Résumés
Résumé
Comment la collaboration entre chercheurs et praticiens peut-elle contribuer à générer des connaissances mobilisées dans la production de nouvelles pratiques organisationnelles ? En nous appuyant sur le concept de Bâ, nous analysons un cas exemplaire de collaboration entre un chercheur et des praticiens de la fonction RH pour développer un management des talents spécifique aux opérateurs de production dans une entreprise industrielle du secteur automobile confrontée aux défis de l’Industrie 4.0. En distinguant un Bâ collaboratif spécifique, nous rendons compte de la réflexivité suscitée et des interactions de savoirs différenciés propices à la création de nouvelles connaissances et pratiques organisationnelles.
Mots-clés :
- collaboration chercheurs et praticiens,
- SECI,
- Bâ collaboratif,
- réflexivité,
- management des talents
Abstract
How can the collaboration between practitioners and academics contribute to generating knowledge used in the development of new organizational practices? Drawing on the concept of “Bâ,” we analyze an exemplary case of collaboration between a researcher and HR practitioners to develop a talent management strategy specific to production operators in an industrial automotive company facing the challenges of Industry 4.0. By distinguishing a specific collaborative “Ba,” we account for the reflexivity generated and the interactions of differentiated knowledge conducive to the creation of new organizational knowledge and practices.
Keywords:
- researcher-practitioner collaboration,
- SECI,
- collaborative Ba,
- reflexivity,
- talent management
Resumen
¿Cómo puede la colaboración entre investigadores y profesionales contribuir a generar conocimiento utilizado en el desarrollo de nuevas prácticas organizativas? Basándonos en el concepto de “Bâ”, analizamos un caso ejemplar de colaboración entre un investigador y profesionales de recursos humanos para desarrollar una estrategia de gestión del talento específica para operadores de producción en una empresa industrial del sector automovilístico que enfrenta los desafíos de la Industria 4.0. Al distinguir un “Ba” colaborativo específico, damos cuenta de la reflexividad generada y de las interacciones de conocimientos diferenciados que fomentan la creación de nuevos conocimientos y prácticas organizativas.
Palabras clave:
- colaboración entre investigadores y profesionales,
- SECI,
- Ba colaborativo,
- reflexividad,
- gestión del talento
Corps de l’article
Avec l’intensification des besoins d’innovation dans les organisations, générer des connaissances nouvelles et utiles constitue un enjeu fort des collaborations entre chercheurs et praticiens (Cunliffe & Scaratti, 2017; Majchrzak et al., 2012; Monks et al., 2016). La littérature abondante sur le sujet rapporte cependant les tensions et les paradoxes qui sous-tendent ces relations, freinant la création de connaissances organisationnelles (Bartunek, 2007; Bartunek & Rynes, 2014; Božič et al., 2022; Sharma & Bansal, 2020; Van de Ven & Johnson, 2006). L’objectif de cette recherche est d’explorer comment la collaboration en chercheurs et praticiens (C/P) peut contribuer à produire de nouvelles idées et à modifier des pratiques organisationnelles. Nous nous plaçons du point de vue de l’influence (Cunliffe & Scaratti, 2017) que peut avoir la collaboration C/P en termes de génération de significations et de connaissances nouvelles pour l’organisation via des interactions réflexives (Cunliffe, 2002). Pour cela, nous mobilisons le concept de Bâ, proposé par Nonaka et Konno (1998), qui figure un espace partagé, physique et/ou mental, d’interactions entre des individus favorisant la création de connaissances (Nonaka et al., 2000; Nonaka & Konno, 1998). Nous reprenons la distinction entre Bâ générique et Bâ spécifique (Creplet, 2000, p. 373) pour qualifier de Bâ collaboratif, cet espace spécifique de production de connaissances nouvelles sous l’effet des interactions de connaissances différenciées (Bâ des praticiens et Bâ des chercheurs). Dans cet article, nous analysons comment ce processus favorise, sous certaines conditions, le développement des connaissances utilisables dans le contexte des praticiens pour concevoir de nouvelles pratiques organisationnelles.
L’analyse s’appuie sur un cas exemplaire (David, 2003) dans lequel nous avons pu mettre en évidence un processus de création de connaissances et de pratiques organisationnelles, initié à partir de la collaboration entre un chercheur (auteur de la présente recherche) et des praticiens en responsabilité opérationnelle au sein de la fonction RH d’une organisation industrielle du secteur automobile. Les échanges débutent au moment où les défis de l’Industrie 4.0, cumulés aux évolutions réglementaires importantes dans le secteur automobile obligent les acteurs de la fonction RH de cette entreprise à s’intéresser aux compétences clés dans les métiers de production.
Les contributions de cette recherche portent d’abord sur la poursuite des développements conceptuels du Bâ réalisés en contexte occidental pour le management (Lièvre et al., 2017), avec une application aux enjeux de la collaboration C/P en termes de création de connaissances et de pratiques organisationnelles innovantes. Ensuite, nous montrons l’intérêt du concept de réflexivité pour éclairer les micro-fondations (Felin et al., 2012; Foss et al., 2010) du processus de création de connaissances au sein d’un Bâ collaboratif spécifique avec des formes de collaboration C/P qui transcendent les clivages habituels à l’égard du savoir (Aram & Salipante, 2003; Majchrzak et al., 2012). Enfin, nous contribuons sur le plan méthodologique au développement d’une grille d’analyse permettant de distinguer différents Bâ pour étudier un cas empirique de collaboration C/P.
Le cas de collaboration C/P étudié se différencie des démarches intervenantes qui explicitent et formalisent d’emblée la participation de chercheurs et de praticiens dans un projet commun, avec une méthodologie de recherche précisée (e.g. recherche-action, recherche ingénierique, recherche-intervention…). Il est néanmoins caractérisé par une intention commune d’échanger des connaissances sur un sujet commun, le talent des opérateurs de production, selon un principe d’ajustements mutuels, en fonction des opportunités de rencontre et/ou des besoins exprimés.
La revue de littérature revient dans une première partie sur les difficultés et les tensions que cristallise la collaboration entre chercheurs et praticiens. Dans la seconde partie, nous présentons les perspectives ouvertes par une approche dialogique engageant la réflexion et la réflexivité dans la collaboration C/P, en l’associant à la perspective interactionniste de la création de connaissances. Nous expliquons dans la partie méthodologique le contexte empirique étudié et la méthode utilisée pour notre projet de recherche. Nous présentons ensuite les résultats de nos analyses que nous discuterons. Enfin, nous précisons en conclusion les limites de cette recherche et identifions des pistes de recherche.
Revue de la littérature
Enjeux et tensions dans la collaboration C/P : un regard à renouveler ?
Les praticiens et les chercheurs partagent depuis longtemps un intérêt commun pour la création de connaissances en management (Cunliffe & Scaratti, 2017; Romme et al., 2015; Sharma et al., 2022), soulignant la complémentarité entre les différents types de connaissances (Amin & Cohendet, 2004; Bartunek, 2007; Ingham, 2015). La création de nouvelles connaissances bute toutefois sur un écart entre la recherche et la pratique que les démarches collaboratives fondées sur le rapprochement entre chercheurs et praticiens peinent à réduire (Bartunek, 2007; MacIntosh et al., 2017; Sharma & Bansal, 2020; Van de Ven & Johnson, 2006).
Les chercheurs et les praticiens appartiennent à des communautés établies et structurées (Bartunek & Rynes, 2014), avec d’abord des temporalités différentes dans le rapport au savoir et à l’action. Les chercheurs produisent parfois des connaissances bien après les pratiques organisationnelles (MacIntosh et al., 2017). Ensuite, les chercheurs et les praticiens évoluent dans des systèmes de connaissances (Sharma et al., 2022) différenciés, qu’ils maitrisent et font d’eux des acteurs compétents dans leurs mondes professionnels respectifs. Face à la nouveauté et/ou la complexité d’un problème organisationnel, certaines routines peuvent conduire à la reproduction de connaissances préexistantes ce qui limite la capacité à aborder autrement les problématiques présentes et générer de nouvelles connaissances (Van de Ven & Johnson, 2006). Enfin, chaque participant dans la collaboration C/P cherche souvent à privilégier ce qui aura de la valeur dans sa communauté, avec des critères et un système d’incitations lié à des indicateurs spécifiques (Fochler & Rijcke, 2017). Même si certains éditoriaux dans des revues éminentes appellent à des recherches avec plus d’impact au regard des problématiques sociétales actuelles (e.g. Wickert et al., 2021), le monde académique a, traditionnellement tendance à valoriser les projets d’emblée construits à partir du « gap » théorique (Alvesson & Sandberg, 2013; Sharma & Bansal, 2020). Les chercheurs comme les praticiens peuvent ainsi ressentir une tension et une menace identitaires lorsque les connaissances produites ne sont pas valorisées (e.g. par des publications dans des revues « bien » classées) ou considérées comme non transférables voire non appropriées (e.g. du fait de la spécificité de chaque milieu professionnel) dans leurs contextes organisationnels respectifs (Lam, 2018).Les ambitions portées par la collaboration C/P semblent ainsi érodées par le schéma de la hiérarchie et de la division du travail dans le domaine du savoir, où le chercheur serait l’expert (Zundel & Kokkalis, 2010) et le praticien celui qui agit, maintenant une situation d’asymétrie fondamentale limitant la création de connaissances.
Or, les enjeux actuels portés par l’intensification des besoins d’innovation et de création de nouvelles connaissances dans les organisations (Božič et al., 2022) invitent à renouveler le regard porté sur la collaboration entre les chercheurs et les praticiens. La production de connaissances en « mode 2 » (Gibbons et al., 1994; Nowotny et al., 2001) a dans ce sens constitué un tournant dans la représentation des contributions réciproques des chercheurs et des praticiens à la recherche en management. Ce terme s’oppose au « mode 1 » où cette production de connaissances relève exclusivement de l’agenda du chercheur et s’adresse principalement à la communauté académique (Bartunek, 2011). Le mode 2 se réfère en effet, à des modalités de collaborations C/P au sein desquelles les apports réciproques des chercheurs et des praticiens sont reconnus.
Plusieurs chercheurs se sont engagés dans cette voie pour réconcilier chercheurs et praticiens autour d’un objectif commun de production de connaissances organisationnelles et d’action (Bartunek, 2007; Cunliffe & Scaratti, 2017; MacIntosh et al., 2017; Schön, 1983). Les travaux inscrits dans cette perspective soutiennent l’idée que les membres de ces communautés détiennent des savoirs qui leur sont singuliers et qui ne se réduisent pas à une distinction entre savoirs pratiques et savoirs conceptuels. L’enjeu porte désormais sur le partage et l’intégration des connaissances par un dialogue réflexif (Cunliffe, 2002; Cunliffe & Scaratti, 2017) entre des membres appartenant à des communautés différentes de savoirs (Zuzul, 2019) et une capacité à transcender les frontières (Aram & Salipante, 2003; Majchrzak et al., 2012). Dans la prochaine section, nous abordons les travaux académiques qui placent le dialogue réflexif au coeur des démarches collaboratives C/P.
Dynamiques de réflexion et réflexivité : l’apport du Bâ
Dans son célèbre ouvrage intitulé « The reflective practitioner », Schön discute d’une collaboration qui aide le praticien à réfléchir et à donner du sens « aux choses » qui l’entourent (1983, p. 40). La capacité des praticiens à remettre en question leurs schémas de raisonnement habituel (Antonacopoulou & Tsoukas, 2002; Cunliffe, 2016) et leurs pratiques peut être favorisée dans un cadre de réflexion qui ne les enjoint pas immédiatement à la résolution d’un problème mais mobilise leur réflexion (Cunliffe, 2002; Schön, 1983). Cunliffe (2002) distingue les conversations engageant la réflexion (« reflective conversations ») au cours desquelles les participants mobilisent et partagent avec d’autres un savoir essentiellement explicite, des conversations « réflexives » (« reflexive dialogue ») qui conduisent à la mise en cause des certitudes, des manières de comprendre et d’agir dans le monde. La réflexivité émane d’un processus dynamique au cours duquel les acteurs organisationnels, aux niveaux individuel, interindividuel et collectif, donnent du sens aux situations qu’ils rencontrent et apprennent (Cunliffe, 2002). La contribution de la collaboration C/P à la génération des connaissances nouvelles pour les organisations réside ainsi potentiellement dans cette capacité à développer des interactions réflexives, sources d’idées nouvelles.
Les interactions sont au coeur de la théorie de la création de connaissances développée par Nonaka (1994). Suivant un processus de conversion des connaissances, la création de connaissances émerge d’une spirale d’interactions humaines de connaissances explicites et tacites, engageant « le corps et l’esprit » (Nonaka et al., 2000, p. 7; Nonaka & Konno, 1998). Ainsi, dans la perspective interactionniste développée par Nonaka et ses collègues, l’organisation crée intentionnellement et continuellement de la connaissance sous l’effet dynamique des interactions de ses membres (Nonaka et al., 2000, p. 6), suivant un cycle de conversion en quatre étapes – Socialisation, Externalisation, Combinaison, Internationalisation – (Nonaka & Takeuchi, 1995) repris avec le sigle SECI dans la suite du texte. Le terme de conversion des connaissances se réfère à l’interaction entre connaissances explicites et tacites de laquelle émergent des connaissances nouvelles qui se complexifient au fur et à mesure du processus et des interactions. Ainsi la socialisation correspond à la conversion de connaissances tacites en nouvelles connaissances tacites, l’externalisation, du tacite à l’explicite; la combinaison, de l’explicite à l’explicite; et l’internalisation, de l’explicite au tacite. Les interactions permettent ainsi de transcender les frontières qui peuvent exister entre les individus et favoriser leur engagement dans des spirales de création de connaissances organisationnelles (Lièvre et al., 2017). Nonaka et ses collègues soulignent toutefois l’importance d’un « lieu d’accueil » pour ces interactions. C’est dans ce lieu, physique (par exemple lieu de travail), et/ou mental (expériences, idées, subjectivités), que s’effectue le partage des connaissances individuelles, explicites et tacites, créant ainsi un contexte partagé pour les participants. Pour qualifier cet endroit, ils mobilisent le concept de Bâ (Nonaka et al., 2000; Nonaka & Konno, 1998) pour évoquer cet espace, d’où s’initient les spirales de création des connaissances. Si le modèle de Nonaka est proche de la tradition philosophique japonaise (pragmatisme, recherche de consensus, redondance, respect des hiérarchies…), il a une ambition explicative globale en prenant en compte comment le contexte social (e.g. culture organisationnelle, leadership, structure organisationnelle, systèmes d’incitations…) structure le processus de création de connaissances (Nonaka & von Krogh, 2009).
Nous mobilisons le cadre théorique du SECI et le concept de Bâ pour étudier un cas de collaboration C/P dont l’objectif est le partage des connaissances spécifiques pour initier un cycle de création de connaissances utilisées dans le contexte des pratiques organisationnelles. Ces connaissances peuvent être scientifiques et/ou expérientielles (Amin & Cohendet, 2004) avec des distinctions entre les savoirs scientifiques, savoir-faire techniques et managériaux, et les savoir-être (Ingham, 2015, p. 58). Nous distinguons deux Bâ aux objectifs spécifiques (Creplet, 2000, p. 373), celui du Bâ collaboratif dédié aux interactions des connaissances entre chercheurs et praticiens C/P et celui du Bâ des praticiens relevant des interactions entre praticiens dans le contexte de l’entreprise. Dans la section suivante, nous expliquons la méthodologie développée pour explorer de manière empirique, comment la collaboration C/P peut, via des interactions réflexives, contribuer à produire de nouvelles idées et pratiques organisationnelles.
Méthodologie
Le cas exploré dans cet article est exemplaire (David, 2003) car il montre comment la collaboration C/P a permis de soutenir, dans la durée, l’évolution de pratiques organisationnelles fondée sur l’interaction de connaissances spécifiques échangées entre un chercheur et des praticiens en responsabilité opérationnelle dans un contexte organisationnel précis. Alors que les recherches menées sur les collaborations C/P montrent leur faible appropriation par les décideurs organisationnels, le cas de collaboration C/P présenté dans cet article montre, à partir d’un problème original (i.e. l’application d’une pratique de « Global Talent Management » à une population d’opérateurs de production), en quoi la collaboration C/P menée sur deux années consécutives, a permis de développer de nouvelles pratiques RH dans l’entreprise, pour accompagner le changement organisationnel. Ce processus a notamment conduit à concevoir un système de management des talents spécifique pour les opérateurs de production, et plus largement de l’inclure dans le système global de management des talents de cette organisation. Nous présentons le contexte organisationnel d’analyse de la relation de collaboration C/P.
Contexte organisationnel de la relation de collaboration C/P
L’entreprise étudiée est le site de production français d’une entreprise industrielle internationale spécialisée dans la fabrication de composants pour les marchés automobile et industriel. L’organisation « Groupe » est structurée en zones géographiques (Europe de l’Est, Asie, Europe de l’Ouest et du Sud…) avec des écosystèmes d’affaires différenciés. L’entreprise doit faire face à des changements rapides et importants dans son environnement liés notamment à la transformation numérique. Ces évolutions se traduisent par des défis importants pour sa stratégie RH en termes de développement de ses compétences internes. Dans cette entreprise industrielle, la numérisation revêt une importance centrale pour ses processus de production et les capacités de sa main-d’oeuvre notamment dans les zones d’Europe de l’Ouest et du Sud qui développent des activités à forte valeur ajoutée (Yalenios & d’Armagnac, 2023). Sur le site de production français, 50 % de la main-d’oeuvre de l’entreprise (1100 employés) sont des opérateurs de production. La plupart ont un niveau d’éducation inférieur au baccalauréat. Au sein de la fonction RH de l’entreprise, ce constat interroge la capacité d’apprendre et d’acquérir les nouvelles compétences requises par la numérisation des systèmes de production. C’est dans ce contexte que la direction et les managers RH du site de production français décident de concevoir un système de management des talents pour les opérateurs de production, avec une mise en oeuvre assurée par les managers de proximité (« team-leaders »). Il existe déjà un système de management des talents formalisé au niveau « Groupe » de l’entreprise. C’est au début des années 2000, à la suite de rachats successifs de l’entreprise qu’une stratégie de processus RH globaux a été élaborée. Pour la mener, dans les années 2010, des centres de compétences (« Competence Centers ») ont été constitués avec pour mission, la définition et le déploiement des processus RH sur l’ensemble des sites. Un processus de « Global Talent Management » est donc utilisé pour la gestion des talents depuis plusieurs années. Ce processus concerne l’ensemble des managers et les experts techniques et administratifs (i.e. les cols blancs, ci-après dénommés WC). Il est déployé sur chacun des sites de l’entreprise dans le monde et est mis en oeuvre une fois par an.
C’est dans ce contexte spécifique que nous mobilisons le concept de Bâ pour analyser la collaboration C/P en termes de génération de significations et de connaissances nouvelles pour l’organisation. Le projet de développer le management des talents pour les opérateurs de production a été confié durant deux années consécutives à deux membres de l’équipe RH suivant en parallèle une formation universitaire de niveau master. Dans les deux cas, le chercheur assurait un rôle de supervision de leur mémoire de master en lien avec cette mission. Le projet a évolué avec une collecte des données qui a débuté au moment du lancement de la démarche de management des talents pour les opérateurs de production sur le site français uniquement, jusqu’à son déploiement à l’échelle européenne.
Collecte et analyse des données
Le recueil des données a été possible dès le début de la relation de collaboration entre le chercheur et des représentants de l’entreprise. La méthode privilégiée a été celle de l’observation et de la participation au processus de collaboration. L’observation portait sur le déroulement du projet rapporté lors des différents échanges avec deux des professionnels RH en cours de formation en qualité de référent académique pour leurs mémoires individuels. La participation a consisté à dialoguer avec l’ensemble des professionnels (dont les professionnels RH en formation) de manière libre, soit en lien avec les attendus formels durant les suivis (suivis de mémoire en lien avec l’avancement du projet et les missions dans l’entreprise); soit en réagissant spontanément aux propos tenus dans un cadre conversationnel (entretiens sur site et/ou par téléphone, échanges par écrit via messagerie électronique…). Ces interactions se sont déroulées soit dans les locaux universitaires (par exemple lors de la soutenance ou pour le suivi de l’avancement du mémoire) soit dans les locaux de l’entreprise ou bien encore par téléphone. L’avancée du projet organisationnel a en grand partie structuré la relation de collaboration C/P avec des échanges réguliers. Les professionnels RH en cours de formation, étaient sous la double supervision du chercheur et du RRH.
Les données analysées (Tableau 1) dans cet article sont constituées de données primaires et secondaires. Les premières ont été directement collectées par le chercheur lors de visites sur site et hors site dans le cadre d’entretiens individuels et lors de réunions portant sur l’avancement du projet. Les réunions ont fait l’objet d’une prise de notes de notre part (e.g. notes des entretiens de suivi du mémoire, notes [notes prises en réunion et/ou lors d’échanges oraux sur la stratégie RH déployée]). Ainsi, nous avons complété le recueil de données avec des entretiens avec des responsables de différents secteurs de production, des managers de proximité (« Team-Leader ») et le directeur ressources humaines de la zone Europe du Sud (DRH Europe du Sud). Ces entretiens ont permis d’obtenir des informations sur la conduite opérationnelle du projet RH auprès des managers opérationnels du site français et au sein de la fonction RH à l’échelle européenne. Les secondes sont constituées de documents internes à l’entreprise ou bien des entretiens et/ou des investigations menés par les professionnels RH en formation rapportés lors de nos rencontres ou bien encore des notes d’avancement du projet management des talents fournies par les professionnels RH en formation (Junior RH 1 et Junior RH 2).
Pour l’analyse des données, nous avons adopté un raisonnement abductif (Dumez, 2013) inscrit dans une approche de la théorie enracinée au sens de Strauss et Corbin (1990). Les différents matériaux collectés ont fait l’objet d’une première lecture rapide et globale visant à se former une première impression. Nous avons ensuite commencé à décrire de manière factuelle le cas en procédant à un codage thématique qui nous a amené à identifier des thèmes principaux relatifs à la nature de la collaboration C/P, le contenu des échanges et leurs effets sur les actions concrètes menées dans l’organisation. Nous avons ensuite relu l’ensemble, en repérant à l’aide de micro-analyses (Strauss & Corbin, 1990), ce qui nous semblait relever de catégories d’interactions différenciées (notamment réflexion et réflexivité) en lien avec les décisions prises par les participants praticiens à la collaboration, ayant des conséquences dans la conduite du projet RH. Nous avons ensuite cherché les corpus théoriques qui pouvaient faire écho à la dynamique des interactions entre les différents participants à la collaboration en lien avec la production d’idées nouvelles et des changements dans les orientations initiales du projet RH observé. Le concept de Bâ développé au sein de la perspective interactionniste de création des connaissances nous est alors apparu particulièrement éclairant pour appréhender la dynamique de cette collaboration C/P que nous présentons dans la partie suivante.
Résultats
Le cas rend compte de l’évolution de la collaboration C/P en mettant en évidence la nature des connaissances échangées lors des interactions, leurs incidences en termes de réflexion et de réflexivité, enfin les connaissances développées dans le contexte de l’organisation. Les matériaux mentionnés à l’appui de l’analyse sont insérés dans le texte en italique. Le modèle SECI structure la présentation des résultats en quatre étapes qui permettent de repérer le processus de conversion des connaissances, alimenté par l’évolution du processus d’élaboration réflexive des connaissances échangées. L’ensemble soutient une nouvelle manière de travailler au sein de la fonction RH et conduit à la mise en oeuvre d’une nouvelle pratique de management des talents pour les opérateurs de production.
Socialisation. L’initiation d’une collaboration C/P autour d’un objet problématique commun
Lors de cette étape, la collaboration C/P n’est reconnue explicitement par aucun des participants. Les interactions débutent dans les locaux universitaires lors de la soutenance de son mémoire de master universitaire, d’un des membres de l’équipe RH (Junior RH 1). La soutenance permet la rencontre entre le responsable RH de l’entreprise et le chercheur sollicité pour la direction de ce mémoire. La réflexion débute sur le constat d’un processus de gestion des compétences inopérant sur le site de production : « Au niveau RH, l’entretien professionnel [l’EP] dans sa forme actuelle n’a pas atteint son objectif; il n’a pas permis de constituer le vivier de talents attendu; on réfléchit à orienter notre outil vers quelque chose de plus détaillé qui met l’accent sur la détection des potentiels. » (DRH France, propos rapportés, Junior RH 1). La conversation achoppe très rapidement sur la notion de talent alors utilisée pour qualifier les enjeux stratégiques RH, à savoir développer un vivier de talents à partir de la population interne des opérateurs de production. Or dans la littérature académique comme professionnelle et malgré son potentiel d’inclusion (Swailes et al., 2014), le concept de « talent » s’applique généralement à des experts, des dirigeants, voire à des managers intermédiaires mais pas à des personnels d’exécution.
Le silence dans les revues académiques à ce sujet comme dans la littérature organisationnelle a suscité des interrogations sur la pertinence du projet : « Est-ce que l’idée d’élargir le périmètre du Global Talent Review aux agents de production vous semble réaliste et réalisable ? » (Notes - Soutenance RH 1). Le constat partagé entre chercheur et praticiens d’une absence de définition appropriée aux opérateurs de production a permis d’identifier un gap académique et pratique à l’égard d’un enjeu important pour la fonction RH de l’entreprise. La rencontre entre le responsable RH et le chercheur lors de la soutenance du mémoire du professionnel RH en formation dans les locaux universitaires se conclut par l’intention de s’appuyer sur une collaboration C/P plus explicite visant au développement de connaissances sur un sujet commun : le talent des opérateurs de production.
Externalisation. Une nouvelle manière de travailler avec le management opérationnel
Lors de ces interactions, les discussions portent sur des dimensions méthodologiques avec la proposition de déploiement d’une approche qualitative en insistant sur l’importance de réfléchir à la définition du talent [le « quoi »], avec ceux qui mobilisent ce concept, sans le nommer ainsi et de manière informelle sur le terrain (avec qui fait quoi), c’est-à-dire le management opérationnel. Un protocole d’investigation est élaboré précisant un échantillon suffisamment représentatif (par exemple des secteurs de production) et prévoyant une grille d’entretien structurée par la littérature et les questions qui se posaient dans l’organisation. Au total, 18 entretiens ont été menés en interne pour questionner, non seulement la ligne hiérarchique, mais également les opérateurs de production. Ils ont servi à la réflexion interne sur le projet. Cette première phase de la collaboration C/P introduit de la réflexion manifeste dans le questionnement et le doute concernant la conduite de la démarche. La réflexivité se traduit par la mise en question des pratiques usuelles du professionnel RH à titre individuel mais également dans la manière d’occuper son rôle avec des implications pour l’équipe sur le site français. Il évoque notamment les débats autour des concepts de talent, de compétences et de leur application aux opérateurs de production comme en témoigne le propos suivant : « Je me souviens qu’on avait de gros débats sur la notion de talents. A qui ça s’applique… ? (…) C’est l’ensemble de la démarche qu’il fallait co-construire. Que faut-il déployer au niveau RH pour accompagner le changement ? C’est ce qui a offert un champ aux [professionnels juniors RH]. Personne n’avait d’expérience et il y a eu une co-construction, il fallait se poser des questions, c’est quoi des compétences, pourquoi un enjeu spécifique [pour les opérateurs de production] ? Quelles sont les cibles ? » (RRH France). Les échanges au sein de la fonction RH ont conduit à reprendre l’ensemble de la démarche en associant les managers de proximité. La réflexion suscitée par le questionnement a permis d’élaborer une définition spécifique du talent attendu chez les opérateurs de production dans cette organisation.
Combinaison. L’intégration du savoir managérial dans l’instrumentation RH
L’explicitation de savoirs managériaux tacites à propos des opérateurs de production, suscitée par le questionnement lors de la phase précédente, a permis d’élaborer une définition spécifique du talent attendu chez les opérateurs de production dans cette entreprise : « Le talent chez le personnel de production se définit comme la somme d’une maîtrise de poste au-delà des attendus (une performance élevée) et d’un potentiel à évoluer. La volonté de progresser, la polyvalence et la capacité de résolution de problèmes techniques font partie des critères de talent. » (Rapport de synthèse - Compétences à long terme). La prise de conscience du problème que poserait une transposition mécanique d’un modèle de management des talents, formaté a priori de manière élitiste (modèle existant pour la population WC), a conduit le responsable RH France à promouvoir une démarche de « sur mesure » pour concevoir le système de management des talents pour les opérateurs de production et opérationnaliser des pratiques.
Sur la base d’une définition ad hoc du talent des opérateurs de production (résultat de la phase précédente), l’objectif est de développer des outils qui permettent aux managers de proximité (team-leaders) d’évaluer le talent des opérateurs de production en se fondant sur des critères explicités (indicateurs). Les échanges C/P soulignent de nouveau l’importance d’associer les managers qui sont les principaux acteurs de la mise en oeuvre en proposant des restitutions ainsi que des tests. La citation suivante illustre l’effet des interactions C/P dans sa traduction opérationnelle : « On a fait d’ailleurs justement des tests, on a rempli je me souviens une dizaine ou une quinzaine de questionnaires qu’on a remplis par rapport justement à nos équipes. Pour voir concrètement comment on pouvait le remplir. C’était un test grandeur nature. » (Manager de proximité – R). Lors de cette phase, les échanges C/P portent également sur la dimension culturelle à prendre en compte en se fondant sur les recherches existantes (e.g. d’Armagnac et al., 2016; Guerci et Solari, 2011). Le site de production italien a servi de pilote au déploiement européen de la démarche de management des talents pour les opérateurs de production. La recherche dans la littérature permet d’éclairer des aspects relevant de la culture italienne qui explique les « résistances » à la solution française perçues comme élitiste en référence à la perspective exclusive du management des talents.
Internalisation. Le développement d’une solution RH intégrée de management des talents
Cette vision a été partagée par le DRH Europe du Sud : « L’adaptation de la démarche “talents” aux opérateurs de production était nécessaire; Dans la GTR, il y a des compétences et des comportements d’organisation que le management doit mettre en place. On n’avait pas besoin par exemple d’avoir la vision stratégique déclinée pour les agents sur les machines de production. Mais on avait besoin de compléter sur des éléments spécifiques en gardant la même finalité, le même esprit que la démarche globale » (DRH Europe du Sud). La collaboration C/P a eu une incidence sur l’orientation donnée au projet de management des talents pour les opérateurs de production. La démarche initiale consistant à appliquer un modèle existant pour les WC à la population des opérateurs de production répondait en effet à une préoccupation réglementaire locale et à court terme du site français. Elle a progressivement pris une ampleur plus stratégique pour soutenir une évolution des pratiques de management des talents au niveau du Groupe. Le RRH du site français a changé sa manière de considérer le projet. Il a adopté un comportement très volontariste pour soutenir sa vision et convaincre les responsables RH au niveau du Groupe de la pertinence d’investir dans une solution de digitalisation interne permettant d’étendre la démarche élaborée pour les opérateurs de production sur le site français à l’ensemble de la région Europe.
La réflexivité se traduit par une compréhension nouvelle de la situation de l’organisation en matière de gestion des compétences de ces opérateurs de production et la prise de conscience de l’enjeu stratégique de mettre en place une gestion des talents des opérateurs de production reconnue comme une pratique RH stratégique pour l’ensemble des sites européens. Cette évolution est manifeste dans les deux extraits suivants : « J’ai également compris que la situation de la France était partagée par les autres pays de sa sous-région. Chaque pays était en train de construire ses formulaires papier pour pallier au manque d’outil groupe, avec un retard de 3 ans sur la France dans le niveau d’avancement des réflexions, donc que la problématique que nous avions décidé de traiter pouvait potentiellement être déployée au-delà de la France ». (RRH France); « J’ai pris la décision de ne plus attendre, et de développer quelque chose avec notre nouvelle ressource, notre développeur. (…) Nous avons donc défini une charte projet, préparé un cahier des charges, des présentations pour expliquer ce que nous comptions faire, et comment nous comptions le faire, et avons profité de la visite de la DRH Monde, pour présenter notre initiative. Je savais, pour avoir déjà eu un échange avec elle, qu’elle était très portée sur la digitalisation des processus. » (Notes stratégie RH); « Nous avions la possibilité d’implémenter sans coût grâce aux compétences informatiques du développeur recruté en interne et j’ai eu le soutien de l’administrateur délégué sub-région » (DRH Europe du Sud – R). Cette évolution a eu des incidences pour la fonction RH du Groupe dans son ensemble avec le déploiement de la solution digitalisée en Europe.
Le tableau 2 reprend l’évolution du projet suivant le cycle de conversion des connaissances en précisant les connaissances qui circulent, d’une part, dans le Bâ collaboratif avec les interactions C/P; d’autre part dans le Bâ des praticiens, avec des interactions fonctionnelles et managériales dans le contexte organisationnel. En nous fondant sur les distinctions entre les connaissances scientifiques et/ou expérientielles, les savoirs scientifiques, les savoir-faire techniques et managériaux ou bien encore des savoir-être (Amin & Cohendet, 2004; Ingham, 2015), l’analyse du cas permet de distinguer les savoirs académiques, des savoirs fonctionnels relevant des professionnels de la fonction RH et des savoirs managériaux manifestes chez les managers opérationnels.
Nonaka et ses collègues énoncent cinq conditions nécessaires pour que le partage du Bâ conduise à la création de connaissances. Premièrement, le Bâ doit être auto-organisé et porteur d’une intention; deuxièmement, les participants au Bâ ont un but commun; troisièmement, le Bâ suppose un partage de connaissances hétérogènes; quatrièmement, les frontières du Bâ restent ouvertes, cinquièmement, la création de connaissances s’appuie sur l’engagement des participants dans le Bâ (2008, p. 38-39). Ces conditions ont contribué positivement à la création de connaissances et à l’appropriation du dispositif de management des talents dans de nouvelles pratiques organisationnelles. En effet, dans le cas étudié, l’engagement des participants a été continu durant les deux années de déroulement du projet selon un principe d’ajustements mutuels, en fonction des opportunités de rencontres et/ou des besoins exprimés. Les premiers échanges dans le cadre du suivi du mémoire ont permis d’expliciter une intention du chercheur et du responsable RH de s’appuyer sur leur collaboration pour développer des connaissances à partir d’un sujet d’intérêt commun, le talent des opérateurs de production. La collaboration a pris forme avec des échanges dès le lancement de la démarche d’abord sur le site français jusqu’à l’intégration du modèle de management des talents pour les opérateurs de production conçu sur le site français, à l’ensemble du système RH « Groupe » avec un déploiement à l’échelle européenne.
Discussion
La collaboration C/P comme un Bâ spécifique propice à la réflexion et la réflexivité
Nos résultats permettent de considérer la collaboration C/P étudiée comme un Bâ spécifique. Il est en effet auto-organisé à partir d’une prise de conscience commune d’un manque de connaissances appropriées sur les plans pratique et théorique, avec l’intention de bénéficier des connaissances et des réflexions de chacun pour produire de nouvelles connaissances et pratiques. Nos résultats vont dans le sens des recherches antérieures qui ont reconnu l’intérêt de la collaboration C/P pour développer la réflexivité et contribuer à la création de nouvelles connaissances en management (Božič et al., 2022; Cunliffe & Scaratti, 2017; Monks et al., 2016; Sharma & Bansal, 2020; Van de Ven & Johnson, 2006). Le concept de Bâ apparaît comme une manière pertinente de rendre compte de ce processus. Dans le Bâ interagissent des savoirs différenciés. L’analyse des résultats permet de distinguer des savoirs académiques, des savoirs fonctionnels relevant des professionnels de la fonction RH et des savoirs managériaux manifestes chez les managers opérationnels. Ces savoirs peuvent être théoriques ou expérientiels; ils recouvrent également des savoir-faire par exemple méthodologiques ainsi que des savoir-être comme l’ouverture à la collaboration. Reprenant la figure du territoire partagé de la connaissance dans lequel chaque acteur (chercheurs et praticiens) a sa part propre (Cunliffe & Scaratti, 2017), la collaboration propose un espace où coexistent et interagissent des connaissances différentes. La collaboration soutient alors un processus d’apprentissages associés à l’évolution du projet suggérant une spirale dynamique d’apprentissages aux niveaux individuel, fonctionnel et organisationnel. La réflexivité témoigne de ces interactions entre connaissances explicites et tacites. Nonaka et Konno évoquent le terme « d’expérience pure » ou de « synthèse magique » (« magic synthesis ») pour évoquer le partage de connaissances avec des dimensions rationnelles et intuitives (1998, p. 42). La collaboration C/P requiert un engagement important des participants fondé sur la croyance partagée qu’elle va faciliter l’appréhension d’un problème qui les rassemble avec toutefois des enjeux différenciés. Ce sont ces connaissances et ces pratiques propres à leurs Bâ respectifs, que les participants C/P s’engagent à partager (par exemple en prenant le temps de se rencontrer pour dialoguer, de transmettre des informations, des écrits…) et à confronter. Cette confrontation participe au processus de remise en question des modèles mentaux, les faisant ainsi évoluer dans le Bâ spécifique de la collaboration C/P que nous qualifions de Bâ collaboratif.
Le Bâ collaboratif, un espace tiers favorisant la réflexivité
Le Bâ collaboratif est davantage caractérisé par un besoin commun de développer une compréhension nouvelle, qu’un but commun qui supposerait le partage d’un même contexte d’action dans un Bâ générique. Le Bâ collaboratif – se réfère ainsi à l’espace expérimenté par chacun des participants à la collaboration, au sein duquel des savoirs d’origine variée (dans le cas, territoires des savoirs des chercheurs et ceux des savoirs des praticiens) entrent en interactions pour produire des savoirs opérationnalisés dans le Bâ des praticiens. Il s’agit d’un espace « tiers » par rapport au Bâ des praticiens et à celui des chercheurs. Les frontières traditionnelles délimitant les champs d’expertise des chercheurs et des praticiens ne constituent pas un obstacle à la discussion. Dans le Bâ collaboratif, le partage de connaissances hétérogènes apparait en effet comme une des conditions de la réflexivité en confrontant à ce qui peut être considéré comme des évidences (par exemple, définition du talent). Cette notion de tiers a déjà été utilisée dans d’autres études, pour qualifier la collaboration C/P de tiers lieu (notamment Veles & Carter, 2016). Veles & Carter (2016) définissent le tiers lieu comme un espace notionnel, permettant aux chercheurs comme aux praticiens, dotés de compétences diverses et utiles, de travailler ensemble, à pied d’égalité sur des projets complexes. Nous préférons le terme d’espace tiers dans la continuité originelle du concept spatial de Bâ. Le Bâ collaboratif fait référence aux interactions réflexives et subjectives en lien avec l’expérience physique (e.g. rencontres en présence soit dans l’entreprise soit à l’université) et mentale (e.g. réflexions sur le management des talents) de la collaboration C/P. Le Bâ collaboratif est spécifique car il accueille la réflexivité comme un phénomène émergent à l’issue d’un processus au cours duquel les individus acceptent de mettre en question leurs idées, leurs croyances, leurs savoirs (Cunliffe, 2002).
Le Bâ collaboratif figure alors une extension au Bâ des praticiens (comme à celui des chercheurs d’ailleurs). Son caractère « tiers » favorise l’intégration et l’élaboration de nouveaux savoirs qui n’entrent pas en « concurrence » avec des savoirs existants, qui peuvent être restés pertinents dans le Bâ des praticiens. Alors que les recherches menées sur les collaborations C/P montrent leur faible appropriation par les décideurs organisationnels, nos analyses mettent en évidence la capacité des praticiens à mettre en question leurs pratiques usuelles.
Un Bâ collaboratif favorisant des interactions de savoirs différenciés
Nous avons suggéré l’existence d’un espace collaboratif « tiers » favorable à des interactions réflexives. Cette proposition se fonde sur l’observation d’une différenciation en même temps qu’une reconnaissance des savoirs de chacun des participants à la collaboration. Contrairement à certaines résistances identitaires relevées dans la littérature, la présence de plusieurs Bâ permet de reconnaître des espaces différenciés de connaissances spécifiques. Leurs interactions dans un espace tiers qui garde des « frontières ouvertes » avec les Bâ des chercheurs et des praticiens, suggèrent ainsi une issue à la menace identitaire que peut provoquer la collaboration C/P (Alvesson & Sandberg, 2013; Lam, 2018). Il permet de sortir de la tension, voire dépasser les « doubles obstacles » (Bartunek, 2011, p. 556) de la rigueur et de la pertinence (Irwin, 2019), en reconnaissant la compétence de chacun des acteurs dans le processus de collaboration. La capacité des acteurs à rejoindre, physiquement comme mentalement, leurs systèmes de connaissances respectifs, avec leurs enjeux et leurs contraintes propres, maintient leur intérêt à bénéficier des apports d’autrui (Sharma & Bansal, 2020) dans la collaboration sans craindre pour leur identité. La collaboration C/P ne suppose donc pas une fusion des systèmes de connaissances respectifs mais des interactions situées à la frontière de plusieurs Bâ, pour générer des connaissances nouvelles. Dans le cas étudié, certains objets occupent un rôle de médiation (Nicolini, 2011). Ils peuvent soutenir cette logique de différenciation qui offre une issue aux inquiétudes identitaires. Côté académique, ils rappellent aux chercheurs l’importance d’orienter les échanges sur le positionnement des concepts, de recueillir des informations au plus près des acteurs pour éclairer la réflexion et les décisions. Côté praticiens, ils apportent des connaissances procédurales (Chanal et al., 2015) et des savoirs expérientiels et/ou culturels qui alertent sur l’acceptabilité de l’importation d’une pratique externe. C’est par exemple le cas des attendus du mémoire universitaire qui a soutenu la position intermédiaire entre deux systèmes de connaissances et de pratiques, des professionnels RH en cours de formation (Yalenios, 2021). La plasticité de ces objets frontière (Lee, 2007) offre un potentiel pour initier la conversation collaborative. Ces objets servent la structuration des échanges C/P en proposant une trame commune favorable aux interrogations provoquées par l’altérité et de différenciation des expertises de chacun.
Conclusion, limites et perspectives
La principale contribution de cette recherche est de s’appuyer sur le concept de Bâ pour explorer, dans la collaboration C/P, les conditions d’émergence de la réflexivité susceptibles de générer des connaissances organisationnelles. En proposant le concept d’espace tiers pour la réflexivité, nous rendons compte de la création d’un espace nouveau, issu de l’interaction, favorable à la génération de connaissances en contexte organisationnel, via des interactions réflexives. Sur le plan managérial, notre étude suggère d’expérimenter des formes de collaboration qui ne cherchent pas à développer de meilleures stratégies de traduction, d’adaptation du langage (Kelemen & Bansal, 2002), mais de s’appuyer sur les dynamiques réflexives qui transcendent les communautés institutionnelles de savoir (Aram & Salipante, 2003; Majchrzak et al., 2012). Les résultats présentés sont conditionnés par la spécificité du cas étudié. Tout d’abord, nous avons étudié un cas exemplaire (David, 2003) de collaboration C/P dans lequel nous avons pu mettre en évidence une dynamique réflexive de création de connaissances et de pratiques organisationnelles. La transformation profonde que connaît l’environnement dans lequel se trouve cette entreprise industrielle du secteur automobile et la prise de conscience de pratiques RH peu adaptées aux défis qu’elle rencontre, forment un contexte spécifique à prendre en compte dans l’analyse des collaborations C/P. L’absence de transaction de type marchand constitue également une dimension à relever dans la dynamique d’interactions productrices d’idées nouvelles. Par ailleurs, nous avons centré notre analyse sur les interactions entre chercheur et praticiens. Or, il existe des positions intermédiaires comme celle des praticiens RH en formation dans le cas étudié. Ils sont situés entre deux systèmes de connaissances et de pratiques, ce qui suggère un continuum dans les identités allant des univers de pensée académique à ceux des praticiens sur lequel chacun peut se positionner en fonction de ses préférences, de ses contraintes et/ou des opportunités de son environnement. Enfin la position de professionnels en formation a sans doute facilité l’acquiescement aux indications notamment méthodologiques en provenance du chercheur. La collaboration a néanmoins réuni plusieurs acteurs de la fonction RH avec une collecte de données aussi menée auprès de managers opérationnels. Cassel et de ses collègues (2020) expliquent que les praticiens impliqués dans une recherche se montrent à la fois plus réflexifs et plus ouverts aux démarches de recherche. Il serait intéressant d’examiner dans des recherches ultérieures, les implications de ces expériences d’interactions entre deux communautés de savoirs, sur la construction de l’identité professionnelle.
Parties annexes
Note biographique
Jocelyne Yalenios est enseignante-chercheuse en gestion des ressources humaines à l’EM Strasbourg Business School. Ses enseignements portent sur la gestion des ressources humaines, à la fois pour les programmes de Master et les programmes exécutifs. Elle est l’auteure de publications dans des revues académiques de haut rang. Les centres d’intérêt de recherche de Jocelyne se concentrent sur les pratiques en ressources humaines, en mettant l’accent sur les micro dynamiques d’apprentissage et d’appropriation dans la (re)production des pratiques en ressources humaines.
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Parties annexes
Biographical note
Jocelyne Yalenios is an Associate Professor in Human Resource Management at EM Strasbourg Business School. Her teaching focuses on Human Resource Management for both Master’s programs and executive programs. She is the author of publications in high-ranking academic journals. Jocelyne’s research interests center around HR practices, with an emphasis on the micro dynamics of learning and appropriation in the (re)production of HR practices.
Parties annexes
Nota biográfica
Jocelyne Yalenios es Profesora Asociada en Gestión de Recursos Humanos en la EM Strasbourg Business School. Su enseñanza se centra en la Gestión de Recursos Humanos tanto para programas de maestría como para programas ejecutivos. Es autora de publicaciones en revistas académicas de alto nivel. Los intereses de investigación de Jocelyne se centran en las prácticas de RH, con un énfasis en las microdinámicas de aprendizaje y apropiación en la (re)producción de prácticas de RH.