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Face aux nombreuses pressions et demandes sociales qui s’exercent sur les organisations publiques et face au resserrement des budgets et financements de l’Etat, le secteur public doit répondre à des exigences croissantes, et parfois contradictoires, d’efficacité, d’efficience, de qualité des prestations et d’économie des moyens engagés. L’innovation managériale, le changement (Perrott, 2009) et le management par la performance, se sont ainsi progressivement imposés comme des impératifs incontournables et des enjeux de survie au sein du secteur public. Dès lors, les démarches de performance, et plus généralement le management de la performance, se sont très largement diffusées au sein des organisations publiques des pays occidentaux, qu’elles soient locales ou nationales, traduisant pour certains un mouvement de fonds (OCDE, 2005, Bouckaert et Halligan, 2008, Walker et al., 2010). Si la transformation de l’environnement des organisations publiques a légitimé ce nouveau mode de gestion des affaires publiques, force est de constater les difficultés d’implantation et d’institutionnalisation de ces pratiques au sein du secteur public. Les expériences entreprises en Europe et en Amérique du nord en matière de gestion par la performance démontrent à la fois des taux d’échec ou d’insatisfaction importants mais aussi des différentiels relativement élevés - entre pays mais aussi au sein d’un même pays - en ce qui concerne le degré d’implantation et de maitrise de ces systèmes de management (Bouckaert et Halligan, 2008, Moynihan, 2006). Bien qu’expérimenté depuis près de deux décennies dans les pays anglo-saxons et nordiques, et malgré les bénéfices potentiels mis en avant par une partie de la littérature, force est de constater les difficultés d’institutionnalisation et de couplage du management par la performance avec les processus décisionnels publics[1] (Melkers et Willoughby, 2005). La faiblesse des liens entre, d’un coté, les indicateurs mis en place et les informations collectées et, d’un autre côté, l’allocation effective de ressources, la définition et le management de programmes et de politiques publiques est régulièrement soulignée. Les organisations publiques semblent éprouver des difficultés à passer de la phase d’évaluation et de mesure de la performance à celle d’un véritable management par la performance, convergent, global et intégré tel que décrit par Bouckaert and Halligan (2008). Outre, des barrières ou spécificités publiques de type structurel, culturel et organisationnel qui nécessitent une gestion soutenue de la phase de mise en oeuvre[2] (Van Dooren et al., 2010), certains auteurs mettent en avant les limites intrinsèques au management par la performance, souvent conçu et appréhendé de manière trop technique et rigide par leurs instigateurs. A titre d’exemple Van Dooren (2011) cite (1) la démultiplication des indicateurs et des mesures susceptibles d’entrainer une paralysie des processus de décision publique, (2) la difficulté à mesurer et comptabiliser certaines dimensions de l’action publique (notamment les impacts sociétaux), (3) la complexité à identifier des responsables précis notamment dans le cadre de politiques publiques transversales, mobilisant une diversité d’organisations et de parties prenantes publiques.

Malgré ces difficultés constatées, on ne peut que remarquer la rareté des études et des enseignements, ainsi que le manque de capitalisation de connaissances, tirés de ces situations constatées de réussites et d’échecs dans le secteur public (Gibert et Thoenig, 1993 ; Lacasse, 2003). Plus généralement, Fernandez et Rainey (2006) soulignent la faiblesse des travaux portant sur la dynamique de changement des organisations publiques.

Le management par la performance représente pour les organisations publiques des innovations managériales majeures qui ont, à la fois, pour finalité et pour conséquence de produire des changements organisationnels relativement étendus et profonds. Elles sont donc, tout d’abord, productrices de changements délibérés et souhaités, qui portent aussi bien sur les comportements et les modes d’organisation des acteurs publics, que sur les représentations et les référentiels structurant leurs actions. En ce sens, elles sont génératrices de déviances voulues en souhaitant orienter les modes de fonctionnement des organisations publiques vers de nouvelles normes jugées plus efficaces et plus adaptées à l’environnement. Leur mise en oeuvre suscite, ensuite, des blocages, des résistances, qui tendent à freiner, voire à empêcher, pour un certain nombre d’organisations publiques, le passage de la phase d’adoption à celles de l’implantation et d’institutionnalisation (Walker et al., 2010).

Ces phénomènes de déviances n’ont été que peu étudiés dans le secteur public. La raison tient peut-être à que le respect de la norme et des règles et, plus généralement, la conformité constituaient jusqu’à présent l’une des caractéristiques fondamentales, et l’un des socles, du modèle bureaucratique public. L’introduction de logiques et de pratiques managériales semble conférer aujourd’hui au concept de déviance une portée analytique et explicative certaine dans le sens où, d’une part, ces innovations ont pour finalité et/ou comme conséquence de transformer les normes de fonctionnement traditionnel ainsi que les routines qui en découlent et, d’autre part, elles sont susceptibles de générer en retour des phénomènes de refus ou de détournement. Dès lors, un certain nombre de questions se pose quant (1) à la nature de ces déviances, (2) aux facteurs explicatifs de leur apparition et (3) aux éléments permettant de les limiter voire de les éliminer (3).

L’objet de cet article est d’étudier, sous l’angle théorique de la déviance et du changement organisationnel, les différentes difficultés et résistances rencontrées lors de la mise en oeuvre d’une démarche de changement, ainsi que les facteurs et processus permettant de limiter les blocages internes et organisationnels. Afin d’analyser en profondeur et de comprendre les mécanismes à l’oeuvre lors de la mise en place d’un changement organisationnel de grande ampleur, une recherche exploratoire, de type étude de cas monographique, est conduite. Notre étude empirique s’appuie plus spécifiquement sur une méthodologie d’analyse de type observation participante, conduite au sein d’un établissement public expérimentant l’implantation d’un système de management par la performance et d’une gestion en mode projet. Notre recherche vise, à partir d’une analyse détaillée de la dynamique de changement associée à la mise en place d’une démarche de performance publique locale (DPPL), à suggérer des facteurs de blocage et de succès de l’implantation d’une innovation managériale au sein du secteur public. A l’issue d’une première partie théorique visant à analyser les démarches de performance publiques locales sous l’angle des déviances organisationnelles, de l’innovation managériale et du changement organisationnel, des propositions de recherche sont formulées quant à la nature des blocages potentiels générés par celles-ci et quant aux facteurs permettant de les limiter. Dans une seconde partie, l’étude empirique de l’implantation d’une démarche de performance publique au sein d’un établissement public français nous permet de confronter ces propositions à la réalité, de les préciser et de les enrichir. Les enseignements théoriques tirés de l’étude de cas ainsi que la formulation de nouvelles propositions de recherche constituent une troisième partie.

Les démarches de performance publique locale : de nouvelles normes d’action et de déviances organisationnelles

L’introduction d’un management par la performance au sein des organisations publiques constitue à la fois une innovation managériale mais aussi un changement organisationnel. La mobilisation des courants théoriques rattachés à ces deux domaines s’avère dès lors pertinente pour analyser les dynamiques de changement relatives à l’introduction d’une DPPL et pour formuler des propositions quant aux facteurs les influençant positivement ou négativement.

Les DPPL en tant qu’innovation manageriale productrice de changements organisationnels majeurs et de déviances potentielles

Si le management par la performance constitue depuis une quinzaine d’années une composante importante des réformes de modernisation entreprises par les administrations centrales d’un certain nombre de pays anglo-saxons et nordiques (Politt et Bouckaert, 2004; Bouckaert et Halligan, 2008) , et de ce fait peut être considéré comme une application ou une résultante managériale du New Public Management conçue en tant que doctrine (Moynihan, 2006), il représente en revanche une innovation récente pour les gouvernements locaux et les collectivités territoriales françaises en particulier (Carassus et Gardey, 2009). Ce mode de management procède en partie, pour les collectivités territoriales qui ont décidé librement et volontairement de l’adopter au milieu des années 2000, d’une transposition locale et opérationnelle des principes généraux de la LOLF.

Les démarches de performance publiques locales se définissent comme un processus formel et organisé, à travers lequel une collectivité locale conçoit et met en oeuvre (1) une méthodologie de réflexion et d’action, (2) des dispositifs d’intervention et d’évaluation, (3) des modalités et des principes d’actions dans le but d’améliorer les différents niveaux de performance de ses actions et de ses politiques publiques. Une démarche de performance s’assimile donc à un système de pilotage global et intégré qui permet à une organisation publique de se fixer des objectifs et des priorités de développement et d’être gérée et organisée en fonction de l’atteinte de résultats conformes à ces objectifs, ceci dans un contexte de ressources et de moyens préalablement fixés. La segmentation stratégique des politiques publiques[3], qui constitue le point de départ de ces démarches, donne lieu à des déclinaisons budgétaires et organisationnelles ainsi qu’à la mise en place de systèmes d’évaluation et de contrôle

Le recours à ce type de démarche constitue une rupture et un changement majeur pour les collectivités locales dans le sens où (1) il mobilise de manière concomitante l’ensemble des fonctions ou leviers du management (les fonctions de planification stratégique, de contrôle, d’allocation, de réorganisation, d’animation et de budgétisation), (2) se caractérise par l’emploi d’une diversité de nouveaux principes et techniques de management (les indicateurs de performance, la responsabilisation, les tableaux de bord…) et (3) induit une transformation et une évolution en profondeur des comportements, des valeurs, et des modes d’interaction internes (la culture du résultat ou de la performance, le fonctionnement transversal ou par projet, la transparence, une logique de responsabilisation).

Le caractère nouveau des processus, techniques et paradigmes associés à ces démarches permet de les qualifier d’innovations managériales au sens de Damanpour et Schneider (2008) et de Roger (1995). Elles sont elles-mêmes, et par un effet de cascade, productrices ou génératrices de changements organisationnels[4] majeurs en s’accompagnant d’une modification des principaux paramètres organisationnels tels que la structure, la stratégie, les valeurs et les croyances, ou le système de contrôle. Elles ont notamment pour finalité l’évolution vers un nouvel état organisationnel jugé plus adapté aux contraintes environnementales et conduisent, in fine, à l’instauration de nouvelles normes et règles qui, dans l’esprit de leur instigateur, doivent s’imposer comme des référentiels dominants chez les cadres et agents publics.

Plus que dans le secteur privé, l’innovation managériale publique induit, explicitement ou implicitement, une transformation, voire une transgression, des valeurs et des référentiels guidant l’action publique (Mazouz, 2008; Mazouz et Leclerc, 2008). Les DPPL vont ainsi au delà d’une simple innovation méthodologique et instrumentale et d’apprentissage en simple boucle. Aussi, et en s’appuyant sur la littérature relative à la déviance, il est possible d’affirmer que les démarches de performance, en remettant en cause les routines, habitudes et modes de fonctionnement traditionnels, et en cherchant à promouvoir de nouvelles normes, sont productrices, de manière délibérée, de déviances positives (au sens de Spreitzer et Sonensheim, 2004) censées servir l’intérêt de l’organisation. La volonté de s’écarter du modèle d’administration public traditionnel, d’introduire des principes de gestion fondés sur la responsabilisation, l’autonomie, la recherche de performance et d’efficacité, confère au réformateur le statut de déviant positif tel qu’il a été défini par Heckert et Heckert (2002). On retrouve cette idée à travers le concept d’entrepreneur ou d’entreprenariat public développé par Kim (2010) ainsi que Bernier et Hafsi (2007). Sans remettre en cause les finalités de l’action publique, l’entrepreneur public adopte des comportements opportunistes, proactifs et innovateurs qui bousculent les normes, les routines et les habitudes constitutives du modèle bureaucratique et de la culture administrative traditionnelle. Le leadership déviant est ainsi porteur de changement, d’innovation et de transgression dans la manière de réaliser les missions de service public, ceci sans remettre en cause les principes et objectifs fondamentaux qui leur sont attachés.

A ces démarches sont généralement associées une vision positive de l’innovation et du changement. Elles sont en effet entreprises afin d’assurer une adéquation entre le fonctionnement des organisations publiques et l’évolution de leur environnement. Le cheminement planifié vers un nouvel état organisationnel, jugé plus adapté et plus efficace, confère à ces démarches leur légitimité et pousse à stigmatiser et à rejeter tout comportement de résistance ou de refus. La non adhésion ou le rejet de certaines composantes (qu’elles soient de type méthodologique, instrumental ou paradigmatique) de la démarche est dès lors perçu comme un comportement illégitime, irrationnel, et donc comme une déviance négative. Dans le cas du management par la performance développé au sein des organisations publiques, les déviances constatées prennent généralement la forme d’une non implication des agents et des services, d’un rejet du concept même de performance (Galera et al., 2008) ainsi que de comportements attentistes ou immobilistes (Coplin et al., 2002), et s’assimilent de fait à des résistances au changement. Les concepts de déviances négatives et de résistances au changement ont ici tendance à se confondre (Pesqueux et Triboulois, 2004). Dès lors, le management par la performance relève pour les organisations publiques davantage du symbolique que d’une pratique effective. La déviance s’apparente plus à une non-adhésion ou à un refus des principes de performance et d’évaluation -conçus en tant que nouvelle norme sociale dominante - qu’à une transgression ou un détournement de ces derniers. Les différences de pratiques et de degré de développement constatés entre pays (Bouckaert et Halligan, 2008) mais aussi entre organisations publiques d’un même pays (Moynihan, 2006) peuvent être considérées comme révélatrices des difficultés qu’éprouvent les cadres et agents publics à adhérer à ce nouveau mode de management.

Ainsi que le soulignent Rizopoulos et Kichou (2001), et dans la lignée des travaux de North, l’innovation s’assimile à un processus d’interactions organisationnelles constitué de négociations, de compromis, de mobilisation de rapports de force et de réseaux, qui vont déterminer sa capacité d’institutionnalisation au sein du milieu social. Le nombre important d’individus, d’acteurs internes et externes et de services impactés et affectés par la mise en place des DPPL, accroit la probabilité de résistances et de déviances. La remise en cause des zones de pouvoir et d’influence, la confrontation d’intérêts et de stratégies personnels, le bouleversement des arrangements intentionnels et sociaux existants sont autant d’éléments susceptibles de freiner, voire d’interrompre, les processus d’appropriation et de diffusion internes.

Pour conclure sur ce point, il est possible d’affirmer que les DPPL sont productrices de déviances positives souhaitées et délibérées qui visent tout autant les comportements et les actions des acteurs publics que leurs cadres de représentations et leurs systèmes de valeurs. En retour, de part la multiplicité des individus, services et niveaux hiérarchiques impactés et de part la remise en cause des éléments structurants traditionnels de l’action publique, les DPPL sont susceptibles de générer lors de leur mise en oeuvre, et en réaction, des déviances négatives.

Pour illustrer ces déviances négatives de manière plus précise, le cas de l’implantation de la LOLF au niveau étatique français peut être mobilisé. Dans un rapport d’information de l’Assemblée Nationale, publié le 16 juillet 2008, la Mission d’information relative à la mise en oeuvre de la LOLF (Milolf), met en évidence trois principales limites au développement de nouvelles pratiques de contrôle au niveau de l’Etat : un dialogue de gestion entre le niveau central et les échelons déconcentrés relativement limité, l’existence d’outils de gestion ne répondant pas aux enjeux escomptés, et l’insuffisance d’une gestion par la performance dans les pratiques managériales, ces trois facteurs générant des déviances organisationnelles négatives, exprimées notamment au travers des freins au changement ou, plus brutalement, par une absence d’utilisation décisionnelle des avancées managériales réalisées.

Concernant la première de ces limites, le rapport révèle, au-delà des structures et des procédures définies dans le cadre de la LOLF, l’existence d’un dialogue de gestion entre les responsables de programme et les responsables de Budget Opérationnel de Programme (BOP) qui n’est « pas toujours satisfaisant ». En effet, celui-ci apparait « centré essentiellement sur les éléments budgétaires du BOP ». L’absence de la performance dans le dialogue de gestion parait s’expliquer par des discussions négligeant l’évocation des objectifs et des leviers d’actions. Dans ce même sens, les limites méthodologiques dans la mise en oeuvre de la LOLF semblent confirmées récemment par la Cour des Comptes (2011) qui pointe l’existence d’indicateurs définis sans association suffisante des gestionnaires, le processus d’élaboration des indicateurs résultant « d’une méthode descendante qui ne favorise pas leur appropriation par l’ensemble des gestionnaires ».

Concernant la seconde de ces limites, la Mission évoque une situation « contrastée » dans la mise en oeuvre de véritables pratiques de contrôle : « si certains opérateurs ont mis en place de véritables systèmes de contrôle de gestion, encore peu de directions, qu’elles soient centrales ou régionales, disposent de véritables outils de pilotage, y compris, parfois, de simples tableaux de bord ». En outre, l’aspect disparate du contrôle de gestion a été confirmé par une enquête de la Cour Des Comptes (2011) menée auprès d’un échantillon représentatif des agents de l’Etat, qui révèle que seulement 41 % considèrent que la performance des agents de la fonction publique doit être mesurée à l’aide d’indicateurs chiffrés. Egalement, selon la Cour des Comptes, le caractère limité à un niveau financier des pratiques de contrôle étatiques semble inhérent aux dispositifs de formation des gestionnaires des échelons déconcentrés qui se sont focalisés sur « des contenus techniques budgétaires et comptables, en étant essentiellement animées par des représentants des ministères économique et financier ».

Concernant la troisième de ces limites, le rapport expose une gestion du volet « performance » des BOP et des programmes, vécue très souvent comme « une charge supplémentaire, rarement comme un outil nouveau…ressentie comme un exercice obligé, dépourvue d’enjeu concret ». Cette situation semble s’expliquer selon la Mission, par « la déconnexion – apparente ou réelle – entre les objectifs locaux et les objectifs nationaux », et par la « déconnexion quasi-totale » entre la démarche de performance et le processus d’allocation budgétaire. Pour confirmer cette analyse du déficit d’une gestion par la performance au niveau étatique, l’enquête réalisée pour la Cour souligne que « 63 % de ceux ayant entendu parler de la LOLF considèrent que celle-ci a mieux défini les responsabilités des gestionnaires publics…et qu’une courte majorité (55 %) de l’échantillon affirme que la LOLF a modernisé la gestion publique, alors même qu’il s’agissait là de son objectif principal ». De fait, ce retour, décevant quant à la perception des agents, souligne l’impact défavorable qu’a pu avoir l’écart entre les attentes d’une liberté de gestion accrue, et une réalité plus contraignante, cinq ans après.

Au total, il apparaît que les limites méthodologiques dans la mise en oeuvre de la LOLF, notamment par un manque de dialogue de gestion entre ses différentes parties prenantes politiques et opérationnelles, a participé à générer des déviances organisationnelles négatives en réaction, dans le manque de développement d’une culture de performance au niveau étatique. De fait, les modalités de mise en oeuvre de la LOLF semblent remettre en cause le développement de pratiques managériales opportunes répondant aux enjeux d’efficience de l’Etat. Ainsi, le succès de l’innovation managériale dans le secteur public semble tenir davantage à des facteurs méthodologiques qu’instrumentaux, liés à l’acculturation des individus aux nouveaux principes de gestion. Cette réflexion rejoint l’analyse de Crozier (1991), selon lequel, dans tout processus de changement, les modalités de changement peuvent être plus importantes que le changement lui-même.

Au-delà de ces analyses théoriques et empiriques sur les déviances potentielles de processus de changement organisationnels, il convient de caractériser à présent les sources des différentes déviances organisationnelles observables.

La caractérisation des sources de déviances organisationnelles, négatives et positives

Les travaux portant sur les champs de l’innovation managériale, du changement organisationnel et du management public, permettent d’esquisser certaines explications quant aux déviances constatées lors de la mise en oeuvre d’une DPPL. Les courants de la sociologie des organisations et de l’innovation mettent en avant l’importance du facteur humain et des interactions relationnelles dans les processus de diffusion et d’acceptation de l’innovation. Dans le même ordre d’idée, et dans le cas du secteur public, un nombre convergent de travaux insistent sur l’importance des facteurs culturels et comportementaux dans la réussite, ou bien l’échec, de changements organisationnels.

Selon Pesqueux et Triboulois (2004), la déviance naît généralement de l’ambigüité et de l’incertitude face à de nouvelles normes de fonctionnement. Transgresser ou s’écarter des règles est d’autant plus probable et aisé que celles-ci ne sont pas explicites ou clairement formulées. L’incertitude et le manque de clarté ouvrent ainsi la voie à l’interprétation, volontaire ou non, et au détournement des nouvelles normes. Dans le secteur public, en particulier, la difficulté à saisir les tenants et les aboutissants des innovations managériales, ainsi que leurs conséquences organisationnelles, génèrent de l’inquiétude et de la défiance. Les innovations de type managérial, de par les représentations qu’elles véhiculent chez les agents publics, sont par nature porteuses de risques, de craintes et d’incertitudes. Ainsi, certaines notions telles que la performance ou l’efficacité, sont jugées totalement antinomiques des principes fondamentaux du secteur public (Bartoli, 2009), et s’opposent souvent à la culture bureaucratique (Mazouz, 2008).

En outre, l’absence de visibilité et de lisibilité des finalités du changement génère chez les acteurs publics une difficulté à se positionner et à se situer vis-à-vis de celui-ci et face aux nouveaux arrangements organisationnels sur lesquels il est censé déboucher. Les craintes sont alors grandes, chez les cadres et agents publics, de voir remettre en cause leur périmètre d’intervention et d’autonomie. Or, et selon Ashford (1989)[5], la déviance est provoquée par le sentiment de perte de contrôle qui frappe l’acteur lorsque le fonctionnement de l’organisation réduit ses marges de manoeuvre et son autonomie.

Enfin, les niveaux intermédiaires peuvent éprouver des difficultés à percevoir l’intérêt et les apports réels du changement. Or, et selon Roger (1995), l’adoption dépend en grande partie des avantages perçus de l’innovation. L’acceptation de l’innovation reposerait moins sur sa qualité intrinsèque que sur la capacité collective des acteurs à leur conférer un sens ou un usage (Alter, 2000). Dans le secteur public, et ainsi que l’ont souligné un certain nombre de travaux, les phénomènes de modes managériales, d’innovations successives, entreprises par mimétisme et sans réelle analyse des attentes et des besoins, sont nombreux et génèrent chez les acteurs publics du scepticisme quant à leur durée et leur utilité effective.

La non adhésion ou le refus du changement peut aussi s’expliquer par un manque d’implication, dès les phases amont du processus, des acteurs les plus concernés par le changement. Si le manque de formalisme méthodologique et de cadre structurant peut conduire à une certaine démobilisation organisationnelle (Rusaw, 2007), à l’inverse, une conception trop centralisée, technocratique et descendante du changement est généralement citée comme l’un des principaux facteurs de blocage du changement dans le secteur public (Bartoli, 2009). L’absence de participation, le sentiment d’un changement subi et imposé sur lequel les agents publics, et notamment les niveaux intermédiaires, n’ont aucune prise, limitent les processus d’appropriation et favorisent les phénomènes de rejet. Selon la théorie de la diffusion de l’innovation, l’existence de relais, de représentants et d’intermédiaires, porteurs du changement à leur niveau et s’appropriant celui-ci, s’avère fondamentale pour la diffusion d’une innovation au sein d’un système social (Maurel, 2006). Enfin, et comme le souligne Bartoli (2009), une focalisation excessive sur le contenu du changement[6] au détriment de ses modalités de mise en oeuvre, a souvent été à l’origine de l’échec des efforts de modernisation et de réformes entrepris dans le secteur public français. Un grand nombre de travaux actuels vont dans ce sens (Walker et al., 2010, Yang et Pandey, 2008). Sans nier les paradoxes et contradictions potentiels existant entre le contenu des innovations managériales et les caractéristiques des organisations publiques, ces recherches voient dans les processus de management et d’implantation du changement les principales causes des déviances et des blocages organisationnels.

Pour résumer, il semble que les déviances négatives seraient en partie liées à un manque (1) de contextualisation et de contingence du changement (processus et contenu), (2) de prise en compte des spécificités de chaque organisation et (3) d’implication et d’information des niveaux intermédiaires. Ces sources potentielles de déviance suggèrent, à leur tour, des facteurs clés de succès du changement. L’approche technico-rationnelle, à laquelle nous nous référons (Burke, 2011; Scott, 2001; Fernandez et Rayney, 2006) met notamment en évidence deux catégories de facteurs : l’un humain lié au leadership et au pilotage du changement, l’autre matériel et processuel lié aux modalités d’implantation et d’accompagnement du changement.

Les déviances ainsi décrites méritent donc d’être anticipées, contrôlées voire dissipées. Aussi, nous nous concentrons maintenant sur la description des facteurs pouvant permettre une potentielle réduction des déviances organisationnelles.

Les facteurs potentiels de réduction des déviances organisationnelles

Nous aborderons ici, dans un premier temps, les facteurs méthodologiques et managériaux, puis ceux liés au leadership et aux agents du changement au sein de l’organisation.

Les facteurs méthodologiques et managériaux

La diversité des parties prenantes et de leurs attentes (Rusaw, 2007), ainsi que leur poids dans les processus de décisions et dans le fonctionnement des organisations publiques (Allison, 1983, Rainey, 2009) constituent une des caractéristiques fondamentales du secteur public. Ce particularisme public induirait une gestion du changement spécifique – c’est-à-dire une forme et un dispositif de management – à ce type d’organisation (Sminia et Van Nistelrooij, 2006, Harenstam et al., 2004). La nécessité plus impérative que dans le secteur privé (1) d’expliquer le changement et donc de réduire les incertitudes (Birkinshaw et al, 2008), (2) de communiquer sur ses caractéristiques, ses impacts et ses apports, (3) d’impliquer les acteurs concernés, (4) de lutter contre les résistances et les a priori en termes de culture et de valeurs, expliquerait le rôle clé joué par des structures d’animation et de pilotage ainsi que par un management de type socio-politique. Ce type de management permet à la fois l’intégration progressive des différents niveaux de l’organisation, mais aussi le maintien de l’implication (Fernandez et Rayney, 2006).

La communication apparait comme un autre moyen d’implication (Fernandez et Rayney, 2006) et déterminerait le soutien progressif des parties prenantes externes et internes. En interne, elle permettrait de réduire les risques de blocages et les incertitudes liés au changement et à ses conséquences (Damanpour et Schneider, 2006). La participation d’acteurs externes, via une communication de type consultation/participation, est à la fois perçue comme un vecteur de stimulation, mais aussi d’enrichissement du processus d’innovation. Le soutien du milieu local aux réformes et aux changements est fonction de son degré d’implication constant dans les processus de changement (Bryson, 2004, Fernandez et Rayney, 2006).

Toujours concernant les facteurs organisationnels et managériaux, la définition d’un plan d’actions, d’objectifs et de lignes directrices, établissant un lien entre les actions à entreprendre et les résultats et effets espérés, est généralement présentée comme un élément clef permettant (1) de réduire les incertitudes organisationnelles (Rusaw, 2007; de Lancer Julnes, 2008), (2) de gérer la multiplicité et l’instabilité des attentes des parties prenantes, et (3) de limiter les résistances au changement (Fernandez et Rayney, 2006). Dans le même ordre d’idées, un certain nombre d’auteurs (Holzer et Halachmi, 1996, Fernandez et Rayney, 2006) établissent un lien entre les ressources organisationnelles mobilisées, notamment financières et humaines (De Lancer Julnes, 2008), et la capacité à mener à terme un processus de changement organisationnel. Ces ressources doivent notamment permettre de soutenir les actions de communication, d’organisation, de planification, d’implication et de mise en participation des parties prenantes (Burke, 2011). Si le changement doit être précisé et formalisé dans ses grandes lignes, des espaces d’expérimentions, de familiarisation doivent être aménagés et proposés afin de permettre une appropriation progressive par les différents niveaux organisationnels.

Le temps et un rythme de changement incrémental, progressif (Moynihan, 2006), s’avèrent aussi déterminant pour favoriser les processus d’implantation et de diffusion des démarches de performance. Ces éléments sont d’autant plus importants que les temps et processus d’expérimentation, d’apprentissage et de perception des bénéfices du changement sont relativement longs, incrémentaux et progressifs dans le secteur public.

Certains facteurs de réduction des déviances sont donc potentiellement liés au management et à la méthodologie suivie, mais il convient aussi de s’intéresser aux facteurs humains directement en lien avec le leadership et les agents du changement.

Les facteurs humains liés au leadership et aux agents du changement

Dans le secteur public et ainsi que précisé précédemment, l’innovation managériale, de par les valeurs et représentations qu’elle véhicule, est souvent source de conflits, d’incertitudes et de résistances organisationnelles. Dès lors, le rôle et l’action des leaders ou des agents de changement internes apparaissent déterminants dans la création d’une culture et d’une aptitude organisationnelles favorables au changement et à l’innovation (Damanpour et Schneider, 2008; Elenkov et al., 2005; Kavanagh et Ashkanasy, 2006). Deux types de leadership semblent avoir un rôle déterminant mais différencié dans la mise en oeuvre de démarches de performance et d’innovations managériales : le leadership politique et le leadership administratif. Alors que le leadership politique (au sens de Nutt et Backoff, 1992) conduit une mission de légitimation et de promotion socio-politique de la démarche, la responsabilité du leader technique se centre autour des fonctions d’organisation, d’encadrement et d’évaluation.

Le leadership politique – fonction généralement exercée par les responsables politiques des organisations publiques – est, tout d’abord, perçu comme un déterminant significatif du soutien organisationnel[7] (Moynihan et Pandey, 2005, Berman et Wang, 2000). Les responsables politiques, en remplissant une fonction de sponsorisation et en affichant leur soutien constant et réitéré aux différentes étapes d’implantation du changement, contribueraient à sa légitimation pragmatique, morale et cognitive (Birkinshaw et al, 2008), auprès des directions générales et des niveaux intermédiaires (cadres et managers).

Le second type de leadership – traditionnellement exercé par les responsables administratifs – est, lui, beaucoup plus technique et interventionniste que le premier. Il concerne notamment la gestion des interactions et des relations entre les différentes parties prenantes impliquées, ainsi que la réduction des résistances (Fernandez et Rayney, 2006). Par des actions de sensibilisation, d’information, de motivation interne (Walker, 2006), de construction de coalitions de soutien et de sécurisation de ressources (Howell et Shea, 2001), les leaders ou managers internes auraient ainsi une influence déterminante sur l’évolution d’un contexte organisationnel a priori inhibiteur ou défavorable au changement ainsi que sur le développement progressif d’un soutien organisationnel au sein des niveau intermédiaires (Rusaw, 2007). L’implication des différents niveaux organisationnels devient dès lors, et à son tour, un facteur clé de succès de l’implantation de démarches de performance et souligne ainsi l’importance du leadership de réseau (Denis et al., 2008) ou d’un leadership de type catalytique au sens de Bryson (2004).

Cette analyse théorique nous permet de formuler les propositions suivantes quant à la dynamique des déviances organisationnelles en milieu public et de les résumer par le schéma ci-dessous.

  • Proposition n°1 : il existe différentes formes de déviances, positives et négatives, liées à la mise en place de DPPL.

  • Proposition n°2 : Des facteurs humains et méthodologique permettent d’influencer l’importance de ces déviances organisationnelles.

Figure 1

Proposition d’un cadre de recherche relatif à la caractérisation et au management des déviances organisationnelles liées à la mise en oeuvre d’une DPPL

Proposition d’un cadre de recherche relatif à la caractérisation et au management des déviances organisationnelles liées à la mise en oeuvre d’une DPPL

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Cette analyse théorique à travers la littérature existante nous a permis de mettre en avant différents types de déviances, positives et négatives ainsi que plusieurs facteurs permettant de les limiter. Nous avons souhaité mettre à l’épreuve ce cadre théorique de manière empirique, en nous appuyant sur une recherche-action menée au sein d’un établissement public français.

Une analyse empirique de la dynamique des déviances organisationnelles et de leurs solutions, par la mise en place d’une DPPL au sein d’un établissement public français

Dans cette seconde partie, nous nous attachons, dans un premier temps, à caractériser notre étude de cas, ainsi que la méthodologie utilisée, puis, dans un second temps, à exposer les résultats observés.

La caractérisation du terrain d’étude et de la méthodologie de recherche

Afin de tester le cadre théorique utilisé, nous mobilisons le terrain de recherche particulier des Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS). Ces structures départementales, créées en France en 1996[8], ont pour finalité non seulement de prévenir les risques d’incendie et de secours, mais aussi d’assurer les interventions associées, tout en rationalisant les coûts antérieurement supportés par les communes. La mise en place progressive de ces structures a permis de réunir l’ensemble de ces corps communaux au sein d’une même entité départementale et d’harmoniser la gestion des secours opérés par les sapeurs-pompiers sur le territoire. En 2011, 96 SDIS sont dénombrés en France classés en 5 catégories[9].

Les SDIS sont caractérisés par plusieurs éléments, intéressant notre question de recherche. Tout d’abord, le fonctionnement[10] des SDIS est souvent « bicéphale ». La gestion administrative est en effet confiée à un Conseil d’Administration composé principalement de représentants du Conseil Général (normalement présidé de droit par le Président du Conseil Général sauf délégation), des membres d’Etablissement Public de Coopération Intercommunale, et des représentants de communes. Le Préfet est membre de droit du Conseil d’Administration. Le directeur départemental ainsi que le médecin-chef et des représentants des sapeurs-pompiers ont une voix consultative au sein du Conseil d’Administration. Depuis la loi n° 2011-851 du 20 juillet 2011 relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique, le président de l’Union Départementale est membre de droit avec voix consultative. La gestion opérationnelle, quant à elle, est assurée par le Préfet qui est le garant de la sécurité (pouvoir de Police) sur le territoire départemental.

Les SDIS sont ensuite caractérisés par l’existence d’une multitude de statuts. En effet, le corps départemental est composé de sapeurs-pompiers volontaires (SPV, qui représentent la majorité de l’effectif, constitué de citoyens formés ayant une activité professionnelle spécifique autre), de sapeurs-pompiers professionnels (SPP), et de Personnels Administratifs Techniques et Spécialisés (PATS).

Enfin, et surtout, les SDIS sont caractérisés par un mouvement, sur ces dernières années, de mutualisation des moyens, qu’ils soient financiers, humains ou patrimoniaux, réalisé tant en interne, qu’avec les services publics externes (municipalités, conseils généraux, etc.), dans le cadre de la départementalisation de leurs activités. Bien qu’engagée depuis maintenant plus de quinze ans, cette départementalisation ne semble pas toutefois encore achevée pour tous les départements. En effet, comme l’indique de nombreux rapports[11], il apparaît nécessaire de développer la mutualisation des moyens, mais aussi de mettre en cohérence leurs pratiques gestionnaires et opérationnelles sur les territoires concernés. De plus, le sentiment d’appartenance à une organisation départementale apparaît encore aussi très relatif.

Afin de finaliser cette départementalisation et de surmonter les différentes difficultés qui s’imposent à eux dans un contexte public local tendu, les SDIS s’orientent ainsi progressivement vers des démarches dites de qualité, de performance ou de pilotage de leurs politiques publiques. C’est dans le cadre de ce type de démarche que nous avons engagé une recherche-action dans un des 96 SDIS français, sur une période de trois ans, pour appuyer ceux-ci dans la mise en place d’un projet d’établissement prévoyant, in fine, une évaluation des politiques engagées. Le projet, engagé fin 2009, prévoyait un accompagnement des structures du SDIS et des agents associés afin de leur permettre de passer d’un mode de gestion, dit traditionnel, reposant sur la seule allocation de moyens, à un mode de gestion plus dynamique, axé sur la fixation d’objectifs et le suivi des résultats obtenus. L’objectif de ce projet est d’améliorer l’organisation du SDIS, au profit de l’opérationnel par le biais (1) d’une rénovation en profondeur des modes de management, (2) d’un développement de la communication interne et externe, (3) d’une amélioration des relations humaines et du climat social, ceci en privilégiant l’adhésion et la participation de tous (des élus jusqu’aux agents du terrain), (4) d’une clarification et d’une simplification des modes de fonctionnement, et (5) d’une maitrise des dépenses et de la mise en place des tableaux de bord facilitant le pilotage de la structure.

Dans le but de mener à bien ce projet, une recherche-action a été mise en place pour une durée de trois ans (2009-2012) sous la forme d’une convention de recherche établie entre une équipe de chercheurs et le Centre national de la Fonction Publique Territoriale[12]. L’équipe de recherche, constituée d’universitaires spécialisés dans les domaines de la gestion publique, de la psychologie du travail et du management des ressources humaines et réunie initialement autour de la présidence de l’établissement, remplissait une fonction d’accompagnement et de soutien méthodologiques. Au sein de cette équipe, un doctorant chercheur était basé de manière permanente au sein du SDIS.

Au cours du début de l’année 2010, l’équipe d’accompagnement a défini une première méthodologie qui fut testée auprès de trois groupes tests[13]. Des propositions d’amélioration ainsi que l’ébauche d’une première segmentation des politiques publiques, sous une forme de type Misssions-Programmes-Actions (M.P.A.), ont émergé au cours de cette période. Au milieu de l’année 2010, cette expérience s’étant montrée peu concluante (tant sur le fond que la forme) et face au manque d’adhésion organisationnelle, l’équipe d’accompagnement s’est alors concentrée sur les fonctions supports en réunissant des groupes de travail élargis et diversifiés, qui rassemblaient en leur sein des représentants des centres de secours, des groupements territoriaux et des spécialistes du domaines étudiés (RH, finances,…). Au cours de l’année 2011, un diagnostic stratégique de type Forces-Faiblesses-Opportunités-Menaces ainsi qu’une analyse en termes d’enjeux stratégiques et de scénarios d’évolution ont été réalisés en association avec les élus et les directeurs fonctionnels et opérationnels. Ces analyses ont débouché sur la définition d’une vision stratégique, d’enjeux de développement, de facteurs clés de succès ainsi que sur la formulation d’une deuxième segmentation stratégique. Dans le même temps, les groupes de travail ont travaillé sur la formalisation de leurs activités selon un format de type Missions-Activités-Tâches (M.A.T.) et sur l’identification de problématiques et d’actions à entreprendre ou à corriger[14]. Ces travaux ont par la suite été incorporés au sein de la segmentation stratégique définie préalablement. Cependant, cette intégration, mal comprise et mal interprétée, a été source de nombreux conflits interpersonnels et interorganisationnels et a conduit à l’arrêt de la démarche. Au cours de l’année 2011 deux événements majeurs conduisent à remettre sur les rails le projet de modernisation du SDIS. Il s’agit d’une part de l’arrivée d’un nouveau président qui a permis de réaffirmer l’engagement des politiques sur la volonté de voir aboutir la démarche et, d’autre part, de la reprise du projet et de son pilotage en direct par le directeur de l’établissement public. En collaboration avec l’équipe d’accompagnement, ce dernier a entamé un lissage et une simplification progressifs de la méthodologie. Plus spécifiquement, le travail avec l’équipe de direction a permis (1) de simplifier la segmentation et d’adopter un vocabulaire plus adapté aux caractéristiques des services opérationnels et fonctionnels, (2) de revoir et d’étaler dans le temps les objectifs et les ambitions du projet, (3) de modifier les modalités d’accompagnement en mettant l’accent sur les actions de formation et les supports de communication, (4) de multiplier les présentations intermédiaires auprès des cadres et agents publics des avancées et états du projet, (5) d’enrichir les documents de travail par le biais de diagnostics (organisationnel, territorial et stratégique). A la fin de l’année 2011, la remobilisation et l’adhésion organisationnelles ont permis de passer aux phases d’opérationnalisation et de définition d’indicateurs de performance et de tableaux de bord.

Notre recherche s’appuie donc sur une observation participante et sur l’analyse (1) des apprentissages, (2) des essais-erreurs et ajustements méthodologiques, (3) des blocages et conflits que nous avons pu observer et rencontrer au cours de ces trois années d’expérimentation. Lors de cette recherche-action, nous avons ainsi pu notamment identifier, au fur et à mesure de l’avancée de notre action sur le terrain, un certain nombre de déviances. La prochaine sous-partie se propose d’en décrire les résultats, au regard du cadre théorique exposé dans la première partie.

Des résultats caractérisant des déviances positives et négatives

Nous nous intéressons, dans un premiers temps, aux déviances positives, puis, dans un second temps, aux déviances négatives avant d’aborder, dans un troisième temps, certaines déviances qui, sous des aspects de prime abord assez négatifs, peuvent avoir un impact positif sur la structure et la démarche.

Des déviances positives, planifiées et émergentes

Comme nous avons pu le décrire précédemment dans la partie théorique, certaines déviances sont plutôt positives et ont un impact vertueux sur le service public ou sur l’organisation qui met en place une démarche de performance. Nous décrivons ici ces déviances positives en distinguant deux types, celles planifiées et celles émergentes.

Pour les premières, celles planifiées, nous avons pu remarquer que la démarche engagée, en dépit d’un surcroit de travail, provoque non seulement l’adhésion d’un nombre d’agent important, mais aussi la réalisation de déviances positives anticipées. Ainsi, sur ce dernier point, nous pouvons observer plusieurs avancées significatives planifiées, même si la jeunesse de la démarche engagée ne permet pas l’observation de tous les résultats, dont certains pourront prendre plusieurs années avant de pouvoir être mis en évidence. Tout d’abord, sur la rénovation des modes de management, la démarche entreprise a contribué à la prise de conscience collective d’un nécessaire dépassement des modes de fonctionnement actuels focalisés sur la seule gestion des moyens humains, financiers et patrimoniaux. En effet, en insistant non seulement sur la priorisation d’actions stratégiques et leurs objectivations, mais aussi sur la définition de moyens adaptés, les modes de management ont évolué, passant d’une gestion fondé sur la seule utilisation de moyens à une gestion davantage axée sur l’atteinte de résultats au regard d’objectifs prédéterminés. Concernant la clarification des modes de fonctionnement et leur simplification, la démarche entreprise a permis l’adaptation de l’organisation aux choix politiques et opérationnels effectués. En effet, en créant une vision transverse de l’organisation centrée sur les politiques, missions et actions de la collectivité, et en privilégiant un management en mode projet, il a été possible, non seulement, de définir le rôle de chacune des structures existantes dans un projet global, mais aussi d’améliorer la nature et les modalités des relations entre les différentes structures sur des actions partagées. Enfin, sur l’identification de ce qui fonctionne bien, de ce qui doit être amélioré et de ce qui doit être créé, la démarche entreprise permet de privilégier une amélioration continue. En effet, en questionnant la qualité des actions actuelles, en visualisant l’activité quotidienne au sein d’un projet d’établissement, il est possible de dépasser la logique de stratification de l’action publique, logique qui consiste à ajouter de nouvelles actions et compétences sans remettre en question l’existant, et, ainsi, de privilégier des actions et activités prioritaires au service du projet de la collectivité.

Pour les secondes déviances, celles émergentes, au delà de celles planifiées, nous avons pu noter que la démarche entreprise par ce SDIS pouvait générer des déviances positives, au delà de celles espérées au départ, en particulier concernant l’adhésion et la participation des acteurs internes au changement. En effet, sur ce point, une déviance positive, plus importante que prévue, peut être mise en évidence concernant les élus et les cadres. Pour les premiers, compte tenu de la faible implication des élus locaux français dans ce type de démarche (Carassus et Gardey, 2009), du partage de responsabilité et de prise de décision avec le Préfet du département, et des spécificités du mandat de président du Conseil d’administration d’un SDIS, la participation des élus à la démarche ne constituait pas une déviance positive forte anticipée. Or, à la suite de l’arrivée d’une nouvelle équipe politique, les élus se sont progressivement intéressés à la démarche, pour se l’approprier, la porter et y intégrer leur vision du fonctionnement futur de l’institution, avec l’appui de son directeur[15]. La direction générale a alors pu jouer, grâce à la démarche de performance, son rôle de leader, en, comme l’indique Airaudi (1996), (1) en fournissant « les normes du management aux exécutants des séquences de travail », (2) en déclinant le projet d’établissement depuis la direction vers le terrain, et (3) en intervenant pour « pour définir les objectifs et pour évaluer les résultats réalisés ». Ces déviances positives émergentes peuvent aussi être mises en évidence pour une seconde catégorie d’acteurs, en l’occurrence les cadres. En effet, certains d’entre eux, sous l’impulsion de la direction et/ou poussés par une motivation individuelle liée à la nature de la démarche engagée, sont allés au-delà des attentes du comité de projet en anticipant avec leurs groupes de travail respectifs sur les travaux à mener dans le futur, en profitant de la démarche pour se former et monter en compétence, en utilisant la démarche pour participer à la création d’un projet collectif propre à leur service, ou en exploitant la démarche pour trouver des solutions aux problématiques existantes dans le fonctionnement des services et dans le quotidien des agents.

Au delà de ces déviances positives, planifiées et émergentes, des craintes, des utilisations ou des résistances peuvent aussi exister et générer des déviances négatives, en action et en réaction.

Des déviances négatives, en action et en réaction

Si certaines déviances positives peuvent être identifiées, des déviances négatives peuvent aussi émerger soit en action, liées à l’utilisation de la démarche elle-même à des fins opportunistes, soit en réaction, liées aux oppositions ou aux refus de certains acteurs face à ces changements. Il convient de pouvoir les anticiper de manière à les éviter, les contourner, voire s’en servir comme d’une force pour adapter la démarche à l’organisation.

Pour la première des deux déviances négatives, celle en action, la mise en oeuvre d’une démarche de performance peut encourager un certain nombre de comportements opportunistes. En effet, l’innovation managériale et le changement organisationnel peuvent être utilisé, comme alibi, pour développer des zones de pouvoir à l’intérieur de l’organisation ou bien pour créer de nouvelles marges de manoeuvres discrétionnaires. Des promotions ou des mobilités peuvent ainsi être motivées par ce type de démarche, alors qu’elles ne sont pas, directement ou indirectement, liées à celle-ci.

Pour la seconde des deux déviances négatives, celle en réaction, une démarche de performance peut aussi générer des résistances importantes. Dans le cas de notre étude de cas, bien que la départementalisation date de plus de 15 ans, il semble encore exister encore une certaine culture communale, avec une vision restreinte de la défense incendie et du secours sur le nouveau territoire départemental. La démarche engagée, ayant vocation à finaliser la départementalisation et proposer une nouvelle organisation en cohérence (au delà d’une structuration antérieure centrée sur les centres d’incendies et de secours attachés à chaque commune importante), de nombreux freins au changement peuvent être rencontrés, notamment aux niveaux intermédiaires et opérationnels. Les modes de fonctionnement antérieurs ainsi que les rôles actuels de certains acteurs peuvent vouloir être conservés, en particulier en ne participant pas à la réflexion, de manière passive, mais aussi, de manière plus active, en étant force de contre-propositions, en bloquant les décisions ou en négociant des contreparties importantes, notamment par l’intermédiaire des syndicats. Certains acteurs, par crainte d’une perte d’autonomie ou de pouvoir, peuvent aussi ne pas vouloir que ce type de démarche aboutisse. Comme l’indique Esptein et Manzoni (1997), les managers peuvent s’opposer à la mise en place de nouveaux indicateurs, dans la mesure où ils peuvent donner une visibilité accrue à leurs actions. Ces indicateurs pourraient potentiellement les menacer en mettant en avant leurs responsabilités, tout en limitant leurs possibilités de se protéger des questionnements et des examens minutieux (Vaivio, 1999). Toujours dans sens, il est aussi intéressant d’observer qu’une démarche de performance peut être rendue responsable par certains agents de l’application de certaines mesures et décisions, sans avoir, pour autant, un lien direct avec le projet. La démarche devient alors un projet « bouc-émissaire » concentrant les déviances négatives en réaction.

Notre étude de terrain au sein d’un SDIS met ainsi en évidence des déviances négatives face à la modification possible ou avérée de certaines règles ou zones de pouvoir à l’intérieur de l’organisation. Ces analyses rejoignent celles de Buchanan et Tullock (1962) qui cherchent à analyser le calcul d’individus rationnels confrontés à un choix constitutionnel. Les auteurs montrent que les hommes politiques, les électeurs ou les administrateurs peuvent agir en fonction de leur propre intérêt, de manière mesurée, plutôt qu’en fonction de l’intérêt général et de l’intérêt public. Or, la planification des actions stratégiques, la responsabilisation des agents et des services, mais aussi l’évaluation des politiques engagées, peuvent participer à la remise en cause des modes de fonctionnement actuels et des intérêts individuels associés, expliquant, du moins en partie, un refus de voir la démarche trouver une issue positive et pérenne.

Si ce type de déviances négatives en réaction apparait souvent lié à des enjeux de pouvoir et de conservation de zones d’autonomie, d’autres peuvent aussi exister, de manière moins mécanique et institutionnelle, et mettre en évidence des apprentissages contribuant à l’adaptation de la démarche elle-même. En effet, nous avons pu observer que la démarche engagée entrainait des blocages qui pouvaient ralentir l’avancée du projet, notamment par manque de compréhension méthodologique et terminologique. Des concepts ou des termes, mal ou non expliqués, peuvent parfois créer des craintes importantes, souvent anticipatrices des changements pourtant non prévus par la démarche. En particulier sur notre terrain d’étude, l’utilisation de l’architecture lolfique, déjà utilisée par l’Etat français sous forme de missions, programmes et actions, a entraîné des craintes importantes concernant la possible modification de l’organigramme en lien avec cette vision politique et transversale de l’établissement[16]. De plus, l’usage de termes comme performance ou efficience peuvent entrainer de fortes résistances, en étant fortement marqué, dans l’esprit des acteurs publics locaux concernés, par la sphère privé et en laissant entrevoir des transferts de méthodes issues du secteur marchand. Ces déviances négatives en réaction, après avoir été analysées, ont conduit à modifier à la fois les termes et concepts utilisés, mais aussi la communication sur ce point précis, en collant aux problématiques de terrain.

Les démarches de performance génèrent donc au total des déviances positives et négatives. Une fois caractérisées et connues, avant ou pendant la mise en oeuvre de la démarche, comme l’évoque le dernier exemple, il est alors possible de déterminer les facteurs qui permettent de se prémunir ou, du moins, de réduire les déviances négatives générées par la mise en place de ce type d’innovation managériale au sein d’une organisation publique locale.

Des résultats mettant en évidence les facteurs influençant l’importance des déviances organisationnelles

Notre terrain d’étude nous a aussi permis de dégager plusieurs facteurs qui permettent de réduire voire, même, de se prémunir contre des déviances négatives évoquées précédemment. Pour assurer le succès de ce type de démarche, il semble ainsi que les facteurs identifiés par la littérature, à savoir ceux méthodologiques et managériaux, mais aussi ceux, d’ordre humain, liés au leadership et aux agents du changement au sein de l’organisation, doivent être présents de manière concomitante.

Tout d’abord, le premier facteur qui semble se dégager, dans une logique humaine, est celui lié à l’engagement de la direction politique et opérationnelle. En effet, c’est ce tandem qui semble devoir fixer conjointement, le second en appui du premier, les objectifs politiques et stratégiques de l’organisation, en définissant le sens et les voies de développement de la structure. Aussi est-il primordial d’aller plus loin qu’une simple association au projet, en favorisant une véritable participation. Comme le précise Loungoulah (1996), l’évaluation « est parfaitement pertinente lorsqu’elle constitue l’intervalle temporel et le chemin de communication social utile, c’est à dire lorsqu’elle devient le lieu d’une transaction didactique entre le politique, l’administration et le citoyen ». Ainsi, les déviances positives s’en trouvent renforcées et celles négatives diminuées, par un engagement fort de la direction politique et opérationnelle.

Toujours dans une logique humaine, non plus liée au leadership mais aux agents du changement, le changement semble aussi devoir s’opérer avec la participation et l’adhésion d’une grande partie des personnels, au moins ceux cadres et intermédiaires, pour s’assurer d’une pérennité de la démarche. En effet, il convient que les agents comprennent et partagent à la fois la nature, mais aussi les modalités de l’innovation engagée. Cette compréhension et ce partage peuvent être rendus possible non seulement par une communication adaptée[17] (cf. supra), mais aussi, et surtout, par la participation de ces acteurs à la définition et à la mise en oeuvre de la démarche. Sur notre terrain d’étude, cette participation a été rendue possible par la création des groupes de travail représentatifs de l’établissement et de ses structures fonctionnelles et métiers. Ces groupes ont été soit des forces de propositions (par exemple d’actions et d’activité dans le cadre de la planification stratégique), soit des terrains d’expérimentation (par exemple pour la gestion de la transversalité entre structures de l’établissement). La participation des agents au changement a ainsi permis de générer des déviances positives non planifiées, mais aussi de réduire les déviances négatives en réaction. La prise en compte de ces dernières a contribué à modifier et faire évoluer les modalités de mise en oeuvre de la démarche.

Ensuite, le second facteur qui se dégage, plus méthodologique celui-là, est celui lié aux modalités de pilotage de la démarche. En particulier, l’existence et la composition du groupe projet semblent importantes, pour assurer le suivi et le portage sur le terrain. Cette équipe assure l’interface entre le tandem direction-élus et les agents. Elle décèle les différentes problématiques et veille à l’appropriation de la méthodologie du projet par le terrain, ainsi qu’à sa bonne adaptation. En étant constituée de personnes connaissant bien le terrain concerné, son histoire ainsi que ses modes de fonctionnement, et tout en bénéficiant d’une force de décision et d’une position hiérarchique haute dans l’organisation, cette équipe projet permet non seulement d’avoir un poids important auprès des agents, mais aussi une légitimité auprès des élus lors des points d’étapes. Elle favorise en outre l’émergence de déviances positives en action, par le développement de comportements opportunistes souvent individualisés.

Sur le même registre méthodologique des modalités de pilotage, les outils mobilisables par ce type d’innovation managériale (Carassus et al., 2010) doivent, de plus, faire l’objet non seulement d’une utilisation globale et sur le périmètre de toute l’organisation, mais aussi d’une adaptation aux spécificités de l’organisation concernée, a priori mais aussi pendant le changement. En effet, l’application d’une démarche de performance à un seule partie de l’organisation (un service ou une direction) ou bien à un seul pan de l’activité (le politique ou l’opérationnel) tend à réduire la portée des déviances positives espérées. De plus, comme nous avons pu l’observer, l’absence d’adaptation de la démarche au contexte et acteurs de l’organisation tend à générer des déviances négatives en réaction qui trouvent leur source dans le manque de compréhension des concepts ou notions utilisées.

Enfin, pour faire le lien entre les facteurs humains et méthodologiques, la communication autour de la démarche de changement apparaît aussi comme un facteur de prévention et/ou de réduction des déviances organisationnelles négatives. En effet, ces changements étant souvent bloquants, souvent par crainte ou désinformation, voire par rumeur, la mise en oeuvre d’une communication adaptée permet d’éviter certaines des déviances négatives, de nature opportuniste ou en réaction. Elle permet aussi d’expliquer et de valoriser la démarche, en renforçant les déviances positives. En particulier, l’utilisation d’un support de communication interne et d’un outil collaboratif de pilotage des politiques et des structures de la collectivité semblent être deux solutions à l’instauration d’une communication régulière autour de la démarche, assurant sa diffusion, sa connaissance et son appropriation par toute l’organisation.

Conclusion

La mobilisation des courants théoriques rattachés à l’introduction d’un management par la performance en tant qu’innovation managériale et changement organisationnel, dans le cadre d’une première partie, nous a permis de formuler deux propositions quant à la dynamique des déviances organisationnelles en contexte public local. La première indique qu’il existe différentes formes de déviances liées à la mise en place de DPPL, la seconde que des facteurs de type humain et méthodologique ont une influence sur la dynamique des déviances organisationnelles.

Notre étude empirique dans le contexte public local français, au travers d’une recherche action au sein d’un SDIS, a tout d’abord permis, dans le cadre d’une seconde partie, de caractériser les déviances positives et négatives pouvant être générées par la mise en oeuvre d’une DPPL. Notre étude empirique confirme et approfondit ainsi la littérature existante en proposant une typologie plus précise des formes de déviances générées par l’implantation d’une innovation managériale en milieu public : déviances positives émergentes vs planifiées, déviances négatives en action vs en réaction. Cette étude de cas décrit, ensuite, les facteurs humains et méthodologiques influençant l’importance de ces déviances organisationnelles. Elle confirme la proposition réalisée, en la détaillant. En effet, notre terrain d’étude met en évidence que des facteurs humains et méthodologiques adaptés permettent, non seulement, de prévenir les déviances observées, en limitant par anticipation les déviances négatives et en renforçant les déviances positives, mais aussi, de réduire des déviances négatives qui pourraient émerger au cours du changement, de manière curative, malgré les efforts préventifs.

Figure 2

Synthèse des résultats de recherche relatifs à la caractérisation et au management des déviances organisationnelles liées à la mise en oeuvre d’une démarche de performance en milieu public local

Synthèse des résultats de recherche relatifs à la caractérisation et au management des déviances organisationnelles liées à la mise en oeuvre d’une démarche de performance en milieu public local

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Notre recherche confirme au total que le changement en milieu public résulte à la fois d’un pilotage planifié, volontaire et structuré, mais aussi de logiques émergentes et d’évolutions incrémentales. Les éléments et enjeux de type socio-politique, les phénomènes de négociation, de lutte de pouvoir, de coalitions, constituent les composantes clés du changement en milieu public. Notre étude montre aussi l’importance du facteur temps des processus d’expérimentation-appropriation progressifs. Nos observations rejoignent ainsi les analyses de Van Dooren (2011) sur la nécessité d’adopter de nouvelles manières d’appréhender et de mettre en oeuvre le management par la performance au sein des organisations publiques. Plus spécifiquement, l’auteur souligne l’importance d’évoluer vers des pratiques (1) plus flexibles et moins rigides quant à la fixation et l’utilisation d’indicateurs de performance, (2) plus décentralisée quant à leur conception, (3) favorisant les apprentissages et les discussions davantage que le contrôle et la vérification et (4) qui intègrent/acceptent le caractère intrinsèquement politique, incertain et changeant du contexte et de l’action publics. Les difficultés que nous avons rencontrées sur le terrain nous ont conduit à adopter une approche plus participative, à multiplier les actions de communication et de mise en participation ainsi qu’a simplifier notre méthodologie qui prenait la forme pour certains d’une véritable usine à gaz. Ces va-et-vient récurrents entre le terrain et l’équipe projet, qui s’apparentent à des apprentissages que Van Dooren (2011) considère comme des apprentissages en double boucle, sont la résultante des déviances observées qui, in fine, peuvent apparaitre comme étant positives dans le sens où elles permettent la mise en exergue de certaines limites ou faiblesses méthodologiques et conceptuelles.

Compte tenu des tensions actuelles, notamment financières, et du niveau modéré de leur développement dans le contexte public local français par rapport à d’autres collectivités à l’échelle internationale (Ville-Management, 2009), les démarches dites de performance publique ou de pilotage des politiques publiques apparaissent devoir connaître, dans les années futures, une diffusion importante, de manière volontaire ou légale. Toutefois, l’émergence de ce type de démarche en réponse au contexte public local actuel ne doit pas écarter ou minimiser l’existence de déviances organisationnelles liées, notamment négatives. Des facteurs humains, de par la nature et les ressources de production du service public, mais aussi des facteurs méthodologiques, de par l’importance des modalités de changement, au-delà de ses finalités, doivent ainsi être appréhendés, au départ et pendant le changement, pour assurer la réussite de ce type d’innovation managériale et répondre à un contexte public local en mutation.