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Sous l’impulsion de la globalisation des marchés et de la concurrence, de nombreuses entreprises s’engagent dans des coopérations internationales dans le domaine de la recherche et du développement (Ohmae, 2005). Ces accords associent deux ou plusieurs organisations indépendantes (entreprises ou laboratoires publics de recherche) qui combinent des ressources et compétences dans le but de réaliser un projet commun de R&D (Mothe, 2001). Or, dans la pratique, la réalisation du projet s’avère souvent difficile, notamment lorsque les partenaires impliqués opèrent dans des environnements nationaux différents (Angué et Mayrhofer, 2010). En effet, il s’agit de combiner des ressources qui sont situées dans des espaces (ou territoires) plus ou moins éloignés. Dès lors, l’analyse des coopérations doit tenir compte de la localisation des ressources mobilisées par les partenaires.

Or, c’est précisément l’optique retenue par l’école de la proximité qui considère que le concept de proximité renvoie à la fois à la séparation économique et géographique des acteurs, détenteurs de ressources différentes, mais aussi aux relations qui les rapprochent (ou les éloignent) dans la résolution d’un problème économique (Gilly et Torre, 2000). Dans la droite ligne de Perroux (1950) qui distinguait l’espace physique de celui plus économique, qu’il qualifiait de géonomique, deux types d’espaces sont convoqués dans cette définition. Le premier fait référence à l’espace dans sa dimension spatiale, tandis que le second correspond aux espaces économiques. La notion d’espace et d’éloignement a fait l’objet de nombreux travaux en économie et, notamment, dans le cadre de l’analyse des coopérations ayant pour objet les activités de recherche et de développement. De même, en management, une littérature foisonnante est consacrée aux difficultés qu’est susceptible d’induire la distance, en particulier la distance culturelle. Dans les coopérations, la distance culturelle peut accentuer des divergences de comportement qui sont susceptibles d’engendrer des conflits voire conduire à l’échec du projet mené. Aussi, pour éviter ces tensions, les entreprises doivent prêter une attention particulière au choix de leur(s) allié(s) (Meschi, 2006; Puthod et Thévenard-Puthod, 2006).

Toutefois, la notion de proximité (ou de distance) demeure un concept difficile à appréhender, car elle se doit d’être envisagée sous diverses dimensions. Sur ce point, et malgré un intérêt croissant pour la thématique de l’éloignement, les travaux menés restent assez cloisonnés et sont rarement mobilisés conjointement de sorte qu’ils peuvent apparaître comme constituer des courants de recherche mutuellement exclusifs. Dans ce contexte, cette recherche se propose de mettre en perspective et de combiner les différentes approches existantes en tentant d’évaluer l’importance de l’éloignement dans le choix d’un partenaire de coopération. L’objectif est de mieux comprendre, à l’aide de ces divers éclairages, l’importance relative des différentes dimensions de la distance lors de la conclusion d’un partenariat international en R&D et de contribuer au développement d’une approche englobante et plurielle de l’éloignement. L’étude empirique menée porte sur 1.502 accords de coopération noués par les firmes européennes oeuvrant dans le secteur des biotechnologies. Le choix de se concentrer sur les biotechnologies repose sur l’idée défendue par Powell et al. (1996) selon laquelle dans ce secteur, les ressources cruciales sont localisées, non pas à l’intérieur de la firme, mais disséminées dans l’enchevêtrement de ses relations partenariales. Dans ce but, les multiples dimensions du concept de proximité ou de distance telles qu’elles apparaissent en économie et en management et leur impact respectif sur la propension à sceller des partenariats internationaux en R&D seront examinés (partie 1). Après une présentation des caractéristiques de l’étude empirique et de la méthodologie employée, les principaux résultats des investigations menées seront analysés et discutés (partie 2).

La proximité ou la distance et les coopérations internationales en R&D

Proximité(s) ou distance(s) en économie et en management : des concepts multidimensionnels

La notion d’espace, et donc de distance ou de proximité, est un concept qui fait l’objet de nombreux travaux en économie. Dans l’optique de l’école de la proximité, et à l’instar de la notion de temps, l’espace apparaît non seulement comme un concept relationnel (car les proximités ou distances entre objets n’existent pas dans l’absolu) mais aussi intrinsèquement pluriel. C’est pourquoi, la conception des interactions, particulièrement dans le cadre des processus d’innovation, ne s’envisage non pas au travers d’une seule, mais de plusieurs relations de proximités interdépendantes et qui se combinent.

Notamment, deux types de proximités apparaissent de façon récurrente dans les contributions de l’école de la proximité: (1) la proximité physique et (2) la proximité organisée. Cette dernière est généralement définie par le partage de ressemblances entre acteurs économiques (proximité de similitude) ou l’appartenance à un même sous-ensemble (proximité d’appartenance) (Rallet, 2002). La logique de similitude renvoie au partage d’un même système de représentations et aux mêmes modes de fonctionnements entre acteurs, alors que la logique d’appartenance implique la coprésence dans un même espace de relations qui peut correspondre à l’organisation elle-même ou au réseau social (Gilly et Torre, 2000). C’est sur cette déclinaison de la proximité que Bouba-Olga et Carrincazeaux (2001) s’appuient pour spécifier les notions d’espace et de territoire. Le territoire y apparaît comme une zone de recouvrement des proximités géographiques, mais aussi au chevauchement de proximités organisées. Ainsi, comme le précise Zimmermann (2008, p. 116-117), le terme d’espace évoque une proximité physique entre les acteurs, alors que «le terme de territoire correspond à la conjonction d’une proximité physique et d’une proximité organisée» et «ne peut être fondé sur la seule proximité géographique». L’intérêt majeur de l’école de la proximité provient du fait que les acteurs économiques sont considérés comme étant encastrés, immergés dans un territoire multidimensionnel dynamique qui précède et résulte des interactions entre acteurs individuels ou collectifs.

Cela étant, et comme le rappellent Gilly et Lung (2004), d’autres déclinaisons de la notion de proximité sont proposées dans la littérature. Par exemple, plusieurs auteurs distinguent non pas deux, mais trois composantes de la proximité:  (1) la proximité géographique, (2) la proximité organisationnelle qui repose sur les ressources complémentaires détenues par des acteurs susceptibles de participer à une même activité finalisée au sein d’une même organisation ou d’un ensemble d’organisations et (3) la proximité institutionnelle qui renvoie à l’adhésion des acteurs à des règles d’action communes ou à un système commun de représentations voire de valeurs (Gilly et Lung, 2004). Kirat et Lung (1995) y ajoutent une quatrième forme de proximité, d’ordre technologique. De leur côté, Pecqueur et Zimmermann (2004) considèrent que la proximité organisée recouvre à la fois une proximité organisationnelle ainsi qu’une autre forme de proximité, qu’ils nomment «relationnelle» et qui s’approche de la composante institutionnelle évoquée plus haut (Gilly et Lung, 2004).

Parallèlement, les chercheurs en management se sont aussi intéressés au concept de distance et, tout particulièrement, à la distance culturelle et à son rôle dans les coopérations nouées avec des partenaires étrangers. Dans ces travaux, la distance culturelle renvoie souvent au degré d’éloignement de deux cultures nationales, autrement dit de deux systèmes d’idées et de valeurs partagées par les membres d’un même groupe. Dans de nombreuses études empiriques, elle est mesurée à l’aide de l’index proposé par Kogut et Singh (1988) (voir encadré 1). Si la formule développée présente l’avantage de pouvoir attribuer une valeur précise à la distance culturelle qui sépare différents pays, il paraît important de rappeler que les concepts de culture et de distance culturelle traduisent une réalité complexe qui est difficile à cerner et a fortiori à quantifier (Davel et al., 2008; D’Iribarne, 2004).

Parkhe (1991) étend la notion de distance culturelle pour prendre en compte d’autres paramètres liés au contexte national dans lequel opèrent les organisations et plus précisément les différences existant en matière de structure de l’industrie, d’institutions et de législations nationales. Dans la même idée, Park et Ungson (1997) précisent qu’il ne faut pas réduire la culture à la seule nationalité même si les frontières nationales délimitent l’environnement légal, politique et social à l’intérieur duquel les organisations opèrent. La notion de distance culturelle est donc à comprendre au sens large et recouvre bien souvent d’autres dimensions. C’est d’ailleurs en ce sens que Ghemawhat (2001) appelle à ne pas se concentrer sur une seule dimension de la distance. Plus précisément, son cadre d’analyse, repris par Nachun et Zaheer (2005), permet de distinguer quatre formes de distance qui séparent les différents pays: (1) la distance culturelle qui correspond aux différences de langues, de religions et de normes, (2) la distance administrative qui traduit l’absence de liens politiques ou monétaires et les différences institutionnelles, (3) la distance géographique qui est liée aux moyens d’accès et de communication et (4) la distance économique qui recouvre les aspects liés aux revenus des individus mais aussi aux coûts et à la qualité des ressources nationales.

Au total, les recherches menées en économie et en management contribuent à une meilleure compréhension des notions de proximité et de distance et suivent la même direction, bien que la terminologie utilisée soit différente. Elles montrent que l’éloignement séparant des organisations peut être appréhendé de diverses manières. Dans la continuité des travaux des économistes, il pourra ainsi être question de distance géographique stricto sensu ou de distance «organisée» et les écarts considérés entre organisations relèveront alors d’autres aspects plus organisationnels ou institutionnels, voire technologiques. De même, dans une lecture plus managériale, il pourra s’agir de distance culturelle, contextuelle, administrative, économique et, bien entendu, géographique. Toutefois, il paraît important de remarquer que plusieurs dimensions mises en relief se recouvrent, du moins partiellement. Par exemple, les aspects géographiques sont mobilisés dans les deux disciplines, et la distance «organisée» intègre de nombreux éléments liés à la distance culturelle. La plupart des travaux menés privilégient certaines dimensions de la proximité ou de la distance, dont les définitions varient suivant les auteurs, et ne permettent pas d’aborder le concept dans sa globalité. Là encore, l’importance relative des différentes dimensions et leurs éventuelles interactions ne sont pas clairement établies. Toutefois, les auteurs s’accordent sur le fait que la proximité ou la distance joue un rôle essentiel dans le développement des organisations telle la réalisation de coopérations (Hagedoorn et al., 2005; Moalla, 2010).

Les effets de la proximité ou de la distance sur les coopérations internationales

Évoquer la proximité (ou son versant opposé: la distance) renvoie immédiatement à sa dimension géographique, la plus intuitive. Toutefois, hormis l’analyse du phénomène des externalités localisées[1] qui a inspiré plusieurs recherches, surtout économétriques, le rôle de la distance physique dans les accords de coopération en R&D a été peu étudié en management. De fait, pionnier dans les études portant sur les externalités technologiques, Griliches (1979) a ouvert la voie à de nombreux travaux théoriques et empiriques en introduisant un indice de coïncidence géographique dans la fonction de production de connaissances qu’il a développée. Ses conclusions l’ont amené à postuler une forte dimension géographique des effets de débordements de la recherche publique sur la capacité d’innovation des firmes voisines. La plupart des modèles issus de l’analyse géographique de l’innovation ont ensuite mis l’accent sur le caractère localisé des externalités de connaissances justifiant ainsi la polarisation des activités d’innovation (Gallié, 2009). Partant de là, la proximité géographique des partenaires de coopération en R&D paraît souhaitable au motif qu’elle favoriserait l’internalisation de ces externalités tout en facilitant les transferts de connaissances.

Dans le cadre de l’analyse des partenariats en R&D, le recours aux contributions des économistes s’avère pertinent dans la mesure où l’un des axes de recherche prioritaire et historique de l’école de la proximité concerne le rôle de l’espace et du territoire dans les processus d’innovation. C’est d’ailleurs généralement sur ce socle conceptuel que s’appuient les politiques publiques mises en oeuvre dans de nombreux pays et qui soutiennent le développement de clusters ou de pôles de compétitivité. Il est alors question de satisfaire une certaine contrainte de proximité dans les activités de R&D et d’innovation. Toutefois, ce résultat a été remis en cause, notamment parce que l’ampleur et l’impact des externalités ne sont pas uniformes suivant les pays (Autant-Bernard, 2001) et leurs effets sur la productivité de la R&D des entreprises locales se révèlent négatifs dans certaines investigations empiriques. Par ailleurs, conformément aux travaux sur les transferts de connaissances, l’assimilation de ces externalités n’est ni automatique, ni une résultante passive de la seule localisation spatiale mais nécessite, pour voyager, des interactions individuelles (Gallié et Guichard, 2005) ou, en d’autres termes, des «canaux de transmissions» (Gallaud et Torre, 2005).

Placer l’interaction au centre de la problématique géographique permet donc de déplacer le problème initial vers les questions de l’encastrement des réseaux sociaux dans un espace donné et du rôle de la concentration géographique des firmes telle qu’elle existe dans les biotechnologies dans les biopôles. Lawton-Smith (2002), à l’occasion d’une enquête portant sur les attentes des entreprises de biotechnologie implantées autour de l’université d’Oxford, désigne clairement que les principales motivations ayant présidé au choix de cette localisation sont la facilité des communications et la création de liens avec l’établissement scientifique voisin. Ces agglomérations technologiques se traduiraient ainsi par l’instauration d’un climat social, d’une culture locale et d’un ensemble de normes partagées aptes à stimuler la diffusion de connaissances entre les acteurs locaux, c’est-à-dire, d’une forme de proximité qui n’est pas que spatiale. Au delà des simples interactions, elles permettent des rencontres en face à face et facilitent l’échange de connaissances tacites (Gallié et Guichard, 2005). Ces dernières, par définition, voyagent difficilement et leur transmission ne peut s’opérer que par voie orale et au contact direct (i.e. non intermédiée par un acteur ou un outil de communication) de son détenteur. Dès lors, l’efficacité des communications peut se concevoir comme une fonction décroissante de la distance physique, modulée par le contenu et la nature des connaissances à échanger.

De nombreux chercheurs se sont attachés à déterminer quelles sont les conditions nécessaires au relâchement ou l’assouplissement de cette contrainte de proximité. Citons, par exemple, Bouba-Olga et Carrincazeaux (2001) pour qui le besoin de proximité géographique est lié à la complexité des connaissances échangées; les auteurs précisant alors que la maîtrise d’un processus complexe ne provient pas uniquement de la proximité physique des acteurs impliqués et que celle-ci implique aussi une certaine proximité organisée. De même, les analyses des processus de R&D proposées par Gallaud et Torre (2005) et par Rallet et Torre (2005) mettent en évidence le caractère temporaire du besoin de proximité physique: celle-ci est accessoire lors d’activités de R&D d’imitation, devient temporaire pour l’exploitation d’une technique d’innovation connue, et ne sera permanente que dans le cas de recherche de nouvelles connaissances, c’est-à-dire lors des processus de R&D d’exploration. De même, plusieurs auteurs démontrent que les propriétés de la proximité géographique ne sont pas toujours avérées, voire même peuvent être anéanties en l’absence d’interactions effectives entre les acteurs locaux, que celles-ci soient formelles ou informelles, délibérées ou émergentes (Gallaud et Torre, 2005; Gilly et Torre, 2000). Cette remise en cause du rôle de la proximité géographique se retrouve également dans les travaux de Gallié (2009) qui montrent, dans une étude portant sur le secteur des biotechnologies, que la distance (géographique) qui sépare les partenaires européens n’entrave pas véritablement les flux de connaissances même si la technologie ne peut compenser cet éloignement (Gallié et Guichard, 2005). En revanche, l’auteur indique que d’autres facteurs plus institutionnels ou culturels sont davantage susceptibles de ralentir les échanges entre partenaires distants.

En matière de management, les observations de Parkhe (1991) et de Ghemawhat (2001) permettent également de mieux appréhender le lien éventuel entre distance(s) et partenariats internationaux. Elles montrent que les diverses facettes de l’éloignement constituent des entraves au bon déroulement des relations partenariales. Concernant les travaux relatifs à l’impact de la distance culturelle sur la coopération inter-firmes, l’argument mis en avant se fonde généralement sur une proposition relativement simple: la similarité des normes et valeurs est susceptible de faciliter les interactions et les échanges entre partenaires (Park et Ungson, 1997). Il est souvent fait mention du rôle modérateur des interactions passées et de l’expérience à condition toutefois que celles-ci soient en rapport avec le projet actuel mené en coopération. Pour Parkhe (1991), les asymétries de cultures nationales peuvent empêcher la compatibilité et les ajustements. Compte tenu de la nature même des objets échangés, les coopérations en R&D seraient plus sensibles à la distance culturelle que d’autres formes de coopération (Simonin, 1999).

L’hétérogénéité des environnements culturels favoriserait la survenue de problèmes de compréhension liés aux différences d’interprétations et de perceptions. Ainsi, Berger et al. (2004) mentionnent les difficultés inextricables d’ajustement des calendriers provenant souvent des variations culturelles de conception du temps. De plus, des organisations distantes sur cette dimension traiteront autrement les informations et les événements susceptibles de perturber le déroulement de la collaboration (Simonin, 1999). Elles divergeront également dans leur appréhension des performances et des résultats atteints par le travail commun, ce qui peut conduire à des frustrations voire à des conflits (Pothukuchi et al., 2002). Est-ce à dire que l’uniformité culturelle s’impose ? La réponse est en réalité à nuancer car la distance culturelle peut être source de complémentarité et favoriser la créativité. La culture peut être traitée comme l’une des ressources clés des organisations alliées dont la combinaison est susceptible de générer des complémentarités heureuses. Toutefois, bien que signalés dans plusieurs études, les aspects positifs de la distance culturelle sont souvent masqués par ses effets négatifs (Dikmen et Triki, 2010; Yeheskel et al., 2001). Ainsi, Simonin (1999) avance que la distance culturelle est de nature à déséquilibrer les relations et à influer sur l’aptitude des individus à décoder et interpréter l’information.

L’analyse des travaux menés met donc en exergue le rôle joué par la (ou les) distance(s) dans les coopérations de R&D associant des partenaires d’autres pays. Compte tenu du caractère multidimensionnel et pluriel de la notion, il paraît nécessaire de mesurer l’influence de chaque dimension de la distance sur la propension des entreprises à coopérer. Dès lors, plusieurs hypothèses concernant l’impact des dimensions géographiques, économiques, administratives, technologiques et culturelles de la distance sur la propension à nouer des partenariats internationaux en R&D peuvent être formulées. Les propos suivants récapitulent ces hypothèses.

Dans notre recherche, la distance géographique est à comprendre au sens strict. Elle désigne l’éloignement physique des partenaires. Celui-ci peut générer des coûts spécifiques liés au transport, par exemple, ou à la communication. Cette distance peut être appréciée à l’aide de la distance kilométrique séparant les capitales des pays dans lesquels évoluent les alliés (Cabo, 1997) et du dénombrement des frontières communes (Ghemawat, 2001). Les coûts générés par la distance géographique sont notamment importants pour des activités qui nécessitent un degré élevé de coordination, ce qui est le cas pour les partenariats dans le domaine de la R&D (Gardet et Mothe, 2010). Par ailleurs, la distance géographique rend le transfert de connaissances plus difficile, car les contacts personnels et les interactions entre les équipes concernées sont, en général, moins fréquents (Gallié et Guichard, 2005; Hansen et Lovas, 2004; Shenkar, 2001). De là, nous supposons que la distance géographique est de nature à diminuer la propension des entreprises à sceller des accords de coopération de R&D.

H1 :Plus les organisations sont éloignées d’un point de vue géographique, moins elles s’engagent dans des partenariats en R&D.

La distance économique résulte des différences entre les pays concernant la richesse économique ainsi que les coûts et la qualité des ressources naturelles, financières et humaines disponibles (Ghemawat, 2001). Elle recouvre plus ou moins la notion de différence de contexte national mise en avant par Parkhe (1991) dans l’analyse de l’efficacité des coopérations internationales. Cette dimension peut être appréciée à l’aide de plusieurs indicateurs spécifiques tant à l’économie intérieure qu’extérieure des nations: le produit national brut (PNB) par habitant qui permet d’exprimer le différentiel de niveau de vie des pays, le niveau de développement des pays qui peut être calculé à partir de l’index publié annuellement par les Nations Unies et par le niveau national de risque économique qui est publié dans les rapports du groupe PRS, le ratio d’ouverture de l’économie qui est mesuré par la moyenne des importations et des exportations de biens et de services rapportée au PIB et l’importance des exportations qui exprime la situation des pays au regard de leurs échanges internationaux. Du fait que l’environnement économique et la disponibilité des ressources jouent un rôle essentiel dans le domaine de la R&D, on peut supposer que les entreprises collaborent de préférence avec des partenaires dont l’environnement économique est similaire au leur.

H2 :Plus les organisations sont éloignées d’un point de vue économique, moins elles s’engagent dans des partenariats en R&D.

La distance administrative est essentiellement liée à l’histoire des pays, à leur appartenance à différentes unions politiques, économiques et monétaires, à d’éventuelles hostilités politiques, voire aux différences de politiques gouvernementales ou de contextes institutionnels (Ghemawat, 2001). Elle correspond partiellement à la notion de contexte de Parkhe (1991) mais recouvre aussi en partie les aspects plus institutionnels de la proximité (Gilly et Lung, 2004; Gilly et Torre, 2000). Elle revêt donc des aspects juridiques, mais aussi des aspects plus politiques. Sa mesure doit dès lors se fonder sur différents indicateurs. L’index des droits de propriété, formulé par Ginarte et Park (1997) et actualisé par Park et Wagh (2002), peut être utilisé pour évaluer l’écart entre alliés existant au plan juridique. Les composantes de l’indicateur de liberté économique publié par l’institut Fraser permettent d’envisager le système légal et administratif dans son ensemble, de tenir compte du niveau de régulation du marché du travail, du crédit et des affaires, et de considérer la politique monétaire. Enfin, le facteur du risque politique, calculé par l’agence de rating PRS Group, permet d’appréhender les différences au niveau du risque politique associé à chaque pays, car il reflète le degré de corruption et l’ampleur des conflits sociaux. De fait, les systèmes législatifs nationaux continuent d’afficher des différences substantielles (par exemple, la législation concernant les brevets, la réalisation des contrats), ce qui peut constituer un frein important pour la coopération en R&D (Hagedoorn et al., 2005). Ces différences concernant les contextes institutionnels des partenaires peuvent rendre la coopération plus difficile (Parkhe, 1991) et tout particulièrement dans le cadre de la mise en place d’une coopération en R&D où l’entreprise se doit de considérer le cadre législatif de son partenaire. Par conséquent, une forte distance administrative devrait se traduire par une moindre propension des entreprises à s’engager dans un projet coopératif de R&D.

H3 :Plus les contextes administratifs des organisations diffèrent, moins les entreprises s’engagent dans des partenariats en R&D.

La distance technologique correspond à l’écart entre les degrés de développement technologique des pays. Cette dimension dépend de la qualité relative des systèmes nationaux d’innovation, de la présence d’industries à forte intensité technologique, mais aussi du nombre de brevets déposés (Hagedoorn et Narula, 1996; Nachum et Zaheer, 2005). Le degré de développement technologique peut être apprécié à l’aide de plusieurs critères: le montant des investissements en R&D réalisés par les entreprises, les instituts de recherche, les universités et les laboratoires gouvernementaux rapporté au PIB; l’importance de la population de scientifiques dans la population totale; le niveau des réalisations technologiques tel qu’il ressort des rapports rédigés par la CNUCED. Dans le cas des biotechnologies, il peut s’appréhender au moyen d’une comparaison des degrés de maturité du secteur en mettant en perspective, par exemple, le nombre d’entreprises de biotechnologies créées par millions d’habitants et le nombre de demandes de brevets en biotechnologies déposées. L’étude empirique réalisée par Hagedoorn et al. (2005) met en relief le rôle joué par la distance technologique dans la réalisation des accords de R&D. En effet, celle-ci peut constituer un frein important à la mise en place d’une coopération internationale. Partant de là, il est possible d’envisager que la distance technologique diminue la propension des entreprises à nouer un partenariat de R&D.

H4 :Plus les organisations sont éloignées d’un point de vue technologique, moins elles s’engagent dans des partenariats en R&D.

Enfin, la distance culturelle est comprise ici au sens de Kogut et Singh (1988). En dépit des critiques que suscite sa mesure, l’impact de la distance culturelle sur le développement international des entreprises fait toujours l’objet de nombreux travaux (Brouthers et Brouthers, 2001; Mayrhofer et Roth, 2007; Shenkar, 2001). Une méta-analyse des études empiriques disponibles confirme qu’une forte distance culturelle réduit généralement l’engagement capitalistique des entreprises dans les opérations internationales (Tihanyi et al., 2005). Dès lors, il est possible de supposer que la distance culturelle est négativement associée à la propension des entreprises à s’engager dans des coopérations en R&D.

H5 :Plus les organisations sont éloignées en termes de culture, moins elles s’engagent dans des partenariats en R&D.

L’impact des différentes dimensions de la distance sur la propension des entreprises à nouer des partenariats internationaux en R&D

Présentation de l’étude empirique

L’étude empirique réalisée se concentre sur les accords de coopération en R&D conclus par les firmes européennes du secteur des biotechnologies, étant entendu que la biotechnologie correspond à l’utilisation des propriétés du vivant dans la production de matériaux ou de services destinés au vivant. Secteur réticulaire par essence (Owen-Smith et al., 2002; Powell et al., 1996) et dans lequel l’ampleur des portefeuilles d’accords des opérateurs est décisive, il offre un terrain d’étude riche et propice à envisager les différentes dimensions de la distance. En effet, parmi les raisons généralement avancées pour expliquer le succès de la kyrielle de sociétés spécialisées face aux grands groupes pharmaceutiques, on peut évoquer le mode d’organisation des activités de R&D de ces jeunes entreprises qui s’engagent fréquemment dans des stratégies partenariales. Ces dernières années, on a vu se tisser, dans le secteur des biotechnologies, de nombreux accords de coopération entre entreprises de biotechnologie et laboratoires pharmaceutiques. À titre d’exemple, Bloch (2004) relève, dans une étude portant sur les entreprises de biotechnologie danoises, que plus de 85 % d’entre elles sont impliquées dans au moins une coopération technologique. Les travaux de Baum et al. (2000) montrent que ces collaborations constituent l’un des principaux facteurs explicatifs de la performance des jeunes sociétés de biotechnologie. Si, initialement, ces collaborations s’engageaient majoritairement avec des partenaires américains, les accords intra-européens se sont fortement développés, comme en attestent les observations de Hagedoorn et al. (2005).

Les hypothèses formulées ont été testées sur un échantillon de 1.502 partenariats en R&D noués par des entreprises européennes opérant dans le secteur des biotechnologies. Les informations utilisées sont extraites d’une base de données réalisée dans le cadre d’une recherche plus large et relative au choix d’un partenaire adéquat pour conduire une collaboration en R&D (Angué, 2006). La base de données cumule l’information relative à trois types de coopérations en R&D conclues par les firmes européennes pendant la période allant de 1992 à 2000, à savoir :

  • l’ensemble des coopérations plurinationales entreprises dans le cadre des programmes communautaires de recherche et développement technologique (PCRD) et supportées, en partie, par des subventions communautaires;

  • les divers projets labellisés Eurêka initiés dans le domaine médical et biotechnologique et financés généralement au moyen d’avances remboursables abondées par les gouvernements nationaux des partenaires;

  • et d’autres accords portant sur la R&D, qu’ils aient bénéficié de subventionnements au niveau national ou non, et ce, quels que soient le statut des partenaires et les modalités du contrat.

Concernant la nature des organisations engagées dans les coopérations analysées, nous avons choisi de ne retenir que les accords comportant au moins une entreprise européenne. Les coopérations nouées exclusivement entre établissements scientifiques publics, très fréquentes dans le cadre du PCRD, sont donc exclues de notre échantillon. Le tableau 1 détaille la composition de l’échantillon utilisé.

Tableau 1

Structure de l’échantillon

Structure de l’échantillon

Note : * Soit equation: 1522365n.jpg couples par projet réunissant n partenaires. Ainsi, un projet ayant deux partenaires (par exemple un Français et un Allemand) correspondra à un couple et donc à une seule coparticipation; en revanche, un projet réunissant cinq partenaires (i.e. un Allemand, un Français, un Belge, un Suisse et un Hollandais) correspondra à dix couples, et ainsi de suite. Au total, l’étude portant sur 15 pays différents, 105 couples peuvent donc être recensés.

-> Voir la liste des tableaux

Dans la pratique, nous avons procédé au dénombrement des liens deux à deux établis entre chaque couple de pays, autrement dit, des coparticipations entre organisations de nationalité différente. Au total, 105 couples internationaux différents ont été analysés puisque notre échantillon comporte des organisations localisées dans 15 pays distincts. En effet, pour examiner l’impact des différentes dimensions de la distance sur la propension des firmes à coopérer, une analyse des liens deux à deux a été jugée plus pertinente, car elle permet notamment de traiter les projets multilatéraux qui sont considérés comme formant plusieurs couples distincts. Du reste, une approche similaire avait déjà été utilisée pour analyser les coopérations initiées dans le cadre du PCRD (Charlet, 2001), les consortia Eurêka (Cabo, 1997) et les accords conclus hors de ces initiatives (Hagedoorn et Schakenraad, 1993).

Ainsi, la variable à expliquer correspond à l’indice de Jaccard des coparticipations. Cet indice, appelé aussi indice de communauté, s’avère particulièrement adapté aux comparaisons de profils de coparticipations et donne une idée plus juste que le décompte des projets des affinités entre partenaires de nationalité différente. De plus, en pondérant les liens établis, il permet de s’affranchir de l’effet « taille » dû à l’hétérogénéité de l’intensité des participations des divers pays aux trois contextes collaboratifs mentionnés[2] (Cabo, 1997). De ce fait, il autorise les comparaisons affinitaires en mettant en perspective des valeurs qui sont comparables pour chacun des couples considérés. L’indice de Jaccard se calcule à partir du dénombrement des couples impliqués dans les projets recensés divisé par le nombre de cas où au moins l’un des deux éléments du couple est présent, autrement dit, il s’agit de rapporter la cardinalité de l’ensemble des coparticipations à des projets à la cardinalité de l’union des participations individuelles:

Plus précisément, trois indices de Jaccard ont été calculés pour l’ensemble des 105 couples formés dans les trois contextes collaboratifs donnant lieu, chacun, à une matrice de similarité qui récapitule en lignes et en colonnes les différents pays européens et dans laquelle la cellule cij indique la somme pondérée du nombre de couples recensés entre des partenaires de nationalité i et de nationalité j. En reflétant l’intensité des liens deux à deux noués dans les trois contextes de coopération en R&D, la somme de ces indices permet d’opérationnaliser la variable dépendante de cette étude tout en traitant des accords multilatéraux.

Concernant les variables explicatives relatives aux différentes dimensions de la distance, 22 indicateurs ont été retenus (cf. tableau 2).

Tableau 2

Récapitulatif des variables explicatives utilisées

Récapitulatif des variables explicatives utilisées

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Pour chacune de ces variables, la distance entre un partenaire d’un pays i et un partenaire établi dans un pays j a été calculée à partir des scores individuels et à partir de la formule suivante[3]:

Parallèlement aux diverses déclinaisons de la notion de distance, trois variables de contrôle ont été intégrées dans l’analyse empirique afin de tenir compte du différentiel d’expérience des organisations partenaires dans les trois modalités de coopération examinées: le PCRD, l’initiative Eurêka et les coopérations que nous avons qualifiées d’hors cadres. Il s’agit respectivement des variables expPCRD, expEureka et ExpACRD. Cette adjonction s’appuie sur les travaux relatifs aux coopérations inter-organisationnelles montrant le rôle essentiel de l’expérience des organisations partenaires dans ce type d’opération et, notamment, au moment de la conclusion de l’accord et du choix d’un partenaire (Hagedoorn et al., 2005). Concrètement, cet écart expérientiel a été appréhendé en recensant, dans un premier temps, le nombre de participations des organisations nationales à chacune de ces formes de coopération puis en calculant, dans un second temps, la distance séparant les alliés conformément à la formule 3 mentionnée précédemment.

Analyse des résultats et discussion

Le tableau 3 fournit les statistiques descriptives et les corrélations bi-variées pour l’ensemble des indicateurs retenus. La grande majorité des variables explicatives testées s’avère négativement liée à l’intensité des coparticipations aux coopérations en R&D, mais quelques exceptions peuvent être relevées. Celles-ci concernent les variables legal et regul liées à la distance administrative qui témoignent de la variété des contextes institutionnels et légaux dans lesquels évoluent les partenaires. Le signe positif des corrélations (0,14 et 0,27) s’avère ainsi a priori contraire à l’hypothèse 3 qui conjecturait une relation négative entre ces concepts. Par ailleurs, concernant les dimensions de la distance culturelle (H5), les corrélations apparaissent positives et non significatives pour deux d’entre elles: l’individualisme et le contrôle de l’incertitude. Ce résultat, en partie différent de celui obtenu par Cabo (1997) dans son étude relative aux projets Eurêka et tous secteurs confondus, semble spécifique au secteur des biotechnologies. Dans notre cas, seules les différences en termes de masculinité ou de féminité ont un effet significatif sur la propension à coopérer des partenaires (-0,203) et le rôle de la distance culturelle apparaît finalement comme relativement limité (-0,05). L’explication de ces résultats pourrait tenir au secteur considéré dans lequel le rapport à la santé et à la qualité de la vie, traduit par le critère de masculinité vs féminité, s’avère déterminant dans la nature des recherches entreprises par les organisations.

Tableau 3

Statistiques descriptives et corrélations

Statistiques descriptives et corrélations

Note : Les valeurs notées en gras sont significatives au seuil α= 0,05

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Enfin, si le sens de la corrélation entre les écarts d’expérience et la réalisation de coopérations en matière de R&D pour les projets européens (PCRD) ou paneuropéens (Eurêka) est négatif, les coefficients obtenus ne sont pas significatifs (-0,13 et -0,12). Sur ce point, la différence entre ces projets plus encadrés et les autres accords en R&D s’avère importante. En effet, le différentiel d’expérience des partenaires en matière de coopération en R&D semble jouer significativement en faveur de leur coparticipation dans de nouveaux partenariats (0,22) alors qu’inversement, les entreprises semblent privilégier des partenaires dont le niveau d’expérience est proche du leur dans le cadre des projets européens de type PCRD ou Eurêka. Outre les valeurs des coefficients, le tableau 3 révèle également certains problèmes de multicolinéarité entre les variables indépendantes de l’étude justifiant de réduire les données au moyen d’analyses factorielles avant d’estimer les coefficients de régression. Les analyses en composantes principales (ACP) successives conduites sur chacun des concepts de l’étude font ressortir sept concepts synthétiques (DistGeo, DistEcoInt, DistEcoExt, DistAdm, DistTechG, DistTechB et DistCult) et une variable initiale (DistIPR) qui correspondent aux construits explicatifs retenus dans les modèles de régression. De la même manière, les trois variables de contrôle ont été regroupées en un construit unique (DistExp) qui s’ajoute aux huit construits explicatifs considérés dans les régressions. Le tableau 4 synthétise les différentes ACP réalisées et les résultats obtenus.

Tableau 4

Réduction des données (ACP)

Réduction des données (ACP)

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L’application d’une méthode stepwise de régression a permis de sélectionner les construits les plus susceptibles d’expliquer la propension des entreprises à s’engager dans une coopération internationale de R&D, mais aussi de vérifier la stabilité des coefficients estimés. Ces construits ont ensuite été intégrés dans un modèle de régression optimisé au sens du critère d’information AIC de Akaike qui sélectionne le modèle le plus pertinent sur la base d’un compromis entre le biais (qui diminue avec le nombre de paramètres testés) et la parcimonie du modèle (qui nécessite de décrire les données avec le plus petit nombre de paramètres possible). Ainsi, l’objectif n’est pas d’optimiser le coefficient de détermination (R²) mais d’obtenir le modèle le plus parcimonieux.

Les résultats de ces régressions sont récapitulés dans le tableau 5 duquel il ressort des coefficients allant dans le même sens que ce qu’indiquaient les corrélations bi-variées. Compte tenu du nombre de variables explicatives considérées dans cette étude, les coefficients de détermination obtenus (R²) sont relativement satisfaisants puisqu’ils sont compris entre 0,25 et 0,368.

Tableau 5

Les modèles de régression[*]

Les modèles de régression*

Note : Les variables grisées correspondent à celles qui ont été ôtées du modèle de régression. Dans le cas des modèles pas à pas, leur sélection s’appuie sur l’examen des corrélations entre concepts explicatifs.

*

Seules les variables significatives (α = 10%) sont renseignées.

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Si les estimations excluent la distance culturelle des construits explicatifs significatifs, elles mettent en relief le rôle essentiel de la distance technologique spécifique des partenaires par rapport au niveau général de la technologie. Ainsi, le degré de maturité dans les biotechnologies des pays dans lesquels sont situées les organisations semble avoir un impact prépondérant quant à la propension des firmes à sceller des accords de coopération. Soulignons aussi que le rôle de la distance géographique apparaît bien moindre dans les modèles de régression que dans les simples corrélations bi-variées puisque les coefficients estimés ne permettent pas de considérer cette dimension comme significative.

Même s’ils sont imparfaitement stables, les coefficients des modèles de régression pas à pas donnent une première idée quant aux dimensions de la distance prépondérantes pour les entreprises européennes de biotechnologie. Il en ressort notamment que les écarts tant culturels que relatifs à l’économie extérieure des partenaires ou aux niveaux d’expériences respectifs des alliés ne sont pas significativement liés à l’intensité des relations établies entre lesdits partenaires. Par conséquent, ces trois concepts ont été exclus du modèle optimisé (Tableau 5).

De son côté, le modèle optimisé confirme les coefficients estimés lors des régressions précédentes et aboutit à un coefficient de détermination de 0,368 (F = 13.123, significatif pour α = 1 %), soit bien supérieur à ceux obtenus lors des tests précédents. Il révèle que les dimensions de la distance les plus significatives en matière de coopération en R&D dans le secteur des biotechnologies sont, en ordre décroissant, celles liées:

  • à l’économie intérieure des pays des partenaires (DistEcoInt);

  • au niveau de maturité en biotechnologie des économies dans lesquelles évoluent les partenaires (DistTechB);

  • à la législation des partenaires en termes de droits de propriété (DistIPR);

  • au niveau technologique général des pays dont relèvent les partenaires (DistTechG);

  • à l’éloignement géographique des organisations réunies dans l’accord de coopération (DistGeo).

En revanche, le modèle optimisé confirme que la distance administrative n’est pas négativement liée à la propension à coopérer. Bien au contraire, il apparaît plutôt que les organisations partenaires privilégient la diversité en la matière. Ainsi, le modèle optimisé valide complètement les hypothèses H1 et H4, partiellement les hypothèses H2 et H3 et infirme l’hypothèse H5 liée à la distance culturelle (cf. Tableau 6).

Tableau 6

Synthèse des résultats

Synthèse des résultats

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L’étude statistique réalisée confirme que la distance constitue un aspect important dans la réalisation d’accords de coopérations internationales en R&D, tout au moins dans le secteur des biotechnologies. Elle montre que les distances géographiques, économiques, administratives et technologiques influencent le choix des partenaires d’une coopération en R&D, même si leur impact dépend de l’indicateur utilisé. En outre, les résultats obtenus mettent en relief le rôle non négligeable de la proximité géographique dans la mise en place de partenariats, même si cette dimension est actuellement largement remise en cause dans la littérature. Ainsi, il semble que malgré les artefacts mobilisables pour compenser une distance physique importante (technologies de l’information et de la communication, etc.), le choix d’un partenaire s’appuie toujours, au moins en partie, sur des critères de localisation spatiale.

Il ressort également de notre analyse que la distance économique est susceptible de réduire la propension des firmes à coopérer, du moins lorsque celle-ci est mesurée par des indicateurs liés à l’économie intérieure (par exemple, le niveau de vie des habitants). En revanche, il apparaît que les aspects liés à l’économie extérieure n’influencent pas l’intensité des relations coopératives.

De son côté, la facette administrative et institutionnelle de l’éloignement, loin de constituer un frein aux coopérations de R&D, semble au contraire constituer une incitation supplémentaire à s’allier. L’explication peut provenir des contraintes spécifiques existant en matière de biotechnologie et des différences de réglementations entre pays en la matière (par exemple, les recherches relatives aux cellules souches, bien que toujours fortement encadrées, sont plus ou moins autorisées selon les pays membres de l’Union européenne: elles sont interdites en Italie et en Irlande, très contrôlées en France, partiellement autorisées en Allemagne et autorisées sous conditions en Belgique et en Suisse; de même, le clonage thérapeutique n’est permis que dans peu de pays). Il est ainsi possible d’imaginer qu’en matière institutionnelle, les organisations recherchent dans l’environnement de leur partenaire des latitudes qu’elles ne trouvent pas dans leur propre contexte national de sorte que les distances, sur ce point précis, pourraient devenir des atouts plutôt que des sources d’incompatibilité.

Parallèlement, notre recherche souligne également l’importance de la distance technologique, rarement considérée dans les travaux relatifs à la proximité ou à la distance. Elle montre que la proximité en termes de technologie des pays dans lesquels évoluent les alliés constitue un facteur important à l’établissement des coopérations en R&D, et tout particulièrement celle liée au degré de développement des biotechnologies. Au-delà du cadre conceptuel de la présente recherche, cette idée de similarité des environnements scientifiques n’est pas sans évoquer la notion de capacité d’absorption développée dans les contributions de Cohen et Levinthal (1989) et celle plus «relative» formulée par Lane et Lubatkin (1998). Elle rappelle qu’un certain degré de familiarité avec les connaissances techniques et scientifiques du partenaire est requis pour faciliter leur compréhension, leur transfert et, in fine, leur absorption complète. Cette proposition rejoint aussi les travaux de Mowery et al. (1998) qui concluent que le choix d’un partenaire se porte de préférence sur une organisation ayant des compétences technologiques similaires.

Enfin, il apparaît que la distance culturelle ne joue pas un rôle essentiel dans le secteur des biotechnologies. Dans cette optique, il convient de préciser qu’en matière de R&D, le recours quasi-systématique à l’anglais comme langue de travail peut permettre aux partenaires de surmonter plus facilement les barrières linguistiques, sources de distance culturelle, entre alliés potentiels (Farr et Fischer, 1992). Par ailleurs, l’appartenance des chercheurs à une communauté scientifique internationale est de nature à faciliter les échanges entre les partenaires qui envisagent de conclure un accord en R&D (Lee, 2000) et à leur permettre de gérer d’éventuelles différences culturelles. Il convient de rappeler que les dirigeants des entreprises de biotechnologie sont souvent aussi des chercheurs (Vidot-Delerue et Simon, 2005). Cependant, si la distance culturelle ne semble pas influencer la propension des firmes à coopérer, il n’est pas dit, pour autant, qu’elle soit favorable au déroulement et aux résultats de la coopération. Sur ce point, notons que Yeheskel et al. (2001) ne trouvaient pas de confirmation des effets positifs de la diversité culturelle, et l’investigation empirique menée par Park et Ungson (1997) ne valide pas l’hypothèse d’un lien entre la distance culturelle et la dissolution des sociétés communes internationales.

Cette recherche, qui constitue une première étape dans l’analyse conjointe de l’impact des différentes dimensions de la distance et de son versant opposé, la proximité, présente plusieurs limites. Ces limites tiennent d’abord au niveau d’analyse retenu qui se situe au plan des différences entre pays dans lesquels sont situés les partenaires potentiels, et non pas au niveau des organisations. Par ailleurs, le fait de considérer simultanément trois contextes coopératifs peut masquer certaines différences en matière de choix d’un partenaire dans la mesure où les conditions de conclusion des coopérations diffèrent selon qu’il s’agisse d’un projet labellisé Eurêka, d’une action à frais partagée engagée dans le cadre du PCRD ou d’un accord plus «spontané» initié hors de ces contextes. Ainsi, il est possible que les cadres formalisés institutionnalisés par l’Union européenne réduisent en quelque sorte les distances entre les partenaires potentiels et augmentent ainsi leur propension à coopérer. Une autre limite de la présente recherche tient aux dimensions examinées qui ne sont pas exhaustives. L’adjonction dans l’analyse proposée d’autres déclinaisons de la proximité telles que la proximité relationnelle constitue une piste intéressante d’élargissement (Ferru, 2009). Concernant le choix des critères de mesure, il convient de remarquer que certains des indicateurs retenus ne permettent pas d’appréhender la diversité des coopérations étudiées. Par exemple, la distance kilométrique entre les capitales des pays ne tient pas compte de la situation spécifique des régions frontalières (où les temps de parcours et les facilités d’accès ne sont pas les mêmes que pour des régions plus éloignées) ni l’aspect subjectif et perceptuel de cette distance (Rallet, 2002). Enfin, l’étude réalisée n’a pas permis d’intégrer d’autres variables de contrôle telles que les écarts entre alliés en termes de taille et de réputation commerciale ou scientifique, qui nécessiteraient de modifier le niveau d’analyse retenu.

Conclusion

Lorsqu’une entreprise décide de s’engager dans une coopération internationale, elle est confrontée à gérer la distance qui la sépare de l’environnement local de son partenaire. L’analyse présentée dans cet article contribue à une meilleure connaissance de la relation entre la distance et la réalisation des partenariats de R&D. Elle révèle que, si la distance influence généralement la propension des firmes à coopérer, certaines dimensions paraissent plus importantes que d’autres. Plus généralement, elle plaide en faveur d’un panachage des approches économiques et managériales de l’éloignement qui constituent deux angles de vue pertinents, complémentaires et non exclusifs pour l’analyse des coopérations internationales en R&D.

L’étude empirique réalisée montre que les distances géographiques, économiques, administratives et technologiques jouent un rôle essentiel, alors que la distance culturelle ne semble pas influencer le choix des partenaires, tout au moins dans le contexte européen. Ceci révèle que si l’Europe, et a fortiori l’Europe des biotechnologies, est souvent décrite comme formant un ensemble relativement homogène, les distances entre les différents pays européens, bien que souvent plus faibles, en valeur absolue, qu’avec le reste du monde, s’avèrent importantes lorsqu’il s’agit de nouer des partenariats en R&D.

Le travail effectué permet de dégager plusieurs pistes de recherche. Il paraît ainsi nécessaire de mener des investigations similaires dans d’autres espaces géographiques et dans d’autres secteurs d’activité afin de pouvoir valider les résultats obtenus. En effet, les différentes dimensions de la distance peuvent avoir des impacts sensiblement différents selon le secteur d’activité considéré (Nachum et Zaheer, 2005). Par ailleurs, il conviendrait d’approfondir les différentes dimensions de la distance afin d’isoler les indicateurs les plus pertinents. Enfin, il serait intéressant d’examiner l’impact du choix du partenaire sur les retombées de la coopération internationale engagée. En ce sens, si la distance est susceptible de réduire la compatibilité des partenaires en rendant plus difficiles les interactions entre organisations partenaires, elle peut parfois constituer une source de complémentarité permettant aux acteurs de s’appuyer sur les différences à exploiter pour réussir leurs projets coopératifs.