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Jean-Paul Lemaire[1] nous livre la troisième édition entièrement refondue d’un classique de la littérature francophone en management international. Le but de l’auteur est de proposer une démarche systématique aux organisations confrontées aux différentes mutations de l’environnement international. Dès les premières pages de l’ouvrage, le constat est posé. L’environnement depuis les premières éditions de l’ouvrage, s’est trouvé profondément bouleversé. Aujourd’hui, l’ouverture internationale désoriente un nombre croissant d’acteurs, quels qu’ils soient par ailleurs. Si les pratiques sont remises en cause, les analyses théoriques le sont également.

L’introduction met en exergue les profondes mutations auxquelles les organisations sont confrontées. Sont concernées, tant les entités publiques (États, collectivités locales, institutions publiques nationales et inter-gouvernementales) que les entités privées (entreprises, organisations non gouvernementales). Comme le précise l’auteur, l’esprit de l’ouvrage, à la différence de ce que proposaient il n’y a pas si longtemps les manuels de stratégie, est de mettre en évidence le fait que l’internationalisation tend à devenir l’axe central du développement des organisations et non, une simple option de développement. D’où une démarche fort logique en deux parties. : la première s’attache à mesurer l’impact pour l’organisation des mutations de l’environnement international; la deuxième, tirant les conséquences de ces mutations, va opérationnaliser la mise en oeuvre de la stratégie d’internationalisation des organisations.

Avant d’entrer dans le détail de l’ouvrage, plusieurs de ses traits caractéristiques qui contribuent largement à sa qualité et à l’intérêt qu’il suscite, peuvent être soulignés :

  • dans les deux parties (un fort bienvenu « mode d’emploi » précède l’ouvrage détaillant la démarche suivie), l’auteur va progresser à travers les trois niveaux – macro, méso et micro – largement sous-tendus par la logique du modèle PREST[2];

  • l’objet, cela a été évoqué, est multiple : il va des entreprises aux territoires concernés par l’ouverture internationale. Dans la même logique, il prend en compte les différentes économies (matures, émergentes, à croissance rapide);

  • la démarche est à la fois théorique, (l’auteur discute et présente à chaque étape les grands travaux académiques sur les points concernés), méthodologique, et vise à apporter des réponses concrètes. Les outils sont nombreux (série de questions posées en ouverture de chaque chapitre, exemples multiples tirés de l’actualité, repères, cas introductif à chaque chapitre, tableaux, schémas, cas d’application, questions de réflexion à la fin de chaque chapitre, encadré « l’essentiel » qui clôt chaque chapitre …), ce qui oriente l’ouvrage vers un public très diversifié, de l’étudiant au professionnel, en passant par l’enseignant concerné par les questions internationales.

Au risque de faire preuve de peu d’originalité, mais de fidélité (ce que l’on espère) à la démarche de Jean-Paul Lemaire, l’auteur de cette note a fait le choix de reprendre la logique de l’ouvrage en deux parties.

Évolutions et défis de l’ouverture internationale pour les territoires, les activités et les organisations

Cette partie est le temps de l’analyse de l’environnement, de ses mutations, de ses bouleversements. On y retrouve la triple logique macro-méso-micro. On va ainsi cheminer de l’analyse de l’environnement avec l’intensification de l’ouverture internationale (chapitre 1) à la dynamique internationale des territoires (chapitre 2), en passant par la dynamique des activités (chapitre 3) pour finir avec la dynamique internationale des organisations (chapitre 4).

Le chapitre 1 (c’est le niveau macroéconomique) dresse sur trois décennies un bilan des nombreux bouleversements de l’environnement international. Le phénomène d’ouverture internationale et de décloisonnement des économies est préféré aux termes de « globalisation » et de « mondialisation ». On retrouve ici également la logique évoquée plus haut puisque l’on procède en trois temps : celui de l’explication des faits (portée et limites de l’ouverture internationale), celui de l’analyse théorique (le renouvellement des théories de l’échange international) et celui de la présentation d’une démarche méthodologique (introduction au modèle PREST). Dans un premier temps, c’est l’analyse méthodique de l’ouverture internationale qui est menée à travers une mise en lumière des facteurs saillants qui ont contribué, depuis la Seconde Guerre mondiale, à modeler le phénomène tel qu’il apparaît aujourd’hui. L’analyse est historique, politique, géopolitique, historique et sociale et met en lumière une évolution, pas nécessairement linéaire, pas nécessairement exempte de coups d’arrêt, voire de reculs. Dans un second temps, c’est au renouvellement des théories de l’échange international que l’on va s’attacher. Les transformations intervenues dans l’ouverture internationale remettent profondément en cause les théories de l’échange international héritées du XIXème siècle. C’est cette évolution que dresse l’auteur avec, et cela fait une différence importante comparé aux manuels plus « classiques », une approche pluridisciplinaire qui mobilise l’économie internationale, l’économie industrielle, la stratégie, le marketing international… Dans un troisième temps, c’est le modèle PREST qui est présenté. Ce modèle permet d’analyser de manière dynamique l’évolution de l’environnement des espaces de référence visés par l’organisation qui cherche à définir (ou à redéfinir) sa stratégie d’internationalisation. Ce troisième temps constitue en fait une grille de lecture des trois autres chapitres de cette partie.

Le chapitre 2 (à l’articulation du macroéconomique et du mesoéconomique) va s’attacher à apprécier la dynamique internationale des territoires. Au sens large, c’est un questionnement sur le positionnement des territoires dans ce nouvel environnement international, largement décloisonné, comme mis en lumière dans le premier chapitre. La proximité géographique des territoires ne suffit plus. Des paramètres très nombreux influent sur l’évolution de leur rôle. Ce constat va permettre de mettre en évidence plusieurs éléments qui conditionnent cette dynamique internationale des territoires. C’est tout d’abord une volonté d’identifier les déterminants de la dynamique d’ouverture de ces territoires. Les développements de cette première section permettent une analyse très intéressante autour de l’alternative protection (avec ses nouveaux visages) ou promotion. L’adoption d’une attitude proactive sera l’une des clés importantes de cette attractivité. C’est ensuite une interrogation sur les bases d’une démarche active de positionnement des territoires et d’orientation géographique des organisations qui sont examinées. La question ici posée est, partant des différentes pressions externes susceptibles d’affecter leur attractivité, et donc leur devenir, quels sont les enjeux auxquels les territoires auront à faire face ? Un croisement entre deux axes permettra de mesurer d’une part leur niveau de « résilience » (c’est-à-dire la capacité du territoire à résister à l’instabilité et aux chocs conjoncturels, conjugués à la continuité de la gouvernance politico-économique et à la cohésion sociale), d’autre part leur niveau de « ressources » (c’est à dire ce dont ils disposent pour développer des infrastructures)[3]. C’est enfin, une analyse des risques potentiels qui affectent ou sont susceptibles d’affecter ces territoires. Du niveau macroéconomique des macrorisques, on passera au niveau microéconomique des microrisques.

Le chapitre 3 est le niveau mesoéconomique. C’est celui de l’activité, le secteur ou l’industrie dans lequel opère chaque organisation. La démarche plus haut évoquée se poursuit. À la dimension géographique abordée au chapitre 2, vient s’ajouter la dimension sectorielle. L’élément est indispensable à la prise en compte de l’environnement par l’organisation qui s’engage dans une démarche d’internationalisation. D’emblée, le cas introductif, consacré au secteur du vin en Argentine, pose les grandes pistes de réflexion : les contours de l’espace de référence au sein duquel les acteurs se meuvent et ont à prendre des décisions qui combinent le géographique et le sectoriel; comment se déployer à l’international (collectivement ou non) ? Comment mesurer ou observer le comportement des autres acteurs du secteur ? Il en découle naturellement trois développements dans ce chapitre. Le premier développement est consacré à la portée de la distinction « global/local » dans la définition des activités. La question (ou plutôt la réponse à la question) est celle de la détermination du potentiel d’internationalisation de toute activité. La grille « global/local » présentée par l’auteur ainsi que le Repère 3.1. qui y sont consacrés le mettent bien en évidence. Au-delà de cette identification du potentiel d’internationalisation, le développement passe en revue les caractéristiques des activités à dominante globale, à dominante locale et le cas des industries mixtes. De nombreux exemples, appuyés sur une littérature reconnue en management international, émaillent cette section qui se termine par le positionnement consécutif des activités et des acteurs. Le deuxième développement est consacré à la dynamique internationale des secteurs : facteurs de mutation intra-sectoriel. Les mutations permanentes de l’environnement viennent compléter la réflexion sur le positionnement « global/local ». Ce sont ici les évolutions du commerce croisé intra-branche et intra-zone qui sont concernées. C’est l’occasion, entre autres, d’un retour intéressant sur les limites, mises en évidence au chapitre 1, des théories classiques de la spécialisation et d’intéressants moments sur les théories « éclectiques » (sur lesquelles il sera revenu au chapitre suivant). Bien évidemment, cette remise en cause de la spécialisation internationale ne se limite pas au constat théorique, mais s’appuie sur des exemples pratiques. Des enjeux qui sont évoqués dans le chapitre (et dans les chapitres précédents) découlent les leviers stratégiques mobilisables par les organisations, ce qui est l’objet du chapitre suivant.

Le chapitre 4 est le niveau microéconomique. C’est celui de la dynamique internationale des organisations et de ses déterminants. Pour mettre en évidence cette dynamique d’internationalisation des organisations, le cas introductif choisi est celui de l’entreprise chinoise Huawei qui montre bien les nouvelles dimensions de la dynamique d’internationalisation des organisations : fruit, dans ce cas, de la dynamique de croissance de son pays d’origine, de l’appui des parties prenantes, de l’explosion du secteur d’activité comme de sa très rapide diffusion géographique. Là encore, le chapitre va s’appuyer sur constat pour successivement aborder les logiques du développement international des organisations, les déterminants de ces dynamiques d’internationalisation et les leviers stratégiques utilisables. L’examen des logiques du développement international des organisations va permettre de faire le point sur les évolutions de la réflexion théorique face aux transformations de l’environnement international. Avec toujours la même démarche : une analyse serrée des évolutions théoriques, des questionnements proposés au lecteur et des exemples pratiques (l’exemple de la born global française Archos est particulièrement révélateur). Avec les développements consacrés aux déterminants internes et externes de la dynamique d’internationalisation des organisations, l’auteur envisage d’abord les incitations au développement des organisations (tant internes – recherche de ressources, recherche de débouchés, recherche d’efficacité, recherche d’actifs – qu’externes – effet de grand marché, opportunité des zones de proximité, effet de diffusion des IDE, appui de l’État –). Il envisage ensuite le processus de développement international des organisations. Les grandes questions sont ici revisitées : découpage en phases du développement international, développement concentrique, éclaté, accéléré. Le chapitre se termine sur une analyse des réponses internes de l’organisation aux mutations de l’environnement international. C’est l’identification des leviers sur lesquels il conviendra d’agir (levier d’amélioration de la rentabilité, levier d’adaptation et d’organisation des structures, levier d’innovation), autant que faire se peut et dans l’espace de référence que l’organisation concernée envisage.

L’audit d’internationalisation des organisations

Cette partie est le temps de la décision. L’auteur va ici rester fidèle à la démarche en entonnoir annoncée dès l’introduction, du niveau macroéconomique au niveau mesoéconomique et au niveau microéconomique[4]. Les quatre chapitres composant cette partie mobilisent les modèles, grilles développées dans la première partie en introduisant parallèlement des outils et concepts nouveaux. On passera de la structuration de la démarche d’audit d’internationalisation (chapitre 5) à l’analyse de l’activité dans l’espace de référence (chapitre 6), au diagnostic et formulation de la stratégie d’internationalisation (chapitre 7) et à la mise en oeuvre de la stratégie d’internationalisation (chapitre 8).

Le chapitre 5 a le triple objectif de présenter les étapes de la démarche d’audit d’internationalisation, de mettre en avant les caractéristiques clés de l’organisation à auditer afin de comprendre les spécificités de son « modèle d’affaire international » et d’identifier les problématiques internationales auxquelles elle se trouve confrontée. Un premier développement est consacré aux étapes de la démarche d’audit d’internationalisation. Il va s’agir pour l’organisation concernée de suivre un processus structuré que l’auteur détaille[5] et qui a pour objectif de recenser en permanence les différents éléments issus des transformations de l’environnement et de les intégrer dans le processus de décision stratégique. Tous les niveaux de l’organisation seront impactés. Il s’agira de réagir, d’anticiper pour s’adapter aux contraintes et tirer parti des opportunités qui ressortiront de l’analyse de ces éléments contextuels. Dans cette partie consacrée à la démarche d’audit d’internationalisation, l’auteur évoque successivement la succession des étapes de cet audit puis la constitution d’un système de veille ou d’intelligence économique. Le deuxième développement est consacré au passage du « modèle d’affaire international » aux problématiques d’internationalisation et à la détermination de l’espèce de référence. Cette analyse du « modèle d’affaire international » a pour but, en introduction à l’audit d’internationalisation, de mettre en avant les caractéristiques majeures de l’organisation, et ce dans une perspective dynamique. C’est ensuite que l’on pourra dégager sa logique d’internationalisation, tant passée que future ainsi que les problématiques qui l’affectent ou sont susceptibles de l’affecter. La démarche est déclinée en trois temps : les différentes dimensions du « modèle d’affaire international » : quatre dimensions sont concernées : économique, techniques, juridico-financières, sociales et sociétales; l’approche chronologique de l’internationalisation : il va s’agir de faire ressortir les principales étapes de la trajectoire de l’organisation; et la mise en évidence des problématiques prioritaires (ce sont celles auxquelles aura a répondre prioritairement) et l’espace de référence et/ou d’expansion à envisager (c’est l’espace dans lequel l’audit devra être mené afin de répondre aux problématiques dégagées).

Le chapitre 6 est consacré à l’analyse de l’activité dans l’espace de référence. L’objectif est de procéder à une analyse méthodique et dynamique de l’espace géo-sectoriel considéré. Seule cette démarche permettra à la fois d’évaluer le potentiel et les conditions de développement d’une entité et de la positionner par rapport à ses concurrents dans un cadre donné en lui permettant d’anticiper les évolutions, ce qui lui permettra de prendre les bonnes décisions stratégiques. C’est cette logique qui structure le chapitre. Elle débute par l’analyse des lignes de force dans l’espace géo-sectoriel considéré. Le but à ce niveau est d’évaluer le niveau d’homogénéité et d’attractivité du domaine étudié. Elle se poursuit par le positionnement concurrentiel. Elle se termine par le développement des voies d’évolutions stratégiques. L’auteur le précise, on est dans une analyse sectorielle ou concurrentielle assez classique en stratégie, mais, et c’est l’un des intérêts du chapitre, elle doit systématiquement prendre en compte la dimension internationale en fonction de l’approche retenue.

Le chapitre 7 aborde le diagnostic et la formulation de la stratégie d’internationalisation. Après la phase externe menée dans l’espace de référence, on passe de manière classique à une analyse interne (mais en ayant en tête les remarques qui terminent l’analyse du chapitre 6). Le cas introductif utilisé, Comin Asia, est particulièrement révélateur des questions abordées dans ce chapitre, mais au sens plus large dans la partie concernée. Le chapitre s’inscrit dans la logique des étapes de l’audit d’internationalisation. Avec une première étape consacrée au diagnostic international de l’organisation. Ici encore, l’utilisation de Comin Asia permet de souligner certaines particularités des économies à croissance rapide. La deuxième étape est consacrée à la formulation de la stratégie d’internationalisation à travers d’abord la mise en évidence des orientations majeures dans l’espace de référence et ensuite la formulation de la stratégie d’internationalisation dans l’espace de référence.

Le chapitre 8 qui termine l’ouvrage est consacré à la mise en oeuvre de la stratégie d’internationalisation. On est à l’issue d’un processus d’audit qui va aborder deux questions essentielles : celle de la dynamique des modes d’approche et l’évolution des schémas organisationnels et, l’intégration de la composante culturelle. Bien évidemment, ces deux questions principales sont sous-tendues par d’autres questions. Elles sont également conditionnées par un suivi et un contrôle permanent de la mise en oeuvre de la stratégie d’internationalisation. S’agissant de la dynamique des modes d’approche, la double question est celle de la finalisation des localisations cibles et celle du choix des modes d’entrée et de l’évolution des modes de présence. La deuxième question dans ce chapitre est celle de l’évolution des schémas organisationnels et l’intégration de la composante culturelle. Le cas introductif qui sert de fil rouge à ce chapitre est profondément marqué de cette composante culturelle. C’est là encore, selon la méthode de l’auteur un cheminement incessant entre situations concrètes, prescriptions et retours sur les grands travaux académiques.

Conclusion

Les lecteurs de cette note en sont maintenant convaincus. L’auteur de ces lignes a été extrêmement séduit par la lecture de l’ouvrage de Jean-Paul Lemaire. Tout auteur sait que dans la démarche intellectuelle de construction d’un ouvrage, puis dans sa réalisation, il y a deux contraintes souvent difficilement conciliables. Celle tout d’abord de faire le tour d’une question, d’un domaine, vaste, technique, et en l’occurrence totalement changeant, tellement mouvant, tellement turbulent. Celle ensuite de rendre l’ouvrage séduisant, accessible et lisible par tous. Jean-Paul Lemaire réussit avec brio à concilier ces deux contraintes. Par là même cette édition de « stratégie d’internationalisation » a vocation à un intéresser un très large public.

Parmi les nombreuses qualités de l’ouvrage, elles ont été soulignées, il y a cette poursuite permanente, à chaque chapitre, à chaque développement d’une logique intellectuelle annoncée dès le début de l’ouvrage. C’est certainement cette maturité de la réflexion qui conduit à son caractère pédagogique.