score de 64 %, World Giving Index, 2014[3]). En France, la générosité est moindre. Selon le « World Giving Index », la France est classée au 90ème rang mondial avec un score de 26 % (sur 135 pays). Si le Canada est le troisième pays le plus généreux (score de 60 %), le Québec fait figure de mauvaise élève en Amérique du Nord : il se classe au dernier rang des provinces canadiennes et, si l’on compare l’ensemble des 64 territoires nord-américains, au 59e rang selon le rapport de MacIntyre et Lammam (2013).

Il semble donc exister, selon ces indicateurs, une culture du don différente de celle des États-Unis en France et au Québec. Elle pourrait peut-être s’expliquer par une propension plus marquée dans ce pays et dans cette province à compter sur l’État-providence. Cette générosité plus timide des citoyens a d’ailleurs incité les gouvernements à mettre en place un crédit d’impôt pour dons de bienfaisance et autres dons (Québec) et une réduction des impôts sur le revenu liés aux dons à des organismes d’intérêt général (France).

Au vu de ces différences, il est fort à parier que la collecte de fonds hospitalière en France et au Québec rencontre des problématiques différentes de celles étudiées dans la littérature présentée ci-dessus. Pour le savoir, nous avons mené une recherche exploratoire qualitative en France et au Québec. Cette étude empirique a pour objectif de répondre aux questions suivantes : quels sont aujourd’hui les objectifs et les leviers de la levée de fonds des établissements de santé en France et au Québec ? Quels sont les outils marketing et de communication déployés par ces derniers pour prospecter et fidéliser les donateurs ? Quels sont les changements institutionnels engendrés par le déploiement du fundraising à l’hôpital ? Existe-t-il des différences / similitudes entre les facteurs clefs de succès identifiés dans la littérature américaine et ceux observés en France et au Québec ? Au-delà de ces questions, cette recherche exploratoire a également pour objectif de s’inspirer du modèle québécois, plus avancé en termes de mécénat hospitalier, afin d’en tirer des enseignements pour la France et pour les établissements de santé qui se lancent dans le mécénat.

La collecte de fonds dans les établissements de sante : la pratique en France et au Québec

Pour répondre à ces différentes interrogations, nous avons retenu une approche qualitative sous la forme d’entretiens individuels approfondis menés auprès de directeurs du mécénat d’établissements de santé ou de fondations hospitalières ou, quand une telle fonction n’existait pas au sein de la structure, auprès de la direction générale ou de la direction de la stratégie ou du responsable de la communication (voir la liste des établissements et des managers interrogés en annexe 1). Nous avons également interrogé deux consultantes spécialisées dans la collecte de fonds hospitalière, une en France et une autre au Québec. La lecture d’articles dans la presse professionnelle et la consultation des sites Internet des hôpitaux nous ont guidé dans le choix des établissements tant en France qu’au Québec. L’objectif n’était pas de comparer les établissements en termes d’efficacité ou d’efficience de leur collecte de fonds, mais de se focaliser sur des établissements ayant développé de bonnes pratiques ou s’engageant dans cette voie. Le choix des établissements de santé français interrogés a reposé sur un repérage dans la presse professionnelle des établissements s’engageant officiellement dans une démarche de collecte de fonds. Au Québec, nous avons pris contact par e-mail avec les fondations hospitalières les plus connues (Ste Justine, CHUM, etc.) dans des secteurs différents (généralistes, pédiatrie, gériatrie) et nous avons interrogé celles qui ont accepté de nous recevoir pour une interview (nous n’avons essuyé aucun refus). Au total, 18 entretiens semi-directifs approfondis d’environ 1 heure 30 ont été menés essentiellement (annexe 1) auprès d’établissements de grande taille, situés dans des métropoles nationales et académiques, disposant de personnel dédié à la collecte de fonds et mobilisant divers outils. Un guide d’entretien a été construit (annexe 2). Il reprenait les différents thèmes sur la collecte de fonds recensés dans la littérature (structures et outils développés pour soutenir la levée de fonds, objectifs, éthique, etc.). Nous avons également récupéré, lorsque ces documents existaient, les rapports d’activités de fundraising, les brochures de collecte de fonds, les campagnes de communication menées, etc. Les interviews ont été menées sur le lieu de travail des répondants. Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique (codage et identification de thèmes et sous-thèmes émergents).

Les motivations au développement du fundraising dans les établissements de santé

Les principales motivations à la levée de fonds mentionnées par les acteurs interrogés sont de financer des projets liés à la recherche médicale, aux soins (achat d’équipement de pointe), à l’enseignement puis à la construction de nouveaux bâtiments. Améliorer le bien-être des patients, leur qualité de vie et les services offerts est également mentionné : leur offrir un meilleur accueil, plus de services, de loisirs et de culture (jeux, animations, matériel informatique, livres, bibliothèque, etc.). Les fonds collectés sont plus rarement utilisés pour développer des opérations de promotion de la santé et de prévention au sein de l’hôpital. Enfin, l’argent collecté ne sert jamais pour couvrir les frais de fonctionnement de l’hôpital (salaires des soignants, etc.). En revanche, les sommes collectées peuvent couvrir les frais de fonctionnement de la fondation chargée de lever des fonds. Certaines tentent toutefois de s’autofinancer. C’est le cas des fondations du CHUM de Montréal et de l’hôpital Royal Victoria (Montréal) qui ont respectivement créé une clinique privée et acheté des actifs dont les bénéfices et les intérêts financent leurs frais de fonctionnement.

Au-delà de ces éléments qui confirment la littérature sur le sujet, la plupart des personnes interrogées insiste sur le fait que, du grand mécène au petit donateur, ce n’est pas un don au « pot commun » qui motive mais la possibilité de s’engager dans un projet ciblé et précis. Pour que la collecte de fonds soit plus efficace, il est ainsi recommandé de communiquer sur un projet précis et concret ayant une échéance de court terme. Un travail de priorisation, de présentation et de structuration des projets en amont s’impose donc pour toucher les donateurs potentiels. Cela se concrétise par la mise en place de projets clefs à financer sur les prochaines années et du lancement de la campagne associée. Citons par exemple la campagne « Plus mieux guérir » (hôpital mères-enfants, Sainte-Justine, Québec) qui vise à amasser 150 millions de dollars d’ici 2018 pour investir dans de nouvelles approches de recherche, d’enseignement et de soins, ou encore la campagne « Poussons les murs pour les enfants » (Gustave Roussy, France) dont le but est d’aider au financement d’un nouveau département de pédiatrie High Tech, chaleureux et accueillant pour les enfants et les parents. Les projets sont généralement présentés dans un dossier écrit et sur le site Internet de l’établissement où sont présentés les raisons de sa mise en place, les personnes bénéficiaires, le calendrier, le budget et les résultats attendus. Ce document a pour but de susciter l’enthousiasme et l’adhésion autour du projet.

Enfin, il est important de souligner que, pour les établissements les plus avancés en matière de fundraising en France et au Québec, il est essentiel de développer la levée de fonds dans le contexte concurrentiel actuel : cela permet de rester à la pointe, d’accéder à l’innovation, de financer des projets et des recherches risqués, de prodiguer les meilleurs traitements, des soins d’excellence et de rester dans la « course » internationale. Ce dernier résultat confirme la littérature tout en mettant en exergue une concurrence accrue sur les marchés du don, ainsi qu’un rapprochement des cultures de don vers une recherche de plus grande efficience et efficacité de la collecte de fonds.

Management et structures de la levée de fonds

Un personnel expert dédié à la collecte de fonds

Au Québec, la collecte de fonds des établissements hospitaliers est une tradition. Elle s’organise essentiellement dans le cadre d’une fondation dont la mission est de mobiliser la communauté et de soutenir l’établissement de santé. Un personnel professionnel et formé à la levée de fonds est recruté (de 2-3 à 45 employés pour la fondation Sainte-Justine). Certains sont spécialistes du fundraising auprès des particuliers, d’autres auprès des entreprises et/ou des grands donateurs. En France, la levée de fonds des établissements de santé est moins répandue et moins professionnelle. Les plus avancés en la matière (Gustave-Roussy, Fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France, Institut Curie, hôpital américain de Paris) ont mis en place des modes de fonctionnement assez proches de ce qui est observé au Québec (fondations, personnel expert etc.). Pour les établissements qui se lancent récemment dans la démarche, il n’est pas systématique au départ et pour des raisons financières d’embaucher du personnel expert. C’est alors la direction ou le responsable de la communication qui s’occupe, en plus de ses autres fonctions, de la recherche de fonds. Dans ce cas, cette dernière s’essouffle assez vite car au-delà d’une opération ponctuelle, les personnes manquent de compétences et de temps pour entretenir la démarche. Certains établissements ont pris conscience de la nécessité de recruter un spécialiste à plein temps. C’est par exemple le cas de l’hôpital universitaire Necker-Enfants malades (AP-HP) qui a embauché en octobre 2011 une directrice du mécénat.

Implications de différents acteurs

La levée de fonds n’est pas seulement l’affaire du service fundraising. Il ressort des entretiens menés que l’implication de différents acteurs au sein (médecins, direction, infirmières, secrétaires, etc.) et en dehors de l’hôpital (entreprises, patients, etc.) est nécessaire pour optimiser la collecte de fonds.

Une collecte de fonds optimale passe tout d’abord par une collaboration étroite entre la direction de l’hôpital et sa fondation ou son service de collecte de fonds : l’hôpital est assimilé à « une banque de projets à financer » et la fondation / le service de fundraising est assimilée à « une banque de donateurs ». L’implication de la direction est en premier lieu nécessaire pour dégager en interne des moyens financiers nécessaires à la mise en place d’une structure de levée de fonds (recrutement d’experts) et choisir les projets prioritaires à financer. En second lieu, la direction a également pour mission de présenter et de porter le projet de levée de fonds en interne. En France, nous avons remarqué que la mise en place d’une stratégie de fundraising est parfois mal perçue par les salariés de l’établissement de santé. En effet, faire entrer des fonds privés est parfois considéré comme non éthique, incompatible avec le service public offert par l’établissement et comme un moyen pour l’État de se désengager. Toutes ces craintes doivent être prises en compte par la direction qui doit informer et expliquer la démarche de fundraising et son intérêt pour l’hôpital. En troisième lieu, il est nécessaire que la direction consacre du temps aux donateurs. Au Québec, une consultante spécialiste de la philanthropie nous a précisé qu’environ 75 % du temps du directeur d’un établissement de santé est consacré à la levée de fonds. De même, une responsable de la collecte dans un hôpital à Montréal estime que pour que la levée de fonds fonctionne, le directeur doit s’engager à 100 % et se déplacer auprès des grands donateurs et des entreprises.

Les médecins de l’hôpital sont également essentiels et s’engagent à différents niveaux pour aider l’établissement à lever des fonds. Certains sont volontaires et acceptent d’être formés et de solliciter leur réseau pour accroitre les donateurs de l’hôpital. Leur engagement prend différentes formes : lors de la sollicitation d’un don important, il peut s’agir d’une rencontre entre le médecin concerné par le projet à financer, le mécène (grand donateur ou entreprise) et le responsable du fundraising. La présence du médecin augmente les chances de lever des fonds car celui-ci est très légitime sur le projet présenté. Ils peuvent également s’engager dans des évènements organisés par l’hôpital (soirées avec les grands donateurs, conférences où les médecins experts présentent l’avancée de leur recherche), sur les supports de communication d’une campagne de levée de fonds (témoignage sur l’importance de tel ou tel programme) ou encore solliciter leur réseau pour accroître le nombre de donateurs. Cette tendance à impliquer les médecins dans le fundraising a été constatée au Québec et en France dans les établissements les plus avancés en collecte de fonds. Pour ceux qui initient la démarche, c’est souvent plus difficile car la mise en place d’un service de levée de fonds peut être perçue comme une forme de concurrence pour des médecins déjà impliqués dans des associations ou des programmes de recherche financés par la levée de fonds. Cela nécessite également de dégager du temps pour aider à la levée de fonds au détriment du soin des patients.

Selon la plupart des acteurs interrogés au Québec, l’ensemble du personnel d’un établissement de santé (infirmières, secrétaires, aides-soignantes, etc.) doit être impliqué dans la levée de fonds. Cela se traduit par le fait que le personnel donne du temps et de l’argent dès lors qu’une campagne de collecte est organisée par l’établissement : participation aux loteries organisées pour l’occasion, aide à l’organisation des évènements mis en place (bénévolat), témoignages dans les supports de communication de la campagne, etc. En France, cette implication du personnel est rare.

Au Québec, il est fréquent d’impliquer des personnes extérieures à l’hôpital pour améliorer l’impact de la levée de fonds. Ainsi pendant la durée d’une campagne de collecte, un cabinet de campagne qui se compose d’environ  15-25 « bénévoles » est constitué. Il rassemble des individus influents (hommes et femmes d’affaires, PDG d’entreprises essentiels pour toucher le monde des entreprises, maires, sportifs, journalistes, etc.) qui consacrent gratuitement de leur temps et de leur talent pour aider l’hôpital à recueillir des fonds auprès de leurs réseaux (entreprises, fondations familiales, etc.). Ces bénévoles influents sont des acteurs clés de la collecte de fonds. Les cabinets de campagne peuvent également solliciter des personnes célèbres dont le rôle est de soutenir et de renforcer la visibilité de la campagne dans les médias. Par exemple, la fondation Sainte Justine a fait appel à Céline Dion et à son mari dans le cadre de sa campagne « Plus mieux guérir », ce qui lui permet d’élargir sa zone géographique et de toucher des citoyens sur l’ensemble du Québec. Une telle pratique se retrouve aussi en France. Ainsi la fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France a pour parrain et marraine de la campagne « + de Vie » (dont le but est de lever des fonds pour améliorer les conditions de vie des personnes âgées hospitalisées) Alain Delon et Mireille Darc.

Certains patients donateurs acceptent également de s’impliquer dans la collecte de fonds des établissements en témoignant dans les supports de communication (brochures pour inciter au don, newsletter envoyé aux donateurs, etc.) ou en participant à des évènements organisés au profit de l’hôpital. Cette tendance est visible au Québec et en France.

Le marketing relationnel avec les donateurs

Selon l’objectif du collecteur de fonds (prospection ou fidélisation), de la cible visée (citoyen, patient, grand donateur, entreprises), les outils marketing mobilisés par les établissements de santé pour développer les dons diffèrent.

Les outils de prospection

Prospection des citoyens

Certains établissements de santé développent différentes initiatives pour sensibiliser les citoyens, faire connaître les besoins de l’hôpital et lever des fonds sur son territoire :

  • l’organisation d’évènements. Ils prennent différentes formes : concert, manifestation sportive, collecte dans la rue, radiothon, ventes aux enchères, dégustation de fromage, loteries, tirages au sort, etc. Au Québec, les événements organisés (les « activités bénéfices ») sont très nombreux. Ainsi la fondation de l’hôpital de Montréal pour enfants en recense plus de 300 évènements chaque année et la fondation du CHUM a récolté 31 000 000 dollars en 15 ans grâce à ces « activités bénéfices ». En France, deux évènements nationaux très connus sont organisés chaque année : l’opération « Pièces jaunes » de la fondation Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France, dont le but est de collecter de l’argent pour améliorer la vie des enfants et des adolescents hospitalisés et « Une jonquille pour Curie », évènement mis en place par l’Institut Curie pour lever des fonds pour la recherche contre le cancer. De telles manifestations sont l’occasion de faire parler de l’établissement de santé sur son territoire, d’améliorer sa notoriété, de développer une relation de proximité avec les citoyens, de se faire connaître auprès des journalistes, de faire parler de l’établissement dans la presse, de susciter l’envie de s’impliquer et de faire un don. Leur mise en place est toutefois lourde et nécessite le recours à un nombre élevé de bénévoles et de partenaires (associations de type Rotary club, entreprises, médias, etc.).

  • le lancement de campagnes de communication dans les médias. Cette campagne peut être diffusée sur des affiches, des supports presse, en radio ou à la télévision. A noter que la législation en France autorise les établissements de santé à lancer des communications pour lever des fonds. Le lancement et la réussite de ces publicités supposent une exposition médiatique importante, ce qui implique un coût non négligeable. Certains établissements cherchent alors des partenariats auprès des médias et des agences de publicité pour réduire ces frais. C’est ce qu’a fait le Centre Eugène Marquis (Centre de Lutte Contre le Cancer) pour diffuser à moindre coût dans la presse et sur des affiches sa campagne de levée de fonds dans la région rennaise. Au Québec, des affiches de très grande taille sont également visibles sur les façades des hôpitaux pour inciter au don.

  • un menu dédié sur le site Internet de l’établissement ou un site conçu spécialement à l’occasion d’une campagne de dons. Outil classique pour les hôpitaux au Québec, la présence d’un menu « faire un don » sur le site Internet de l’établissement de santé est moins automatique en France. Sur ce menu, les internautes peuvent trouver des informations sur les projets à financer, les projets déjà financés, les différents mécènes, etc. Ils peuvent également faire des dons en ligne.

  • l’achat de bases de données. Certains établissements achètent également des listes d’adresses et de noms d’individus auxquels ils envoient un courrier d’incitation au don. Cette technique, classique en collecte de fonds des ONG, est onéreuse et peu d’hôpitaux l’utilisent..

Prospection des patients

Chaque patient est un donateur potentiel. Le don peut être considéré comme une occasion pour lui de montrer sa reconnaissance envers l’établissement de santé l’ayant pris en charge. Différents outils marketing sont développés par les hôpitaux pour que le patient (et/ou sa famille) devienne un donateur.

Lorsque le patient est à l’hôpital, il est informé de la possibilité de faire un don via des affiches, brochures diffusées dans l’établissement ou un encart inséré dans le livret d’accueil. Dans les endroits de passage (hall, accueil etc.), des bulletins de soutien à remplir sont également disponibles. En France, certains collecteurs de fonds estiment qu’il est important d’informer les patients sur cette possibilité de don car ces derniers ne sont pas toujours au courant qu’il est possible de donner aux établissements de santé.

Au Québec où la démarche de don est plus habituelle, différentes initiatives sont développées pour que le patient devienne un donateur. La fondation de l’hôpital Royal Victoria a par exemple mis en place un dispositif original : afin d’initier une relation avec le patient, il est déposé dans chaque chambre une paire de pantoufles, une brosse à dent et une carte précisant les coordonnées de la fondation qui récolte des fonds pour l’établissement de santé. Pour tous les établissements québécois interrogés, un courrier est envoyé aux patients qui ont quitté l’hôpital pour les remercier de leur confiance. Il y est mentionné l’existence de la fondation qui soutient l’hôpital et un bulletin de don à remplir si toutefois ils souhaitent devenir donateur..

Prospection des potentiels « grands donateurs »

Nos résultats apportent un éclairage nouveau sur les relations que les collecteurs de fonds entretiennent avec les organisations hospitalières. Les grands donateurs sont des individus, des fondations familiales ou des entreprises qui apportent une contribution significative à l’établissement (par exemple un minimum de100 000 € par an pour l’Institut Curie ou 50 000 € par an pour Gustave Roussy). Lorsque le personnel expert en fundraising est limité, nous avons constaté que les établissements de santé se focalisent généralement sur cette cible plutôt que sur la cible des particuliers. C’est par exemple le cas de l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) à Paris (une seule personne à plein temps sur la recherche de fonds) et l’Institut de Gériatrie de Montréal (2 salariés permanents).

Pour toucher les grands donateurs, une approche personnalisée et professionnelle est nécessaire. Elle commence par une recherche documentaire permettant de mieux les connaitre avant de les contacter. Elle vise à évaluer leur capacité financière (et donc de don), leurs centres d’intérêts, leur historique de don pour d’autres causes ou d’autres établissements de santé, à activer des réseaux particuliers pour les toucher. Une réflexion est ensuite engagée pour identifier les projets les plus à même de motiver ces grands donateurs et les personnes les plus pertinentes pour rentrer en relation avec eux (responsable de la collecte de fonds et directeur de l’hôpital ou médecin ou membre du conseil d’administration ou bénévole influent du cabinet de campagne). La stratégie optimale est de se déplacer avec la personne appropriée pour solliciter le donateur potentiel sur un montant de don et un projet approprié puis des contreparties associées. Des argumentaires particuliers doivent être développés sur cette cible. Par exemple au Québec, le rôle de leader de ces grands donateurs dans leur communauté est mis en avant. A ce titre, ils doivent s’impliquer un minimum dans les besoins sociaux, de santé et d’éducation de cette communauté. Une des consultantes interrogées nous a confié qu’en comparaison avec le Québec, la France est encore peu experte pour toucher et approcher efficacement ces riches mécènes.

Les outils de fidélisation

Dès lors que des patients, citoyens ou riches mécènes ont fait un don à l’établissement de santé, ils entrent dans la base de données « donateurs ». L’enjeu est alors de les fidéliser et de faire en sorte qu’ils continuent à donner à l’hôpital. Pour ce faire, la relation établie avec le donateur doit être entretenue en mobilisant différents outils. La plupart des établissements interrogés segmente le « marché » des donateurs en deux catégories : les donateurs apportant une contribution significative (les grands donateurs) et les autres.

Fidéliser les donateurs « classiques »

Pour inciter un donateur à redonner, des courriers (« mailings » ou « publipostage ») sont envoyés plusieurs fois par an. Ils répondent aux règles de réalisation et de rédaction classiques en matière de collecte de fonds et sont le plus personnalisés possible : une enveloppe (qui attire l’attention pour inciter à lire le message avec des photos, une interpellation, etc.), une lettre explicative et des photos (qui mettent souvent en avant des histoires de patients, des témoignages positifs de patients, de médecins, d’infirmières pour susciter des émotions, des bonnes nouvelles, des problèmes que les dons ont pu aider à résoudre, etc.), un bulletin de don (où le donateur inscrit le montant donné), une brochure explicative des projets financés par l’établissement de santé et une enveloppe de retour affranchie. Ils peuvent également être sollicités par téléphone, mais c’est plus rare.

Proposer des services supplémentaires est également une politique déployée par certains établissements pour fidéliser les donateurs. Par exemple, l’hôpital Américain de Paris propose à ses donateurs de rejoindre son « cercle des membres ». Selon le montant du don et le statut associé (« annual member, active member, member of the circle of friends, member of the inner circle of friends, etc. »), différents services sont alors proposés (« active member » : accueil téléphonique personnalisé, 5 heures de parking gratuit, 10 % de remise sur le salon de thé et le restaurant, etc.; « member of the circle of friends » : 20 heures de parking gratuit, visite privée des services, etc.).

Fidéliser les grands donateurs

La plupart des établissements de santé interrogés accorde une importance particulière au grand donateur. Pour le remercier, signifier la reconnaissance de l’hôpital, souligner sa contribution, ils sont évidemment contactés directement et remerciés dès lors que le don a été versé. Par ailleurs, des contreparties à leur don sont proposées. Elles se traduisent de différentes manières : invitation du mécène à des évènements (visite d’un service, inauguration d’un bâtiment, participation à des conférences scientifiques, invitation à des soirées mondaines, à des diners gastronomiques, à des ventes aux enchères, etc.), intégration en tant que membre du « club des mécènes » de l’établissement (la Fondation Hôpital Saint Joseph à Marseille a par exemple créé un tel club qui rassemble ses entreprises mécènes), rencontre avec la direction de l’hôpital ou des médecins concernés par le projet financé.

Il est également très fréquent de proposer au mécène d’associer son nom ou le nom de son entreprise à une salle de l’établissement ou à un lieu, et ce pendant plusieurs années ou à vie. Certains établissements inscrivent systématiquement le nom de leur grand donateur sur un mur (dans le hall par exemple) ou dans une « galerie des donateurs » et sur différents supports de communication (newsletter de l’établissement, site Internet, communiqués de presse, etc.). Comme l’ont souligné certains collecteurs de fonds interrogés, il est essentiel que le mécène se sente associé à l’institution et valorisé pour qu’il ait de nouveau envie de donner à l’hôpital. Il peut également devenir un relais positif auprès d’autres mécènes potentiels.

Si ces politiques de contreparties semblent plus formalisées et généralement contractualisées au Québec, elles se développent également en France.

Rassurer, informer : nécessaire pour fidéliser les donateurs

La communication d’informations sur le projet soutenu par les donateurs est importante pour les rassurer sur l’utilisation de leur don, conserver et accroître leur confiance puis les fidéliser. Pour diffuser ces informations, les sites Internet sont très précieux et mettent à disposition des internautes des rapports d’activités, des rapports d’impact des dons (fréquent au Québec), des rapports financiers, des newsletters qui résument l’avancée des projets financés, etc. Ces informations peuvent aussi être envoyées de façon nominative aux donateurs (par e-mail ou par courrier). Force est de constater qu’en France, les établissements nouveaux dans la collecte de fonds ont des progrès à faire pour mettre à la disposition de telles données. Or quelle que soit la zone géographique (France ou Québec), la confiance des donateurs ne va pas de soi. Il est donc nécessaire d’apporter la preuve de la qualité de sa gestion et de la bonne utilisation des ressources. Outre les rapports, certains établissements de santé adhèrent à des labels (certification) dont le but est de rassurer les donateurs sur ce point. En France, le label du Comité de la Charte « Don en confiance » a été créé par le secteur associatif il y a plus de 20 ans. Un établissement qui le demande et le reçoit est soumis à un contrôle sur plus de 150 points qui couvrent le fonctionnement de l’organisation et la manière dont les ressources collectées sont utilisées (Busson-Villa et Gallopel-Morvan, 2012). Parmi les hôpitaux français que nous avons interrogés, 3 adhèrent au label « Don en confiance » : la fondation Gustave Roussy, la fondation Hôpital Saint Joseph et la fondation hôpitaux de Paris - hôpitaux de France. Au Québec, les établissements de santé peuvent s’appuyer sur le programme de normes proposé par Imagine Canada. Ce programme correspond à un ensemble de normes destinées aux organismes de bienfaisance et sans but lucratif désireux d’accroître leur efficacité au niveau notamment de la responsabilité financière, de la transparence, de la collecte de fonds. La Fondation Sainte-Justine est le premier organisme de santé au Québec à obtenir le sceau d’accréditation du Programme de normes d’Imagine Canada, fin 2014. Celui-ci a pour objectif de faire la lumière sur les meilleures pratiques, la bonne gouvernance et la transparence du secteur de la philanthropie afin de répondre aux attentes grandissantes en matière d’imputabilité et de transparence envers les organismes de bienfaisance afin de renforcer la confiance des donateurs.

Les problèmes éthiques engendrés par la levée de fonds

Les personnes que nous avons rencontrées n’abordent pas spontanément la question des problèmes éthiques engendrés par la levée de fonds. Il est surprenant que la réflexion éthique ne soit pas saillante dans les discours. Néanmoins, quand on interroge précisément les personnes sur cette question, elles mentionnent en priorité les droits du donateur (confidentialité, transparence, information sur l’établissement et l’utilisation des dons, remerciements, etc.). Par exemple, la fondation Sainte Justine précise aux donateurs que « les actions de la fondation se font dans le respect de la confidentialité et de vos motivations profondes. Elles sont marquées par un souci constant de répondre aux besoins et priorités du CHU Sainte Justine. A la fondation, nous veillons à protéger les intérêts de l’ensemble de nos donateurs, dans la plus grande transparence. Nous travaillons chaque jour à maintenir la confiance que vous nous avez accordée, année après année, afin que vous restiez avec nous encore longtemps ». Certains établissements définissent une charte des droits du donateur (élaborée par des associations de fundraising du type de l’« Association for Healthcare Philanthropy ») pour une « utilisation responsable et éthique des contributions des donateurs en total accord avec les désirs de ces derniers ». Cette charte formalise 10 lignes de conduite à suivre pour l’établissement de santé (charte par exemple suivie par l’hôpital Royal Victoria de Montréal et l’hôpital Américain de Paris). Le donateur doit : 1/ être informé de la mission de l’hôpital et de sa fondation et de la manière dont les dons sont utilisés; 2/ être informé de l’identité des membres du conseil de direction; 3/ avoir accès aux derniers états financiers de l’établissement; 4/ être sûr que les dons seront utilisés à ce pour quoi ils sont destinés; 5/ recevoir les remerciements et la reconnaissance appropriés; 6/ avoir une garantie de la confidentialité des informations le concernant; 7/ bénéficier de relations professionnelles avec les acteurs de la collecte de fonds de l’hôpital; 8/ connaître la fonction de la personne qui sollicite un don (bénévoles de l’hôpital, employés ou solliciteurs sous contrat); 9/ pouvoir retirer son nom des bases de données donateurs de l’établissement de santé; 10/ poser des questions et avoir rapidement des réponses sincères.

Un autre thème lié à l’éthique ressort des entretiens réalisés : l’origine des dons. Il apparait difficile pour une majorité des établissements de santé interrogés d’accepter des dons des entreprises du tabac du fait de la mauvaise image de cette industrie et des maladies et morts qu’elle provoque sur la population. L’industrie de l’alcool est également citée (plus rarement) pour les mêmes raisons. Des conflits d’intérêts peuvent aussi émerger avec les industries pharmaceutiques ou avec les fournisseurs de l’établissement de santé, ce qui incite à réfléchir à l’acceptation ou non du don.

Si certains donateurs demandent en échange de leur don un accès privilégié aux soins, ce traitement de faveur est refusé. Enfin, dès lors que les médecins sont sollicités par des patients pour la collecte de fonds, il leur est demandé de diriger ces donateurs potentiels vers la fondation ou le service de fundraising afin de ne pas mélanger soins et levée de fonds.

Discussion et conclusion

Cet article apporte des contributions académiques et managériales sur le thème de la collecte de fonds hospitalière peu étudié par les chercheurs.

Les contributions académiques de notre recherche reposent sur trois aspects. En premier lieu, la revue de la littérature sur la collecte de fonds des établissements de santé, bien que pauvre, a aidé à identifier des thèmes spécifiques à la collecte de fonds hospitalière. En second lieu, alors que les recherches sur le fundraising se sont principalement intéressées aux ONG, aux établissements d’enseignement supérieurs et au mécénat culturel, notre recherche apporte des éléments de compréhension et des éclairages sur la levée de fonds dans un contexte de santé. En troisième lieu, la mise en perspective des recherches antérieures et des résultats des entretiens menés auprès de 18 managers a permis de faire émerger de nouvelles thématiques à approfondir. Plus particulièrement, la littérature existante a peu ou pas exploré les questions et problématiques détaillées ci-après. Par exemple, il apparait essentiel de mobiliser les différentes parties prenantes de l’hôpital pour améliorer la collecte de fonds (direction, médecins, infirmières, secrétaires, leaders d’opinion du territoire : hommes d’affaires, politiques, journalistes, etc.). Il serait alors important de tester des outils de gestion et de mesurer leur efficacité pour mobiliser et impliquer ces différents partenaires : quelle politique de communication interne ? Quels arguments pour rassurer le personnel et accompagner la démarche ? Quels outils de relations publiques pour toucher les acteurs du territoire ? etc. En France plus particulièrement, des personnes interrogées nous ont confié l’existence de réticences de la part du personnel à faire entrer l’argent du secteur privé dans un service public de santé. Il serait important de les comprendre afin de pouvoir mieux les lever (à travers des entretiens avec des soignants, administratifs par exemple). Une meilleure compréhension du fonctionnement, des enjeux notamment éthiques ainsi que du symbole que représente une fondation dans le secteur public de santé en France permettraient d’envisager des solutions pour surmonter ces réticences. Par ailleurs, alors que les donateurs français et québécois ont besoin d’être rassurés sur la manière dont leur don est utilisé, une réflexion s’impose sur les indicateurs susceptibles d’atteindre cet objectif : en interne, comment mesurer de manière fiable l’efficacité et l’efficience de la politique de fundraising mise en place ?, quels types d’indicateurs financiers faut-il développer pour ce faire ?, quelles informations sont les plus pertinentes pour rassurer les donateurs (indicateurs, rapports financiers, etc.) ?, est-ce que les certifications actuelles qui existent en France (Don en Confiance) et au Québec (Imagine Canada) rassurent vraiment les donateurs ? Enfin concernant les aspects éthiques, la question des partenariats publics-privés et des risques que cela engendre pour l’hôpital (collusion, conflit d’intérêt, corruption, dégradation de l’image de l’établissement, etc.) mérite une attention particulière de la part des chercheurs (Roehrich, Lewis et Gerard, 2014). Le scandale en 2013 lié à la construction du nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal ainsi que la présence très forte du monde des affaires dans les établissements de santé au Québec (à travers les cabinets de campagne par exemple) confortent le besoin de mener des recherches sur ce sujet.

Au-delà de ces contributions académiques, notre article fournit également des recommandations importantes pour les managers des établissements de santé. Tout d’abord, il apparaît essentiel de développer la collecte de fonds privés car cela contribue à améliorer les services offerts par l’hôpital tant en matière de soins aux patients que de recherche et de formation. Ensuite, les hôpitaux français doivent absolument se professionnaliser pour améliorer l’efficacité de leur collecte de fonds (c’est également vrai pour le Québec mais la plupart des établissements que nous avons interrogés sont déjà engagés dans cette professionnalisation). En effet, différents acteurs se partagent aujourd’hui le « marché » du don en France : les Églises et organisations confessionnelles, les associations (Ligue Contre le Cancer, Greenpeace, etc.), les grandes écoles (polytechnique, HEC, etc.), les organisations culturelles (musée du Louvre, château de Versailles, etc.) et, plus récemment, les universités qui se sont dotées de fondations. Si les établissements de santé disposent d’atouts indéniables pour sensibiliser les donateurs (proximité géographique, individus concernés par la maladie et par leur hôpital, etc.), ils ne sont pas suffisants. Le déploiement d’une véritable stratégie de levée de fonds est nécessaire pour émerger sur ce marché très concurrentiel de la philanthropie. Comment les hôpitaux peuvent-ils alors déployer une telle stratégie ? La littérature et nos observations montrent que le fundraising peut se développer à condition :

  • d’embaucher des professionnels et des experts de la collecte de fonds. Cela nécessite un investissement et des efforts financiers que certains hôpitaux français ne sont pas encore prêts à fournir;

  • d’accompagner la mise en place d’une politique de fundraising d’une politique de communication interne afin de lever les craintes du personnel et de l’impliquer dans la démarche;

  • de segmenter le marché des donateurs en développant des outils différents selon leurs profils (donateurs particuliers, donateurs entreprises, grands donateurs);

  • de mettre en place des outils dédiés pour prospecter (événements, encarts dans le livret d’accueil, menus sur le site Internet, etc.) et fidéliser les donateurs (courriers de relance personnalisés, documents d’information sur l’utilisation des dons, contre-parties aux dons : participation à des événements, à des rencontres, toponymie, etc.);

  • d’améliorer la transparence des informations sur l’utilisation des ressources et des budgets, l’avancement des projets financés, etc.;

  • de mettre en place et/ou d’améliorer le marketing déployé au sein de l’hôpital. En effet, une politique de communication, un marketing des services et un marketing relationnel dignes de ce nom contribuent à la collecte de fonds. Or en la matière, force est de constater que certains établissements de santé français sont très réticents voire opposés au déploiement d’une démarche marketing (Crié, Salerno et Vincent, 2014).

  • enfin, il ne faut pas non plus ignorer les problèmes éthiques soulevés par le fundraising (impact sur le traitement des patients, source des fonds). Il semble raisonnable de rédiger une charte éthique en interne.

Si notre recherche apporte des contributions sur les plans académique et managérial, il n’en demeure pas moins qu’elle souffre de certaines limites qui ouvrent des voies de réflexion sur la collecte de fonds à l’hôpital. Une première limite tient à la nature exploratoire de notre travail et au nombre restreint de managers interrogés (France Générosités, 2013). Il serait pertinent de mener une étude quantitative sur un nombre plus élevé d’établissements afin de cerner les perceptions et les actions mises en oeuvre. De plus, le contexte français présente des spécificités au regard du contexte québécois en termes de culture du don et de philanthropie hospitalière. Au Québec, la culture du don pour les établissements de santé est plus ancienne et mieux acceptée qu’en France. Il existe également outre-Atlantique un fort sentiment d’appartenance à une communauté qui peut être un facteur explicatif des dons des individus à l’hôpital. Des chercheurs ont en effet montré que plus ce sentiment d’appartenance est fort et plus les individus se sentent obligés de soutenir leur communauté par des actes de générosité (Bryan et al., 2000; Johnson et al., 2010). En France, un tel sentiment semble moins exister (Patsias, 2006), il serait ainsi intéressant de vérifier si cela peut être un frein aux comportements de don envers des établissements de santé qui se positionnement comme des acteurs au service d’une communauté locale. Enfin, notre recherche n’a pas du tout abordé la question des motivations et des freins des particuliers et des entreprises à donner à l’hôpital. Or une telle connaissance des cibles est essentielle pour collecter plus efficacement. Des études passées ont mis en lumière les freins et motivations générales des individus à donner (Le Gall-Ely, 2013). Concernant la France, la culpabilité, la prise de conscience d’une catastrophe, le fait de se sentir utile et concerné un jour par le problème sont les principales motivations au don alors que le manque d’argent et de confiance par rapport à l’acteur qui collecte des fonds représentent des freins (Rieunier, 2013). Les facteurs de motivation des donateurs cités le plus souvent sont le sentiment de compassion envers les personnes dans le besoin, le souhait d’aider une cause en laquelle ils croient personnellement et l’envie de contribuer à la collectivité. Les deux principaux freins sont le manque d’argent et le fait que les donateurs sont satisfaits du montant qu’ils ont déjà donné (Vodarek, Lasby et Brynn, 2010). A notre connaissance, aucune recherche n’a exploré les motivations et freins à donner à l’hôpital en particulier.