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L’ouvrage collectif Les communautés d’innovation publié par les Editions Management et Société propose d’étudier en profondeur ce que sont les communautés d’innovation, définies comme le regroupement d’individus qui partagent un intérêt commun pour un domaine donné.

Convaincus que, désormais, les communautés deviennent, dans les entreprises, des unités actives qui servent à générer, co-créer et valider des idées de nouveaux produits et services, le collectif d’auteurs présente les communautés d’innovation comme une source pertinente d’idées originales et explicite comment les entreprises peuvent s’y connecter pour enrichir leur processus d’innovation en connaissances et idées nouvelles. Comme une communauté ne se gère pas comme une entreprise, les managers doivent, en effet, adopter des méthodes adaptées à cette forme particulière d’organisation, et ainsi bénéficier des idées nouvelles issues des interactions sociales, du partage de connaissances et des activités communes ayant cours dans les communautés d’innovation. L’ouvrage propose alors des méthodes spécifiques pour que les entreprises réussissent à collaborer avec elles.

Le livre composé de 13 chapitres expose, dans le premier, de manière synthétique les théories des communautés d’innovation et la dynamique des communautés. Il est suivi de 11 chapitres qui décrivent et analysent comment des entreprises, des organisations publiques et des écosystèmes industriels se sont connectés à des communautés, et comment ces structures ont enrichi et augmenté leurs capacités d’innovation. Un dernier chapitre résume les enseignements pratiques développés au fil des pages et propose in fine une démarche opérationnelle à destination des managers qui souhaitent collaborer avec des communautés pour générer, co-créer et valider des idées créatives.

Dans le chapitre 1, Patrick Cohendet et Benoit Sarazin exposent les caractéristiques et la dynamique des communautés d’innovation. Ils regroupent sous le terme de communauté d’innovation, les différents types de communautés (communauté de pratiques, communauté d’utilisateurs, communauté virtuelle, communauté d’intérêts, communauté épistémique) à partir du moment où elles génèrent des idées nouvelles voire des innovations abouties. Ainsi, ils considèrent que les communautés sont constituées de passionnés qui développement des liens fondés sur la passion et sur l’engagement des uns vers les autres, avec, à l’esprit, un objectif commun ou une pratique commune. Ces petites organisations très fluides développent alors leurs activités sans contrôle direct d’une hiérarchie, mais selon deux dimensions particulières : la passion et la confiance. Toutefois, deux éléments de soutien vont réguler les activités et relations dans les communautés : (i) le manifeste, véritable programme d’actions plus ou moins formalisé et (ii) le codebook, qui est l’ensemble des règles, des pratiques, des usages en cours dans la communauté.

En sus de ces caractéristiques d’une communauté d’innovation, les auteurs mettent en évidence l’importance du middleground, considéré comme le contexte favorable au développement de la communauté et comme le lieu de rencontre de l’entreprise avec elle pour accéder à son potentiel créatif. Plus exactement, le midleground est une strate intermédiaire entre les structures formelles de l’organisation et l’ensemble des talents créatifs des communautés. Il est co-créé par les membres de la communauté et l’organisation. Il se caractérise par quatre mécanismes : (i) les places (les lieux de rencontres informels), (ii) les spaces (les éléments cognitifs qui favorisent la construction des idées), (iii) les événements et (iv) les projets. De cette approche, les auteurs concluent que, pour créer une relation performante avec la communauté d’innovation, au sein du middleground, le manager doit adopter une nouvelle attitude qui consiste à devenir un jardinier des connaissances et développer un terrain fertile au développement des communautés. Ce nouveau paradigme nécessite alors de considérer l’organisation comme un ensemble de communautés en interaction, d’adopter le principe de réciprocité systématique, de dépasser les frontières de l’organisation et même d’adopter des formes nouvelles de propriété intellectuelle.

Au-delà d’être une synthèse de la revue de la littérature sur les communautés d’innovation, ce premier chapitre est surtout indispensable à lire avant d’aborder, selon les besoins du lecteur, les différents cas avec des communautés d’innovation, afin de bien tirer parti des enseignements potentiels de chaque cas.

Le chapitre 2, écrit par Patrick Cohendet et Laurent Simon, décrit la relation forte développée par Ubisoft avec de multiples communautés pour injecter une dose significative de créativité dans ses différents projets de création de jeux vidéo. Les auteurs décrivent les communautés internes de métiers (game designer, graphiste 2D et 3D, programmeurs…) et analysent leur insertion dans le sol fertile de Montréal, définie comme une ville créative. Les communautés de métiers sont en interaction avec des communautés virtuelles d’utilisateurs via des réseaux sociaux et des forums, ce qui permet de les impliquer dans la conception, ou bêta-testing, et même le développement de nouveaux programmes. Ubisoft développe aussi des relations avec des communautés de professionnels externes (architectes, historiens, géographes…), afin d’accéder à des connaissances spécifiques en les impliquant dans la conception. Par exemple, des historiens ont contribué à mettre au point la série Assassin’s Creed pour assurer la plus grande fiabilité historique à ce jeu. Pour favoriser le développement des communautés internes et tirer profit de leur potentiel créatif, la hiérarchie d’Ubisoft est plus intervenue comme orchestrateur qu’organisateur, en fournissant des moyens d’interactions et d’échanges, en participant d’égal à égal aux échanges et en valorisant de manière continue les apports de la communauté.

Dans le chapitre 3, les auteurs, Benoit Sarazin et Jean-Yves Couput, montrent comment Salomon établit une relation forte et durable avec les pratiquants de trail running, et bénéficie ainsi d’idées fortement innovantes de la part des lead users, d’où un enrichissement de ses produits et le maintien d’un avantage sur ses concurrents. Le cas détaille le rôle central du middleground pour le développement de la communauté, puis de ses relations avec Salomon. Suite à cette expérience, les auteurs proposent une série de bonnes pratiques : contribuer de manière continue et organisée au middlegroud, apporter de la valeur de manière authentique et être transparent dans la communication. Ils développent aussi les écueils que les entreprises peuvent rencontrer comme, par exemple, l’exploitation à sens unique qui provoque, à un moment, le rejet des membres de la communauté.

Le chapitre 4 développe un autre cas dans le sport. Les auteurs, Cyrielle Vellera, Andreas Munzel et Vincent Textoris, décrivent comment Decathlon a développé la plate-forme de crowdsourcing « Decathlon Creation ». Avec cette plate-forme, les pratiquants de sport peuvent soumettre leurs idées au fabricant, et les idées plébiscitées par les internautes seront analysées par les équipes de Décathlon pour un éventuel développement. Les auteurs détaillent les processus de collaboration mis en place sur la plateforme : écriture de challenge, soumission d’idées, évaluation et transformation en nouveaux produits. L’entreprise a aussi mis en place un système de rétribution pour les contributeurs les plus actifs de la communauté d’innovation.

Le chapitre 5, écrit par Guy Parmentier, est dédié à l’innovation avec des communautés en ligne avec la description des relations avec la communauté de joueurs du jeu vidéo Trackmania créé par le studio de production de jeux vidéo Nadeo et la communauté d’internautes des utilisateurs des services de Free. L’auteur détaille les mécanismes qui permettent à une entreprise de favoriser à la fois le développement de la communauté, sa créativité et la connexion avec celle-ci. En substance, il s’agit pour les marques d’ouvrir leurs produits aux apports des utilisateurs, à l’aide d’outils de personnalisation ou de création pour favoriser leur appropriation, voire leur détournement. L’entreprise doit aussi établir une relation forte avec les leaders des différentes communautés impliquées et contribuer à leur animation pour soutenir leur développement. L’auteur au final propose un modèle d’actions à mettre en oeuvre pour favoriser l’innovation avec une communauté d’utilisateurs et conclut avec les difficultés rencontrées par l’entreprise dans cette collaboration, notamment lorsque celle-ci, poussée par son succès, se développe et devient une grande entreprise.

Dans le chapitre 6, les auteurs, Frédéric Touvard et Dominique Levent décrivent la naissance et le développement de la communauté d’innovation de Renault. La communauté regroupe une grande diversité d’intervenants externes à l’entreprise, qui est issue du monde académique et artistique, et d’une quarantaine d’entreprises de la mobilité. La communauté organise des réunions plénières rythmées par l’apport réflexif en amont de philosophes sur des thèmes variés (l’innovation de rupture, l’économie collaborative, les vices et vertus de l’innovation, la panne du désir, la solitude des managers, la voiture autonome…). Elle concrétise ensuite les idées dans des prototypes. Deux dispositifs, la Distillerie et le Boxing, permettent de stimuler les échanges et la créativité des participants. Les auteurs proposent également une réflexion finale sur le cycle de vie de la communauté, en particulier sur la question de son devenir, de son institutionnalisation, de son insertion dans les écosystèmes en marche et de la concurrence potentielle entre communautés.

Le chapitre 7 écrit par Eric Grab, développe le cas de la communauté d’innovation de Michelin qui s’apparente à un écosystème d’innovation réunissant des entreprises intéressées par l’évolution de la mobilité. Ces entreprises se réunissent tous les deux ans lors du Challenge Bibendum et entre ces événements, ce laboratoire d’innovation ouverte, l’Open Lab, permet à la communauté de travailler sur des projets communs. Cette communauté, au-delà du cercle des partenaires historiques de Michelin, implique fortement les acteurs du monde du transport pour prendre ensemble des initiatives concrètes et traiter les grands défis relatifs à la technologie et au business models de la mobilité durable. L’auteur détaille les modes de fonctionnement des deux dispositifs (Open Lab et Challenge Bibendum) qui leur permettent d’innover ensemble. Il précise, en particulier, les règles favorables à la création de la confiance tout en préservant la confidentialité des projets. Il montre, enfin, comment les membres de la communauté tirent leur motivation d’une vision partagée des enjeux sociétaux autour de la mobilité.

Dans le chapitre 8, Louis Pierre Guillaume, Coline Delmas et Karine Goglio-Primard, présentent les communautés de pratique de Schneider Electric qui regroupent des employés partageant un fort intérêt pour le même sujet. L’entreprise soutient le développement de ces communautés avec le programme Communities@Work en assignant des rôles tels que le Community Leader, la Core team et le Sponsor, et elle libère du temps aux employés impliqués. Les auteurs identifient deux facteurs clés de succès du programme : (i) la mesure de la valeur apportée par la communauté directement par ses membres et (ii) la mise en place d’un réseau d’animateurs de communautés qui leur permet de s’entraider en échangeant sur les bonnes pratiques et de nouvelles idées nouvelles.

Dans le chapitre 9, Lusine Arzumanyan, Charlotte Wieder et Claude Guittard présentent les communautés de pratiques en innovation de SEB qui regroupe 1 300 employés et 30 sous-communautés. Les auteurs apportent des éléments de réponses aux questions suivantes : quels sont les défis à relever dans le processus de mise en place d’une communauté de pratiques en innovation ? Quels sont les facteurs clés de succès observés ? Quels sont les bénéfices d’une communauté de pratiques en innovation ? Dans les communautés étudiées, ils montrent que l’organisation d’un événement annuel, soit le forum Innovation, mais aussi les actions d’animation menée dans chaque communauté, jouent un rôle pour soutenir le dynamisme et la créativité de ces communautés. Ils précisent aussi combien la motivation intrinsèque, les règles de fonctionnement communes, le plan d’animation spécifique à la communauté pour donner un rythme, la culture du feed-back permanent, et l’implication des sponsors, sont des bonnes pratiques à mettre en place pour le développement d’une communauté de pratiques en innovation.

Tristan Cenier et Patrick Llerena exposent dans le chapitre 10 le cas des communautés d’innovation chez Schmidt Groupe. Ils décrivent les Creativ’café qui sont basés les principes suivants : encouragement au volontariat, absence d’obligation de résultat et d’agenda, séances de créativité brèves et développement d’une atmosphère plaisante. Ces événements, destinées à générer des idées nouvelles, sont à l’origine de l’émergence d’une communauté d’innovation. Ils exposent, tout particulièrement, les obstacles rencontrés, que ce soit dans l’animation des séances, ou dans le cas où la proposition d’un porteur d’idées est refusée par la communauté.

Le chapitre 11, écrit par Karl-Emanuel Dionne et Hugues Boulenger, analysent les rouages de la communauté Hacking Health, qui organisent des hackathons de 48 heures qui réunissent des professionnels de la santé, des développeurs informatiques, des designers, des entrepreneurs et des investisseurs. Les auteurs exposent les clés de la réussite de la communauté Hacking Health : la durée restreinte des évènements, une mission inspirante qui fédère les participants, un élan créé par l’adhésion à la communauté, l’animation structurée d’une démarche créative et les suivis nécessaires pour la mise en projet.

Dans le chapitre 12, Olivier Irrmann détaille l’histoire de Humanicité et met en lumière les interactions entre différents types de communautés. Humanicité est un quartier nord de Lille intégrant les enjeux du vieillissement, du handicap et de la mixité sociale. Véritable laboratoire social, le projet a débuté avec une communauté épistémique portée par l’Université Catholique de Lille. Des communautés de pratiques co-conçoivent la vie du quartier. Les priorités stratégiques d’évolution du quartier sont définies par une communauté de gouvernance. Des communautés de participation développent des événements, tels que l’organisation d’un salon du livre ou le développement des jardins partagés. Suite au succès d’Humanicité, les communautés sont devenues apprenantes : elles se sont alors formées pour apprendre à organiser l’innovation ouverte à vocation sociale et inclusive. En revanche, des communautés d’opposition se sont formées et ont été une cause du ralentissement du projet.

Dans le chapitre final de ce livre collectif, Benoit Sarazin, Laurent Simon et Patrick Cohendet tirent des enseignements pratiques des études de cas. Ils explicitent les types de relations à mettre en place avec les communautés et les besoins des membres des communautés auxquelles il convient d’être vigilant pour développer ces relations. Ils synthétisent les conditions de succès de la relation entre l’entreprise et la communauté, entre autres le soutien à la communauté, le don sans contrepartie immédiate, le soutien aux idées les plus intéressantes et le soutien aux liens entre communautés. Enfin, ils dressent la liste des attitudes que devrait adopter un manager pour mieux travailler avec les communautés.

Au final, Les communautés d’innovation, est un ouvrage riche en cas concrets, dont le lecteur peut tirer des enseignements directement exploitables pour développer des relations durables avec les communautés d’innovation, et ainsi renforcer les capacités de créativité et d’innovation des organisations.